J’aurais voulu un matin à mon lever découvrir que
la Shoah n’a pas eu lieu. Que c’était juste une idée. Un cauchemar passager.
J’aurais voulu ne me souvenir de rien. Ne pas raconter, ne
pas transmettre, ne plus recueillir de témoignages, ne
plus élever de mémoriaux, ne plus expliquer sans
répit le troupeau et l’abattoir, la souffrance
et l’héroïsme.
J’aurais voulu qu’on annule les Journées du Souvenir, avec
leurs pleurs balbutiés, leur stupeur accablée et
alentour une grande pitié. Avec leur catharsis
stérile.
J’aurais voulu une vie purifiée de toute Shoah,
Shoahrein. Sans train, sans camp, sans
marche de la mort, sans four crématoire, sans cette
terreur récurrente, épuisante.
Je me serais passé des honneurs
aux rescapés, des regards de pitié apeurée aux numéros tatoués sur l’avant-bras.
J’aurais voulu vivre sans explication, sans film,
sans pièce de théâtre, sans culture de la Shoah, en tout cas
sans sarcasme sur le fonds de commerce de l’Holocauste et les festivals Shoah.
J’aurais voulu ne pas avoir à défendre la spécificité
de la Shoah, son exclusivité juive, sa
nature unique au monde dans l’Histoire.
J’aurais voulu me débarrasser des images de là-bas
évoquées aux heures de danger mortel pour nous ou pour d’autres
nations. J’aurais voulu rompre le fil
des associations lors de nos propres machinations.
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Oublier | Arieh Palgi