
P. Labbé / ARML Midi-Pyrénées / 18-01-2013 / V2 / 2
Eloge de la débrouille. De MacGyver…
Le débrouillard est sympathique. On l’imagine certes un peu désordonné, chiffonné, mais
jamais en reste pour s’extirper de situations difficiles, un malin entre Gavroche et Poulbot. Le
Dictionnaire de l’Académie française
le définit comme « habile à se tirer d’affaire » et l’illustre
par : « Ce garçon est débrouillard, il réussira dans la vie »… ce qui ne manque pas de piment
alors que notre interrogation originelle part de jeunes qui, précisément, éprouvent des
difficultés à s’insérer. Le paradoxe se renforce dès lors que l’on s’intéresse au verbe :
« débrouiller », c’est « mettre de l’ordre dans ce qui est confus », « rendre intelligible » et,
lorsque le verbe est mobilisé transitivement – « débrouiller quelqu’un » -, cela signifie
« apprendre à se tirer d’affaire ». A la racine de débrouiller ou débrouillard, il y a brouille et
brouillard : la fâcherie et l’imprécision, mais le préfixe « dé » formant le contraire évoque
l’apaisement et la compréhension. Notons cependant, comme l’exprime la citation « ce
garçon… », que la débrouillardise serait une qualité dès lors qu’elle concerne la jeunesse
: on
parlera rarement d’un adulte débrouillard mais plus facilement d’un « retors » ou d’un
« magouilleur ».
Le débrouillard est un personnage habile et sa débrouillardise n’est pas sans rappeler la
Mètis des Grecs anciens, sorte de bon sens combinant la ruse et l’intelligence du raisonnement à
partir de l’autre de telle façon à imaginer ce qu’il ne voit pas et, ainsi, de le devancer.
Et condamnation de la débrouille. Aux frères Rapetou.
Le même dictionnaire ouvre une voie bien différente et même opposée avec le mot
« débrouille » défini comme « art de se tirer d’affaire par tous les moyens » et l’illustrant ainsi :
« Vivre dans la débrouille, vivre d’expédients ». « Tous les moyens », c’est-à-dire licites et, plus
probablement, illicites ; quant à l’expression « vivre d’expédients », elle signifie avec ce pluriel «
moyens indélicats ou illicites de se procurer de l’argent »
.
En fait, la débrouille devient déviance dès lors qu’elle… a) n’est plus puérile ou
adolescente ; b) n’est plus individuelle, car reprocherait-on à quelqu’un de s’en sortir, de
« sauver sa peau » ; c) constitue un système permanent, stable : se débrouiller est acceptable,
sinon remarquable, dans une situation donnée, temporellement définie (avec, donc, une fin)
mais devient inacceptable en tant que mode de vie opposable au mode de vie « normal ».
Il semble difficile, à présent, d’éviter ce qu’en dit Howard S. BECKER dans son ouvrage
fameux Outsiders
…
Outsiders et « entrepreneurs de morale ». La construction de la déviance.
Nous venons de parler de « normal », donc de normes. Celles-ci, rappelle BECKER dès son
introduction, « peuvent être édictées formellement par la loi » et « dans d’autres cas, elles
représentent des accords informels, établis de fraîche date ou revêtus de l’autorité de l’âge et
de la tradition. » L’applicabilité des premières revient à la Police et à la Justice, celle des
secondes aux parents, collègues, voisins… et « entrepreneurs de morale », pour nous et ici,
moins les croisés vertueux que leurs relais auprès de ceux désignés comme déviants : « Celui qui
participe à ces croisades n’a pas seulement le souci d’amener les autres à se conduire « bien »,
selon son appréciation. Il croit qu’il est bon pour eux de « bien » se conduire. »
Un enseignement majeur de BECKER s’exprime ainsi : « La déviance est une propriété non
du comportement lui-même, mais de l’interaction entre la personne qui commet l’acte et celles
Imprimerie nationale, 9ème édition, tome 1, 1992, Paris.
On pense au film Il était une fois en Amérique (Sergio LEONE, 1984) : l’évolution de quatre jeunes voyous du quartier
juif new-yorkais, Noodles, Cockeye, Patsy et Dominic, d’une bande de gamins délinquants mais attachants (ainsi
Noodles fasciné par la grâce de Deborah) à un gang.
Imprimerie nationale, 9ème édition, tome 2, 2000, Paris.
Howard S. BECKER, Outsiders. Etudes de sociologie de la déviance, 1985, Paris, A.-M. Métailié.