Document 1 : La difficulté de l’étude scientifique de l’Être Humain explique que la compréhension de la
nature humaine soit si en retard sur le restant des autres domaines scientifiques.
En premier lieu, il convient de reconnaître que l'une des causes essentielles du retard
généralisé des sciences humaines est le caractère singulier de son objet, sa valeur
sacrée. L'homme est un mythe pour l'homme même. Il ne s'agrège pas lui-même au
troupeau des êtres naturels, dans la mesure où il embrasse la nature par sa
connaissance. Il se voit, quant à lui, individu libre et sujet moral. Lui appliquer les
procédés d'une connaissance objective apparaît toujours, dès lors, comme une sorte de
sacrilège. Il a fallu un effort aussi radicalement révolutionnaire que celui de Spinoza
(1632-1677) pour que s'exprime ouvertement le projet de traiter l'homme comme «une
partie de la nature», assujettie à ses lois. Mais la méthode qu'il préconise, de pure
déduction à partir de quelques définitions et axiomes, se révèle stérile. Il n'en reste pas
moins que Spinoza, en voulant traiter des passions humaines comme il s'agissait «de
lignes, de surfaces et de solides», tente vigoureusement d'introduire dans l'étude de
l'homme une forme clairement définie de rationalité. Après quelques essais au 18ème
siècle pour organiser une science de l'homme, le 19ème reprend la même démarche
dans une autre voie. Ce sont les sciences de la nature qui vont servir de modèle à la
connaissance nouvelle.
Le premier acte de la pensée rationnelle lorsqu'elle prend l'homme pour objet consiste
donc en une sorte de désacralisation, tendant à dépouiller l'être humain et ses œuvres du
caractère sacré qu'ils revêtent dans la conscience collective, à considérer l'homme
comme une partie de la nature. On remarquera paradoxalement que cette réduction
rationaliste se trouve déjà opérée d'une manière parfois radicale dans des systèmes de
pensée aussi profondément religieux que certaines philosophies médiévales. Le
thomisme, entre autre, parle d'un homme naturel, subordonné à l'homme dignifié par la
grâce, dont la connaissance relèverait d'une science objective. Mais cette connaissance,
immédiatement dérivée de la philosophie d'Aristote, n'est qu'un ensemble d'observations
et de déductions logiques à partir de principes abstraits ; elle ne saurait s'insérer dans
aucun des cadres rationnels qu'ont institués aujourd'hui les sciences des êtres de la
nature. La raison exige désormais de toute connaissance ayant pour objet une partie de
la nature des conditions de contrôle expérimental et d'efficacité comparables à celles que
remplissent les sciences physiques. La raison déductive de la psychologie thomiste peut
bien être en elle-même correcte ; elle n'est cependant pas rationnelle, en tant qu'usage
de l'intelligence en vue de cet objet particulier. Gilles-Gaston Granger
La raison, 1955
Document 2 : La découverte de la nature humaine a dû passer en premier par la compréhension du corps
humain, ce qui amena au final à la réhabilitation du corps.
L'anatomie était alors traitée d'une manière si superficielle que, m'étant entraîné tout
seul, sans guide, à disséquer des animaux, au cours de la troisième dissection à laquelle
heureusement j'assistais, mes camarades et mes professeurs me poussèrent et je fis en
public une dissection plus poussée que celle qui devait avoir lieu et qui devait concerner,
comme le veut la coutume, presque exclusivement les seuls viscères. Quelque temps
plus tard, je fis une deuxième dissection. Mon propos était de mettre à jour les muscles
de la main et de disséquer plus à fond les viscères; car, à l'exception de huit muscles de
l'abdomen honteusement déchiquetés dans le mauvais ordre, personne (c'est la vérité)
ne nous avait montré un muscle, ou un os, et encore moins un réseau nerveux, des
veines et des artères. André Vésale (1514-1564)
De la structure du corps humain, 1543
Association ALDÉRAN © - Conférence 1600-159 : “La nature humaine” - 19/11/2003 - page 5