Synthèse Hormone de croissance et effets métaboliques I. Oliver*, M. Tauber* L’ hormone de croissance (GH-growth hormone) a des effets complexes sur les métabolismes glucidique (hormone hyperglycémiante), protidique (hormone anabolisante par excellence), lipidique (hormone lipolytique) et sur le métabolisme osseux. Si ce dernier a focalisé l’attention des pédiatres jusqu’à ces dernières années, les premiers ont été plus systématiquement étudiés par les médecins d’adultes dans le déficit en GH (GHD) ou l’acromégalie, nous apportant l’essentiel des données sur les effets métaboliques de la GH et leurs intérêts. Des études prospectives chez l’enfant devront être menées, mais déjà quelques travaux rétrospectifs donnent des orientations. Grâce aux études publiées depuis 1989 (1) sur les adultes atteints de GHD, il a pu être montré que les patients souffrant d’un déficit sévère présentent : ● une intolérance glucidique avec hyperinsulinisme, ● une composition corporelle anormale, avec augmentation de la masse grasse, en particulier du tissu adipeux viscéral, et une diminution de la masse maigre, ● des anomalies du profil lipidique : – augmentation du cholestérol total (CT), du LDL-cholestérol et de l’apolipoprotéine B (apo B) – augmentation inconstante des triglycérides (TG) * Pédiatre endocrinologue, CHU Purpan, Toulouse. – diminution du HDL-cholestérol et donc une augmentation du rapport athérogène LDL/HDL, ● une HTA avec complications cardiovasculaires. L’ensemble de ces anomalies compose ce que l’on appelle le « syndrome métabolique » ou « syndrome X ». ● une réduction de la densité minérale osseuse (DMO) avec augmentation du risque fracturaire, ● une baisse de la qualité de vie Le traitement substitutif par GH corrige la plupart de ces anomalies (2). GH et métabolisme glucidique chez l’enfant et l’adolescent Deux travaux récents méritent attention : ✓ Un travail de l’équipe de Lyon (P. Chatelain) (3). Deux populations réputées à haut risque d’intolérance glucidique (retards de croissance intra-utérin – RCIU – et syndrome de Turner) ont été étudiées avant et après traitement par GH et comparées à une population d’enfants obèses. Avant traitement, les enfants des groupes Turner et RCIU ont des rapports insuline/glycémie similaires au cours de l’hyperglycémie provoquée par voie orale (HGPO). Par ailleurs, ces rapports sont inférieurs à ceux des obèses. Après traitement, ces rapports s’élèvent dans les deux groupes Turner et RCIU, plus nettement dans le groupe Turner, mais restent cependant inférieurs à ceux des enfants obèses. ✓ Une étude rétrospective publiée récemment (4), a tenté d’apprécier l’émergence du diabète sur une population de 23 333 patients (enfants et adolescents) traités par GH et issus de l’étude KIGS (Kabi International Growth Study). Cette population représentait 33 pays différents et 52 375 années-traitement (la moitié des enfants ayant reçu plus de 3 ans de GH). Quarante-trois enfants ont présenté des anomalies confirmées du métabolisme glucidique : 11 diabètes de type 1, 18 diabètes de type 2 et 14 intolérances au glucose. Il n’a pas été observé d’augmentation d’incidence du diabète de type 1 chez l’enfant ou l’adolescent traités par GH par rapport à l’incidence attendue dans cette tranche d’âge (5, 6). En revanche, il est retrouvé une incidence du diabète de type 2 multipliée par 6 par rapport à deux groupes de populations américaine et japonaise, de même âge (4). Tous les enfants et adolescents ont conservé leurs anomalies glucidiques après l’arrêt de GH, excluant ainsi a priori un effet inducteur direct de GH. Certes, il existe ces dernières années une augmentation substantielle de cette incidence dans la population générale, mais elle ne peut expliquer une telle différence. Le traitement par GH a peut-être révélé ou avancé l’appari- 223 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume V, n° 5, septembre-octobre 2001 Synthèse tion d’un désordre glucidique qui serait de toute façon apparu à l’âge adulte. La GH, comme l’obésité d’ailleurs, en modifiant la sensibilité à l’insuline, pourrait précipiter l’apparition d’un diabète de type 2, ou d’une intolérance au glucose, chez des patients prédisposés. Ces résultats inquiétants doivent mobiliser les pédiatres endocrinologues afin de réaliser des études prospectives sur la tolérance au glucose dans les traitements prolongés par GH ; mais aussi les inciter à une plus grande prudence et rigueur dans la mise en route et le suivi des traitements GH : ● en recherchant les facteurs de risque. – familiaux (dans l’étude rétrospective rapportée ci-dessus, 50% des enfants avaient une histoire familiale de diabète !), – pathologies associées prédisposantes : Turner, RCIU, Prader-Willi (7, 8). ● En surveillant avant et pendant le traitement : – glycémie à jeun, Hb A1C. – HGPO pour les populations à risques. GH et métabolisme lipidique chez l’enfant et l’adolescent Composition corporelle Les données actuellement disponibles ne concernent pratiquement que les adolescents GHD en fin de traitement et dont les résultats, en rapport avec la composition corporelle, sont assez superposables à ceux des adultes GHD traités et non traités. Dans le travail de Göteborg (9), il est intéressant de noter qu’à l’arrêt de GH, les adolescents déficitaires ont une masse grasse anormale par rapport aux non déficitaires, ce qui va s’accentuer au cours des années sans traitement, alors que la GH diminue la masse grasse et augmente la masse maigre. Or, au cours de la période de traitement, ces enfants ont des taux d’IGF1 au-dessus de la normale, ce qui laisse supposer que, IGF1 et GH ayant des effets opposés, on augmente peut-être la masse grasse de ces adolescents en les surdosant. Profil lipidique Il a été très peu étudié chez l’enfant GHD qui ne semble pas présenter de perturbations franches comme l’adulte. Le CT avant traitement n’est pas augmenté de façon significative (baisse du HDL-cholestérol ?) ; TG et LDL-cholestérol sont normaux (10). Sous traitement, on observe une diminution précoce et persistante du taux de CT avec augmentation du rapport apo A1/ apo B. Mécanismes d’action de GH sur le profil lipidique L’observation clinique (11, 12) nous a appris que GH est plus active sur les anomalies du profil lipidique que l’IGF1. ✓ Au niveau de l’adipocyte, la GH stimule la libération des acides gras libres (AGL) par effet direct particulièrement sur le tissu souscutané. Ces AGL peuvent alors être oxydés en périphérie ou recaptés par le foie et être réestérifiés en TG. La GH augmente la sécrétion de VLDL, parallèlement à la synthèse de l’apo B 48, ce qui augmente la clairance des VLDL : une fraction de celles-ci est convertie en LDL, entraînant une diminution de la synthèse des LDL. La GH joue aussi un rôle primordial dans la différenciation adipocytaire. ✓ Au niveau hépatique, la GH régule le récepteur hépatique des LDL et augmente leur catabolisme. Elle agit sur les enzymes responsables du transfert des lipides. Elle sensibilise à l’action d’autres facteurs (œstrogènes) (11). Si la GH a un effet direct sur le tissu adipeux, il a été récemment montré (13) qu’une petite séquence polypeptidique de synthèse, homologue de la partie C terminale de la molécule de GH, AOD-9401, administrable par voie orale, possède les mêmes particularités acti- vatrices lipolytique et frénatrice de la lipogenèse. La GH a donc différents points d’impact au niveau du métabolisme lipidique, expliquant peut-être les grandes variations cliniques observées, difficiles à interpréter. Cependant, sur le plan pratique, on retiendra : – que la femme est moins sensible à la GH que l’homme et que son profil lipidique sous GH est plus perturbé (14) ; – que les anomalies se corrigent d’autant mieux qu’elles étaient importantes avant traitement et que le déficit en GH est intense (11) ; – que le taux de CT est plus bas chez les adultes dont le déficit a débuté dans l’enfance par rapport à ceux qui se sont révélés plus tardivement carencés (10, 15). Si l’action de la GH sur le métabolisme lipidique est complexe et mal connu, il est important de suivre les effets du traitement sur ce métabolisme afin de savoir si on diminue réellement l’athérosclérose et le risque de surmorbidité et de surmortalité cardiovasculaires du patient déficitaire traité. GH et métabolisme osseux chez l’enfant L’effet principal de la GH est d’induire et de maintenir la croissance staturale directement ou indirectement par l’IGF1. L’hormone de croissance stimule la croissance longitudinale osseuse pendant l’enfance, jusqu’à la soudure des épiphyses, mais elle agit aussi sur le métabolisme osseux et le maintien de la masse osseuse pendant toute la vie (16). Croissance linéaire Chez l’enfant GHD, les marqueurs de la formation osseuse comme l’ostéocalcine, les phosphatases alcalines et le propeptide aminoterminal du procollagène de type III (PIIINP) sont réduits. Avec le traitement par GH, ces taux augmen- 224 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume V, n° 5, septembre-octobre 2001 Synthèse tent progressivement et parallèlement à la vitesse de croissance (2, 17). Ces paramètres pourraient être d’utiles marqueurs prédictifs de la vitesse de croissance lors des traitements par GH. Masse osseuse On observe chez l’enfant GHD une réduction significative de la masse osseuse. On connaît le rôle primordial de la GH dans la réalisation du pic de masse osseuse. Le déficit en GH est donc directement impliqué dans le développement de l’ostéopénie chez les enfants GHD durant la période pubertaire par réduction de la formation osseuse et retard à la réalisation de ce pic (2, 17). Le traitement par GH permet une récupération significative, mais non totale, de la densité osseuse et prévient l’aggravation de l’ostéopénie ultérieure. La densité osseuse, en effet, augmente graduellement après 12 à 24 mois de traitement par GH et n’atteint des valeurs proches de la normale chez l’enfant qu’après 56 à 58 mois de traitement ! Chez les enfants GHD, le suivi de la masse osseuse est conseillé pendant le traitement par GH, particulièrement durant la période pubertaire, et même après la fin de la croissance linéaire. Le traitement par GH devrait pouvoir se poursuivre au-delà de la soudure des épiphyses afin d’obtenir un pic de masse osseuse approprié chez les jeunes qui conservent un déficit somatotrope alors qu’ils ont atteint leur taille finale. Conclusion Les résultats obtenus ces dernières années grâce aux études initiées chez les adultes GHD confirment que les déficits hypophysaires ou les GHD débutant à l’âge pédiatrique ont des conséquences graves à long terme sur la santé des patients compte tenu des effets métaboliques de la GH. L’obtention d’une taille finale satisfaisante pour les jeunes patients GHD ne doit pas être la finalité de nos traitements par GH : le diagnostic des déficits complets en fin de croissance doit être posé sans retard afin d’offrir une prise en charge thérapeutique jusqu’à pleine maturité et un relais de bonne qualité avec l’équipe médicale adulte. Références 1. De Boer H, Blok GJ, Van der Veen EA. Clinical aspects of growth hormone deficiency in adults. Endocrine Rev 1995 ; 16 : 63-86. 2. Carrol PV, Christ ER and the members of growth hormone research society scientific Committee (Bengtsson BA, Carlsson L, Christiansen JJ, Clemmons D, Hintz R, Ho K, Laron Z, Sizonenko P, Sönksen PH, Tanaka T, Thorner M). Growth hormone deficiency in adulthood and the effects of growth hormone replacement : a review. J Clin Endocrinol Metab 1998 ; 83 : 382-95. 3. Communication Orale JTA 2000. 4. Cutfield W, Wilton P, Bennmarker H et al. 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