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08/04/2008 |
Helvètes
La connaissance des Helvètes protohistoriques, peuple celtique (Celtes), repose sur les textes de l'Antiquité,
sur de rarissimes témoignages épigraphiques et sur les données de l'archéologie. Leur confrontation requiert
la plus grande prudence. Peu nombreux, écrits dans des circonstances et à des périodes différentes, regard
porté de l'extérieur sur les Helvètes, les textes peuvent être l'œuvre de témoins directs, mais résultent
surtout de copies successives. Les résidus linguistiques, en particulier les toponymes, ne sont pas datés et ne
peuvent donc pas, au risque d'anachronismes, être attribués aux Helvètes. Du côté de l'archéologie enfin, il
est souvent hasardeux de vouloir distinguer un Helvète d'un Rauraque ou d'un Séquane sur la base de la
seule "culture matérielle".
1 - Les Helvètes avant la guerre des Gaules
La plus ancienne mention des Helvètes est due au Grec Poseidonios (vers 135-50 av. J.-C., transmise par
Strabon, VII, 2, 2) qui qualifie ces derniers de "riches en or mais paisibles", sans préciser où ces orpailleurs
travaillaient. On les situe traditionnellement dans la région du Napf.
La source principale est César. Le De bello gallico (B.G.) étant autant plaidoyer pro domo qu'œuvre
d'historien, la véracité de quelques affirmations (données chiffrées en particulier) est contestée par certains.
César écrit donc dans la Guerre des Gaules que les Helvètes sont enfermés d'un côté par le Rhin, d'un autre
par le Jura, et du troisième par le Léman et le Rhône (B.G. I, 2). Leur civitas était divisée en quatre pagi dont
celui des Tigurins, que certains historiens considèrent cependant comme un autre peuple; la relation avec les
Séquanes, à l'ouest, est aussi sujette à controverse. César ne s'étant jamais avancé jusqu'en territoire
helvète, la situation qu'il décrit, au printemps 58 av. J.-C., est le résultat des informations qu'il a pu recueillir.
La question, controversée, est de savoir depuis quand ces Helvètes sont installés sur le Plateau suisse. Si l'on
suit l'historien latin Tacite (Germania 28, 2) qui écrit à la fin du Ier s. de notre ère, le territoire des Helvètes se
situait au IIe s. av. J.-C. dans le sud de l'Allemagne, dans la région du Rhin, du Main et sans doute de la Forêt-
Noire. Pour la majorité des chercheurs, c'est à l'occasion de la migration des Cimbres et des Teutons
(113-101 av. J.-C.) que les Helvètes se mettent en mouvement. On sait que les Tigurins avaient suivi les
Germains, et le géographe Ptolémée, au IIe s. de notre ère, mentionne une zone "désertée" par les Helvètes
dans le sud de l'Allemagne. Après l'épisode glorieux de la bataille d' Agen en 107 av. J.-C., les Tigurins
auraient échappé au désastre de Verceil en 101 en se repliant au-delà des Alpes, sur le Plateau suisse.
L'archéologie ne permet pas de conforter cette théorie; mais cette période du IIe s. avant notre ère (fin de La
Tène moyenne - début de La Tène finale) voit de grands changements dans les rituels funéraires et le
développement des oppida.
Un document épigraphique, un graffito sur une coupe à vernis noir de la fin du IVe s. ou du début du IIIe av. J.-
C., fait état d'un "Helvète" en Italie du Nord, première mention "historique", mais hors de son territoire, de ce
peuple celtique, si l'on décide d'ignorer le cas d'Hélico, rapporté par Pline l'Ancien. Helvète installé comme
artisan à Rome, Hélico aurait, de retour au pays avec de l'huile et du vin, contribué au déclenchement des
migrations celtiques du début du IVe s. av. J.-C. L'épisode reste du domaine de la fable.
2 - Du début de la guerre des Gaules à la défaite de Bibracte (58 av. J.-C.)
Après deux à trois ans de préparatifs, persuadés par Orgétorix d'émigrer vers la Saintonge, "263 000
Helvètes, 36 000 Tulinges, 14 000 Latobices, 23 000 Rauraques, 32 000 Boïens" (B.G. I, 29), soit 368 000
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âmes (données discutables et discutées), se mettent en marche en mars 58 av. J.-C. Pratiquant la politique de
la terre brûlée pour s'ôter tout espoir de retour, dit César, ils auraient ainsi mis le feu à leurs villes, une
douzaine, à leurs villages, environ quatre cents, et aux maisons isolées (B.G. I,5). César ne nomme aucun de
ces oppida et peu d'entre eux ont fait l'objet de fouilles au-delà de sondages, en particulier dans leurs
fortifications. L'oppidum principal semble être celui de Berne-Enge. Le Jensberg, plus à l'est, le Üetliberg près
de Zurich, et Altenburg sur le Rhin (dans le Bade-Wurtemberg) peuvent certainement entrer dans cette
catégorie, tout comme le Mont Vully et Yverdon-les-Bains. Les villages (vici) ou les fermes (privata aedificia)
sont encore très mal connus.
A fin mars 58, les émigrants se rassemblent dans les environs de Genève, oppidum à l'extrêmité nord de la
province romaine de la Gaule narbonnaise. César s'y précipite, coupe le pont sur le Rhône et leur interdit de
passer par la Narbonnaise. Les Helvètes, contraints de traverser le territoire des Séquanes par le Jura,
gagnent la Saône où les Tigurins sont massacrés par les légions romaines. Le vieux Divico, qui a participé à la
bataille d'Agen, est envoyé en ambassadeur auprès de César. Les pourparlers échouent, César voulant forcer
les Helvètes à s'établir à l'endroit de son choix. L'épopée, marquée par de nombreuses péripéties, se termine
dans le sang, à la bataille de Bibracte. César renvoie les Helvètes dans leur ancien territoire pour empêcher,
dit-il, l'installation de Germains d'outre-Rhin sur le Plateau suisse, ce qui aurait constitué une menace pour
Rome et sa province.
Les conséquences du désastre de Bibracte ont dû se faire sentir durant des générations. D'après César, les
émigrants qui retournèrent chez eux n'étaient que 110 000. C'est très probablement à cette occasion que les
Helvètes furent mis au bénéfice d'un traité (foedus), rompu en principe par l'envoi d'un contingent de 8000
hommes en 52 av. J.-C. pour prêter main-forte à Vercingétorix et l'armée gauloise devant Alésia.
3 - Le retour (été 58 av. J.-C.)
Les raisons précises de la migration des Helvètes restent obscures: incursions répétées de Germains selon
César, motifs d'ordre économique ou politique qui nous échappent. De retour sur le Plateau suisse, les
Helvètes reconstruisent: Berne et Yverdon sont à nouveau occupés; un petit oppidum est installé à Sermuz,
tout près d'Yverdon. Sont également habités le bois de Châtel près d'Avenches, le Jensberg et Altenburg, avec
une nouvelle occupation sur l'autre rive du Rhin, à Rheinau et Zurich, au pied du Lindenhof. Windisch voit
l'installation d'un petit oppidum, comme sans doute la colline de la Cité à Lausanne.
On trouve la mention d'Elveti sur une inscription (10/9 av. J.-C.) du Magdalensberg (Carinthie), et celle du
pagus Tigurinus à l'époque impériale dans la région d'Avenches. Divico, Orgétorix, Namméios et Vérucloétios
les deux interlocuteurs de César à Genève, Vatico qui figure sur deux monnaies de la région d'Avenches et du
bois de Châtel et Ninno, à Sermuz notamment, sont les seuls Helvètes sortis de l'anonymat. César avait
pourtant trouvé dans le camp des vaincus des tablettes identifiant les émigrants, écrites en caractères grecs.
4 - Les Helvètes: facteur d'identité "nationale"?
Pourquoi avoir utilisé le nom des Helvètes dans Corps helvétique, République helvétique, Confoederatio
helvetica ou helvétisme? Dès la fin du Moyen Age mais en particulier au XIXe s., le besoin de se trouver des
ancêtres fondateurs, rassembleurs, emblématiques et si possible héroïques, s'est fait sentir. On rappelle du
reste plus la victoire d'Agen (tableau de Charles Gleyre, 1858), que la défaite de Bibracte. Les Confédérés se
reconnaissaient dans les Helvètes, fiers et courageux, redécouverts à la Renaissance par Aegidius Tschudi. Ils
inventent au XVIIe s. Helvetia. Dans le volume de Karl Jauslin, Die Schweizergeschichte in Bildern (1885-1887),
Divico est entouré par Guillaume Tell et Arnold Winkelried. Les Helvètes forment aussi un tableau très
populaire dans les cortèges et évocations historiques si prisés dans la seconde moitié du XIXe s.
Il est curieux que le thème de l'émigration de 58 av. J.-C. soit l'un des mythes fondateurs de la Suisse, alors
que le fait de vouloir conduire son peuple à l'étranger n'est pas particulièrement un geste patriotique. Il n'en
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reste pas moins que le nom de la nation celtique des Helvètes, sans doute grâce à César et à l'épopée de
58 av. J.-C., sera utilisé comme synonyme de "suisse", usurpant la mémoire des autres peuples qui habitaient
sur le territoire de la Suisse actuelle, Allobroges à Genève, Rauraques à Bâle, Nantuates, Véragres, Sédunes
et Ubères de la vallée du Rhône, Lépontiens du Tessin, Rhètes des Grisons, ainsi que d'autres dont on ne sait
quasi rien, oubliés ou disparus.
Références bibliographiques
Bibliographie
– A. Furger, Die Helvetier, 1984 (51995)
– «Les Helvètes et leurs voisins en tant que figure d'identification», in ArS, 14, 1991
L'or des Helvètes, cat. expo. Zurich, 1991
– M. Tarpin, «Les Tigurins étaient-ils des Helvètes?», in D'Orgétorix à Tibère, 1997, 11-20
– G. Walser, Bellum Helveticum, 1998
SPM, 4
– D. Vitali, G. Kaenel, «Un Helvète chez les Etrusques vers 300 av. J.-C.», in ArS, 23, 2000, 115-122
– G. Kaenel, «Les Helvètes, un maigre bilan [...]», in Les processus d'urbanisation à l'âge du Fer, 2000,
119-125
– F. Müller, G. Lüscher, Die Kelten in der Schweiz, 2004
– G. Kaenel et al., éd., Sites, structures d'habitat et trouvailles du 1er s. av. J.-C. entre le Haut-Danube et la
moyenne vallée du Rhône, 2005
Auteur(e): Gilbert Kaenel
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