226 Revue générale de droit (2013) 43 R.G.D. 223-274
œuvre une politique dite de « réinstallation », qui s’est soldée
par le déplacement forcé de plus de trois millions de per-
sonnes durant la seule décennie 1986-1996.
Certes, les réinstallations ne sont pas toutes provoquées
par les normes de protection de la nature; au contraire, la
construction de grands barrages, l’industrie minière et l’indus-
trie forestière sont les principales causes de ces politiques1.
C’est là justement que réside le paradoxe : la protection de la
nature partage les mêmes conséquences politiques et sociales
que le capitalisme industriel. Comment expliquer cette sorte
d’équivalence d’effets entre la défense de l’environnement et
l’industrialisation?
Quelle que soit leur cause, les politiques de « réinstalla-
tion » sont toutes en contradiction frontale avec la Déclaration
des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Mais,
dans le cas précis de la défense de l’environnement, il existe
une ligne de fracture interne au droit international opposant
violemment le droit des peuples et les normes de protection
de la nature. Cette fracture a également une incidence sur
les fondements juridiques des États : d’un côté les États sont
les garants de la protection de la nature2, de l’autre, ils se
fondent sur la capacité souveraine des peuples à disposer
d’eux-mêmes. D’une part, donc, les États disposent de droits
de police administrative censés assurer la protection de la
nature et sont susceptibles pour cela de restreindre l’exercice
d’autres droits; d’autre part, seule la souveraineté fait leur
1. Selon ses propres rapports (1982 et 1993), la Banque mondiale a réinstallé
de force trois millions de personnes entre 1986 et 1996. En Inde, la création de zones
protégées a conduit au déplacement de 600 000 autochtones, et en Ouganda le seul
classement de la réserve de Kilabe a provoqué un déplacement de 30 000 autoch-
tones. Rappelons que les organisations telles que l’Organisation internationale du
travail, Survival International et le Groupe de travail international sur les affaires
autochtones avancent qu’il y aurait un nombre total de 300 à 500 millions de per-
sonnes autochtones dans le monde.
Pour mémoire, la Commission mondiale sur les barrages dénombre 60 000
grands barrages, construits en 50 ans. Elle est incapable d’avancer le nombre de per-
sonnes qui ont été déplacées pour cette raison, indiquant cependant une fourchette
de 40 à 80 millions de personnes.
2. Par exemple, l’intérêt général attaché à la protection de la nature est men-
tionné dans la Loi française no 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la
nature, JO, 13 juillet 1976, art 1.
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