En attendant le SMUR
Prise en charge
d’un arrêt cardiaque
E. Querellou, E. Lacotte, Y. Croguennec, J. Couvreur, M. Jaffrelot
SAMU 29, CHU Cavale Blanche, bd Tanguy-Prigent, 29200 Brest
Mots clés :arrêt cardiaque, soins d’urgence
Lamort subite ou arrêt cardiaque
(AC) (sudden cardiac arrest des
Anglo-Saxons) est une cause fré-
quente et importante de décès. Cette
définition concerne tout patient
décédé dans l’heure suivant les pre-
miers symptômes de la maladie. La
publication récente des nouvelles
recommandations internationales de
la prise en charge des patients victi-
mes d’arrêt cardiaque modifie de
façon notable les stratégies secouriste
et médicale de soins extra et intra-
hospitaliers [1]. Ces modifications ont
toutes pour objectif l’augmentation de
la survie sans séquelles neurologiques
des patients, en simplifiant les algo-
rithmes de soins afin d’améliorer la
compliance des premiers témoins [2].
En effet, la survie sans séquelles
neurologiques à 1 an reste faible mal-
gré une meilleure connaissance de la
physiopathologie de l’AC, une diffu-
sion importante chez les secouristes
de la défibrillation semi-automatique
(DSA), et enfin l’apparition de nouvel-
les thérapeutiques de réanimation. La
chaîne de soins de l’AC comprend
une reconnaissance précoce de celui-
ci, des gestes de secourisme immé-
diat, associant compressions thoraci-
ques et ventilation, l’usage d’un
défibrillateur semi-automatique (DSA)
idéalement en moins de 4 minutes
après l’effondrement et enfin des soins
de réanimation spécialisée précoces
[3] (figure 1).
Circonstances –
Épidémiologie
L’AC de l’adulte représente
700 000 décès par an en Europe [4].
Quarante pour cent des patients pré-
sentent en phase initiale de dysfonc-
tionnement myocardique une fibrilla-
tion ventriculaire (FV), le plus souvent
en relation avec un syndrome corona-
rien aigu [5]. Si ces patients pouvaient
bénéficier d’une défibrillation pré-
coce, des chiffres de survie théorique
de 40 % devraient être retrouvés [6].
Ces nombreux espoirs suscités par la
DSA, initialement confirmés par ces
études, ont été tempérés par des étu-
des européennes au sein de popula-
tion rurale, ou possédant des systèmes
de soins d’urgence différents [7]. En
pratique, il a clairement été établi que
chaque maillon de la prise en charge
pouvait être aisément mis en défaut :
difficulté de reconnaissance de l’AC
par les témoins, hésitation ou refus
quant à la réalisation du massage car-
diaque, mais surtout de la ventilation
par bouche-à-bouche, retard à la mise
en œuvre d’un DSA, soins de réani-
mation mal conduits, etc. [1].
L’amélioration des trois premiers
maillons de la chaîne comprend une
implication obligatoire de la popula-
tion. En effet, 80 % des AC ont lieu au
domicile des patients, et le délai
moyen d’arrivée d’une équipe de
secouristes est en moyenne de 8
minutes [5, 8]. Cependant, les écarts
m
t
Tirés à part : E. Querellou
doi: 10.1684/met.2006.0045
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sont très importants entre une intervention urbaine (quel-
ques minutes) et rurale (parfois 20 minutes). De fait, si les
témoins ne pratiquent pas les gestes élémentaires de sur-
vie, les chances de récupération d’une activité cardiaque
spontanée sont peu importantes, et les chances de survie
diminuent de7à10%parminute [9].
Physiopathologie
Une meilleure connaissance de la physiopathologie
de l’AC, la validation sur modèles expérimentaux ani-
maux des mécanismes décrits et la publication d’études
cliniques humaines ont permis les modifications récentes
de la prise en charge de l’AC. La physiopathologie des
premières minutes d’un cœur en FV, décrite par Weisfeldt
et Becker, comprend trois phases : une phase électrique,
une phase hémodynamique et une phase métabolique.
La phase initiale de dysfonctionnement, ou phase
électrique (FV grande maille), associe une diminution
rapide des pressions du cœur gauche (système artériel
haute pression) à une augmentation des pressions du cœur
droit (système veineux basse pression), la pression de
perfusion coronaire passant ainsi de 60 mmHg à 15
mmHg en 4 minutes [3]. Durant cette phase, un traitement
par défibrillation à toutes les chances d’être efficace.
La période suivante correspond à la phase dite
hémodynamique. C’est une période durant laquelle les
chances de récupération d’une activité cardiaque passent
par un obligatoire réamorçage de la pompe cardiaque afin
de rétablir une pression de perfusion coronaire et une
oxygénation minimale myocardique, éléments indispen-
sables à la réussite d’une défibrillation [10].
La phase métabolique commence dès l’apparition
d’une asystolie et au-delà de 4 minutes. Cette phase est
une période où les chances de survie sont faibles avec
apparition de troubles métaboliques associant une aci-
dose importante, une hyperlactatémie, et des troubles
ioniques. Les thérapeutiques sont moins efficaces durant
cette phase, notamment l’épinéphrine [11].
Les connaissances récentes ont permis de modifier les
stratégies d’intervention : augmentation par tous les
moyens des temps de massage efficace [1], défibrillation
immédiate dans les 4 premières minutes qui suivent l’AC,
mais les compressions thoraciques doivent précéder le
choc électrique au-delà de cette période [1].
Les modifications sont aussi le fait d’une meilleure
connaissance du comportement des témoins d’un AC et
des limites de ceux-ci. L’important stress, associé à une
prise de pouls carotidien difficile [12], a amené les experts
à conseiller une mise en œuvre des gestes de survie chez
toute personne présentant une perte de conscience asso-
ciée à des troubles ventilatoires [1].
Enfin, une validation de la neuroprotection par l’hypo-
thermie a été réalisée en réanimation, ouvrant la voie à
l’amélioration des soins post-réanimation aiguë spécifi-
ques [13, 14], en particulier dans le domaine de l’inflam-
mation post-AC [15].
Les gestes élémentaires de survie
Le médecin témoin d’un AC et ne possédant pas de
matériel spécifique doit appliquer les recommandations
de l’European Resuscitation Council. Il est de par sa situa-
tion professionnelle dans l’obligation de débuter les soins.
L’alerte doit être la plus précoce et précise possible :
adresse, téléphone et motif d’appel [16].
Le massage cardiaque externe (MCE) est le geste fon-
damental lors de la prise en charge de l’AC. Il doit être
conduit, en alternance avec la ventilation par bouche-à-
bouche, au rythme de 90 compressions par minute, selon
un ratio de 30:2 (soit trois cycles de 30 compressions –
2 insufflations dans la minute, figure 2). La ventilation peut
être différée de 10 minutes si l’AC n’est pas d’origine
anoxique [10].
Le positionnement du talon de la main sur le médio-
sternum importe moins que la fréquence et l’intensité du
massage. L’adage anglais « push hard, push fast » (« pous-
ser fort et vite ») traduit parfaitement ce que l’on attend
d’un MCE [1]. La réalisation de ces manœuvres de réani-
Figure 1. Adapté d’après « Guidelines 2005 » [1].
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mation impose un relais régulier toutes les deux et trois
minutes entre les intervenants, afin de ne pas s’épuiser et
diminuer le rythme des compressions.
La ventilation par bouche-à-bouche est impérative en
situation d’AC anoxique. Ce geste peut être « délicat » à
réaliser dans les situations suivantes : OAPc (œdème aigu
pulmonaire cardiogénique), AC sur inhalation, trauma-
tisme maxillo-facial important, malformation anatomique.
Dans ces cas, on pourra se contenter d’un MCE seul,
malgré l’anoxie sous-jacente [17].
Stratégie de la régulation médicale
Toute la stratégie de la régulation des AC passe par une
reconnaissance la plus rapide et précoce des signes d’arrêt
circulatoire. La difficulté d’identification de l’AC par la
prise de pouls carotidien par les témoins a conduit à en
modifier les modalités de reconnaissance. Ainsi toute
personne inconsciente présentant un arrêt ou des troubles
ventilatoires doit bénéficier des premiers gestes de réani-
mation. Cette reconnaissance passe par deux questions :
la personne est-elle consciente ? La personne présente-t-
elle des difficultés respiratoires, à type de bradypnée, ou
de mouvements agoniques, gasps ?
Une recherche des signes de mort avérée doit aussi
être initiée : décapitation, décomposition ou raideur cada-
vérique, lividités [16]. L’envoi d’une équipe médicale
dans ces quatre situations n’a de sens que s’il existe une
contrainte sociale forte : enfant, femme enceinte, VIP...
[16]. L’envoi d’une équipe de réanimation est justifié au
moindre doute, qui, dans tous les cas, doit bénéficier au
patient. L’envoi de l’équipe médicale est toujours associé
à un premier secours (sapeur-pompier ou ambulancier). La
réalité des interventions en zones éloignées pose parfois le
problème de la répartition des moyens et de l’importance
du diagnostic et du contact médical précoce.
À l’arrivée des premiers secours
Les transporteurs sanitaires sont parfois équipés d’un
défibrillateur semi-automatique (DSA). La mise en œuvre
de ce geste par des personnels non médicaux est une des
grandes avancées de la prise en charge actuelle de l’AC. Il
permet de traiter les troubles du rythme ventriculaire (FV
et TV sans pouls). Le délai entre l’effondrement du patient
et la défibrillation est un des éléments les plus importants
du traitement de l’AC, après sa reconnaissance et les GES.
La dégradation rapide de la FV de grandes mailles en
petites mailles est le reflet direct de l’anoxie cellulaire
[19]. À partir de 10 minutes, l’activité électrique est sou-
vent totalement absente.
Parallèlement, une ventilation par ballon à valve uni-
directionnelle sous FiO
2
100 % doit être commencée.
L’alternance MCE et ventilation doit être respectée.
L’usage de petit volume d’insufflation est un impératif [1].
L’insufflation efficace est celle qui permet le soulèvement
visible du thorax. Le risque d’inhalation bronchique du
liquide gastrique est constant durant cette période.
La pose d’une voie veineuse périphérique (VVP) peut
être faite, sous réserve de ne pas retarder la mise en œuvre
du MCE et de posséder de l’adrénaline [18]. Le bénéfice
de la pose d’une VVP est nul si le médecin doit masser et
perfuser en même temps. À l’arrivée des secouristes, qui
assureront le MCE, le médecin peut injecter l’adrénaline à
la dose de 1 mg toutes les 3 minutes (aiguille IV, cathlon,
épicrânienne), suivie de 20 cc de sérum physiologique.
L’anamnèse ne doit pas non plus être oubliée, avec
recherche des critères d’Utstein afin de transmettre un
bilan de confirmation de l’AC au Centre 15 [20] :
Cause cardiaque ou non
Témoin ?
MCE ?
Défibrillation ?
Efficacité ?
La personne ne répond pas ?
Crier pour appeler à l’aide
Libérer les voies aériennes
Elle ne respire pas normalement ?
Appeler le 15
30 compressions thoraciques
2 insufflations puis 30 compressions
Figure 2. Les gestes élémentaires de survie.
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Ces éléments peuvent aider le médecin régulateur
dans son rôle de gestion des moyens de secours sur le
territoire : notamment dans les situations où les chances
de survie sont inexistantes, décider de dérouter ou annuler
le SMUR.
Stratégie médicale de l’équipe SMUR
La réanimation spécialisée par l’équipe SMUR com-
prend dans le même temps de soins :
Contrôle de la bonne réalisation des gestes élémen-
taires de survie, et efficacité de la DSA.
Conditionnement avec contrôle des voies aériennes,
par intubation orotrachéale et pose d’une VVP.
Installation des éléments de surveillance, électrocar-
dioscope, mesure du CO
2
expiré après intubation.
Usage de drogues (épinéphrine, amiodarone, vaso-
pressine).
La recherche d’une étiologie curable sera systématique
[1] :
Intoxication avec antidote (opiacés, benzodiazépi-
nes, tricycliques, bêtabloquants, inhibiteurs calciques,
substances méthémoglobinisantes)
Syndrome coronarien.
Embolie pulmonaire.
Tamponnade, pneumothorax suffocant.
Choc hypovolémique.
Troubles métaboliques, notamment dyskaliémie.
L’utilisation des drogues vasoactives ou antiarythmi-
ques dans l’AC est peu étayée. L’usage de l’adrénaline est
fait sur un faisceau de preuves, mais il n’existe pas d’étude
clinique humaine randomisée méthodologiquement fia-
ble pour asseoir son efficacité [1]. Toutefois, son emploi
n’est pour l’instant pas remis en cause, même si les recom-
mandations font part de leurs interrogations. «... despite
the widespread use of epinephrine and several studied of
vasopressin, no placebo-controlled study has shown that
any medication or vasopressor given routinely at any stage
during human cardiac arrest increases rate of survival to
hospital discharge... » [1]. Il existe en revanche un haut
degré de certitude quant à l’inefficacité des hautes doses
(5 mg) [21], et surtout une certitude sur la toxicité neuro-
logique des hautes doses cumulatives. L’usage de la vaso-
pressine est en cours d’évaluation ; il n’existe pas d’étude
clinique prouvant sa supériorité sur l’adrénaline seule
[22]. Le seul antiarythmique ayant prouvé son efficacité
sur les récupérations d’activité cardiaque spontanée est
l’amiodarone. Il n’existe pas de preuve quant à l’amélio-
ration de la survie des patients [23].
Le soluté de perfusion à utiliser est le soluté salé
isotonique. Les solutés glucosés sont contre-indiqués, afin
de ne pas majorer l’hyperlactacidémie.
Pendant l’administration des drogues, le massage car-
diaque ne doit pas être interrompu.
Dans la trousse d’urgence
Matériel Médicaments
Ballon autoremplisseur à
valve unidirectionnelle
(BAVU)
Adrénaline
Matériel de perfusion,
aiguille épicrânienne
Sérum physiologique
N’ont pas prouvé leur efficacité
en phase extra ou intrahospitalière
L’atropine [24], les inhibiteurs calciques [25], la lido-
caïne [26], l’usage du pantalon antichoc [27], l’alcalinisa-
tion [28].
Sont délétères :
L’absence de GES par les témoins [29].
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