Ottavi, 2002 : 71). De la même manière, Bastien Gallet4, considère que « l’histoire des
musiques électroniques au XXéme siècle est l’histoire des différentes stratégies que les
musiciens ont inventé afin de domestiquer des techniques sans cesse nouvelles » (Gallet,
2002 : 18). On mesure donc à quel point les musiques électroniques sont liées aux machines
qui les produisent, et ainsi à des savoir-faire, des techniques liées à leur utilisation.
Parler de musiques électroniques implique donc également d’expliquer en quoi consiste notre
définition des outils technologiques et des techniques auxquels elles font appel. Ainsi, nous
suivrons aisément l’approche de Marie-Noëlle Heinrich, chercheur en sciences de
l’information et de la communication, qui enseigne les techniques de communication. Selon
sa définition, « la technologie désigne l’ensemble des dispositifs matériels que l’homme
élabore en fonction de ses connaissances scientifiques du monde naturel, pour étendre ses
fonctionnalités et capacités naturelles » (Heinrich, 2003 : 6). Les sons quasi « surnaturels »
que les outils de composition de musiques électroniques permettent de manipuler et de
combiner peuvent alors être considérés comme le résultat de cette recherche d’extension du
monde de l’homme. De même, les techniques sont alors les moyens mis en œuvre par celui-ci
pour atteindre et maîtriser ces sons. Il s’agira d’éclairer les processus à travers lesquels le
musicien s’approprie les techniques lui permettant justement d’accéder à des sonorités
naturellement irréalisables. Ainsi, les technologies, « en permettant de travailler à même la
pâte sonore » (Heuzé, 2000) convertissent les musiques électroniques en « une extension […]
de notre expérience auditive et musicale » (Cohen-Levinas, 2000 : 107).
Loin de constituer un domaine musical en opposition aux autres, les musiques électroniques,
en puisant dans d’autres musiques, en s’inspirant des techniques musicales préexistantes, en
détournant des outils ou des sonorités, se fondent ainsi sur une continuité musicale. C’est
justement cette « extension » qui constitue à la fois mon terrain de recherche et le cadre de
réflexion de cet article.
Prendre les musiques comme centre d’intérêt d’une étude anthropologique oblige plus que
jamais à adopter une approche interne, c'est-à-dire, partir de l’individu, de ses expériences, de
sa position face aux musiques et de sa façon d’appréhender les sons, dans le but d’éclairer les
modalités de sa pratique dans un contexte social déterminé. Parler de musique, c’est aussi et
avant tout parler de perception : tout commence en effet au niveau de l’organe oreille, et de
cette opération que l’on appelle l’écoute. Comme l’explique Sophie Maisonneuve5,
« l’amateur, en disposant comme jamais auparavant de la musique, en la manipulant à son
gré, en agissant sur ses paramètres sonores, en choisissant le disque, le moment, l’humeur et
la situation de l’écoute, est devenu acteur de ses émotions.[…] Il est capable de connaître les
conditions de l’avènement de ses émotions et, surtout, avide de les affiner, de s’y rendre
toujours plus sensible, de jouer avec elles dans le temps » (Maisonneuve, 2001 : 14).
L’émotion liée à la musique serait alors doublement inscrite dans la durée : « non seulement
parce qu’elle advient au terme d’une préparation, d’une série d’ajustements et de tentatives,
mais parce que la jouissance de cet instant est enrichie et intensifiée par ces expériences
passées » (Maisonneuve, 2001 : 5). À travers cette « opération » qu’est l’écoute, l’auditeur
apprend la possibilité d’agir directement sur ses émotions. L’écoute est donc ici appréhendée
comme médiatrice de la rencontre entre l’auditeur et la diversité des sonorités ; autrement dit,
4 Bastien Gallet est directeur de la rédaction de la revue « Musica falsa ».
5 Sophie Maisonneuve a effectué une thèse sur les amateurs de musique et le disque ; elle a également participé à
l’élaboration de l’ouvrage d’Antoine Hennion et Emilie Gomart, (2000), Figures de l’amateur, formes, objets,
pratiques de l’amour de la musique aujourd’hui, La Documentation Française, Paris.