Du savoir-faire au savoir-être : la composition de musiques

RIVIERE Matthieu
Du savoir-faire au savoir-être : la composition de musiques
électroniques comme fabrication collective de soi.
Rapport d’Allocation de Formation et de Recherche.
Recherche menée dans le cadre du Master 2 recherche Sciences humaines et sociales,
Mention Anthropologie sociale et historique.
Avec le soutien du Ministère de la culture et de la communication.
Directeur de recherche :
M. Jean-Pierre ALBERT. Année 2006/2007
Je tiens avant tout à remercier mon directeur de recherche, M. Jean-Pierre Albert, sans qui ce travail
n’aurait pu prendre forme, ainsi que tous les artistes, musiciens, compositeurs que j’ai eu la chance de
rencontrer dans le cadre de cette recherche. J’aimerais également remercier le Ministère de la Culture
et de la Communication pour son soutien.
Les noms des musiciens rencontrés ont été volontairement modifiés, mais les pseudonymes
qu’utilisent ces derniers pour signer leurs compositions ont quant à eux été respectés.
SOMMAIRE
Première partie : Le Terrain
- Cadre Théorique.
- Les Observations & Entretiens.
Deuxième Partie : Le Mémoire
- Introduction.
- Plan.
- Bibliographie.
Conclusion
LE TERRAIN
1 – Cadre Théorique.
Éclairer le sens de la pratique de la composition des musiques électroniques implique
tout d’abord une redéfinition du domaine de recherche. Marc Perrenoud1, dans son ouvrage
dédié aux terrains de la musique2, propose une réflexion qui a le mérite de mettre en valeur la
complexité rencontrée par le chercheur pour tenter de définir un statut du musicien. En effet,
celui-ci varie en fonction des modalités de pratique et de construction individuelle. Il ne peut
donc être étudié correctement si l’on s’en tient aux « « partitions » ordinairement utilisées
dans l’appréhension de la pratique musicale » (Perrenoud, 2006 : 134), comme la séparation
classique entre amateur et professionnel. En outre, avec la multiplication des Home-Studios,
littéralement les « studios à la maison », ces espaces privés de travail musical, on assisterait à
un déplacement déterminant de la position du musicien. Selon, Bruno Heuzé, musicien et
journaliste, cette prolifération des Home-Studios aurait pour effet de privilégier le cumul des
fonctions (compositeur, arrangeur, ingénieur son,…) à l’intérieur d’un même individu
musicien. La séparation entre statut et compétence est alors rendue d’autant plus floue que
chacun des compositeurs adoptera à tour de rôle ces différentes fonctions au cours de
l’élaboration d’un même morceau. C’est pourquoi j’ai fait le choix de parler indifféremment
de compositeur, producteur, créateur ou encore musicien pour définir les individus observés.
Ce choix est d’autant plus approprié que, comme nous le verrons, l’auditeur est déjà en
quelque sorte producteur.
Savoir comment la musique transforme son créateur et comment ce créateur transforme la
musique, telle est ma démarche. Celle-ci s’articule autour de la notion de médiation artistique,
développée par le sociologue Antoine Hennion, et vise à dépasser les points de vue
contradictoires de l’esthétique et de la sociologie, pour arriver d’une part, à s’interroger sur
les chemins empruntés par l’œuvre entre sa création et sa réception, et d’autre part à
considérer l’univers de l’art indissociablement de l’univers social (Hennion, 1993).
Alors que certains auteurs prétendent pouvoir dresser l’historique des musiques électroniques,
de faire leur « archéologie », en se basant uniquement sur des filiations entre tel ou tel
« genre », des influences entre tel ou tel « style », ne serait-il pas plus pertinent de s’intéresser
à des façons de faire ? Ainsi, plutôt que de parler d’un « style musical », Sophie Gosselin et
Julien Ottavi3, préfèrent aborder ces musiques en fonction du fort lien existant actuellement
entre les musiques et l’accès aux technologies. D’où l’importance de les aborder selon « les
manières d’utiliser l’électronique dans la musique, selon les démarches, les positionnements
(artistiques ou non) qui se construisent en rapport à l’instrument électronique » (Gosselin,
1 Marc Perrenoud est docteur à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (Centre d’Anthropologie de
Toulouse), ATER à l’Université de Toulouse II, Le Mirail, et musicien. Il travaille sur le fait musical, les terrains
de la musique et la figure du «!musicos!».
2 PERRENOUD Marc, (2006), Terrains de la musique, Approches socio-anthropologiques du fait musical
contemporain, Série SocioAnthropo-Logiques, Collection Logiques sociales, L’Harmattan, Paris
3 Sophie Gosselin est doctorante en philosophie à l’Université de Paris 8-Saint Denis. Julien Ottavi est artiste
sonore, diplômé de l’Ecole des Beaux-arts de Nantes et agent de développement artistique dans l’association
APO33.
Ottavi, 2002 : 71). De la même manière, Bastien Gallet4, considère que « l’histoire des
musiques électroniques au XXéme siècle est l’histoire des différentes stratégies que les
musiciens ont inventé afin de domestiquer des techniques sans cesse nouvelles » (Gallet,
2002 : 18). On mesure donc à quel point les musiques électroniques sont liées aux machines
qui les produisent, et ainsi à des savoir-faire, des techniques liées à leur utilisation.
Parler de musiques électroniques implique donc également d’expliquer en quoi consiste notre
définition des outils technologiques et des techniques auxquels elles font appel. Ainsi, nous
suivrons aisément l’approche de Marie-Noëlle Heinrich, chercheur en sciences de
l’information et de la communication, qui enseigne les techniques de communication. Selon
sa définition, « la technologie désigne l’ensemble des dispositifs matériels que l’homme
élabore en fonction de ses connaissances scientifiques du monde naturel, pour étendre ses
fonctionnalités et capacités naturelles » (Heinrich, 2003 : 6). Les sons quasi « surnaturels »
que les outils de composition de musiques électroniques permettent de manipuler et de
combiner peuvent alors être considérés comme le résultat de cette recherche d’extension du
monde de l’homme. De même, les techniques sont alors les moyens mis en œuvre par celui-ci
pour atteindre et maîtriser ces sons. Il s’agira d’éclairer les processus à travers lesquels le
musicien s’approprie les techniques lui permettant justement d’accéder à des sonorités
naturellement irréalisables. Ainsi, les technologies, « en permettant de travailler à même la
pâte sonore » (Heuzé, 2000) convertissent les musiques électroniques en « une extension […]
de notre expérience auditive et musicale » (Cohen-Levinas, 2000 : 107).
Loin de constituer un domaine musical en opposition aux autres, les musiques électroniques,
en puisant dans d’autres musiques, en s’inspirant des techniques musicales préexistantes, en
détournant des outils ou des sonorités, se fondent ainsi sur une continuité musicale. C’est
justement cette « extension » qui constitue à la fois mon terrain de recherche et le cadre de
réflexion de cet article.
Prendre les musiques comme centre d’intérêt d’une étude anthropologique oblige plus que
jamais à adopter une approche interne, c'est-à-dire, partir de l’individu, de ses expériences, de
sa position face aux musiques et de sa façon d’appréhender les sons, dans le but d’éclairer les
modalités de sa pratique dans un contexte social déterminé. Parler de musique, c’est aussi et
avant tout parler de perception : tout commence en effet au niveau de l’organe oreille, et de
cette opération que l’on appelle l’écoute. Comme l’explique Sophie Maisonneuve5,
« l’amateur, en disposant comme jamais auparavant de la musique, en la manipulant à son
gré, en agissant sur ses paramètres sonores, en choisissant le disque, le moment, l’humeur et
la situation de l’écoute, est devenu acteur de ses émotions.[…] Il est capable de connaître les
conditions de l’avènement de ses émotions et, surtout, avide de les affiner, de s’y rendre
toujours plus sensible, de jouer avec elles dans le temps » (Maisonneuve, 2001 : 14).
L’émotion liée à la musique serait alors doublement inscrite dans la durée : « non seulement
parce qu’elle advient au terme d’une préparation, d’une série d’ajustements et de tentatives,
mais parce que la jouissance de cet instant est enrichie et intensifiée par ces expériences
passées » (Maisonneuve, 2001 : 5). À travers cette « opération » qu’est l’écoute, l’auditeur
apprend la possibilité d’agir directement sur ses émotions. L’écoute est donc ici appréhendée
comme médiatrice de la rencontre entre l’auditeur et la diversité des sonorités ; autrement dit,
4 Bastien Gallet est directeur de la rédaction de la revue « Musica falsa ».
5 Sophie Maisonneuve a effectué une thèse sur les amateurs de musique et le disque ; elle a également participé à
l’élaboration de l’ouvrage d’Antoine Hennion et Emilie Gomart, (2000), Figures de l’amateur, formes, objets,
pratiques de l’amour de la musique aujourd’hui, La Documentation Française, Paris.
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