Jean-Louis MANDEL CHAIRE DE GÉNÉTIQUE HUMAINE Synthèse de la leçon inaugurale La création d’une troisième chaire de génétique au Collège de France correspond à l’importance de cette discipline en biologie, tant au plan conceptuel que du point de vue des méthodes et de la masse d’informations qu’elle met au service de la compréhension du développement et de la physiologie des organismes vivants, mais aussi de l’évolution des espèces ou de l’écologie. La génétique humaine est en fait présente depuis plus de trente ans, sous des formes diverses, au Collège de France. Elle répond à des préoccupations très anciennes concernant la transmission familiale de caractères physiques ou même moraux. Son domaine est en fait d’analyser la contribution du patrimoine génétique aux trois questions fondamentales qui sont le titre d’un des derniers tableaux de Gauguin : D’où venons nous ? Que sommes nous ? Où allons nous ? Questions que l’on peut aborder pour l’espèce homo sapiens et ses populations (génétique de l’évolution et des populations) ou au plan individuel : quels variants génétiques m’ont transmis mes parents, et par delà, mes ancêtres plus éloignés, et quels sont les conséquences, notamment pour ma santé présente et future. L’histoire de la génétique humaine sera évoquée. On trouve des allusions à l’hémophilie dans des textes du Talmud, et des descriptions précises de certaines maladies au 19ème siècle, mais les débuts d’une approche plus interprétative et mécanistique sont très lents, en dépit du travail fondateur de Garrod (1902, 1909). Il faut attendre les années 1950 à 1960 pour voir se développer la génétique biochimique, puis la cytogénétique, avec leur cortège d’applications diagnostiques, permettant des actions au niveau individuel (conseil génétique, diagnostic prénatal) ou de la population (dépistage néonatal systématique pour la phénylcétonurie, dépistage des couples à risque pour les thalassémies ou la maladie de Tay-Sachs dans certaines populations). Mais ce n’est qu’à partir de 1980 que les technologies d’analyse directe des gènes permettent d’aborder de manière très systématique, l’ensemble des maladies héréditaires. Une chaire de génétique humaine se justifie aujourd’hui par l’extraordinaire explosion de connaissances dans ce domaine au cours des 20 dernières années, conduisant au séquençage du génome humain et à l’identification de plus de 1500 gènes dont les mutations sont responsables de maladies héréditaires, permettant ainsi d’aborder l’étude des mécanismes conduisant de la lésion initiale (mutation) à l’expression clinique. De nombreux résultats inattendus ont été obtenus, concernant les mécanismes mutationnels ou la correspondance étonnamment complexe entre mutation d’un gène et expression clinique (le phénotype). Nous évoquerons les mutations instables par expansion de répétitions de triplets, qui ont permis d’expliquer le phénomène d’anticipation dont la réalité biologique fut longtemps niée par les généticiens. Ces mutations sont responsables de maladies génétiques importantes, telles que le syndrome de retard mental avec X fragile ou la maladie de Huntington. La présence dans le génome de répétitions de grands segments d’ADN est responsable de syndromes dits microdélétionnels. 1 Le phénomène d’empreinte génétique, un marquage différentiel de certaines régions chromosomiques selon qu’elles proviennent du père ou de la mère, fait qu’une mutation affectant ces régions peut avoir des conséquences dramatiquement différentes en fonction de l’origine parentale. Enfin, de manière très surprenante, on a trouvé que pour certains gènes, les manifestations cliniques pouvaient être extrêmement différentes selon la nature de la mutation présente dans ce gène. A l’opposé, des pathologies qui apparaissaient très spécifiques par leur combinaison unique de symptômes, présentent une hétérogénéité génétique très importante, avec dans certains cas plus de 10 gènes dont les mutations entraînent des maladies cliniquement non distinguables. On s’aperçoit fréquemment dans ces cas que ces différents gènes codent pour des protéines participant à une même fonction cellulaire. Les maladies génétiques constituent de fait un puissant moyen d’annotation fonctionnelle du génome, auxquels contribuent les patients et leurs familles, leurs médecins, et les extraordinaires outils d’investigation disponibles dans tous les domaines de la pathologie. Toutefois, la génétique humaine reste essentiellement une science d’observation, où l’aspect expérimental réside surtout dans la mise au point des outils d’observation et d’analyse des données, ou dans l’organisation des études de cohortes de patients. Pour accéder à des approches expérimentales plus interventionnelles, mais aussi pour l’interprétation fonctionnelle des données issues du séquençage, il faut recourir à la génétique des organismes modèles, de la levure (et même quelquefois de la bactérie E. coli) à la souris, en passant par le nématode caenorhabditis elegans, la mouche drosophile ou le poisson zèbre. Le séquençage du génome humain n’est qu’un point de départ pour comprendre la fonction normale de nos gènes, et le rôle de leurs variations dans la modulation de fonctions physiologiques et dans les pathologies qui affectent l’homme. Parmi les champs d’investigations que nous explorerons dans notre enseignement on peut citer : que peut apporter la génétique humaine, et notamment l’exploration des maladies génétiques responsables de déficits intellectuels, à la compréhension des mécanismes qui sous-tendent les extraordinaires capacités cognitives de l’homme, domaine pour lequel la contribution des organismes modèles, bien qu’extrêmement utile, souffre de limitations évidentes ; l’explosion des études visant à identifier les variations géniques qui rendent compte des prédispositions géniques aux maladies communes, qui est d’un intérêt indiscutable pour la compréhension des mécanismes pathogéniques, pourra t’elle réellement permettre de manière générale une médecine prédictive et des traitements personnalisés, comme souvent annoncé de manière peut être insuffisamment critique, et ne va t’on pas vers une génétisation excessive, ou même une génomania ; quelles sont les perspectives de traitement pour les maladies monogéniques, de la thérapie génique aux approches pharmacologiques classiques ou à la thérapie cellulaire ; enfin, il sera capital d’analyser les problèmes éthiques liés aux progrès rapides des connaissances et des possibilités techniques d’analyse des variations du génome. Ces interrogations nécessitent évidemment des approches multidisciplinaires, qui sont l’essence même du Collège de France. 2