Dossier thématique Rejet humoral après transplantation d’organe solide Activation et régulation des lymphocytes B : rôle de la costimulation Activation and regulation of B lymphocytes: role of the costimulation Gilles Blancho* réponse anticorps spécifique d’un antigène (Ag), l’intervention, dans les organes lymphoïdes secondaires, de partenaires tels que les cellules dendritiques (qui rapportent l’Ag capturé) et les lymphocytes T CD4 auxiliaires. Ces derniers sont plus particulièrement une sous-population CD4 retrouvée dans les centres germinatifs des follicules lymphoïdes et appelée cellules T folliculaires auxiliaires (T follicular Helper cells [TFH]). À partir d’une même spécificité pour l’Ag partagée entre les cellules B et les TFH, des interactions moléculaires de costimulation vont aussi s’exercer pour parvenir à une activation complète du lymphocyte B : CD80/86-CD28, CD40-CD40L, ICOS-ICOSL, PD1-PDL1/PDL2, associées à d’autres facteurs tels que BAFF, IL-21 et IL-4. À l’issue de cette activation primaire, demeurera une mémoire humorale. Summary Résumé » Les lymphocytes B nécessitent, pour le développement d’une Mots-clés : Lymphocyte B - Lymphocyte T auxiliaire (TFH) – Costimulation. L * Institut de transplantation-urologienéphrologie (ITUN), CHU de Nantes. 16 CT-n1-janv-fév-mars 2014-B.indd 16 In order to develop an antigen (Ag) specific antibody response, B lymphocytes need the intervention of other partners such as dendritic cells (that capture the Ag) and CD4 helper T lymphocytes. These CD4 cells are more specifically a sub-population located in the germinal centers of the lymphoid follicles, subsequently called T Follicular Helper cells (TFH). From an identical Ag specificity, shared by B and TFH cells, costimulation molecular interactions will take place, such as CD80/86-CD28, CD40-CD40L, ICOSICOSL, PD1-PDL1/PDL2 , in addition to other factors such as BAFF, IL-21 and IL-4. Following this primary activation will remain a humoral memory. Keywords: B lymphocyte - Helper T lymphocyte – Costimulation. es lymphocytes B sont impliqués dans diverses fonctions, au premier rang desquelles se situe la synthèse des anticorps (Ac) ou des immunoglobulines (Ig). Cette synthèse répond à la stimulation par 2 types d’antigènes (Ag), les Ag T indépendants et T dépendants. Les T indépendants, ainsi que leur appellation l’indique, ne nécessitent pas l’intervention de lymphocytes T pour l’induction des Ig, correspondent plutôt à des mitogènes de type polymères de séquences répétées tels que le LPS (lipopolysaccharide) ou le pokeweed mitogen (PWM) et induisent essentiellement une activation lymphocytaire B précoce non spécifique d’un Ag, voire spécifique mais de faible affinité. Les autres types d’Ag, en général de nature glycoprotidique, vont induire une réponse qui leur est spécifique, en faisant intervenir une aide intermédiaire, le lymphocyte T CD4 dit auxiliaire (T helper). Cette aide va se produire essentiellement dans les zones lymphoïdes secondaires (ganglions lymphatiques et rate) et à travers des interactions moléculaires intercellulaires dans le contexte d’une synapse dite immunologique. Après la rencontre de l’Ag, certaines interactions seront nécessaires pour aller jusqu’à une vraie activation ; on parle d’interactions de costimulation. La réponse humorale dans les zones lymphoïdes Le terme “humoral” qualifie des composants non cellulaires des systèmes circulatoires sanguin et lymphatique et, de fait, en matière de réponse immune, se rapporte donc aux Ig. Ces dernières sont capables de reconnaître des Ag circulants de façon conformationnelle (non apprêtés) mais spécifiquement, car leur cellule primordiale, le lymphocyte B ou son expression différenciée ultime, le plasmocyte, ont été recrutés Le Courrier de la Transplantation - Vol. XIV - n° 1 - janvier-février-mars 2014 26/03/14 11:35 Activation et régulation des lymphocytes B : rôle de la costimulation dans leur fonction à synthétiser des Ig de façon spécifique. Ce recrutement se déroule donc en amont à partir d’un lymphocyte B naïf et met à contribution les cellules dendritiques et les lymphocytes T. D’un côté, dans les zones lymphoïdes T, les cellules dendritiques rapportent et présentent l’Ag, en particulier par leurs molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) de classe II, aux lymphocytes CD4 porteurs d’un récepteur T (TCR) capable de reconnaître cet Ag. D’un autre côté, dans les zones lymphoïdes B, les macrophages des sinus sous-capsulaires captent les Ag et les présentent aux lymphocytes B qui vont les capter par leurs récepteurs à l’Ag (B Cell Receptor [BCR]) qui sont en fait des Ig de membrane. Ces dernières vont ainsi internaliser l’Ag pour, après apprêtement, le présenter par leurs molécules du CMH de classe II aux lymphocytes CD4 préalablement recrutés précisément pour leur spécificité à ce même Ag dans les zones intermédiaires entre les zones T et B et fournissant alors cette aide à ces lymphocytes B. Cette coopération CD4 sera un deuxième signal donné à la cellule B, à la suite du premier signal d’engagement du BCR, qui consistera en des interactions moléculaires et des libérations de certaines cytokines. Le premier signal BCR aura cependant été indispensable, bien sûr pour engager la spécificité de la réponse mais aussi pour transformer le lymphocyte B en une véritable cellule présentatrice de l’Ag (CPA), en particulier par une surrégulation de l’expression des molécules CD80 et CD86 interagissant avec la molécule CD28 du lymphocyte T. Il s’agit là d’un des signaux de costimulation les plus précoces et essentiels à la coopération T-B et donc à l’induction d’une réponse humorale primaire. Il apparaît maintenant que les lymphocytes CD4, jouant ce rôle de coopération, à partir du précurseur commun dans un environnement cytokinique particulier, se différencient en diverses sous-populations appelées Th, numérotées selon leur expression de facteurs transcriptionnels et de cytokines et exerçant des fonctions auxiliaires spécialisées. Ainsi, dérivées dans un environnement IL-12, les Th1 expriment T-bet, Stat1 et Stat4 et sécrètent IFNγ, IL-2 et TNFα. Dans un environnement IL-4, les CD4 se différencient en Th2, exprimant GATA3, Stat5 et Stat6 et sécrétant IL-4, IL-5, IL-13 et IL-10. Dans un environnement TGFβ et IL-4, des Th9 vont se différencier en exprimant PU.1 (Spi-1) et en sécrétant IL-9 et IL-10. Dans un contexte majoritairement IL-21, des Th17 vont se différencier en exprimant RORγt, RORα et Stat3 et en sécrétant plus particulièrement IL-17, IL-21 et IL-22. Enfin, dans la région du follicule lymphoïde et en particulier du centre germinatif (CG) et sous influence IL-21, IL-6, des lymphocytes dits “folliculaires auxiliaires” (T Follicular Helper [TFH]) vont se différencier. Il apparaît que cette sous-population, décrite plus récemment, est la plus spécialisée dans la coopération avec le lymphocyte B dans les follicules lymphoïdes, aboutissant essentiellement à la formation et au maintien des CG et donc à l’affinement de la réponse Ac et à la différenciation en plasmocytes et cellules mémoires. Les lymphocytes T folliculaires auxiliaires, ou Helper (TFH) À la faveur d’une plus grande caractérisation des souspopulations lymphocytaires, il est apparu que ces lymphocytes CD4, coopérant avec les lymphocytes B dans les CG des follicules lymphoïdes, exprimaient beaucoup plus fortement la molécule CXCR5, répondant ainsi à la chémoattraction de CXCL13 (tout comme les cellules B pour les focaliser dans les follicules), permettant une colocalisation T-B essentielle à la coopération T-B. Par la suite, il a été montré que ces cellules, par rapport aux non-TFH, présentaient aussi une forte expression du facteur de régulation transcriptionnelle Bcl6, de PD-1, de SAP (SLAM-Associated Protein), d’IL-21 et d’ICOS (Inducible T Cell Costimulator) et, en revanche, une absence d’expression de Blimp-1. Ainsi se caractérise donc la sous-population TFH, si importante dans la coopération mais aussi dans le maintien des CG des follicules lymphoïdes et la régulation de la différenciation B en plasmocytes et cellules B mémoires. Il se trouve que Bcl6 et Blimp-1 sont des facteurs d’inhibition mutuelle, à tel point que les lymphocytes CD4 exprimant Bcl6 (réprimant Blimp-1) sont des TFH, alors que les CD4 exprimant Blimp-1 (réprimant Bcl6) sont des non-TFH (1). Il est par ailleurs probable que les TFH aient d’autres fonctions que la coopération B directe, en interagissant aussi avec la cellule dendritique folliculaire résidente des follicules lymphoïdes (comme son nom l’indique) et avec le troisième type cellulaire majeur des CG. Une fois le CG formé, les TFH seront nécessaires pour envoyer les signaux de survie et de prolifération des cellules B du CG et stimuler l’hypermutation somatique, véritable processus de maturation d’affinité des Ac générés dans le CG. Les différents signaux de survie donnés par la TFH passent par diverses voies comprenant CD40, IL-4, IL-21, PD-1, BAFF, entrant en compétition avec l’interaction Fas-FasL induisant l’apoptose des lymphocytes B en leur absence. De par sa colocalisation avec les cellules B dans le CG, la TFH va exercer ces interactions directes, que nous allons brièvement revoir. Le Courrier de la Transplantation - Vol. XIV - n° 1 - janvier-février-mars 2014 CT-n1-janv-fév-mars 2014-B.indd 17 17 26/03/14 11:35 Dossier thématique Les interactions TFH-lymphocyte B dans le centre germinatif CD80/86-CD28 Cette interaction bien connue comme interaction de costimulation principale ou second signal entre les CPA, en particulier les cellules dendritiques, et les lymphocytes T (2), s’avère tout aussi importante dans les réponses en aval : sans une ligation CD28, la cellule T ne reçoit pas de signal d’activation et il ne pourra y avoir de génération de TFH. CD40L-CD40 CD40 est exprimé par le lymphocyte B et interagit avec son ligand spécifique, CD40L, fortement exprimé par les T CD4. Cette interaction joue un rôle majeur, tant son absence empêche le développement des CG et des plasmocytes. L’interaction globale va plutôt faire entrer le lymphocyte B en prolifération et, dans une zone de très fort niveau d’apoptose, en épargner ce dernier probablement par une surrégulation de Bcl6. En retour, le lymphocyte T, via le signal CD40L, va libérer certaines cytokines, en particulier IL-21, IL-4 et probablement aussi IFNγ, jouant des rôles importants dans l’orientation de la commutation de classe (changement d’isotype des Ig) et le maintien des CG. La nécessité d’une interaction physique CD40-CD40L locale garantit une spécificité de la réponse B, puisqu’elle se produira seulement entre cellules spécifiques de l’Ag. ICOS-ICOSL Le signal ICOS est absolument nécessaire pour une génération optimale des TFH, mais pas des autres souspopulations CD4. Après le signal CD28, la molécule ICOS va se surréguler sur bon nombre des CD4 mais surtout sur les TFH. La genèse et le maintien de ces derniers vont ensuite nécessiter impérativement l’interaction avec ICOSL pour leurs genèse et maintien, vraisemblablement par l’induction de l’expression de Bcl-6. PD1-PD-L1/PD-L2 PD1 (Programmed Death 1) est un récepteur inhibiteur puissant de la TFH. Il interagit avec PD-L1 et PD-L2, exprimés par les cellules B des CG. Il semble que ce haut niveau d’expression par les TFH soit entretenu par les interactions T-B dans le CG et que ses effets soient doubles, avec un signal d’activation aux lymphocytes B des CG mais aussi d’interruption des interactions T-B par inhibition du signal stop du TCR. BAFF BAFF (B cell Activating Factor belonging to the TNF Family) n’est pas à proprement parler un facteur de 18 CT-n1-janv-fév-mars 2014-B.indd 18 Rejet humoral après transplantation d’organe solide costimulation, mais plutôt un facteur de survie du lymphocyte B interagissant sur son récepteur BAFF-R. Avec le signal BCR, BAFF est un élément essentiel de l’homéostasie des lymphocytes B. Avec le signal BCR, BAFF est un élément essentiel de l’homéostasie des lymphocytes B en association avec une autre molécule, APRIL. Ces 2 molécules, essentiellement synthétisées par des cellules de l’immunité innée, fixent 3 types de récepteurs (TACI, BCMA et BAFF-R) avec des affinités variables, que, afin de rester dans le domaine de la costimulation et non pas de la survie, nous ne développerons pas ici. IL-21 Cette cytokine est essentielle à la survie et la prolifération des cellules B des CG en agissant directement sur leur récepteur à IL-21. Il s’agit en fait d’une action duale, puisque la survie des TFH nécessite la présence des B qui, eux, nécessitent IL-21. Son action complexe passerait notamment par une surrégulation de Bcl-6 dans les B des CG. De plus, il s’agit de la cytokine dont la fonction de différenciation plasmocytaire est la plus puissante. IL-4 Depuis longtemps, IL-4 était considérée comme un facteur de survie et de différenciation du lymphocyte B, notamment dans le contexte de la description initiale de la sous-population Th, en tant que cytokine majeure des Th2. Aujourd’hui, il apparaît clairement que ce sont les TFH et non les Th2 qui jouent ce rôle, en étant elles-mêmes capables de la sécréter. IL-4 joue un rôle antiapoptotique crucial pour les cellules B du CG en induisant une expression de Bcl-2. Bien entendu, le schéma n’est pas aussi exclusif dans les CG ; on retrouve en effet l’intervention d’autres cytokines telles que IFNγ, si important pour la différenciation Th1. Précisément, des lymphocytes Th1 et Th2 peuvent aussi être retrouvés au milieu des compartiments TFH. En outre, toute cette activité complexe des CG est aussi régulée pour prévenir tout emballement de la prolifération B. Ainsi, des cellules T régulatrices Foxp3+ d’origine thymique ont été mises en évidence dans les CG au point d’être définies comme Tfr. Elles partagent cependant, la même expression en CXCR5, PD1, ICOS et Bcl6, se colocalisent aussi dans les CG mais expriment Foxp3, CTLA-4, GITR et IL-10 sans exprimer les facteurs de coopération des cellules B, IL-21, IL-4 et CD40L. Ainsi présentent-elles des fonctions suppressives aussi bien sur le niveau des réponses dans les CG, la prolifération des B dans les CG que la production d’Ac (3). Le Courrier de la Transplantation - Vol. XIV - n° 1 - janvier-février-mars 2014 26/03/14 11:35 Activation et régulation des lymphocytes B : rôle de la costimulation Induction de la mémoire humorale Une des caractéristiques de cette organisation de la réponse B, en particulier dans les CG, est d’induire une mémoire fondée sur les Ac, à partir de la génération de cellules B mémoires à longue vie. Leur activation nécessite toujours l’intervention de cellules T auxiliaires, elles-mêmes de phénotype mémoire, les TFH mémoires. À la suite d’une restimulation antigénique, les B mémoires vont représenter l’Ag spécifique aux TFH mémoires qui vont promouvoir leur expansion clonale, leur différenciation rapide en plasmocytes mémoires et l’induction de CG secondaires. Il s’agit toujours d’interactions moléculaires locales, tant les TFH mémoires expriment toujours CXCR5, qui les maintient dans les CG. Il semble que les B mémoires, porteurs de BCR de haute affinité pour l’Ag, vont être capables de capter de très faibles quantités d’Ag et de les présenter comme de véritables CPA aux TFH mémoires qui, en retour, vont surréguler leurs signaux cytokiniques (plutôt au repos en absence de l’Ag) avec les conséquences sus-citées (4). Conclusion La costimulation B implique des interactions essentielles T-B dans les CG des follicules lymphoïdes. De véritables synapses immunologiques s’y forment, assurant la spécificité de la réponse antigénique et mettant en jeu des interactions moléculaires de costimulation, d’adhésion et de suppression/régulation, permettant d’activer puis moduler la réponse B, tout en initiant la mise en place de sa mémoire, si importante dans l’immunocompétence d’un individu. ■ L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. Références bibliographiques 1. Crotty S. Follicular Helper CD4 T cells (TFH). Annu Rev Immunol 2011;29:621-63. 2. Poirier N, Blancho G, Vanhove B. CD28specific immunomodulating antibodies: what can be learned from experimental models? Am J Transplant 2012;12(7):1682-90. 3. Qi H. From SAP-less T cells to helpless B cells and back: dynamic T-B cell interactions underlie germinal center development and function. Immunol Rev 2012;247:24-35. 4. McHeyzer-Williams M, Okitsu S, Wang N, McHeyzer-Williams L. Molecular programming of B cell memory. Nat Rev Immunol 2011;12(1):24-34. Le 13e congrès annuel de la SFT à Marrakech (11-14 décembre 2013) a rassemblé 571 participants, dont 179 paramédicaux (DIU, journée paramédicale et École francophone de prélèvement multi-organe). SFT Le Courrier de la Transplantation - Vol. XIV - n° 1 - janvier-février-mars 2014 CT-n1-janv-fév-mars 2014-B.indd 19 19 26/03/14 11:36