HISTOIRE DE JULES CÉSAR
LIVRE TROISIÈME — GUERRE DES GAULES D’APRÈS LES COMMENTAIRES
CHAPITRE TROISIÈME — CAMPAGNE CONTRE LES HELVÈTES.
AN DE ROME 696 - Livre I des Commentaires
Ces opérations durèrent deux mois [23] ; le même temps avait été nécessaire aux Helvètes pour négocier les
conditions de leur passage chez les Séquanes, se transporter du Rhône à la Saône et commencer à traverser cette
rivière. Ils avaient franchi le Pas-de-l’Écluse, longé la rive droite du Rhône jusqu’à Culoz, tourné ensuite à l’est par
Virieu-le-Grand, Terray et Saint-Rambert, et, traversant, à partir de là, les plaines d’Ambérieux, la rivière de l’Ain et
le vaste plateau des Dombes, ils étaient parvenus à la Saône, dont ils occupaient la rive gauche, depuis Trévoux
jusqu’à Villefranche. La lenteur de leur marche ne doit pas surprendre, si l’on considère qu’une agglomération de trois
cent soixante-huit mille individus, hommes, femmes et enfants, traînant après eux huit à neuf mille chariots, par un
défilé où les voitures ne pouvaient passer qu’une à une, dut employer plusieurs semaines à le franchit [24]. César
calcula sans doute à l’avance, assez exactement, le temps qu’ils mettraient à gagner les bords de la Saône, et on peut
dès lors supposer qu’au moment oit il se rendit en Italie, il espéra en ramener son armée assez vite pour les prévenir au
passage de cette rivière.
Il établit son camp près du confluent du Rhône et de la Saône, sur les hauteurs de Sathonay ; de là il pouvait également
manœuvrer sur les deux rives de la Saône, tomber sur le flanc des Helvètes en marche vers cette rivière, ou les
empêcher, s’ils la traversaient, de se rendre par la vallée du Rhône dans la Province romaine. C’est probablement sur
ce point que Labienus le rejoignit avec les troupes qui lui avaient été laissées, ce qui portait à six le nombre de ses
légions. Sa cavalerie, composée en grande partie d’Éduens et d’hommes levés dans la Province romaine, s’élevait à
21.000 hommes [25]. Pendant ce temps, les Helvètes ravageaient les terres des Ambarres, celles des Éduens et celles
que les Allobroges possédaient sur la rive droite du Rhône. Ces peuples implorèrent le secours de César. Il était tout
disposé à accueillir leurs prières [26].
— V — Défaite des Helvètes sur la Saône
La Saône, qui traversait le pays des Éduens et celui des Séquanes [27], coulait, alors comme aujourd’hui, en de
certains endroits, avec une extrême lenteur. César rapporte qu’on ne pouvait distinguer le sens du courant. Les
Helvètes, incapables de faire un pont, passèrent la rivière, entre Trévoux et Villefranche, sur des radeaux et des
barques jointes entre elles. Dès que le général romain se fut assuré par ses éclaireurs que les trois quarts des barbares
se trouvaient au delà de la rivière, et que les autres étaient encore en deçà, il partit de son camp vers minuit (de tertia
vigilia) avec trois légions, atteignit au nord de Trévoux, dans la vallée du Formans, vers six heures du matin, après une
marche de 18 kilomètres, les Helvètes restés sur la rive gauche, les surprit au milieu des embarras dit passage, et en
tua un grand nombre. Ceux qui purent échapper se cachèrent dans les forêts voisines. Ce désastre tomba sur les
Tigurins (habitants des cantons de Vaud, Fribourg et d’une partie du canton de Berne), l’une des quatre peuplades
dont se composait la nation des Helvètes, celle qui, dans une expédition hors de l’Helvétie, avait jadis fait périr le
consul L. Cassius et passer son armée sous le joug [28].
Après ce combat, César, afin de poursuivre l’antre partie de l’armée ennemie et l’empêcher de se diriger vers le sud,
jeta un pont sur la Saône, et transporta ses troupes sur la rive droite. Les barques affectées an service des vivres durent
nécessairement faciliter cette opération. Il est probable qu’un détachement établi dans les défilés de la rive droite de la
Saône, à l’endroit où est Lyon aujourd’hui, interceptait la route qui aurait pu conduire les Helvètes vers la Province
romaine. Quant aux trois légions restées an camp de Sathonay, elles rejoignirent bientôt César. Frappés de son
approche soudaine et de sa promptitude à effectuer en un seul jour nu passage qui leur avait coûté vingt jours de
peines, les Helvètes lui envoyèrent une députation, dont le chef, le vieux Divicon, avait commandé clans les guerres
contre Cassius. Dans un langage plein de jactance et de menaces, Divicon rappela à César l’humiliation infligée
autrefois aux armes romaines. Le proconsul répondit que le souvenir des anciens affronts n’était pas sorti de sa
mémoire, mais que les injures récentes suffisaient pour motiver sa conduite. Cependant il offrit la paix, à condition
que des otages lui seraient donnés.