Lectures du travail social 1 : aide et assistance Cours de Bachelor Bertrand Oberson Cours no 1 : Introduction du cours : pourquoi définir ? Selon différents auteurs (J. Donzelot1, R. Castel2,…) le social a été inventé. En d'autres termes, des circonstances civiles et politiques ont rendu nécessaires des interventions de la société sur elle-même : après la Révolution française qui a proclamé la liberté, l'égalité et la justice pour tous, l'État fût pris en tenaille entre l'exigence de justice, d’égalité et le respect des libertés. En effet en 1848, l'écart entre l'idéal politique d'égalité et les inégalités socioéconomiques était considérable. Politique, égalité de tous inégalités socio-économiques Le social Cf, R. Castel : le social naît en 1349 par Edouard III, roi d’Angleterre qui interdit l’aumône et la mendicité, le vagabondage : suite à la peste noire, il y a une pénurie de main d’œuvre, ce qui augmente les salaires, cela ébranle la société féodale. Volonté de vouloir garder l’organisation traditionnelle du travail, ce qui explique l’interdiction d’aumône afin de remettre au travail certains individus. 1 DONZELOT J., L'Invention du social, Essai sur le déclin des passions politiques, Paris, Éditions du Seuil, 1994. BO / SA 2009, Lectures du travail social 1 : aide et assistance 1 Qu'est-ce que l'intervention sociale? "Continent"3 trop souvent ignoré, "nébuleuse", "vaste mille-feuille"4, les expressions ne manquent pas, dans les travaux consacrés à l'intervention sociale, pour décrire à la fois l'ampleur, la diversité et la complexité topographique du champ que l'on cherche à appréhender. Il n'existe pas de définition légale ou officiellement reconnue et validée de l'intervention sociale. Pas plus qu'il n'en existe de signification communément admise. Bien au contraire, en l'absence d'appellation contrôlée, l'élaboration d'une définition constitue en elle-même un enjeu, la délimitation du champ devient objet de controverse, l'utilisation de tel ou tel vocabulaire –action sociale, travail social, intervention sociale…– est considérée comme prise de position plus ou moins explicite sur les orientations et objectifs qui lui sont assignés. Car derrière l'intervention sociale se profile un pan important de l'action publique (qui peut être mis en œuvre dans un cadre privé mais dont les ressorts et le financement relèvent pour l'essentiel des pouvoirs publics), correspondant à une période assez circonscrite et plutôt récente de notre histoire, liée à la "question sociale". Se profile également un vaste champ professionnel dont l'identification progressive s'est faite dans les années soixante sous le concept de "travail social". Celui-ci confronté depuis lors à des transformations très importantes, est aujourd'hui en pleine mutation et pour lui les questions de terminologie ne peuvent être neutres. L'intervention sociale apparaît comme une "expression non contrôlée permettant de désigner l'ensemble des actions sociales, qu'elles soient l'œuvre de bénévoles ou de professionnels, qui tend à se substituer à celle, plus institutionnelle, de travail social"5. Inversement, les métiers d'auxiliariat social s'inscrivent dans le cadre de l'intervention sociale dès lors qu'à la différence du service à domicile pur et simple, ils s'appuient sur une maîtrise apprise de la relation et ont pour objet, au-delà du service lui-même, l'établissement et le maintien de cette relation: pas plus qu'une assistante sociale n'est un agent administratif, une aide ménagère ou une technicienne d'intervention sociale et familiale ne sont pas et ne doivent pas seulement faire le ménage ou les courses. 2 CASTEL R., Les Métamorphoses de la question sociale, Une chronique du salariat, Paris, Éditions Fayard, 1995. 3 Selon le terme utilisé par J.N. CHOPART: CHOPART J.N. (s/s la dir. de), Les Mutations du travail social, Dynamiques d'un champ professionnel, Paris, Éditions Dunod, 2000. 4 L'expression est de J. Ion: ION J. & TRICART J.P., Les travailleurs sociaux, Paris, Éditions La Découverte, 1992. 5 Définition extraite du glossaire annexé au dossier "Le Travail social" réalisé par B. RAVON, 2003. BO / SA 2009, Lectures du travail social 1 : aide et assistance 2 On voit ici que la spécificité de l'intervention sociale réside dans son objet qui est en même temps son support: la relation individuelle ou collective et, partant, le lien social, qu'il s'agit de maintenir, d'entretenir ou de restaurer. L'intervention sociale est le processus par lequel des professionnels apportent aide et accompagnement aux personnes en difficultés sociales. Elle ne doit donc pas être définie de manière théorique, mais fonctionnelle. Les pratiques sont à la fois marquées par l'historie et évolutives. Coexistent différents modèles d'intervention sans qu'on puisse taxer cette pluralité d'absence de rigueur. En effet, l'intervention sociale met en œuvre des méthodes répertoriées et développe une réflexion déontologique importante6. Le travail social: un travail politique II s'agit donc de rendre des comptes. Ceci relève autant de ce qu'on appelle "la rigueur économique" (formule à analyser de près..., dans ses rapports avec le rigorisme moral notamment) que de la politique sociale sans laquelle il n'y a pas de travail social. Banalité qu'il n'est peut-être pas inutile de rappeler. Une différence essentielle entre la charité et le travail social vient justement de la mise en place des politiques sociales, celles-ci étant donc une condition structurelle du travail social: les travailleurs sociaux sont nantis d'un diplôme d'État (HES), soit d'une habilitation politique scolairement sanctionnée. Or, qui dit "politique", sociale ou pas, dit alliances, compromis, luttes, amis et adversaires : il n'y a jamais que des bénéficiaires... Qu'il y ait une politique sociale souligne bien l'impossible neutralité des actions entreprises et des buts à atteindre. Certains résultats doivent être atteints et pas d'autres, certains modes de vie et pas d'autres, certaines modalités d'insertion et pas d'autres. La politique sociale rappelle que les travailleurs sociaux sont censés contribuer à la paix sociale, comme les gardiens du même nom, mais avec d'autres armes... Untel, qui change d'employeur très (trop) souvent, "souffre probablement d'une personnalité instable" : ceci n'est pas impossible, mais il souffre probablement aussi du fait que les employeurs sont bien des employeurs, et que cette personne voudrait en trouver qui soient plus généreux quant aux salaires et quant aux conditions de travail. Les rapports de production, la place qu'on y occupe, l'intérêt ou la stupidité des tâches, les biens et services qu'on peut ensuite se payer, tout cela chacun les vit plus ou moins bien, ou plus ou moins mal, 6 INSPECTION GÉNÉRALE DES AFFAIRES SOCIALES, Rapport annuel 2005, L'intervention sociale : un travail de proximité, Paris, Éditions La Documentation française, 2006, pp. 7-17. BO / SA 2009, Lectures du travail social 1 : aide et assistance 3 –mais, quelque soit le vécu subjectif, les rapports de production sont bien les rapports de production objectifs. Enfin, dernière remarque (et dont les termes sont aussi contradictoires que ceux des remarques précédentes): un fort souci de professionnalisation et de technicité accrue traversent aujourd'hui le travail social en même temps que le social lui-même connaît une explosion tous azimuts et se développe dans toutes directions. Souci de professionnalisation et de technicité. Cela concerne la recherche de méthodologies nouvelles, capables de remplacer ou tout au moins de rajeunir les diverses variantes du "casework", qui continue d'être –même implicitement– le corpus méthodologique dominant, surtout chez les assistants de service social. D'où notamment le succès de l'analyse systémique et des thérapies familiales, qui constituent effectivement une doctrine et une clinique fort "modernes" : certainement efficientes, mais aussi radicalement aveugles et aveuglantes quant à leur effets. Cette professionnalisation accrue ferait des travailleurs sociaux des partenaires susceptibles de s'intégrer dans des actions nouvelles concernant la ville, le développement social des quartiers, l'action communautaire, les différentes formes de partenariat qui –aujourd'hui usuelles– ne font guère recours aux travailleurs sociaux... Explosion du social. Les dispositifs sociaux connaissent aujourd'hui une véritable explosion, au point qu'à la limite il serait peut-être plus court de recenser les structures et les agences publiques et privées qui ne font pas du social que celles qui en font leur métier. Sans parler des différentes opérations de charité-bussiness, par ailleurs des services téléphoniques divers, etc. Si les travailleurs sociaux acquièrent une professionnalisation et technicité accrues, paradoxalement ils perdent, lentement mais sûrement, le monopole du social7. 7 Tiré d'une conférence de M. Saül KARSZ, Journée d’étude régionale, organisée à Blois, le 14 mars 1991, par PROMOFAF; www.pratiques-sociales.org BO / SA 2009, Lectures du travail social 1 : aide et assistance 4