Dossier thématique D ossier thématique : Le col de l’utérus Papillomavirus humains et cancers infiltrants du col utérin : données actuelles et perspectives Human papillomaviruses and invasine carcinoma of the uterine cervix: current data and perspectives ● ● X. Sastre-Garau* D epuis le clonage et la caractérisation, voilà une vingtaine d’années, des papillomavirus humains (HPV), de nombreux travaux ont montré le rôle majeur de ces virus dans l’étiologie et dans la progression des néoplasies cervicales. Les données épidémiologiques et virologiques ont démontré le lien entre infection persistante par certains types spécifiques d’HPV et développement des dysplasies et des cancers du col utérin. Les mécanismes de transformation cellulaire par les HPV sont aujourd’hui assez bien documentés (1). Le dépistage des dysplasies à l’aide du frottis cervico-vaginal et leur traitement par destruction ou ablation a permis d’obtenir une régression très significative de l’incidence du cancer du col utérin en France (2). La commercialisation d’un vaccin prophylactique contre HPV16 et HPV18, les deux génotypes de virus les plus fréquemment associés aux dysplasies de haut grade et aux cancers infiltrants, marque une étape importante. Au-delà des protections individuelles, la mise en œuvre de cette vaccination devrait permettre de voir diminuer encore l’incidence du cancer au cours des prochaines années. Dans ce contexte général, plusieurs questions relatives au statut viral des cancers infiltrants sont posées. Quelle est aujourd’hui en France la fréquence d’association des HPV aux cancers infiltrants du col utérin, et quels sont les types d’HPV les plus fréquemment rencontrés ? En ce qui concerne les types d’HPV associés aux cancers infiltrants, l’analyse virologique d’une série prospective de plus de 500 cas de cancer du col utérin traités à l’Institut Curie sur une période de 20 ans (Cremoux et al., manuscrit en préparation) a mis en évidence des séquences d’ADN d’HPV dans 96 % des cas. Le virus de type 16, fréquemment associé aux carcinomes malpighiens, a été mis en évidence dans 56 % des cas et le virus de type 18 dans 14 % des cas, dont environ la moitié correspondaient à des adénocarcinomes. Ces deux types de virus sont donc associés à 70 % des cas de cancer du col en France. Un tiers de ces cancers sont associés à d’autres types de virus, ou restent “HPV négatifs” (4 % des cas). Les raisons de cette négativité sont vraisemblablement plurielles : virus rares, remaniements génétiques du génome viral… Toutefois, il paraît raisonnable de concevoir qu’une fraction même limitée des cancers du col, pouvant correspondre à des types histologiques particuliers * Service de pathologie, département de biologie des tumeurs, Institut Curie, Paris. 158 (adénocarcinome à cellules claires, par exemple), répondent à des mécanismes de transformation cellulaire indépendants des HPV. Ces données justifient pleinement la recommandation des pouvoirs publics de poursuivre le dépistage et le traitement des dysplasies même chez les femmes ayant bénéficié de la vaccination prophylactique dirigée contre HPV16 et HPV18. Il est également important de souligner que l’évaluation de l’efficacité de la vaccination devra s’appuyer sur des données d’épidémiologie clinique et virologique larges. À ce titre, la caractérisation des séquences d’HPV associées aux dysplasies de haut grade et aux cancers infiltrants est un critère important qui devra servir de référence pour évaluer l’impact de la vaccination, non seulement sur l’incidence des néoplasies cervicales, mais également sur les types de virus associés aux lésions. Le virus joue-t-il un rôle par lui-même dans l’évolution des cancers infiltrants ou n’est-il pathogène que lors des étapes précoces de la maladie, au stade intra-épithélial ? La question de savoir si les séquences virales jouent un rôle dans l’évolution des cancers infiltrants est importante à la fois d’un point de vue fondamental, pour la compréhension des mécanismes de l’oncogenèse, et d’un point de vue pratique, pour la conception de thérapeutiques ciblées. On pourrait faire l’hypothèse que les HPV exercent leur pouvoir oncogène lors des étapes initiales de la maladie, au stade de dysplasie, puis que, au cours du temps, des remaniements génétiques secondaires soient responsables de l’évolution de la maladie, ainsi devenue indépendante du virus. Les faits d’observations viro-cliniques et des données expérimentales indiquent au contraire que la présence des génomes viraux est nécessaire pour le maintien du phénotype transformé. En plus de la fréquence élevée des cancers HPV positifs, qui est un fait en soi, il a été clairement démontré que les séquences d’ADN viral sont conservées de manière telle que les gènes transformants qu’elles contiennent, E6 et E7, sont exprimés dans les cellules tumorales. L’analyse du transcriptome de ces cellules, dans des modèles in vitro (3) et dans des prélèvements de tumeurs (4), a permis de faire plusieurs constatations importantes. La dérégulation du génome cellulaire est bien liée au niveau d’expression des oncogènes viraux, le gène E7 jouant vraisemblablement un rôle prédominant. Par ailleurs, il n’a pas été observé de différences significatives dans la nature des perturbations cellulaires observées, que les tumeurs soient associées à HPV16 ou à HPV18. Enfin, ces études ont permis de constater que le niveau d’expression des oncogènes viraux était très différent d’un cas de cancer à un autre. De ce point La Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 5 - mai 2007 de vue, il est important de souligner qu’un travail récent vient de montrer que le niveau d’expression des oncogènes viraux représentait un facteur pronostique des cancers infiltrants (5). Un niveau d’expression élevé d’HPV18 pourrait rendre compte du mauvais pronostic lié à ce virus dans certaines études virocliniques (6, 7). Peut-on envisager une vaccination thérapeutique comme traitement adjuvant potentiel des cancers résistants aux thérapeutiques classiques ? Ces observations indiquent clairement que, dans la grande majorité des cas, le virus joue un rôle important dans le processus tumoral, même au stade de cancer infiltrant. Ce point est crucial s’agissant du concept de thérapeutiques ciblées. Dans cette optique, deux types d’approches sont possibles, fondées sur la répression des gènes viraux ou sur le ciblage d’antigènes viraux par les cellules immunitaires. En ce qui concerne le premier aspect, des travaux expérimentaux ont montré qu’il était possible, par l’utilisation d’ARN interférents qui ont la propriété d’inhiber la formation de protéines correspondant à leur cible, de diminuer fortement la synthèse des oncoprotéines virales et de restaurer le niveau d’expression de gènes cellulaires dérégulés par ces oncoprotéines. Cette régression s’est accompagnée d’une régression au moins partielle du phénotype transformé des cellules tumorales. Ces travaux en sont encore au stade expérimental et leur introduction en clinique ne peut être envisagée à court terme, en particulier à cause de la difficulté de cibler spécifiquement les cellules tumorales avec les séquences inhibitrices. Le deuxième type de thérapeutique ciblée est représenté par l’immunothérapie. On sait que le système immunitaire joue un rôle de premier plan dans le rejet de l’infection et dans la régression des dysplasies. On peut donc imaginer que ce système immunitaire, notamment par l’intermédiaire des cellules tueuses (lymphocytes cytotoxiques), puisse éradiquer une tumeur en place. Cela a été montré sans ambiguïté dans des modèles animaux. Un essai clinique multicentrique a été mis en place en France, visant à traiter les récidives des cancers associés à HPV16. Seules quelques patientes ont été traitées à l’heure actuelle. Si aucune réponse clinique n’a été observée, un fort taux d’immunisation spécifique a été obtenu. Ce résultat important permet d’espérer obtenir une efficacité clinique en améliorant le protocole, notamment par l’adjonction d’un adjuvant plus puissant ou par association à une thérapeutique cytotoxique. Il ouvre, par ailleurs, des perspectives de vaccination thérapeutique des dysplasies de haut grade du col utérin. En effet, le contrôle des lésions néoplasiques par le système immunitaire est vraisemblablement plus facilement obtenu pour les lésions précoces que dans les situations de récidive, en territoire irradié, d’une tumeur déjà évoluée. Quel peut être, en pratique, l’intérêt d’une recherche d’HPV chez une patiente présentant un cancer infiltrant du col utérin ? En dehors des aspects d’épidémiologie virologique essentiels à l’heure de la vaccination prophylactique, le typage peut être important pour la prise en charge de la patiente au cours du La Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 5 - mai 2007 temps, en particulier devant une suspicion de localisation secondaire. La mise en évidence du même type viral dans les deux localisations, cervicale et, par exemple, pulmonaire, est un argument majeur pour rattacher la lésion thoracique à l’extension d’un primitif cervico-utérin. Enfin, dans la perspective d’un traitement par vaccination en cas de récidive, le typage viral est indispensable pour choisir ou écarter cette ressource thérapeutique (type de virus couvert par le protocole d’immunisation). En conclusion, les perspectives de vaccination prophylactique permettent d’espérer voir diminuer encore l’incidence du cancer du col. Il ne faudrait toutefois pas en déduire hâtivement que tous les problèmes sont réglés par ces perspectives, ne serait-ce que parce que les bénéfices attendus de ce traitement préventif ne seront perceptibles que dans plusieurs décennies. L’étude des mécanismes biologiques impliqués dans la cancérogenèse liée aux HPV reste donc essentielle. Dans la perspective d’une prise en charge individuelle, en dehors des indications marginales citées, l’évaluation du niveau d’expression des oncogènes viraux représentera vraisemblablement très prochainement un paramètre biologique important à considérer dans le choix du protocole de traitement initial. La comparaison de ce niveau d’expression avec d’autres paramètres biologiques (site d’insertion des séquences virales, niveau de dérégulation de gènes de prolifération, etc.) pourra probablement fournir dans le même temps des informations précieuses sur les mécanismes de l’oncogenèse et, par là-même, ouvrir de nouvelles possibilités de traitements. Il convient également de souligner le fait que les progrès ainsi réalisés pourront être utiles dans la prise en charge d’autres types de tumeurs, non seulement dans celle des tumeurs également liées aux HPV, telles que le cancer du canal anal, mais également dans celle de cancers répondant à d’autres facteurs étiologiques que les HPV mais présentant des dérégulations métaboliques de nature similaire. ■ Dossier thématique D ossier thématique RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Munger K, Baldwin A, Edwards KM et al. Mechanisms of human papillomavirus-induced oncogenesis. J Virol 2004;78:11451-60. 2. Weidmann C, Schaffer P, Hedelin G et al. L’incidence du cancer du col de l’utérus régresse régulièrement en France. Bull Epidémiol Hebdomadaire 1998;5:17-9. 3. Thierry F, Benotmane MA, Demeret C et al. A genomic approach reveals a novel mitotic pathway in papillomavirus carcinogenesis. Cancer Res 2004;64:895-903. 4. Rosty C, Sheffer M, Tsafrir D et al. 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