Evaluer la gravité de certains troubles du comportement

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Fiche
thérapeutique
N°4
Sous la responsabilité de leurs auteurs
Évaluer la gravité de certains troubles
du comportement alimentaire chez les adolescents
S. Benoit-Lamy (Paris)
I. ANOREXIE MENTALE
Le tableau clinique classique de l’anorexie mentale est celui d’une jeune fille adolescente entre 12 et 20 ans
qui présente la triade symptomatique : amaigrissement, anorexie, aménorrhée.
Fiche à détacher et à archiver
À partir des éléments cliniques de cette triade, il est possible d’évaluer dans un premier temps un certain degré
de gravité.
Amaigrissement
Une chute de 10 % du poids initial est exigée pour poser le diagnostic, elle peut aller jusqu’à 25 % pour atteindre parfois 50 %. Il est important non seulement de chiffrer l’amaigrissement mais aussi d’évaluer sa rapidité d’installation.
Les complications de la dénutrition sont à apprécier à la fois cliniquement et biologiquement. Elles peuvent être en
cause dans 50 % des cas de décès (trouble du rythme cardiaque secondaire à des hypokaliémies en particulier). La
méconnaissance de la maigreur par les patientes signe le trouble de la perception de l’image du corps. L’importance de
la perturbation de l’image du corps au début de l’anorexie est un facteur de mauvais pronostic.
Anorexie
Il s’agit d’une conduite de restriction alimentaire active et non pas d’une perte de l’appétit. C’est le maître
symptôme. D’autres troubles du comportement ont une signification de gravité particulière :
– la potomanie : ingestion de liquides qui peut aller jusqu’à une dizaine de litres par jour, ce qui entraîne des
déséquilibres hydroélectrolytiques ;
– le mérycisme : il associe un vomissement provoqué et une rumination du bol alimentaire régurgité. Souvent
difficile à mettre en évidence, il s’intègre dans un dysfonctionnement psychopathologique sévère. La présence
de vomissements provoqués, la prise de laxatifs et diurétiques à des doses parfois considérables représentent
également des éléments de gravité.
Aménorrhée
Elle coincide le plus souvent avec le début de l’anorexie. Elle est habituellement un des derniers symptômes à
disparaître. Une aménorrhée prolongée, en l’occurence supérieure à 6 mois, constitue un risque de perte de
densité osseuse et un risque plus élevé de fractures pathologiques.
Éléments de gravité
en fonction des modalités du comportement
alimentaire
Sévérité de
l’anorexie mentale et
association à d’autres
troubles psychiatriques
• La survenue d’accès boulimiques chez l’anorexique témoigne d’un échec de contrôle de la restriction qui
peut s’accompagner par la suite d’autres conduites addictives (abus d’alcool, de drogues) en présence d’une
population plus à risque de tentatives de suicide.
• Les rechutes sont fréquentes dans l’anorexie mentale. Elles concernent au moins 50 % des cas. Si elles rendent plus
difficile le traitement et moins efficaces les mesures de séparations, elles ne représentent pas en elles-mêmes un facteur de mauvais pronostic. C’est le déni de l’anorexie qui l’est davantage, notamment au-delà de 4 ans.
• L’anorexie chronique est particulièrement sévère. Le pronostic vital peut être en jeu. Il est important de pouvoir également évaluer l’appauvrissement de la vie affective, relationnelle ou professionnelle, l’absence d’investissement conduisant à des difficultés d’insertion psychosociale.
N.B. : La guérison de l’anorexie mentale est un processus lent, qui dure rarement moins de 4 ans, mais des
guérisons complètes restent possibles jusqu’à 15 ans et plus après le début des troubles.
• Dépression : l’humeur est importante à apprécier. En effet, une dépression manifeste est à différencier d’un
vécu d’inefficience, d’une autodévalorisation qui constituent une constante dans la personnalité anorexique.
Cette dépression, qui certes peut témoigner d’une possibilité d’élaboration du conflit psychique qui s’exprime
alors autrement que par le corps, peut s’accompagner d’un risque suicidaire.
• La gravité de l’anorexie peut aussi résider dans la possibilité de survenue secondaire de troubles psychiatriques qui sont très variables et concernent pratiquement toute la nosographie. Les plus fréquents sont la
dépression, les phobies invalidantes et la pathologie obsessionnelle compulsive.
• Les autres troubles des conduites : alcoolisme, toxicomanie, comportements impulsifs (fugues, vols), automutilations, plus fréquents chez les anorexiques-boulimiques, s’intègrent souvent dans une structure de personnalité de type “limite”. Le risque suicidaire est majoré.
Les véritables anorexies prépubères se manifestent avant tout signe pubertaire entre 9 et 11 ans, pendant la
Une forme cliniphase de latence. Elles sont à différencier des anorexies du début de la puberté qui surviennent au moment des
que particulière plus sévère : premiers signes de la puberté, mais avant les premières règles. Il est à noter que les anorexies de la phase de
latence ont un pronostic beaucoup plus réservé, dans la mesure où elles s’intègrent souvent dans un tableau de
l’anorexie prépubère
Le Courrier des addictions (1) n° 4, septembre 1999
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trouble sévère de la personnalité avec une dimension dépressive habituelle et un véritable tableau de carence
affective au sein des relations parents/enfants. En ce qui concerne ces anorexies mentales prépubères, on retrouve
une proportion de garçons élevée, des troubles alimentaires présents dans la toute petite enfance, une perte de
poids rapide, des retards de croissance et l’association fréquente à un état dépressif souvent grave.
L’anorexie mentale du garçon demeure relativement rare : de l’ordre de 10 % des cas. La perte de la libido et
de toute érection est considérée comme équivalent de l’aménorrhée. Il n’existe pas de consensus sur le caractère sévère ou non de cette forme clinique. En effet, pour certains auteurs, les modalités évolutives sont comparables à celles de l’anorexie mentale féminine, pour d’autres, la fréquence plus importante des préoccupations hypocondriaques concernant l’intérieur du corps, masquerait une forme de psychose.
L’anorexie
mentale du garçon :
plus grave ?
II. LA BOULIMIE
La forme clinique la plus caractéristique du syndrome boulimique est la forme compulsive normopondérale évoluant par accès associée à des vomissements. Le début se situe le plus souvent autour de l’âge de 17-18 ans.
Si le syndrome boulimique peut survenir au cours de l’évolution de l’anorexie, il peut être également indépendant de celle-ci. Bien que les conduites boulimiques n’aient pas une expression symptomatique aussi dramatique que l’anorexie mentale et ne représentent pas le même risque pour le pronostic vital immédiat, leur
gravité n’en apparaît pas moindre.
Les complications somatiques ne sont pas ra res : troubles métaboliques et hydroélectrolytiques secondaires aux vomissements (hypokaliémie sévère).
La gravité du trouble boulimique réside aussi dans son association à d’autres pathologies qui se situent sur
trois registres :
– troubles de l’humeur : un syndrome dépressif majeur serait présent chez 60 à 80 % des patients boulimiques ;
– troubles du comportement à type de conduites addictives (voir première partie : Anorexie) ;
– troubles de la personnalité : en particulier “borderline”, 25 à 45 % des cas.
Parmi les facteurs pronostics positifs, certains sont communs à l’anorexie mentale (moindre perturbation de
l’image et du corps au début des troubles et persistance d’un bon fonctionnement psychosocial. On note par
ailleurs l’intensité moins importante des troubles alimentaires (compulsivité moindre). On peut souligner
l’absence de corrélation au pronostic des facteurs suivants : durée de l’affection, fréquence des épisodes,
antécédents d’anorexie mentale et âge lors du diagnostic.
L’appréciation de la sévérité de l’anorexie mentale repose sur un certain nombre d’éléments cliniques.
Cependant, le fonctionnement mental dans son ensemble ainsi que la qualité et les modalités des investissements et des relations sont également très importants à évaluer (en effet un hyperinvestissement intellectuel,
par exemple, a une valeur défensive contre les émotions).
La guérison peut concerner jusqu’à 60 à 80 % des cas si on prend en compte les seuls paramètres symptomatiques de la conduite : anorexie, amaigrissement, aménorrhée. Il n’y a plus que 30 à 50 % de guérison si
on fait intervenir des critères de personnalité tenant compte de l’existence d’autres symptômes psychiatriques et de la qualité de l’insertion sociale et affective. Concernant la boulimie, le retentissement social,
familial et professionnel, bien que lent à apparaître du fait du caractère souvent caché du trouble est également important après quelque temps d’évolution. Pour l’ensemble des patients, la persistance d’un environnement amical satisfaisant au moment du diagnostic témoigne de la bonne capacité d’aménagement des relations interpersonnelles, élément de bon pronostic.
En pratique, face à une patiente anorexique
• Évaluer la rapidité d’installation de l’amaigrissement, le
quantifier ;
• importance de la perturbation de l’image du corps ;
• rechercher l’existence de vomissements provoqués, crises
de boulimie, prise de laxatifs, diurétiques, toxiques ;
• évaluer la dimension dépressive et la présence d’autres
symptômes psychiatriques ;
• apprécier la qualité de l’environnement familial, le fonctionnement social (surinvestissement des études ? existence
de relations amicales ?) ;
• examen clinique : signes de dénutrition, recherche de
foyers infectieux (parfois méconnus et favorisés par une
immunité déficiente). Présence d’automutilations ;
• bilan biologique, notamment la recherche de perturbations
hydroélectrolytiques.
II
Conclusion
Signes de gravité imposant une hospitalisation en urgence
• Amaigrissement important, rapide et brutal ;
• BMI 14 (BMI = Body Mass Index ou indice de Quetelet = poids
en kilo sur taille en m2) ;
• tension artérielle systolique < 9 ;
• TA diastolique < 5 ;
• bradycardie < 50 ;
• hypothermie ;
• sentiment d’épuisement physique (évoqué par la patiente), apathie,
prostration ;`
• troubles de la conscience et de la vigilance (omnubilation, confusion, stupeur).
Facteurs pouvant précipiter une décompensation aiguë au
cours de l’anorexie mentale
• Séjour en altitude à plus de 1 500 m ; • exercices physiques intenses ;
• diarrhées, maladies infectieuses intercurrentes.
Le Courrier des addictions (1) n° 4, septembre 1999
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