Janvier 2015 30
Une seule vie
Résistance biologique, résistance politique
Catherine Malabou*
QU’UNE résistance à ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui le
« biopouvoir » – contrôle, régulation, exploitation et instrumentali-
sation du vivant – puisse provenir de possibilités inscrites dans la
structure du vivant lui-même et non de concepts philosophiques qui
la surplombent ; qu’il puisse y avoir une résistance biologique à la
biopolitique ; que le « bio- » puisse être considéré comme une
instance complexe et contradictoire, opposée à elle-même et dési-
gnant d’un côté le véhicule idéologique de la souveraineté moderne,
de l’autre ce qui le freine, voilà qui semble n’avoir jamais été pensé.
Le préjugé antibiologique de la philosophie
Qu’est-ce à dire ? C’est un fait, notre époque a vu l’effacement
définitif de la limite que l’on a cru assurée, pendant des siècles,
entre sujet politique et sujet vivant. Foucault a mis en lumière de
manière magistrale l’effacement de cette limite, effacement qui
marque la naissance de la biopolitique et forme le trait caractéris-
tique de la souveraineté moderne :
L’homme, pendant des millénaires, est resté ce qu’il était pour
Aristote : un animal vivant et de plus capable d’une existence
* Professeure de philosophie à Kingston University (Londres), elle a récemment publié
Avant demain. Épigenèse et rationalité, Paris, PUF, 2014.
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