D
OUGLASS
C. N
ORTH
Prix Nobel d’économie
Le processus du
développement
économique
Présentation de Claude Ménard
Traduit de l’anglais par Michel Le Séac’h
Debut North.fm Page 3 Mercredi, 7. septembre 2005 3:23 15
© Éditions d’Organisation, 2005
ISBN : 2-7081-3397-7
© Éditions d’Organisation
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Où allons-nous ?
Le développement économique sans précédent des quelques siècles
écoulés, avec ses conséquences pour le progrès matériel et l’espérance
de vie, a évidemment apporté aux humains un contexte et des perspec-
tives de progrès continu. Il y a de bonnes raisons à cela. La croissance
du stock de connaissances a produit des améliorations matérielles dont
nos ancêtres n’auraient pas osé rêver. Le seuil de pauvreté tel qu’on le
définit aux États-Unis (environ 18 000 dollars par an pour une famille
de quatre personnes) aurait excédé, après application de déflateurs
appropriés, le niveau de vie de la quasi-totalité des humains il y a plu-
sieurs siècles. Comme on l’a dit, le critère du progrès se limite parfois à
la croissance du stock de connaissances, et cette croissance ne semble
pas présenter de rendements décroissants dans son application à la
lutte contre la pénurie. Mais la présente étude s’attache aux institu-
tions et à la manière dont les humains les ont créées pour remédier à
l’incertitude. Or, là encore, nous avons réussi à créer des sociétés com-
plexes composées d’institutions qui utilisent le stock de connaissances
pour parvenir à des économies productives. Pourtant, si l’on explore la
condition humaine dans le contexte plus large de la structure politico-
économico-sociale d’ensemble, les résultats sont ambigus.
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Le chemin à parcourir
Le raisonnement de ce livre a des implications pour la manière
dont nous percevons l’avenir des êtres humains. Nous n’avons qu’une
vision limitée de l’avenir et les perspectives futures des humains sont
clairement incertaines. Pour comprendre le processus du changement
économique, il faut considérer les énormes améliorations du bien-être
économique mais aussi s’attaquer aux incertitudes profondes qui ont
caractérisé cette évolution et qui nous attendent dans l’avenir. Dans ce
dernier chapitre, je m’interroge sur ce que cela implique pour l’avenir
de la condition humaine. J’explorerai successivement l’évolution des
croyances, la nouveauté et l’adaptabilité des humains, la fragilité de
l’adaptation institutionnelle et les limites de l’efficience adaptative.
I
Les chapitres précédents auront sans doute montré que non seulement
notre connaissance de nous-mêmes est très imparfaite, mais que la
nature même de notre conscience est une arme à double tranchant. La
conscience est la source et l’inspiration des merveilles de la créativité
humaine, avec tout ce que cela implique comme aspects positifs de la
condition humaine ; elle est aussi la source des superstitions, dogmes
et religions qui (avec le conditionnement culturel qui les accompagne)
ont produit l’Holocauste, des guerres interminables, des actes de
cruauté et de terrorisme, aujourd’hui comme hier. Ce que nous avons
appris sur la manière dont l’esprit et le cerveau interprètent l’environ-
nement humain est-il suffisant pour comprendre les sources des
croyances ? En savons-nous beaucoup sur la manière dont les croyan-
ces non rationnelles s’allient à certains attributs culturels pour
produire telle ou telle attitude anti-sociale ? La « conscience de soi »
des humains dans des environnements différents a produit l’énorme
diversité des systèmes de croyances qui ont été dans le passé, sont dans
le présent et demeureront dans l’avenir la source profonde essentielle
du comportement humain. Mais nous en savons bien trop peu sur la
manière dont ces systèmes de croyances évoluent et se répandent, et
sur leurs conséquences pour les performances humaines. Étant donné
le potentiel dévastateur des technologies militaires modernes, connaî-
tre ces conséquences est une condition de la survie humaine.
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Où allons-nous ?
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II
C’est une thèse centrale de ce livre : du fait de la nature non ergodique
de notre monde, nous avons du mal à faire face efficacement aux nou-
veautés incessantes que nous rencontrons dans notre marche vers des
environnements humains toujours plus complexes et interdépendants.
Ce problème a deux aspects : à quel point les membres d’une société
ont-ils acquis l’adaptabilité nécessaire pour affronter des problèmes
nouveaux ? Et à quel point les problèmes eux-mêmes sont-ils
nouveaux ? Il se peut que certains membres d’une société distinguent
la « vraie » nature d’un problème sans être en mesure de modifier l’ins-
titution. Il est nécessaire que ceux qui prennent les décisions politiques
soient du même avis ; pourtant, il n’est pas évident que le politique
tende à « installer » de telles personnes aux postes de décision.
La manière dont l’esprit fonctionne est importante : si les psycholo-
gues évolutionnistes ont raison quand ils disent que la plus grande
partie de notre comportement est génétiquement déterminée, à quel
point les humains peuvent-ils s’adapter à la nouveauté ? Les problèmes
affrontés par les humains aujourd’hui et demain n’ont pas grand-chose
en commun avec ceux d’un chasseur-cueilleur. Le degré de nouveauté
est évidemment une déterminante essentielle de nos chances de réus-
site face aux problèmes. Nous parlons volontiers du changement
technologique, d’internet et des manipulations génétiques comme de
solutions à nos problèmes, sans songer aux problèmes nouveaux et sans
précédent qui en résulteront du fait des altérations de l’environnement
humain. Le monde interdépendant que nous sommes en train de créer
requiert d’immenses changements sociétaux et soulève de vrais problè-
mes quant aux facultés d’adaptation des humains.
III
La chute des coûts d’information et la possibilité pour toutes les socié-
tés de connaître les performances des autres ont clairement accentué
l’imitation et l’adaptabilité institutionnelles. Pourtant, l’écart entre
pays développés et pays moins développés continue à s’élargir. L’ana-
lyse du changement présentée dans les chapitres précédents montre
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Le chemin à parcourir
clairement que le rattrapage est un processus compliqué. Nous igno-
rons encore comment créer des régimes politiques qui mettront en
place des règles économiques contenant les incitations voulues. Nous
sommes encore loin de comprendre complètement quelle structure
institutionnelle complexe, technologiquement interdépendante, amé-
liorerait le fonctionnement des économies politiques. Les résultats
décevants des efforts en faveur du développement économique en Afri-
que sub-saharienne et en Amérique latine donnent à penser qu’il nous
reste un certain chemin à parcourir avant de pouvoir espérer améliorer
les performances grâce aux institutions que nous créons. Et l’agitation
du monde musulman (à la fois à l’intérieur de ce monde et à ses fron-
tières) jette une ombre épaisse sur les perspectives de l’humanité. Les
troubles de la Russie depuis le début des années 1990 témoignent
hélas des difficultés de la construction d’un nouveau cadre institution-
nel en état de marche. Le processus du changement lui-même est un
facteur aggravant, car il peut rendre les solutions issues de l’expérience
du passé impraticables dans des contextes nouveaux et sans précédent.
Les économistes se cramponnent à un corpus théorique développé
pour traiter les économies avancées du 19
e
siècle, dans lesquelles les
problèmes étaient ceux de la répartition des ressources. Ils persistent à
essayer de l’adapter aux problèmes fondamentaux du développement,
alors que ce corpus est tout simplement inapte à traiter les questions
soulevées dans la présente étude.
IV
Toutes les sociétés à travers l’histoire ont fini par décliner et disparaî-
tre. Certaines, comme Rome, ont duré plusieurs centaines d’années,
d’autres, comme l’Union soviétique, moins d’un siècle. Mancur Olson
affirme qu’en l’absence de révolutions périodiques, les groupes d’inté-
rêt tendent à rigidifier les sociétés et à laminer les gains de productivité
qui sont à l’origine de la croissance. La courte histoire de l’Union
soviétique témoigne des écueils inhérents à un cadre institutionnel
rigide. Ce que j’ai appelé efficience adaptative est une condition per-
manente dans laquelle la société modifie sans cesse ses institutions, ou
en crée de nouvelles, au fur et à mesure que des problèmes se présen-
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