Pratique quotidienne · formation complémentaire Les pseudokystes du maxillaire inférieur Susanne Naumann, Andreas Filippi Clinique de chirurgie buccale, de radiologie et de stomatologie du Centre de médecine dentaire de l’Université de Bâle Mots clés: kyste solitaire (ou essentiel) des os, kyste anévrismal des os, lacune de Stafne. Adresse pour la correspondance: Dr Andreas Filippi, PD Klinik für zahnärztliche Chirurgie, -Radiologie, Mund- und Kieferheilkunde Zentrum für Zahnmedizin der Universität Basel Hebelstrasse 3 4056 Bâle Tél. 061/267 26 09 Fax 061/267 26 07 Les pseudokystes et les kystes vrais se manifestent par des symptômes similaires tant au plan clinique que radiologique, à la différence morphologique près que les pseudokystes ne sont pas tapissés par un épithélium. Dans la région du maxillaire inférieur, différents types de pseudokystes peuvent se présenter: le kyste solitaire (ou essentiel) des os, le kyste anévrismal des os ainsi que la lacune de Stafne (ou kyste latent des os). La dernière pathologie n’est assimilée aux pseudokystes que du fait qu’ils s’agit d’une lacune radio-transparente, de forme arrondie ou ovalaire, qui présente des aspects radiologiques similaires à celles des autres formes de pseudokystes; en réalité, il s’agit toutefois probablement d’une malformation osseuse du maxillaire inférieur. Le kyste osseux solitaire (ou essentiel) des os est une pathologie, dans la majorité des cas asymptomatiques, survenant chez les patients plutôt jeunes. Par contre, le kyste anévrismal des os peut présenter une augmentation rapide de volume et peut de se fait se manifester chez certains patients par des symptômes cliniques, telles que des douleurs. E-mail: [email protected] Traduction française de Thomas Vauthier (Illustrations et bibliographie voir texte allemand, page 1019) Introduction Par définition, les kystes sont des néoformations pathologiques, d’étiologies diverses, formant des cavités (qui peuvent être unicamérales ou pluricamérales), renfermées sur elles-mêmes, bordées par un revêtement propre, épithélial ou endothélial. Les lacunes ou cavités osseuses qui ne sont pas tapissées par un épithélium, mais qui présentent des caractéristiques cliniques ou radiologiques similaires sont regroupées sous le terme de pseu- 1026 Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 112: 10/2002 dokystes. Les kystes peuvent être remplis d’un contenu fluide, gélatineux ou pâteux, voire simplement contenir de l’air; dans la plupart des cas, l’augmentation de volume est plutôt lente. Ces pathologies se rencontrent tant dans le maxillaire supérieur que dans la région de la mandibule (LAMBRECHT et coll. 1988). La présente contribution a comme objectif de présenter les pseudokystes classiques rencontrés dans le maxillaire inférieur, lésions qui se ressemblent de par leurs caractéristiques radiologiques, mais qui sont d’origines différentes. Les pseudokystes du maxillaire inférieur Kyste essentiel (ou solitaire) des os Définition Le kyste essentiel des os est une lésion bénigne du sujet jeune, caractérisée par une ostéolyse non tumorale à croissance expansive; la lésion entraîne toujours la formation d’une cavité unique qui est remplie de liquide ou qui est simplement pneumatisée (ADLER & RIEDE 1995; MITTERMAYER 1993). Dans la grande majorité des cas elle est située dans le corps de la mandibule. Au plan clinique, à savoir durant l’intervention chirurgicale, on est frappé par l’absence d’une poche épithéliale propre; par contre, lors de la préparation minutieuse, il est en général possible de disséquer un revêtement interne de la cavité osseuse qui se présente sous forme d’une mince couche conjonctive. Ce type de lésion est également connu dans la littérature sous les termes de solitary bone cyst, de kyste solitaire, traumatique ou juvénile des os. Epidémiologie Les kystes essentiels des os sont observés dans la grande majorité des cas chez des patients jeunes, avec un pic de fréquence durant la deuxième décennie de la vie; ils ont cependant également été décrits chez des sujets plus âgés. Les hommes sont plus souvent affectés que les femmes, le rapport des fréquences pour les deux sexes est de 1,4:1. Les kystes essentiels des os siègent de préférence dans les métaphyses des os longs (humérus et fémur) (ADLER & RIEDE 1995; REMAGEN et coll. 1980). Dans la région des maxillaires, les kystes essentiels des os sont observés plus rarement (BERTHOLD et coll. 1987; KAUGARS & CALE 1987, PREIN et coll. 1985). Dans ces cas, le site de prédilection est la région des molaires ou des prémolaires du maxillaire inférieur, dans des cas plus rares, ils peuvent être observés dans les régions antérieures de la mandibule, voire exceptionnellement dans le maxillaire supérieur (COPETE et coll. 1998; KAUGARS & CALE 1987). Les kystes essentiels des os peuvent également survenir dans le contexte de certains syndromes rares, tels que l’incontinentia pigmenti (connue également sous les termes de dermatose pigmentaire en éclaboussures ou de maladie de Bloch-Sulzberger ou Bloch-Siemens), une dermatose rare frappant exclusivement les sujets de sexe féminin qui se manifeste par différents symptômes cliniques et qui est causée par une dysembryoplasie entraînant des anomalies ectodermiques et mésodermiques (BADDOUR et coll. 1981). En raison de la sémiologie clinique pauvre et peu spécifique, cette pathologie n’a autrefois été diagnostiquée que dans un nombre restreint de cas et a de ce fait été considérée comme rare dans la région des maxillaires. Depuis l’avènement des techniques de radiographie panoramique (OPG) faciles à mettre en pratique, elle a été décrite plus souvent et il semblerait que sa prévalence soit plus importante de ce que l’on supposait jusqu’à présent (PREIN et coll. 1985). Pathogenèse Le synonyme de kyste osseux traumatique, tel qu’il existe dans certaines sources de la littérature (non francophones, n.d.tr.), relève du fait que pendant longtemps on supposait un traumatisme être à l’origine de ces lésions. Jusqu’à présent on ne peut expliquer de façon plausible comment un traumatisme serait susceptible de causer une dégénération kystique de l’os. Par conséquent, de nombreux auteurs partent actuellement de l’hypothèse que les kystes essentiels des os sont dus à une dystrophie osseuse circonscrite ou à un trouble de la résorption osseuse post-traumatique (MITTERMAYER 1993; JAFFE 1953). Sémiologie clinique La plupart des kystes essentiels (ou solitaires) des os sont asymptomatiques et sont de ce fait découverts en règle générale de manière fortuite (NEUKAM & BECKER 2000, COPETE et coll. 1998), par exemple lors d’un examen radiologique de routine. La lésion comprend toujours une seule cavité unique qui n’est tapissée que d’une mince couche de tissu conjonctif, d’aspect gris-blanchâtre, rougeâtre ou brunâtre. Jusqu’à présent aucun cas de pénétration dans les tissus mous environnants n’a été observé (HORCH 1995; PREIN et coll. 1985). La sémiologie est pauvre et non spécifique: les douleurs, tuméfactions, résorptions radiculaires, dislocations ou hypersensibilités des dents voisines sont rares et n’ont été décrites que dans des cas exceptionnels (COPETE et coll. 1998). Les tests de vitalité des dents du voisinage sont positifs (ROSEN et coll. 1997; BEASLEY 1992; COWAN 1980), un phénomène qui semble confirmer l’origine non odontogène de ces lésions. Dans certains cas, les kystes essentiels peuvent atteindre des volumes considérables (FREEDMAN & BEIGLEMAN 1985; PATRIKIOU et coll. 1981). Des troubles de la sensibilité dans le territoire du nerf alvéolaire inférieur n’ont été rapportés que dans de très rares cas; en cas de localisation dans la région distale à la canine inférieure, certains auteurs ont rapporté avoir observé, dans des cas isolés, un nerf alvéolaire «suspendu dans le vide» à l’intérieur de la cavité osseuse (ROSEN et coll. 1997; PRECIOUS & MCFADDEN 1994; PATRIKIOU et coll. 1981). Radiologie Les clichés radiologiques mettent en évidence une ostéolyse uniloculaire aux rebords francs et bien délimités (REICHART et coll. 1999). Etant donné que dans certains cas, il est possible que le kyste solitaire de l’os soit traversé par de minces pseudo-septums, il peut apparaître à tort comme étant multiloculaire. La paroi corticale est amincie depuis l’intérieur, sans qu’elle ne soit à aucun endroit franchement percée (fig. 1). Les racines ou apex des dents voisines peuvent être «suspendues dans le vide» à l’intérieur de la cavité osseuse (fig. 2), alors que l’espace parodontal est en général conservé et est bien défini sur tout le contour des racines. Sur le plan radiologique, le kyste essentiel de l’os peut être confondu avec un kyste radiculo-dentaire; la conservation de la vitalité des dents voisines en cas de kyste solitaire des os permet toutefois de poser le diagnostic différentiel (DÜCKER 1992). Histologie Du fait que les géodes ou cavités kystiques sont souvent exemptes de matériel récoltable, il est par principe difficile de recueillir des échantillons pour des examens histologiques. Par conséquent, la procédure préconisée comprend le prélèvement préopératoire d’une partie de l’os adjacent à la lumière de la lésion; pour ce faire, des fraises trépans sont l’instrument de choix. Comme évoqué plus haut, la partie interne des parois du kyste est tapissée d’une mince couche de tissu conjonctif (ADLER & RIEDE 1995). Certains auteurs rapportent d’avoir observé des cellules géantes de type ostéoclastes dispersées entre la couche de conjonctif et l’os (REICHART et coll. 1999; JUNDT et coll. 1997; HORCH et coll. 1995; PREIN et coll. 1985). Le revêtement conjonctif est délimité en regard de la lumière kystique par une couche de cellules non différenciées; il est toutefois possible de mettre en évidence des zones d’infiltration inflammatoire dans la paroi (Jundt et coll. 1997). Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 112: 10/2002 1027 Pratique quotidienne · formation complémentaire Diagnostic différentiel Le diagnostic différentiel le plus important à envisager est celui d’un kyste anévrismal des os – hormis les kystes d’origine dentaire, notamment le kyste radiculo-dentaire. Ce d’autant plus dans les cas dans lesquels un nombre important de cellules géantes a été mis en évidence, ce qui peut entraîner, le cas échéant, une confusion des deux types de pseudokystes. En outre, il convient de prendre en considération la possibilité d’un granulome central à cellules géantes, de même que celle d’un granulome réparateur à cellules géantes. Il convient toutefois de noter qu’en cas de kyste essentiel des os, on n’observe que dans des cas exceptionnels des dislocations ou des luxations des dents du voisinage (JUNDT et coll. 1997). En revanche, le kyste essentiel (ou solitaire) des os peut présenter des caractéristiques ressemblant à celles d’un granulome éosinophile des os (une variété de l’histiocytose X) ou d’autres types de lésions fibro-osseuses (DÜCKER 1992). De découverte souvent fortuite lors d’un examen radiologique de routine, les lésions ostéolytiques des maxillaires représentent parfois une réelle difficulté diagnostique pour le clinicien. En effet, la symptomatologie discrète, le polymorphisme radiologique des images radioclaires kystiques, pseudo-kystiques et tumorales permettent un diagnostic différentiel assez large. Or, la pose d’un diagnostic différentiel de certitude – notamment par rapport à d’autres types de néoplasies – n’est pas possible en l’absence d’une exploration chirurgicale, de préférence suivie d’un examen histologique (JEND-ROSSMANN 1985). Toutefois, la prise en considération de l’âge du patient est sans doute un élément utile pour le diagnostic différentiel. Force est toutefois de constater qu’en cas de découverte d’une telle image radio-transparente chez un patient dans la deuxième décennie de la vie, présentant par ailleurs des arcades dentaires saines (ou assainies), et en l’absence de symptomatologie subjective et de sémiologie clinique pertinente, le premier diagnostic présomptif à évoquer devra être celui d’un kyste essentiel (ou solitaire) des os. Modalités thérapeutiques En général, la trépanation chirurgicale est le traitement de choix. La simple ouverture du pseudokyste (dans le sens d’une kystotomie) est suffisante, du fait que le caillot sanguin qui se forme par la suite à l’intérieur de la cavité entraîne une ossification et par conséquent la guérison (NEUKAM & BECKER 2000; REICHART et coll. 1999). Dans certains cas spécifiques, il est possible d’envisager de remplir la géode kystique par un matériau le comblement approprié (fig. 3 à 5) ou par du sang autologue concentré (PRECIOUS & MCFADDEN 1984). Dans les cas de kystes essentiels des os longs des membres, la technique de l’injection d’une solution à base de cortisone dans la cavité a fait ses preuves: c’est en particulier chez les patients jeunes que cette méthode a permis de constater une réossification rapide et spontanée (JUNDT et coll. 1997). D’autres auteurs ont rapporté des cas de rémissions spontanées de kystes essentiels des os chez des patients âgés de moins de 20 ans; dans ces cas, après guérison de la zone affectée l’os présentait alors un aspect quelque peu plus dense que celui du voisinage (SAPP & STARK 1990; POGREL 1987; COWAN 1980). En l’absence de symptomatologie franche et chez les patients relativement jeunes, il est dès lors parfaitement possible, le cas échéant, d’attendre une éventuelle guérison dans le sens d’une rémission spontanée. Pronostic Le pronostic des kystes essentiels des os est excellent; on peut s’attendre à une régénération osseuse complète après ouverture chirurgicale de la lésion (FISCHER-BRANDIES & DIELERT 1985). Il 1028 Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 112: 10/2002 est toutefois conseillé de procéder à des contrôles de suivi, tant radiologiques que cliniques, y compris des tests de vitalité sur une période d’au moins cinq ans (ABBOTT 1999; FREEDMAN & BEIGLEMAN 1985) Kyste anévrismal des os Définition Le kyste anévrismal des os correspond à une lésion bénigne et bien délimitée du tissu osseux (ostéolyse), constituée d’une géode ou cavité remplie de sang dont les contours sont fibreux. Selon la localisation et le volume du kyste, la lésion peut être située non seulement à l’intérieur, mais également à l’extérieur de l’os. La croissance est similaire à celle des tumeurs bénignes. Le kyste anévrismal des os forme des lacunes caverneuses remplies de tissu fibreux creusé d’espaces remplis de sang, ainsi que des cellules géantes et de l’ostéoïde (ADLER & RIEDE 1995; MITTERMAYER 1993). Ce type de lésion est également connu dans la littérature sous les termes d’aneurysmal bone cyst, d’anévrisme sous-périosté des os, d’anévrisme bénin des os et de kyste hémorragique des os. Epidémiologie Les kystes essentiels des os sont observés dans la grande majorité des cas chez des patients jeunes âgés de moins de 30 ans (NEUKAM & BECKER 2000; REICHART et coll. 1999; ADLER & RIEDE 1995). Les hommes et les femmes sont affectés dans des proportions égales (HORCH 1995; GRUSKIN & DAHLIN 1968). Les principales localisations sont les métaphyses des os longs des membres. Parfois, une telle lésion se rencontre sur une vertèbre ou un os plat. Ce n’est que dans 1 à 3% des cas qu’un kyste anévrismal des os survient dans la région du squelette de la face; parmi ces derniers, la plupart sont localisés dans la région des molaires du maxillaire inférieur (GORLIN 1970). Pathogenèse Ni l’étiologie ni la pathogenèse du kyste anévrismal des os ne sont connues de façon précise (HORCH 1995). Parmi les hypothèses discutées, on trouve celle d’un trouble local de la circulation sanguine avec une augmentation de la pression veineuse, entraînant un élargissement du diamètre vasculaire, ou alors une malformation vasculaire congénitale ou acquise – similaire à l’anévrisme proprement dit – dont résulterait une ostéolyse subséquente (MITTERMAYER 1993). Etant donné que le sang à l’intérieur de la cavité kystique ne forme pas de caillots, on suppose que le sang peut librement circuler à travers les espaces creusés dans le tissu fibreux remplissant la lésion. Toutefois, cette microcirculation est très faible, de sorte qu’elle ne provoque pas de phénomènes acoustiques décelables, à l’instar de ceux que l’on peut parfois ausculter en cas d’hémangiomes intra-osseux (SAPP et coll. 1997). De même, lors de l’ouverture chirurgicale du kyste anévrismal des os, il n’est pas possible d’aspirer du sang artériel, contrairement au cas des hémangiomes intra-osseux vrais (MOTAMEDI & YAZDI 1994). Sémiologie clinique Contrairement au kyste essentiel des os, le kyste anévrismal des os se manifeste par une symptomatologie franche, qui s’accompagne d’une tuméfaction et de douleurs (NEUKAM & BECKER 2000; JUNDT et coll. 1997). En cas de kystes volumineux, la compression des tissus adjacents peut entraîner des versions, des dislocations ou des luxations des dents du voisinage. Leur vitalité reste cependant en général conservée. De même, jusqu’à présent aucun cas de troubles de la sensibilité dans le territoire Les pseudokystes du maxillaire inférieur du nerf alvéolaire inférieur (signe de Vincent) n’a été décrit non plus. La vitesse de croissance de ce type de kyste peut être très variable: certaines lésions demeurent inchangées durant des années avant d’augmenter finalement de volume très rapidement (SPJUT et coll. 1971). Alors que certains kystes peuvent être situés au centre de l’os, d’autres sont localisés à des endroits plus excentriques (MORGENROTH et coll. 1996; HORCH 1995). En cas de localisation centrale, l’augmentation de volume du kyste provoque un «ballonnement» sphérique de la corticale qui peut entraîner dans certains cas la destruction complète de la corticale; une telle lésion est dès lors susceptible d’être confondue avec une tumeur maligne. Les lésions plus excentrées repoussent sur leur trajet le périoste, épaissi en raison de la réponse réactionnelle, sans pour autant percer la bordure du périoste (JUNDT et coll. 1997; PREIN et coll. 1985). Dans quelque 5% des cas, l’affaiblissement des structures osseuses peut entraîner une fracture pathologique de la mandibule (ADLER & RIEDE 1995). Radiologie Dans la plupart des cas, les clichés radiologiques montrent une image de radio-transparence uniloculaire, dont la lumière peut le cas échéant être traversée par des septums, de même qu’une saillie en forme de ballon de l’os compact. Il est souvent possible de déceler une structure alvéolaire «en nid d’abeilles», bordée de zones floues ou clairement définies, ainsi que des modifications de type ostéosclérose diffuses de l’os du voisinage (NEUKAM & BECKER 2000; REICHART et coll. 1999; HORCH 1995; DÜCKER 1992). En cas de croissance rapide, la délimitation nette peut être absente, un phénomène qui risque d’évoquer à tort l’image d’une tumeur maligne (JUNDT et coll. 1997). Il n’est pas rare que le processus de l’ostéolyse provoque la rupture de la corticale (ADLER & RIEDE 1995) (fig. 6 à 8). L’érosion des apex (ou rhizalyse) des dents voisines est également un critère radiologique typique de ce type de pseudokyste (DÜCKER 1992). Dans les situations dans lesquelles la croissance du kyste anévrismal des os dépasse les limites de l’os, seul le recours à un examen par CT permet d’obtenir des renseignements pour évaluer le volume précis de la lésion (PREIN et coll. 1985). Histologie La paroi kystique est formée par du tissu conjonctif fibreux de densité et d’épaisseur variables, dont la surface en regard de la lumière de la cavité remplie de sang se termine par une couche de cellules non différenciées. Il n’est pas possible de mettre en évidence de structures vasculaires proprement dites. Sous la surface de lacunes kystiques plus volumineuses, il se forme parfois une mince lamelle composée d’ostéoïde fibreux (JUNDT et coll. 1997). Lorsque l’examen histologique met en évidence un nombre important de cellules géantes et des zones relativement larges de tissus solides, le diagnostic différentiel par rapport à un granulome à cellules géantes peut être rendu difficile. Dans certains cas, une croissance avec infiltration l’os spongieux du voisinage (de type tumoral) a été rapportée (REICHART et coll. 1999; JUNDT et coll. 1997; HORCH 1995). Diagnostic différentiel Les principaux diagnostics différentiels à envisager sont les kystes d’origine dentaire, les hémangiomes, les granulomes à cellules géantes, les granulomes éosinophiles, les améloblastomes ou encore des métastases de tumeurs malignes, du fait que ces pathologies peuvent présenter des images radiologiques similaires, notamment en cas de localisations au centre de l’os (PREIN et coll. 1985). Si le diagnostic est souvent évident, il peut parfois prêter à discussion avec les autres images radio-claires des maxillaires et c’est alors l’exploration chirurgicale et l’examen histologique systématique qui permettra de poser un diagnostic précis. Toutefois, comme évoqué précédemment, à l’examen histologique, le kyste anévrismal des os risque d’être confondu avec un granulome central à cellules géantes. Le cas échéant, cette difficulté de diagnostic différentiel serait un indice d’une étroite relation entre les deux pathologies au plan étiopathologique, ce d’autant plus que d’avis de plusieurs auteurs, les deux affections doivent être considérées comme représentant une réaction secondaire excessive de réparation suite à une hémorragie intraosseuse primaire (REMAGEN et coll. 1980; SPJUT et coll. 1971). Par ailleurs, il convient de noter qu’au plan histologique, le diagnostic différentiel par rapport à des tumeurs d’origine vasculaire peut également poser problème (PREIN et coll. 1985). Modalités thérapeutiques Le traitement chirurgical est en principe suffisant. Celui-ci est fondé principalement sur la technique d’exérèse avec révision et curetage soigneux des parois osseuse péri-lésionnelles pour assurer l’énucléation complète des tissus kystiques (REICHART et coll. 1999; MOTAMEDI & YAZDI 1994). En cas d’ostéolyses volumineuses, il peut être judicieux de procéder à une embolisation préalable, afin de réduire le risque d’hémorragies trop importantes; à ce titre, une angiographie réalisée au préalable peut s’avérer fort utile (NEUKAM & BECKER 2000; MORGENROTH et coll. 1996). Selon le volume de la lésion, il est préconisé de procéder à un comblement subséquent de la cavité par une autogreffe d’os spongieux ou par un matériau à base de collagène; en général, cette précaution est suffisante pour stabiliser la mandibule affaiblie (JUNDT et coll. 1997). Ce n’est que dans des situations exceptionnelles de lésions très volumineuses ou alors en cas de récidives multiples qu’une résection partielle de la mandibule peut être indiquée (SANDER et coll. 1990). Pronostic En raison du risque de récidives, le kyste anévrismal des os nécessite un suivi régulier à intervalles rapprochés et durant plusieurs années. En cas de récidive, les lésions doivent être abordées de manière plus radicale au plan chirurgical, d’une part en raison du fait que la lésion a alors tendance à développer un comportement plus agressif en regard des tissus du voisinage et, d’autre part du fait que le taux des récidives (qui peut atteindre dans certaines séries jusqu’à 20%) semble être en rapport direct avec la «radicalité» de la résection chirurgicale (REICHART et coll. 1999; JUNDT et coll. 1997). Lacune de Stafne Définition La lacune de Stafne, connue également sous les termes de kyste de Stafne ou kyste latent des os ou encore kyste idiopathique des os, se manifeste sous forme d’une indentation linguale située le plus souvent dans la région de l’angle de la mandibule. Au sens strict, il ne s’agit ni d’un kyste ni d’une affection pouvant être qualifiée de maladie. Sur le plan radiologique, elle présente cependant une image ressemblant à un kyste. Epidémiologie La lacune de Stafne est principalement retrouvée chez l’adulte, avec un pic de fréquence entre 40 et 50 ans; elle survient plus souvent chez l’homme que chez la femme, et un peu plus fréquemment du côté droit (NEUKAM & BECKER 2000). Dans des cas Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 112: 10/2002 1029 Pratique quotidienne · formation complémentaire extrêmement rares, elle a également été décrite chez des enfants (HANSSON 1980). Il est toutefois possible que la prévalence réelle de cette pathologie soit plus importante, étant donné qu’en raison de sa localisation de prédilection dans la région de l’angle mandibulaire, elle n’est en principe décelée que de manière fortuite sur des clichés OPG ou autres vues d’ensemble extra-buccales, alors qu’elle n’est pas repérée sur les clichés intra-buccaux habituels. Pathogenèse Pour l’instant, ni l’étiologie ni la pathogenèse de la lacune de Stafne ne sont connues de façon précise (NEUKAM & BECKER 2000; HORCH 1995). Il a été suggéré que la lacune osseuse résulterait de la pression exercée par les tissus mous, à savoir des structures fibreuses, lymphoïdes, musculaires, vasculaires ou encore adipeuses, sur la corticale interne de la mandibule. Selon d’autres auteurs (SAMSON 2002, communication personnelle), la lésion pourrait également être due à une compression de l’os mandibulaire suite à un trouble du développement des glandes salivaires (inclusion d’un lobule de la glande sousmaxillaire). D’autres hypothèses ont évoqué des troubles du remaniement fonctionnel de l’os mandibulaire qui entraîneraient une perte de substance locale (REICHART et coll. 1999; DIELERT & FISCHER-BRANDIES 1985). En cas de lésions de volume important, la corticale du côté lingual est souvent réduite à une mince lamelle osseuse; l’os compact du rebord mandibulaire reste toutefois conservé (HORCH 1995). Il est à noter que du point de vue mécanique, de telles lacunes constituent une zone de moindre résistance, ce qui, en cas lésions de volume important, risque d’entraîner une fracture de la mandibule (HORCH 1995). Sémiologie clinique En principe, la lacune de Stafne est parfaitement muette au plan clinique et aucun symptôme caractéristique n’en a été décrit. La lésion est souvent décelée de manière fortuite lors d’un examen radiologique de routine (HORCH 1995). Radiologie Dans la plupart des cas, les clichés radiologiques montrent une image de radio-transparence, de forme arrondie ou ovalaire, sans rapport évident avec les structures dentaires. La lacune atteint 1 à 3 centimètre et son grand axe est parallèle au bord basilaire de la mandibule (NEUKAM & BECKER 2000; HORCH 1995). La zone de radio-transparence est située dans la région antérieure de l’angle de la mandibule, en dessous du canal du nerf alvéolaire inférieur. L’image est très bien limitée par une zone d’ostéocondensation, surtout dans ces limites antéro-inférieures (DÜCKER 1992) (fig. 9, 10). La lacune de Stafne peut exister sous forme multiloculaire ou bilatérale. Histologie Dans la plupart des cas, la lacune de Stafne contient du tissu glandulaire salivaire, dans d’autres cas, elle peut être complète- 1030 Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 112: 10/2002 ment vide, voire contenir des éléments de tissu lymphatique ou conjonctif. Diagnostic différentiel Les principaux diagnostics différentiels à évoquer sont les adénomes des glandes salivaires ou le granulome éosinophile, qui peuvent présenter des images radiologiques similaires. En principe, les tumeurs odontogènes peuvent être exclues d’emblée, du fait que celles-ci sont localisées dans la plupart des cas dans des régions en dessus du canal du nerf alvéolaire inférieur. Autre élément important, la présence d’une lamelle osseuse périphérique autour de la lacune de Stafne, alors qu’une telle bordure fait défaut en cas de granulome éosinophile, de granulome réparateur à cellules géantes, de même que pour les tumeurs osseuses (DÜCKER 1992). Modalités thérapeutiques Comme évoqué plus haut, la lacune de Stafne n’est pas une affection pouvant être qualifiée de maladie; elle n’a pas non plus tendance à augmenter de volume. Pour ces raisons, il n’y a en principe pas lieu d’envisager de traitement chirurgical. La réalisation d’une sialographie de la glande sous-maxillaire et/ou de clichés CT, de tomographies conventionnelles ou d’investigation par IRM peuvent s’avérer utiles pour poser un diagnostic précis (NEUKAM & BECKER 2000; REICHART et coll. 1999) (fig. 11). Une intervention chirurgicale ne sera indiquée que dans des cas exceptionnels, en particulier pour des raisons de diagnostic différentiel, du fait que certaines tumeurs osseuses à localisation centrale peuvent semer le doute, puisqu’elles se manifestent souvent par des images radiologiques similaires (MORGENROTH et coll. 1996 HORCH 1995). Conclusions Les pseudokystes du maxillaire inférieur constituent dans bien des cas des découvertes fortuites lors d’un examen radiologique avant ou durant un traitement d’orthopédie dento-faciale (OPG ou téléradiographie). Sur des clichés rétro-alvéolaires intra-buccaux isolés ou des bite-wings, de telles lésions sont représentées tout au plus sous forme de sections partielles. Dans de tels cas, le diagnostic radiologique doit être complété par une radiographie panoramique (orthopantomogramme). En cas de suspicion d’un pseudokyste, il convient également de réaliser d’autres clichés radiologiques, dans un deuxième plan de l’espace ou en faisant varier l’incidence du faisceau. Toutefois, les examens d’imagerie à eux seuls ne permettent dans bien des cas pas de poser un diagnostic différentiel précis. Si le diagnostic est souvent évident, il peut parfois prêter à discussion avec les autres images radio-claires des maxillaires et c’est alors l’exploration, voire le cas échéant l’exérèse chirurgicale et l’examen anatomopathologique subséquent qui permettra de poser un diagnostic de certitude. Toutefois, l’indication à une telle procédure ne devrait être posée qu’après avoir procédé à des examens approfondis par des méthodes non invasives, de même qu’après une investigation radiologique exhaustive.