COURS 13 : LE CORTEX SENSORIEL ET LA PLASTICITÉ DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL Le chapitre précédent a mis en évidence l'organisation fonctionnelle des circuits neuroniques assurant la réalisation d'un phénotype comportemental : le réflexe myotatique. Dans ce chapitre, on cherche à mettre en évidence les parts respectives du génotype et de l’environnement dans la réalisation des phénotypes comportementaux. Malgré la mise en place d’un plan d’organisation du système nerveux commun à tous les vertébrés et le contrôle génétique du développement du réseau neuronique, chaque individu ne perçoit pas son environnement de la même façon. I) La part du génotype dans le fonctionnement du système nerveux A) La part du génotype dans la mise en place des réseaux de neurones On connaît chez la Souris un certain nombre de mutations qui touchent le système nerveux. Un groupe de mutants montre des anomalies du développement post-natal d'une région de l’encéphale : le cervelet. De tels mutants sont appelés mutants cérébelleux. Le cervelet est une région de l'encéphale qui joue un rôle dans la coordination des mouvements. Divers noms sont donnés à ces mutants : tournoyant, chancelant, titubant, selon les altérations locomotrices qui les caractérisent. Tous ces mutants présentent, à l’échelle du phénotype cellulaire, une désorganisation des circuits de neurones dans le cortex de leur cervelet. Pour chaque type de mutant, l'anomalie est due à une mutation d’un des gènes codant pour des protéines impliquées dans la mise en place des réseaux de neurones. Au niveau du SNC, les aires de projection varient d’une espèce à l’autre (homonculi somatosensoriels différents chez l’Homme, le rat, le singe...) mais au sein d’une même espèce les aires sensorielles et motrices sont localisées aux mêmes endroits, suggérant l’intervention du génotype. La répartition en couches et colonnes du cortex cérébral et l’apparition de mutants qui présentent les couches I à VI dans le désordre prouvent l’intervention du génotype dans l’établissement des phénotypes micro et macroscopique du cortex cérébral. D’autre part, la dominance hémisphérique gauche pour le langage et droite pour la perception visuo-spatiale serait également génétiquement déterminée. Le cerveau gauche serait plus analytique et le cerveau droit plus globaliste dans son fonctionnement. L’étude du daltonisme, de l’insensibilité gustative et de maladies rares comme certaines formes d’insensibilité́ congénitale à la douleur, dont l’origine est une mutation génétique, montre que le système nerveux périphérique (SNP) est également, en partie, sous contrôle génétique. Des mutations des gènes homéotiques Hox-1.3 et Pax-3 entraînent des malformations des SNC et SNP. B) La part du génotype dans la réalisation d’un réflexe On connaît des cas d'insensibilité congénitale à la douleur, sans altération des autres fonctions sensorielles. L'insensibilité congénitale à la douleur est une maladie exceptionnelle, le plus souvent de cause génétique, caractérisée par une incapacité à percevoir la douleur sous toutes ses formes et sur tout le corps, avec conservation des autres sensations tactiles. Certaines formes de la maladie sont dues à une augmentation de la production d'endorphines dans le cerveau. Une mutation du gène codant pour le récepteur au NGF (le NGF = Nerve Growth Factor, est un facteur de croissance indispensable au développement des neurones) est responsable de cette grave maladie. Chez les individus possédant cette mutation, les fibres amyéliniques (dépourvues de gaine de myéline) normalement responsables de la conduction des messages douloureux ne se mettent pas en place lors du développement, ce qui rend impossible la réalisation du réflexe nociceptif (le stimulus est la douleur). Des exemples de mutations perturbant l'organisation des réseaux neuroniques sont connus et démontrent la part du génotype dans la réalisation d'un phénotype comportemental : • Certaines mutations ont pour effet de modifier la façon dont les neurones impliqués dans le contrôle de la motricité sont interconnectés dans l'encéphale : la mise en place des réseaux de neurones est donc sous contrôle du génotype. • Une mutation peut empêcher la croissance de fibres sensorielles qui, normalement assurent la transmission de messages nerveux impliqués dans des réflexes : le développement de ces fibres est donc sous contrôle du génotype. Un phénotype comportemental est donc la conséquence de la mise en place, au cours du développement, des chaînes de neurones, sous le contrôle de l'information génétique. Les phénotypes microscopiques et macroscopiques des homonculi, de la répartition en couches et colonne du cortex cérébral (au niveau du SNC), le phénotype comportemental des réflexes (reflexes myotatique, nociceptif) comme la sensibilité́ de chacun à certains goûts, certaines couleurs, a la douleur (au niveau du SNP) sont la conséquence directe de la mise en place, au cours du développement embryonnaire, des chaînes neuroniques, sous le contrôle du génotype. Cette mise en place des réseaux de neurones s’effectue généralement sous l’action d’hormones comme le NGF (Nerve Growth Factor) qui orientent la croissance des neurones. II) Expérience individuelle et plasticité du système nerveux L'étude du cortex cérébral permet de montrer l’influence de l'environnement sur le fonctionnement du système neveux. On appelle cortex cérébral la partie superficielle des hémisphères cérébraux, formée par de la substance grise. Le terme « cerveau» au sens strict désigne les hémisphères cérébraux. A) La somesthésie 1) Définition La somesthésie représente l'ensemble des mécanismes nerveux recueillant l’information sensorielle du corps. La somesthésie désigne donc un ensemble de différentes sensations (pression, chaleur, douleur ...) qui proviennent de plusieurs régions du corps (peau, tendons, articulations, viscères …). Ces sensations sont élaborées à partir des informations fournies par de nombreux récepteurs sensitifs du système somatosensoriel (ou somesthésique), situés dans les tissus de l'organisme. 2) Classification des modalités somesthésiques Selon la nature du stimulus, on distingue trois modalités somesthésiques principales : -la sensibilité mécanoréceptrice, mise en jeu par toute stimulation mécanique de l'organisme (ou proprioception), (proprioception = qui se rapporte à la sensibilité du système nerveux aux informations provenant des muscles, des articulations et des os). -la sensibilité douloureuse ou nociception, mise en jeu par tout stimulus provoquant une lésion tissulaire, -la sensibilité thermique, répondant au chaud et au froid. 3) Les mécanorécepteurs Ils sont à l’origine de toutes les sensations tactiles et de la sensibilité proprioceptive qui contribue à déterminer la position de notre corps dans l'espace, de nos membres par rapport au corps : sensibilité à la position, au mouvement (kinesthésie) et à la force. Les récepteurs tactiles : Il en existe différents types morphologiques, répartis dans le derme et l'épiderme et responsables de différentes sensibilités tactiles à la surface du corps : pression, chatouillement, vibration. On distingue : - les terminaisons nerveuses libres - les corpuscules de Meissner - les disques de Merkel, - les récepteurs pileux, - les corpuscules de Ruffini et de Pacini. Terminaisons nerveuses libres : présentes pratiquement partout dans la peau, fibres non myélinisées. Les corpuscules de Meissner : formés d’une fibre sensorielle myélinisée de gros calibre dont la terminaison très ramifiée est enfermée dans une capsule. On les trouve dans la peau glabre, les lèvres, le bout des doigts et autres zones de la peau à haute sensibilité tactile. Les disques de Merkel : on les trouve souvent dans les mêmes régions que les corpuscules de Meissner, et dans la peau pileuse. Ce sont des cellules épithéliales spécialisées connectées à une fibre nerveuse. Les récepteurs pileux : fibre enroulée à la base du poil. Les corpuscules de Ruffini : terminaison multiramifiée sensible à la déformation ; on les trouve dans les couches les plus profondes de la peau. Les corpuscules de Pacini : sensibles aux vibrations, on les trouve également dans les couches les plus profondes de la peau (hypoderme). Les récepteurs des muscles, des tendons et des articulations : Dans les muscles squelettiques, on trouve les fuseaux neuromusculaires (se compose de 3 à 10 petites fibres musculaires modifiées, les fibres intrafusales, reliées à une terminaison dendritique), dans les tendons, les organes tendineux de Golgi. Ce sont des récepteurs sensoriels spécialisés, sensibles aux variations de longueur du muscle ou du tendon. On trouve dans les articulations des corpuscules de Ruffini sensibles aux déformations et qui détectent la position de l’articulation. Le FNM Les propriocepteurs 4) Les récepteurs à la douleur On les appelle aussi nocicepteurs. Ce sont des terminaisons nerveuses libres, présentes dans les couches superficielles de la peau et dans certains tissus profonds comme les méninges, les parois artérielles, etc. Ils sont sensibles à des stimulations de nature physique variée : mécaniques, chimiques, thermiques. Leur seuil d’excitation est élevé. 5) Les récepteurs thermiques Il y a deux voies nerveuses spécialisées : le corpuscule de Krause pour le froid : il se situe dans le derme superficiel au niveau de la langue, des lèvres et au dos des mains. le corpuscule de Ruffini pour le chaud : il se situe dans le derme profond. Remarque : Les thermorécepteurs sensibles au chaud le sont pour des températures comprises entre 30 et 45°C. Au-dessus de 45°C, la sensation est perçue comme douloureuse et est enregistrée par des nocirécepteurs. Les thermorécepteurs sensibles au froid le sont pour des températures comprises entre 25 et 30°C. Au-dessous de 25°C, la sensation est perçue comme douloureuse et est enregistrée par des nocirécepteurs. Ce sont surtout les terminaisons nerveuses libres qui sont impliquées dans la captation des variations thermiques. B) Organisation et fonctionnement du cortex cérébral 1) La notion de cortex sensoriel L'imagerie cérébrale permet d'observer que la stimulation de récepteurs sensoriels périphériques engendre une activité accrue, matérialisée par une consommation plus importante de dioxygène et de glucose, de certaines régions du cortex cérébral : on parle alors de cortex sensoriel puisque le cortex cérébral participe au traitement des informations en provenance des récepteurs sensoriels. De plus, des stimulations de nature différente conduisent à l’activation de zones différentes du cortex (par exemple, une stimulation tactile sollicite une région latérale, tandis qu'une stimulation visuelle sollicite une région située à l'arrière) : le cortex sensoriel est régionalisé. Répartition des aires spécialisées au niveau du cortex des hémisphères cérébraux On a pu établir une cartographie des aires sensorielles : Les aires sensorielles sont disposées de façon identique chez tous les êtres humains et sont situées pour chaque hémisphère : dans le lobe occipital pour la vision dans le lobe temporal pour l’audition dans le lobe pariétal pour le toucher dans le creux du lobe pariétal et près du lobe temporal pour goût au creux du lobe temporal pour l’odorat. Parmi les différentes aires situées sur le cortex, on peut distinguer dans la région médiane un cortex somatosensoriel. Cette aire du cortex traite les informations concernant le toucher et les sensations de pression en provenance de la surface du corps, des muscles et des articulations. L’aire somatosensorielle est la région du cortex qui traite les informations tactiles (chatouillement, piqûre…). Elle comporte : · Une aire de projection : elle correspond aux points d’arrivée des messages provenant des différentes régions du corps. · Une aire d’association : elle assure la connexion de l’aire de projection avec de nombreuses autres régions du cerveau. Elle contient « l’homonculus ». La perception de son environnement par un individu représente un phénotype au même titre qu'un phénotype physique. Celte sensibilité de l'individu dépend de l'activité du cortex cérébral. Les récepteurs sensoriels situés en périphérie génèrent un message nerveux qui va être transmis jusqu'à des aires de projection corticale. À chaque fonction sensorielle correspond une aire de projection spécifique au niveau du cortex. 2) La représentation du corps au niveau du cortex somatosensoriel Les différents secteurs de la surface du corps n’ont pas tous la même sensibilité : par exemple, dans l'espèce humaine, les territoires les plus sensibles à une stimulation cutanée sont situés au niveau du visage et de la main. Cela traduit une densité plus importante des récepteurs sensoriels à certains endroits. L'homoncule moteur désigne l'organisation de la commande motrice des muscles du corps humain à la surface du cerveau. L’Homonculus sensitif, ou homonculus somesthésique correspond aux aires corticales de la somesthésie. La représentation en coupe du cortex somatosensoriel montre une projection des différents territoires corporels sur ce cortex : Toutes les parties du corps sont projetées sur le cortex, mais on constate que l’étendue du cortex somatosensoriel représentant les mains et la face est beaucoup plus importante que leur surface relative par rapport au reste du corps. La face et les mains sont surdimensionnées par rapport au torse et aux segments proximaux des membres. Les différentes régions du corps ne sont pas contiguës : la face se trouve près du pouce par exemple. Chaque région du corps est représentée par une zone précise du cortex somatosensoriel : on parle d’organisation somatotopique du cortex. Ces représentations ont une surface proportionnelle à la densité des récepteurs. Elles ne sont donc pas proportionnelles aux surfaces du corps correspondantes. La représentation des aires de projection corticales prend en compte les différences de sensibilité entre les différentes parties du corps. Ainsi, un homoncule est une figure représentant l'homme en se basant sur l'importance des zones de projection dans le cortex somatosensoriel. Une telle représentation est déformée par rapport aux surfaces corporelles réelles. Par exemple, la bouche, qui est très sensible, occupe une surface beaucoup plus importante qu'en réalité. Le document montre que la sensibilité tactile est importante au niveau de la face : nez, joue, lèvre supérieure et au niveau des différents doigts de la main. La surface de proportionnelle l’homoncule à la est densité directement des récepteurs sensoriels présents à la surface du corps. La superficie d’une aire de projection corticale dépend de la quantité de récepteurs présents dans le territoire cutanée correspondant. La superficie des aires corticales est ainsi disproportionnée par rapport à la superficie réelle des territoires corporels (homoncule). Les cartes topographiques diffèrent selon les espèces Les représentations du corps au niveau du cortex sont donc propres à l'espèce. Cela montre que la construction du cortex somatosensoriel est sous la dépendance du génome. 3) L’organisation des réseaux neuroniques dans le cortex cérébral 1- la couche moléculaire (en surface). Elle contient des axones et des dendrites. Les neurones des couches internes y envoient des dendrites courtes et orientés perpendiculairement à la surface du cortex et des axones longs orientés parallèlement à cette surface. On y trouve aussi quelques neurones de CajalRetzius et des neurones étoilés. 2- la couche granulaire externe contient des neurones granulaires. Elle reçoit les afférences d'autres aires du cortex. On parle en ce qui la concerne de connexions cortico-corticales afférentes. 3- la couche pyramidale externe. Constituée de cellules pyramidales, elle émet des connexions vers d'autres zones du cortex cérébral. Il s'agit ici de connexions cortico-corticales efférentes. 4- la couche granulaire interne. Elle contient des neurones étoilés et pyramidaux. C'est par cette couche que les informations en provenance de l'extérieur du cortex (par exemple du thalamus) entrent dans le cortex. Elle reçoit aussi les afférences en provenance de l'autre hémisphère cérébral. 5- la couche pyramidale interne : couche envoyant des connexions efférentes mais qui sortent du cortex. Par exemple, les neurones qui innervent les motoneurones. 6- la couche polymorphe (la plus interne). Elle envoie des prolongements axonaux en direction du thalamus permettant une rétroaction sur les entrées du cortex cérébral. Le cortex est constitué de six couches de neurones parallèles à la surface du cortex. Sur le plan fonctionnel, des colonnes constituent les unités d'organisation du cortex : une colonne est constituée de neurones superposés et interconnectés qui répondent à un même type de stimulus appliqué sur le même champ récepteur. Donc chaque colonne de neurones ne répond qu’à des stimulations appliquées sur une région précise du corps. Cette organisation permet d’amplifier les connexions entre les neurones. A une colonne donnée correspond une région du corps donnée et un stimulus particulier : par exemple la colonne 1 correspond au pouce de la main droite et est sensible à la pression, la colonne 2 correspond à l’index de la main droite et est sensible à la pression... Les fibres sensorielles aboutissent toutes à la couche IV. Les autres couches assurent les connexions avec les autres régions du cerveau et donc le transfert de l’information. C) La plasticité du cortex somatosensoriel = la neuroplasticité Le terme neuroplasticité désigne les facultés de réorganisation que l'on a mis en évidence dans le système nerveux. Elles sont dues à l'existence de cellules restées indifférenciées qui peuvent remplacer des neurones détruits accidentellement ou à la suite de dégradation métabolique ou infectieuse. 1) Situations illustrant la plasticité Privation sensorielle et remodelage du cortex Les Rongeurs explorent leur environnement à l'aide de leurs vibrisses (longs poils disposés de part et d'autre du museau) qui sont des organes du toucher. Les neurones sensoriels associés à ces vibrisses se projettent sur des aires spécialisées du cortex sensoriel. Sur une coupe du cortex, les corps cellulaires de ces neurones corticaux sont assemblés en paquets appelés tonneaux (ou barillets) que l'on peut visualiser par marquage. Des études ont été faites pour connaître les effets d'une privation sensorielle chez des souriceaux : certaines vibrisses ont été raccourcies de façon à ce qu'elles n'effleurent plus rien. On observe alors la disparition des tonneaux correspondants et une réorganisation des tonneaux des vibrisses avoisinantes, qui vont occuper les espaces laissés vacants dans le cortex. Une privation sensorielle peut donc affecter l'organisation du cortex somatosensoriel, ce qui démontre à la fois la plasticité du système nerveux et l'influence de l’environnement. ‐ Rat témoin : Son cortex cérébral a une organisation neuronale normale (5 rangs de projections cérébrales des vibrisses en forme de tonneaux). ‐ Deuxième rat : A sa naissance, il a subi la suppression d’un rang de vibrisses. On observe dans le cerveau de ce rat une réorganisation de ses amas de neurones en forme de tonneaux. Bilan de l’expérience La cartographie des tonneaux dans le cortex est déterminée par le positionnement anatomique des vibrisses correspondantes, et l’on peut facilement établir le lien entre l’ablation d’une vibrisse à la naissance et la disparition du tonneau correspondant. Cette modification du cortex somatosensoriel s’accompagne d’une réorganisation des tonneaux des vibrisses avoisinantes. Ceux‐ci vont occuper l’espace laissé vacant, proportionnellement à leur utilisation, par compensation du déficit résultant de la non utilisation de la vibrisse disparue. Cette expérience prouve la capacité du cerveau du rat à se réorganiser en utilisant les aires neuronales «libérées » (par suite de l’ablation de vibrisses) pour modifier les connexions neuronales. Répétition d'un comportement et remodelage du cortex Lorsqu’un singe hibou adulte est entraîné à exécuter une tâche dans laquelle il doit se servir d’un doigt en particulier, on observe que l'aire de projection de ce doigt sur le cortex s’étend aux dépens de celle des autres doigts. Un constat du même type peut être effectué chez les violonistes : il y a exagération de la représentation corticale des doigts de la main à l'exception du pouce. En effet, les personnes droitières qui jouent d’un instrument à cordes tel que le violon utilisent et stimulent les doigts de la main gauche plus fréquemment que les non musiciens (notamment l’annulaire et l’auriculaire). Il est possible de déterminer le nombre de dendrites actives au niveau du cortex lors de l’activation de l’auriculaire gauche chez différents musiciens ayant appris plus ou moins tôt a` jouer du violon. Ces valeurs sont comparées à celles obtenues chez des sujets non musiciens. Bilan de l’expérience On constate qu’après une utilisation préférentielle d’un doigt, la représentation corticale de la zone du doigt stimulé augmente de surface, ainsi que l’activité des neurones des zones concernées, mettent en évidence la plasticité cérébrale. La répétition d'un comportement peut donc affecter l’organisation du cortex somatosensoriel, ce qui démontre à la fois la plasticité du système nerveux et l'influence de l'environnement. 2) La plasticité cérébrale chez le jeune Vers le milieu des années 1930, Konrad Lorenz travaille sur les oies. Il montre que les oisillons suivent le premier objet mobile de grande taille qu’ils voient et qu’ils entendent les deux premiers jours après leur éclosion. Après cette imprégnation, les oiseaux restent attachés à l’objet à l’âge adulte. En revanche, si ces jeunes ne reçoivent aucun stimulus durant cette période, ils ne développent jamais de relation maternelle appropriée. Ce phénomène, appelé phénomène de l’empreinte, est connu chez de nombreuses espèces. Ainsi, exclusivement pendant la première semaine, les rats nouveau‐nés forment une préférence à vie à leur mère en lui associant l’odeur des mamelles. En généralisant, on peut supposer que le destin des circuits de neurones d’un individu dépend de l’expérience qu’il a eue pendant sa petite enfance. Au début de la vie d’un mammifère, l’organisation des structures de son système nerveux se met en place. Durant cette période, toute perturbation du développement normal peut aboutir à des modifications importantes des réseaux neuronaux. Cette période est nommée période critique, car le système nerveux est encore capable d’évolution, ce qu’il ne pourra pas réaliser plus tard. Des modifications de la croissance des axones s’observent après les premières semaines du développement du cerveau : peu à peu, les neurones perdent leur capacité de progression dans les tissus nerveux. 3) La plasticité cérébrale chez l’adulte L’amputation d’un membre entraîne une réaffectation de l’aire de projection de l’organe supprimé au profit d’autres aires de projection adjacentes correspondant à d’autres organes. Ainsi, l’amputation du doigt 3 chez un singe entraîne une diminution de l’aire de projection affectée au doigt 3 et une réaffectation de ces neurones qui désormais contribuent à la sensibilité́ tactile des doigts adjacents 2 et 4 et augmentent donc la surface des aires somatosensorielles des doigts 2 et 4. 4) Le support de la plasticité du cortex La modification d'organisation du cortex est liée en grande partie à un remodelage des connexions synaptiques. La disparition d'une aire de projection suggère que les neurones concernés vont être mobilisés dans l’intégration d’informations provenant d’autres champs récepteurs. L’extension d’une aire de projection au niveau du cortex implique l’augmentation du nombre de connexions synaptiques entre les fibres afférentes reliés aux récepteurs périphériques concernés et les neurones du cortex. Du fait de cette neuroplasticité, chaque individu, même des vrais jumeaux dont le génotype est identique, est un être cérébralement unique, parce qu'en constante reconstruction. Le remodelage du cortex suite à des modifications de l’activité neuronale en périphérie (au niveau des récepteurs sensoriels) prouve le rôle de l'environnement, et en particulier de l'apprentissage (expérience individuelle) dans le développement du système nerveux de l'individu. 5) Capacités de récupération À la suite d'un AVC (survient à la suite de l’obstruction ou de la rupture d’un vaisseau sanguin et provoque la mort des cellules nerveuses, qui sont privées d’oxygène et des éléments nutritifs essentiels à leurs fonctions), il subsiste en général dans le cerveau une zone nécrosée, c'est-à-dire irrémédiablement détruite. Cependant, on constate le plus souvent une récupération du déficit moteur. Cette faculté de récupération est bien entendu limitée par l'importance de la lésion mais elle dépend aussi de la mise en œuvre d'une rééducation. Cette récupération progresse sur une durée de quelques semaines ou quelques mois. Mais elle ne correspond pas à une «remise en service» de la zone lésée. La plasticité cérébrale permet une récupération parfois étonnante : ainsi, plusieurs années après une amputation, le cerveau d'un patient peut se réapproprier le contrôle d'une main greffée ! La plasticité dont fait preuve le cerveau est porteuse d'espoirs. En effet, on a longtemps cru que les neurones ne pouvaient pas se renouveler. Or, des études récentes montrent que certaines zones du cerveau sont pourtant capables de produire de nouveaux neurones, y compris chez l'adulte, et que ces nouveaux neurones peuvent s'intégrer à un réseau existant. Ceci permet d'envisager, à terme, des possibilités de traitement des maladies dites neurodégénératives, c'est-à-dire liées à une destruction de certains neurones. II) Le contrôle des mouvements volontaires Le réflexe myotatique est un exemple de commande involontaire des muscles. Mais, bien entendu, les muscles peuvent aussi être commandés par la volonté : dans ce cas, il y a intervention des structures cérébrales. Des accidents ou des anomalies affectant le système nerveux central peuvent d'ailleurs se traduire par des dysfonctionnements musculaires. Cependant, suite à une lésion, le système nerveux fait preuve de facultés de récupération parfois étonnantes. A) De la volonté aux mouvements Le mouvement volontaire est un acte moteur conscient. Dans un mouvement volontaire, on peut faire la distinction entre les mécanismes qui concernent l’exécution du mouvement et ceux concernant le contrôle de l’exécution (ajustements posturaux, rattrapage, adéquation du mouvement au but poursuivi). La commande motrice s’élabore au niveau du cortex moteur. Il apparaît que des territoires du cortex cérébral sont systématiquement associés à l'exécution d'un mouvement volontaire : ce sont les aires motrices primaires et les aires prémotrices. D'autres territoires du cerveau situés plus en profondeur, dont la dégénérescence est à l'origine des symptômes de la maladie de Parkinson, sont également impliqués dans la commande des mouvements volontaires. B) Les aires motrices La stimulation électrique de petites zones du cortex chez le singe ou chez l’homme a permis de délimiter les aires motrices : aires corticales dont la stimulation provoque une contraction musculaire, (la contraction se produit du côté opposé à la stimulation). Les aires motrices primaires (situées dans chaque hémisphère cérébral) commandent directement les mouvements. Des explorations précises ont permis de dresser une cartographie de l'aire motrice primaire : chaque partie du corps humain est associée à un territoire défini du cortex cérébral qui assure sa commande motrice. Il est intéressant de constater que les parties du corps douées d'une mobilité importante (mains, bouche, etc.) « occupent » une surface relativement importante de l'aire motrice. Les aires prémotrices, quant à elles, jouent un rôle dans la planification de l'exécution d'un mouvement. C) Effets des lésions Un accident vasculaire cérébral est un trouble de la circulation sanguine irriguant un territoire du cerveau. Le terme d'« accident» est utilisé pour souligner le caractère soudain de l'apparition des symptômes : il peut, en effet, arriver qu'un caillot obstrue subitement une artère cérébrale ou bien que la paroi d'un vaisseau sanguin se rompe, provoquant alors une hémorragie cérébrale. La partie normalement irriguée par ce vaisseau cesse alors de fonctionner. On comprend aisément que si une partie d'une aire motrice est atteinte, la conséquence en soit une paralysie : on parle d'hémiplégie lorsque la paralysie touche une partie du corps située d'un seul côté du corps. Des lésions accidentelles de la moelle épinière, dues cette fois-ci à un choc violent (accidents de la circulation, chute, etc.) peuvent aussi entraîner des paralysies: le territoire concerné dépend notamment du niveau de la moelle concerné par la lésion. On parle de paraplégie lorsque la paralysie concerne les membres inférieurs et la partie basse du tronc. Enfin, une compression des racines des nerfs rachidiens (due, par exemple, à une hernie discale) peut aussi se traduire par des troubles moteurs. D) Le rôle intégrateur des neurones Lors d’étude expérimentale du réflexe myotatique nous avons montré que l'amplitude de la réponse musculaire varie en fonction des conditions dans lesquelles le sujet est placé. Si un sujet contracte volontairement le muscle fléchisseur au moment où un réflexe myotatique est déclenché sur l'extenseur, la réponse de ce dernier est amoindrie. Au contraire, tout ce qui peut «distraire» le sujet a tendance à augmenter l'amplitude de la réponse réflexe. Si on exerce une traction des avant-bras, les réflexes rotuliens ou achilléens sont en général de plus forte amplitude. Ceci montre bien que, si la contraction du muscle répond au stimulus (le choc porté sur le tendon), elle tient aussi compte d'autres informations reçues simultanément : c'est ce qu'on appelle une intégration. Toutes les synapses ont un principe de fonctionnement identique, mais, selon le neurotransmetteur qu'elles libèrent les synapses peuvent avoir des effets opposés sur le neurone post-synaptique : - certaines synapses sont dites excitatrices, car le NT libéré a tendance à faire naître un nouveau message dans le neurone post-synaptique: - d’autres en revanche, sont qualifiées d'inhibitrices, car leur neurotransmetteur empêche l’émission de potentiels d'action par le neurone postsynaptique. Dans un centre nerveux, un neurone peut recevoir des informations provenant de nombreux autres neurones par les milliers de terminaisons axoniques qui sont en contact synaptique avec ses dendrites ou son corps cellulaire. C'est le cas des motoneurones de la moelle épinière. Le motoneurone est soumis à l'influence de multiples synapses, certaines étant excitatrices, d'autres inhibitrices. Le corps cellulaire du motoneurone doit intégrer ces informations qui se renforcent ou s'opposent. Cette sommation prend en compte les informations arrivant successivement d'un neurone présynaptique donné si les messages sont suffisamment rapprochés: on parle de sommation temporelle. L'intégration prend également en compte les messages arrivant au même moment de différents neurones pré-synaptiques: on parle dans ce cas de sommation spatiale. Si le résultat de cette sommation est une excitation suffisante, des potentiels d'action sont émis au niveau de son axone. Sinon, le neurone reste au repos. Ainsi, grâce à ses propriétés intégratrices, le motoneurone émet un message nerveux moteur unique tenant compte de multiples informations de diverses provenances. La fibre musculaire, en revanche, reçoit un message que d'un seul motoneurone : donc contrairement au motoneurone, une fibre musculaire n’a aucune capacité d'intégration. Conclusion La plasticité permet donc de comprendre que l'organisation du cortex n'est pas figée lors du développement de l'individu mais peut également se modifier à l’âge adulte. Le rôle de cette plasticité est fondamental dans la récupération après des lésions corticales et permet souvent d'envisager la récupération de capacités nerveuses perdues après un accident. D'une manière générale, la plasticité du cortex existe tout au long de la vie de l'individu, mais les capacités de remaniement se réduisent avec l'âge. On a évalué le nombre de neurones corticaux d'individus d'âges différents et on a ainsi pu montrer que le nombre de cellules nerveuses diminue d'environ 10 % au cours de la vie. Les performances intellectuelles diminuent avec l'âge. Par contre, on constate que le vieillissement cérébral est moins important pour les individus qui pratiquent une activité physique régulière. On constate également que les performances intellectuelles sont plus importantes pour des individus ayant une activité intellectuelle régulière et importante. Le vieillissement cérébral qui a lieu au cours de la vie peut donc être réduit grâce au comportement des individus. Le capital nerveux peut ainsi être préservé. Même si les performances intellectuelles diminuent chez tous les individus en fonction de l'âge, on a montré que cette diminution est moins importante pour les individus qui consomment des flavonoïdes. De nombreuses études réalisées sur un grand nombre d'individus ont permis de montrer l'importance de l'alimentation dans le maintien du capital nerveux.