semblants et les doubles registres en cherchant à satisfaire d'une manière
ou d'une autre les normes d'adhésion publique au régime.
Depuis la crise économique consécutive au tarissement de l'aide
soviétique, cette dimension de l'expérience sociale est devenue
prépondérante. D'une part, l'impossibilité de respecter les lois
(restrictions sur l'activité économique privée, insuffisance des salaires,
réglementations drastiques concernant le logement, les transports, etc.)
oblige à un viol systématique de la légalité socialiste, et la marge est
devenue la norme.
D'autre part, les autorités ont dû se résoudre tacitement à accorder
davantage de marge de manoeuvre aux jeux stratégiques des individus, et
le laisser-faire est beaucoup plus important depuis le début des années
1990. De cette manière, la lucha a aussi fini par perpétuer une mobilité
sociale, en permettant tantôt de "joindre les deux bouts", tantôt de "faire
un coup", voire de gravir l'échelle sociale et de trouver une "niche" ou la
possibilité de quitter le territoire.
Mais en étant contraintes au laisser-faire, les autorités ont pu intensifier
la tactique des vagues répressives ciblées, déjà familières aux Cubains
depuis le début des années 1960. Comme tous se savent "marqués" d'une
façon ou d'une autre du fait des innombrables entorses à la légalité qu'ils
ne peuvent s'empêcher de commettre, une véritable concurrence à la
conformité, censée contrebalancer les activités relevant de la lucha, vient
donner consistance à la fiction officielle. On vote, on manifeste, on paie
sa cotisation au comité de défense de la révolution ou au syndicat.
Prise dans la perversité de la débrouille, la population perçoit
confusément les enjeux d'une alternative et s'accroche par défaut au
fantasme de l'ordre, dont le régime se veut le garant. Au-delà du retrait
de Fidel Castro, le fonctionnement social au quotidien ne peut se départir
d'un ensemble de règles et de normes qui donnent à la société
révolutionnaire les signes de son existence. Ce "bouclage du social sur
lui-même", pour reprendre l'expression de Claude Lefort, est assuré par
le Parti communiste, qui chapeaute toutes les autres institutions. Le parti