développement d’une affection démentielle ? Quelles
sont les particularités cliniques et thérapeutiques de la
dépression lorsqu’elle survient chez un sujet présentant
une affection de ce type ?
La dépression est-elle un facteur de risque
de développement d’une affection démentielle ?
Deux types d’arguments ont été avancés pour consi-
dérer que la dépression pourrait être un facteur de
risque du développement d’une pathologie démentielle
chez le sujet âgé. Les données épidémiologiques appa-
raissent les mieux établies, bien qu’elles soient grevées
des biais méthodologiques exposés plus haut [6]. Plu-
sieurs études ont montré qu’une proportion notable de
dépressions survenant chez les sujets âgés évoluait
vers l’installation d’une démence dans les années sui-
vantes. Ces études sont criticables car, dans beaucoup
de cas, l’affection démentielle existait déjà au moment
de la « dépression ». Il faut ici rappeler que les critères
internationaux exigent la présence d’une démence (dé-
ficit cognitif multiple retentissant sur la vie quotidienne)
pour le diagnostic de MA. Or, nous savons aujourd’hui
que l’installation de la démence est précédée par une
phase de plusieurs années et que la symptomatologie
dépressive ou l’apathie sont, avec les troubles de mé-
moire, les manifestations initiales de la maladie. La
plupart des dépressions évoluant vers une MA tradui-
sent, en réalité, le début d’une MA, à la phase pré-
démentielle. La présence de lésions vasculaires asso-
ciées expliquerait que cette évolution soit plus nette
chez les hommes que chez les femmes [7]. Plus trou-
blantes sont les études montrant la fréquence élevée
des dépressions survenues plus de dix ans avant les
troubles cognitifs [8] qui fait évoquer la possibilité d’une
fragilité génétique commune ou l’influence, sur les
deux pathologies, de troubles de la personnalité ou
d’événements de vie défavorables [9].
Par ailleurs, certains auteurs, psychanalystes ou sys-
témiciens, soutiennent l’origine psychologique de la
démence, considérée comme une défense contre la
dépression, individuelle ou familiale. Les arguments
sont ici purement théoriques et ne reposent, au mieux,
que sur l’étude de cas isolés. Si l’hypothèse de l’in-
fluence de facteurs psychosomatiques dans l’apparition
ou l’évolution des pathologies démentielles mérite
d’être prise en compte, il est difficile d’admettre une
pure psychogenèse de ces pathologies et d’abolir la
distinction entre les affections mentales relevant de
perturbations purement fonctionnelles du cerveau,
donc réversibles, et les affections liées à des lésions
cérébrales irréversibles [10].
Les particularités de la dépression chez les sujets
présentant une affection démentielle
Là encore, les données de la littérature sont contra-
dictoires en raison des mêmes problèmes méthodolo-
giques. Nous envisagerons d’abord les données
concernant la MA, de loin l’affection la plus fréquente,
réservant un chapitre séparé à la question des autres
étiologies.
Les particularités sémiologiques
La question qui se pose est de savoir si les critères
diagnostiques de la dépression primaire et les échelles
utilisées pour évaluer la sévérité de la symptomatologie
dépressive sont applicables ou non aux patients ayant
des lésions cérébrales, en particulier dans les affections
démentielles, du fait du recouvrement partiel de la sé-
miologie. Les réponses à cette question varient grande-
ment dans la littérature. Deux sources de confusion
supplémentaire viennent s’ajouter aux biais méthodo-
logiques habituels : la confusion entre dépression et
apathie et l’absence de prise en compte de l’anxiété
dans la grande majorité de la littérature anglo-saxonne.
Les tentatives de définition de critères spécifiques de la
dépression dans la MA ne semblent pas résoudre ces
problèmes [11, 12].
En fonction de notre expérience et des données de la
littérature, nous voulons souligner plusieurs points :
1. Une symptomatologie de type dépressif, comme
d’ailleurs une symptomatologie anxieuse, est fréquente
dans la MA et ce, dès son début, alors que les dépres-
sions caractérisées sont rares. Dans un travail, effectué
en collaboration avec l’unité de recherche du profes-
seur Widlöcher [13], nous n’avons observé aucune dé-
pression majeure et seulement 10 % de trouble dysthy-
mique chez 118 patients atteints de MA. En revanche,
une symptomatologie de type dépressif, comme
d’ailleurs une symptomatologie anxieuse, était très fré-
quente. Les scores aux échelles de dépression et d’an-
xiété, bien que très inférieurs à ceux d’une population
contrôle de sujets présentant une dépression caractéri-
sée, étaient en effet supérieurs à ceux observés chez des
sujets âgés normaux. La présence d’apathie, d’anxiété
et d’incontinence émotionnelle a été observée chez plus
des deux tiers des patients ayant un score au
MMSE > 23 et chez plus de la moitié de ceux dont le
score était > 26 [14].
2. Il existe des particularités sémiologiques dans la
symptomatologie des sujets atteints de MA. La sympto-
matologie dite dépressive est, en réalité, faite de mani-
festations liées à l’apathie et à des perturbations émo-
tionnelles (émoussement affectif, anxiété et
incontinence émotionnelle). Nous avons pu montrer
Démences et dépression
Psychol NeuroPsychiatr Vieillissement 2004 ; vol. 2 (Suppl. 1) : S35-S42 S39
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