Les droits du patient vulnérable - Coma Science Group

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Le consentement éclairé par l'information
Les droits du patient vulnérable
ARC - mai 2014
Gilles Genicot
Maître de conférences à l'ULg
Avocat au barreau de Liège
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Sources supranationales
 ONU : droits civils et politiques (1966) / droits de l'enfant (1989) /
droits des personnes handicapées (2006)
 UNESCO : Convention sur la bioéthique et les droits de l'homme (2005)
 U.E. : Charte des droits fondamentaux (2007)
 Conseil de l'Europe : CEDH (1950) / Convention sur les droits de l'homme
et la biomédecine (1997)
 Diverses déclarations et chartes sur les droits des patients
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Sources nationales
 Expérimentations : Code de Nuremberg (1947) / Déclaration
d'Helsinki (1964) / Directive européenne 2001/20/CE du 4 avril 2001 / Loi belge
du 7 mai 2004
 Fin de vie : loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient
+ loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie et loi du 14 juin 2002 relative aux
soins palliatifs
 Droits du patient : loi du 22 août 2002 (LDP)
+ loi du 10 juillet 2008 relative aux hôpitaux (intègre contenu LDP dans contexte
hospitalier)
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Droits du patient consacrés par la loi du 22 août 2002
 Champ d'application : soins de santé
= « services dispensés par un praticien professionnel (= visé à l'A.R. n° 78 du 10
novembre 1967 relatif à l'exercice des professions des soins de santé) en vue de
promouvoir, de déterminer, de conserver, de restaurer ou d'améliorer l'état de
santé d'un patient, de modifier son apparence corporelle à des fins
principalement esthétiques ou de l'accompagner en fin de vie »
>< activités de recherche  loi du 7 mai 2004 sur expérimentations
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Droits du patient consacrés par la loi du 22 août 2002
 "Clause de sauvegarde" générale (art. 4) :
« Dans la mesure où le patient y apporte son concours, le praticien
professionnel respecte les dispositions de la présente loi dans les limites des
compétences qui lui sont conférées par ou en vertu de la loi. Dans l'intérêt du
patient, il agit le cas échéant en concertation pluridisciplinaire »
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Droits du patient consacrés par la loi du 22 août 2002
- droit à des prestations de qualité répondant à ses besoins,
dans le respect de sa dignité humaine et de son autonomie
et sans qu'une distinction d'aucune sorte ne soit faite
- droit au libre choix du médecin
- droit de consultation et de copie du dossier médical
(avec certaines modalités)
- droit à la protection de la vie privée et à l'intimité
- droit de plainte auprès de la fonction de médiation
- droit de recevoir les soins les plus appropriés visant à prévenir, écouter, évaluer,
prendre en compte, traiter et soulager la douleur
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Information et consentement (articles 7 et 8 LDP)
Raison d'être du consentement : causes de justification (pénale) de l'activité
médicale + critères de responsabilité civile :
* consentement du patient
* but thérapeutique (au sens large)
* proportionnalité risques encourus / résultat, bénéfice escompté
* respect des règles de l'art, données acquises de la science
 L'une des exigences, certainement la plus fondamentale
7
Cour de cassation, 14 décembre 2001
Toute personne jouit des droits de la personnalité, qui comprennent le droit à la
vie et à l'intégrité physique
En règle, le consentement nécessaire à la licéité d'un acte médical portant
atteinte à l'intégrité physique d'une personne est celui de cette seule personne
Ce consentement libre et éclairé est de nature à ôter tout caractère infractionnel
(coups et blessures volontaires) à un acte relevant de l'art de guérir et
poursuivant un but curatif ou préventif d'ordre thérapeutique
 condition de licéité principale de toute intervention corporelle : s'explique par
l'exigence fondamentale de protection de l'intégrité physique (et morale)
 protection / autonomie, opposition / disposition : maîtrise du corps, droit de
la personnalité
8
Cour de cassation, 14 décembre 2001
L'obligation qui s'impose au médecin de recueillir le consentement du patient
est étrangère au contrat qui lie les parties
L'obligation du médecin d'informer le patient sur l'intervention qu'il préconise
s'explique par la nécessité qui s'impose à lui de recueillir son consentement
libre et éclairé avant de pratiquer cette intervention
 consentement n'a de sens et de portée effective que s'il est précédé d'une
information complète (ou, plutôt, conforme aux souhaits du P)  information
: pas une exigence abstraite et désincarnée, mais finalisée en considération
du consentement valable qu'elle rend possible
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Information et consentement (articles 7 et 8 LDP)
Consentement doit être donné de façon expresse – sauf si le M, après avoir
informé suffisamment le P, peut raisonnablement inférer du comportement de
celui-ci qu'il consent à l'intervention – mais pas nécessairement par écrit
(sauf pour certains actes régis par des lois spécifiques : avortement, euthanasie,
expérimentations, recherches sur embryons in vitro, procréations médicalement assistées,
prélèvement d'organes ou de matériel corporel humain pour applications médicales
humaines ou recherche scientifique)
Le modèle est la décision concertée médecin-patient (le P décide avec/après
éclairage du M)
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Information et consentement (articles 7 et 8 LDP)
En pratique, consentement le plus souvent donné verbalement, après info elle-même
verbale (colloque singulier). Mais P et M peuvent chacun solliciter la fixation par écrit du
consentement et sa consignation dans le dossier, "moyennant l'accord" de l'autre partie
(art. 8, § 1er, al. 3)
Peut être utile en cas de consentement assorti de précisions ou de conditions; ou pour
interventions importantes et risquées, à des fins de preuve
Confirmation écrite du consentement est dans l'intérêt commun des deux parties
Ecrit pas requis  consentement peut être donné par simple geste : pression doigt,
clignement paupière, décodage d'expression non verbale...
Mais attention à la preuve en cas de problème : c'est au patient – ou au plaignant – de
prouver l'absence de consentement et d'information, >< France
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Information et consentement (articles 7 et 8 LDP)
Refus de consentir / retrait du consentement (art. 8, § 4) : prime l'obligation de porter
secours (NAPD), traduction de l'autodétermination; mais il faut informer le patient des
conséquences possibles en cas de refus ou de retrait du consentement (vaut même
pour traitement life-saving)
Urgence et incertitude sur l'existence ou non d'une volonté exprimée au préalable par
le P ou son représentant : toute intervention nécessaire est pratiquée immédiatement,
dans l'intérêt du P – faire mention de la situation dans le dossier, et agir dès que
possible conformément aux principes de base (art. 8, § 5); c'est un cas d'état de
nécessité
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Information et consentement (articles 7 et 8 LDP)
Communication avec le P dans une langue claire
P peut demander que les infos soient confirmées par écrit
P a le droit de se faire assister par une personne de confiance ou d'être informé par
l'entremise de celle-ci  personne de soutien informelle : M note dans le dossier qu'infos
ont été communiquées, avec l'accord du P, à la personne de confiance, ou au P en présence
de celle-ci, et note l'identité de cette personne
P peut demander explicitement que ces précisions soient inscrites au dossier
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Information et consentement (articles 7 et 8 LDP)
* communication exclusive à la PC, en l'absence du P
* communication aux deux simultanément (actifs)
* présence passive de la PC, qui accompagne le malade
* communication à la PC de certaines infos seulement
le P est maître de ses renseignements médicaux et décide
Les proches doivent bien sûr être informés et rassurés, ici sur la base d'une
présomption réfragable d'accord du P; la PC, et plus encore le mandataire de santé (art.
14, ci-après), ont un rôle plus important et plus précis
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Deux types d'informations
Infos générales : P a droit à toutes les informations qui le concernent et peuvent lui être
nécessaires pour comprendre son état de santé et son évolution probable
Infos spécifiques et détaillées : P a droit de consentir librement à toute intervention du
praticien professionnel, moyennant information préalable
Ici, les infos qui doivent lui être fournies en vue de la manifestation de son consentement
sont détaillées (art. 8, § 2)
 info pleine et complète, indépendamment même de tout traitement, donnée
préalablement et en temps opportun, dans un langage compréhensible
 info doit être individualisée : cf. (1) étendue de l'information souhaitée et (2) aptitude du
P à la recevoir
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Infos à fournir en vue de la manifestation du consentement : casuistique
jurisprudentielle et doctrinale
Diagnostic (+ technique utilisée pour le poser, si risques)
Traitement envisagé : objectif, nature, degré d'urgence, durée, fréquence, contreindications, effets secondaires connus et/ou fréquents, soins de suivi, alternatives
possibles, aspect financier – liberté thérapeutique, mais indiquer raisons du choix
effectué et balance avantages/risques des diverses options
Risques : point nodal des reproches pour info lacunaire ou déficiente – P, autonome,
peut se soumettre à tout risque qu'il juge raisonnable au regard du bénéfice escompté,
mais doit en être dûment informé pour consentir en toute connaissance de cause
Risques "normaux et prévisibles", "à prévoir raisonnablement" (>< risques graves, particuliers,
anormaux, hypothétiques, exceptionnels)
Risques "sérieux, connus et susceptibles de se présenter avec une certaine fréquence"
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Risques significatifs = ceux dont M sait ou doit savoir qu'ils sont importants et pertinents,
pour une personne "normale" placée dans les mêmes circonstances que le P, appelée à
consentir en connaissance de cause au traitement proposé – notion plus large, à préférer
(technique du "standard", +/- concret)
Théorie consacrée par LDP = "risques inhérents à l'intervention et pertinents pour le patient"
(y compris les risques graves de faible occurrence), mais ne pas alarmer inutilement P en
l'amenant à refuser un traitement nécessaire, de peur de la réalisation d'un risque rare
Qu'est-ce qu'un risque "significatif" ou "pertinent" ?
Nécessité thérapeutique de l'intervention : plus elle est nécessaire, moins est cruciale
l'obligation d'info tout à fait complète
Fréquence (mais pas de seuil précis d'évaluation)
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Qu'est-ce qu'un risque "significatif" ou "pertinent" ?
Comportement du P : caractéristiques physiques ou médicales accroissant l'acuité d'un
risque; conditions ou habitudes de vie; personnalité, niveau de compréhension, curiosité,
attentes quant à l'étendue de l'info
Gravité (même si non fréquent) : "Le juge ne peut se fonder sur la rareté d'un risque grave
pour admettre qu'il n'ait pas dû être porté à la connaissance du malade" (Cass., 26 juin
2009)
 tous les risques graves, même si hypothétiques ou exceptionnels : sinon P est privé de sa
liberté de choix éclairé
 perte d'une chance (info quant aux risques = un des terrains d'élection) ou préjudice
d'impréparation (Cass. fr., 3 juin 2010)
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Exceptions à l'obligation d'information
Art. 7, § 3, LDP : sur demande expresse du P (à consigner au dossier), infos ne lui sont pas fournies, à
moins que la non communication ne cause manifestement un grave préjudice à la santé du P ou de tiers
et à condition que M ait consulté préalablement un confrère à ce sujet et entendu l'éventuelle personne
de confiance
 droit de ne pas savoir, de ne pas être informé (dans l'intérêt du P, donc peut y renoncer), mais avec
prudence et tempéraments, balance avec l'intérêt du P ou ceux de tiers, que l'on tend à faire prévaloir
(état de nécessité); ex. diagnostic de séropositivité
Art. 7, § 4, LDP : M peut, à titre exceptionnel, ne pas divulguer les infos au P si la communication de
celles-ci risque de causer manifestement un préjudice grave à la santé du P et après avoir consulté un
confrère. Il ajoute alors une motivation écrite dans le dossier et informe l'éventuelle personne de
confiance. Dès que communication des infos ne cause plus ce préjudice, le M doit les communiquer
 exception thérapeutique : limitation de l'info à l'initiative du M, dans l'intérêt psychologique du P, si
info risque d'entraîner un comportement autodestructeur ou de perturber le P au point de l'empêcher
de prendre une décision libre et réfléchie
Attention : ne vise que infos générales visées à l'art. 7, § 1er ("toutes les informations qui le concernent et
peuvent lui être nécessaires pour comprendre son état de santé et son évolution probable") et non infos
ponctuelles de l'art. 8, § 2 !
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Patients incapables – Régime actuel
* Incapables de droit (minorité prolongée ou interdiction) : exercice par parents ou tuteur /
association du P à l'exercice de ses droits autant que possible, compte tenu de sa capacité
de compréhension
* Incapables de fait = P majeur ne relevant pas d'un de ces statuts de protection mais qui
n'est pas en mesure d'exercer ses droits lui-même :
1) mandataire de santé = personne que P a préalablement désignée pour se substituer à lui
au cas où il serait incapable d'exercer ses droits lui-même, et tant que dure cette incapacité
2) à défaut (pas de mandataire, ou il néglige ou refuse d'intervenir) : conjoint (même simple
cohabitant de fait)
3) à défaut (idem) : enfant majeur  parent  frère ou sœur majeur
4) à défaut ou si conflit entre deux ou plusieurs des personnes précitées : c'est le M qui
veille aux intérêts du P, "le cas échéant dans le cadre d'une concertation pluridisciplinaire"
 représentation "en cascade", toujours avec association du P à l'exercice de ses droits,
autant que possible et compte tenu de sa capacité de compréhension
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Patients incapables – Régime futur
(loi du 17 mars 2013  personne majeure protégée)
1) par la personne elle-même, pour autant qu'elle soit capable d'exprimer sa
volonté; sauf si elle a préalablement désigné un mandataire de santé, auquel cas
c'est lui qui exerce ses droits
2) si pas de mandataire ou s'il n'intervient pas, et si la personne n'est pas capable
d'exprimer elle-même sa volonté : l'administrateur de la personne, après
autorisation du juge de paix
3) s'il n'y a pas d'administrateur : conjoint  enfant majeur  parent  frère ou
sœur majeurs  M (s'il n'y a personne, ou si conflit)
avec toujours association maximale du P
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Le mandataire de santé est désigné par un mandat écrit spécifique, daté et signé
par le P et par cette personne, qui doit marquer son consentement. Ce mandat
peut être révoqué par le P ou par le mandataire désigné par lui, par un écrit daté
et signé.
Le mandataire exerce les droits du P incapable
>< personne de confiance, qui ne fait qu'assister le P capable dans l'exercice de
ses droits : ne doit pas être désignée par écrit (ce n'est pas un mandat) mais son
identité doit simplement être notée "le cas échéant" dans le dossier du P
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Illustration : le cas (typique) de Vincent Lambert
Conflit entre 1) ses parents et 2) son épouse et son neveu (frères et soeurs partagés)
Par hypothèse, homme jeune, accident  pas de mandataire (aurait pu à ce titre désigner
son neveu ou un ami proche, sinon non visés par la loi)
Régime actuel : l'épouse décide mais conflit de personnes  le médecin a son mot à dire,
en équipe (ici, le corps médical est OK avec l'épouse)
Régime futur : P n'est plus capable d'exprimer sa volonté, et si pas de mandataire 
administrateur si désigné ( dépend de qui est choisi (peut être le neveu)… et donc aussi
de qui prend l'initiative de la mesure), sinon idem supra
Désormais, le "conflit" autorisant le M à veiller (en équipe) aux intérêts du P est celui
pouvant exister entre l'administrateur de la personne et/ou le conjoint et/ou les membres
de la proche famille  administrateur n'a pas forcément le dernier mot
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Précision importante : représentation finalisée en fonction des intérêts du P
(droit-fonction, idem autorité parentale)  art. 15, § 2, LDP :
Dans l'intérêt du P et afin de prévenir toute menace pour sa vie ou toute atteinte
grave à sa santé, le M, le cas échéant dans le cadre d'une concertation
pluridisciplinaire, peut déroger à la décision prise par le représentant (y compris,
depuis la loi du 17 mars 2013, l'administrateur de la personne)
Mais si la décision a été prise par un mandataire de santé expressément désigné
par le P, le M ne peut y déroger que si cette personne ne peut invoquer la
volonté expresse du P dans le sens de la décision prise en son nom
En pareil cas, le M ajoute une motivation écrite dans le dossier du P
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Chantiers futurs
* présentation loi du 7 mai 2004 : expérimentations sur sujets sains / sur sujets vulnérables
ou incapables (balises juridiques et éthiques : feedback des découvertes inattendues /
exploitation données personnelles / conséquences sur prise en charge clinique)
* lien à établir entre recherches descriptives et prise de décision médicale concrète
(stratégie de soins) – implique de mieux définir (redéfinir ?) la notion légale de personne
"capable d'exprimer sa volonté" pour exercer ses droits de patient, et donc de caractériser
avec précision les patients dont question sous cet angle (pour le juriste, pas de différence
entre MCS, PVS et coma, mais un locked in peut s'exprimer et décider)
* la perte ou la restauration de l'aptitude à prendre conscience (des paramètres) de la
décision et de ses conséquences pour soi-même, indépendamment des facultés
d'expression, peut être progressive (cf. Alzheimer) – loi euthanasie : la déclaration anticipée
permettant une euthanasie suppose que le P soit irréversiblement totalement inconscient –
c'est une impasse relative, qui montre que les interactions entre conscience et droit
mériteraient d'être réétudiées et affinées (cf. I. Lutte)
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