LA CIVILISATION SUMÉRIENNE LE MILIEU GÉOGRAPHIQUE La Mésopotamie comporte les deux vallées du Tigre et de l’Euphrate, qui constituent la grande voie reliant l’AsieMineure au golfe Persique. Elles forment un bassin bordé à l’est par les Monts de l’Élam, dans lesquels les rivières Karoun et Kerha mènent aux plateaux de l’Iran et au pays de l’Indus, et par les Monts Zagros à travers lesquels des affluents du Tigre creusent des voies d’accès vers la région Caspienne. A l’ouest s’étend le vaste désert de Syrie sillonné par les caravanes qui vont vers la Méditerranée et vers l’Arabie et parcouru, d’oasis en oasis, par les tribus nomades. Au nord, en remontant le Tigre, on traverse 1’-4ssyrie, le Mitanni, pour s’enfoncer enfin en Arménie, d’où des pistes montent vers le Caucase à travers l’Ourartoi,. L’Euphrate, qui prend sa source à une centaint de kilomètres de la mer Noire, longe le Taurus et l’Anti-Taurus, se rapproche de la Méditerranée en traversant le pays de l’Ammourou avant de venir s’écouler parallèlemen: au Tigre sur une longueur rie 800 kilomètres. Ainsi toutes les régions de l’Asie antérieure SI groupent autour de la Mésopotamie qui, par ses grandes voies d’eau et le golfe Pzrsique, les met en rapport avec la va!lée de l’Indus et le péninsu’z arabique. Le bassin mésopotamien, au point de vue de la géographie humaine, rappelle, à plus d’un point de vue l’Égypte. IO C I V I L I S ATI0N S A N TIQUES Sur une étendue de joo kilomètres, la vallée n’est qu’un ancien golfe, rempli par des alluvions et dans lequel les fleuves, confondant leurs eaux, ont constitué un vaste delta. La terre, fécondée par les crues qui la submergent de mars à septembre, est des plus fertiles. Les conditions de vie rappellent de très près celles du delta égyptien. La culture intensive y a créé la propriété privée, détruisant rapidement les anciennes solidarités de clans ou de tribus; la nécessité d’établir des villages sur des buttes qui émergent de l’inondation dans les périodes de crues a favorisé la formation de bourgs ; la navigation a établi des rapports commerciaux, que les possibilités de voyages lointains, par la voie des fleuves ou par celle de la mer, ont transformés très tôt en un important trafic international. Et des villes marchandes se sont créées, où s’est constitué, sous l’empire des nécessités économiques, un droit contractuel des plus évolués. L’écriture, avec le commerce, a apparu, et des codifications, les plus anciennes dont nous ayons conservé la mémoire, ont été établies. Le delta du Tigre et de l’Euphrate, s’il est fertile et s’il fournit l’argile dont on fait les briques, manque, comme le delta du Nil, de pierres et de métaux. Les populations qui s’y étaient installées durent se procurer les pierres en allant les chercher en Élam, en Arabie, et jusqu’en Assyrie et en Arménie, qui leur fournirent aussi le bois. Le cèdre dont on fait les navires fut apporté du Liban. Les métaux -cuivre, argent et or - vinrent du Caucase, du Taurus, des plateaux de l’Iran et de l’Arabie. Le bitume, qui joue un grand rôle dans la construction navale, fut fourni par les frontières de la Perse oii se trouvait aussi le pétrole qui servait à l’éclairage. La simple énumération des matériaux de construction et des produits divers que les Sumériens amenaient régulièrement dans leurs villes, groupées dans le delta mésopotamien, prouve le rôle que le commerce lointain joua dans leur dévcicppement, et l’importance qu’ils duient attacher A la sécurité des voies fluviales, maritimes et caravanières dont dépendait entièrement leur richesse. L A C I V I L I S A T I O N SUMÉRIENNE II Tout naturellement ces voies ont donné naissance à des centres de commerce. Ils se sont créés là où les caravanes rejoignent les fleuves. Sur l’Euphrate apparut ainsi la grande ville de Mari, à l’endroit où aboutissent les routes qui, par Qadesh ou Damas, viennent des ports de la côte syrienne; tandis qu’un autre centre actif se développait autour d’Alep, du fait du voisinage de l’Euphrate et de la côte qui n’y sont éloignés que de zoo kilomètres environ. Le Tigre, plus à l’écart des régions méditerranéennes, ne prit jamais une importance égale à celle de l’Euphrate. Pourtant, il fut une route commerciale importante vers le Caucase et la Caspienne; au point de jonction des routes de caravanes avec le fleuve devaient apparaître les villes d’Assour et, plus tard, de Ninive. I1 faut en conclure que le développement urbain de l’Asie antérieure est directement en rapport avec le mouvement commercial dont la Mésopotamie est l’axe principal. Dans les deux vallées elles-mêmes, la civilisation s’est répandue du sud au nord, et a atteint un niveau beaucoup plus élevé dans celle de l’Euphrate que dans celle du Tigre. Le delta s’est partagé entre deux groupes de populations, les Sémites du pays d’Akkad - qui s’étend d’Agadé à Kish - et les Sumériens qui ont occupé les vallézs entre Nippour et la nier. Elles étaient, semble-t-il, lors de leur installation, d’un niveau de culture sensiblement égal. O r les Sumériens élaborèrent rapidement une civilisation que devaient adopter les Akkadiens et qui devait se répandre à travers toute l’Asie antérieure. La terre étant aussi fertile en Akkad qu’en Sumer, il faut trouver la cause de cette différence de développement dans l’activité commerciale dont firent preuve les Sumériens. C’est le voisinage de la mer et la maîtrise qu’il leur donnait sur la navigation des deux fleuves qui furent pour les Sumériens la cause de leur considérable avance. Le pays de Sumer est essentiellement un pays de villes, de commerce et d’industrie. Le pays d’Akkad, coupé de la mer, resta longtemps un pays terrien et par conséquent domanial. I2 C I V I L I S ATI0N S A N T I Q U E S Plus on s’écarte de la mer, plus le caractère agraire de la société s’accentue. Et si des villes importantes surgirent, telles Mari sur l’Euphrate, Assour et Ninive sur le Tigre, il n’en est pas moins vrai que, dans l’ensemble, la HauteMésopotamie présenta, à travers presque toute son histoire, le caractère domanial et féodal, plus accentué sur le Tigre parce que de ce côté l’influence du transit commercial fut moins sensible. Comme la Haute-Égypte, la Haute-Mésopotamiene connut la petite propriété et le droit individualiste - qui après s’être formé dans les villes de Sumer, fut codifié à Babylone qu’aux époques de centralisation monarchique, telles la première dynastie babylonienne et les époques néo-babylonienne et hellénistique. Le caractère géographique qui distingue le plus profondément la Mésopotamie de l’Égypte, c’est que, tandis que la vallée du Nil n’a été ni une voie d’invasion ni une voie de transit, le Tigre et l’Euphrate, au contraire, ont vu passer une quantité de migrations. Les mêmes raisons qui en ont fait de grandes routes du commerce international et qui, par conséquent, ont enrichi et civilisé leurs populations, en ont fait aussi des chemins d’armées ou de peuples en marche, et ont provoqué, à maintes reprises, la ruine de leur civilisation. La richesse que ne cessaient d’y accumuler le transit et l’activité économique était d’ailleurs un appât pour les tribus nomades ou les peuples conquérants qui se sont tour à tour jetés sur les villes sumérienneset sur la prestigieuse Babylone. La Mésopotamie est d’autant plus dangereusement située que ses flancs, loin d’être couverts par les montagnes et les déserts qui les enserrent, sont directement menacés par les populations qui y vivent. Des monts élamites et des monts Zagros, comme des déserts syriens, se sont abattues sur elle des vagues successives de peuples nomades ou de cavaleries féodales, tandis que du Caucase ou de l’Asie-Mineure descendaient des barbares venus du nord, qu’attirait le mirage des richesses orientales. Aussi l’histoire des peuples mésopotamiens ne fut-elle