Au fil de la Seine n°54
FLEUVES DU MONDE
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D’abord, parce qu’il passe par Mossoul, la grande
ville du nord, l’une des trois capitales du Kurdistan
irakien avec Erbil et Kirkouk. Mossoul est sur la rive
droite du Tigre. En face, sur la rive gauche, c’était Ni-
nive, la capitale d’Assourbanipal.
Disons-le tout de suite, avant d’aller plus loin, on va
bien vite s’y perdre complètement entre tous ces
royaumes éphémères, ces rois aux noms compli-
qués, ces civilisations perdues dans les millénaires
d’autrefois que les historiens nous disent si différen-
tes les unes des autres et que notre ignorance nous
fait confondre allégrement.
A moins d’être un spécialiste, il faut bien avouer
qu’on se noie rapidement entre les Sumériens, les
Elamites, les Amorrites, les Hittites, les Araméens,
les Assyriens, les Mèdes, les Achéménides, les Sé-
leucides, les Parthes et quelques autres qui, bien
avant notre ère, créèrent, en partant des rives
des deux fleuves d’immenses empires allant
parfois de « la mer du soleil levant » (le Golfe
persique), aux « montagnes d’argent » (les contre-
forts de l’Anatolie) et aux « forêts de cèdres » (les
bords de la Méditerranée). On mélange Sorgon,
Hammourabi, Assourbanipal et Nabuchodonosor.
On a, peut-être, des excuses et d’autant plus qu’il
faut constater que Ninive, Assour, Samarra, Baby-
lone ou Our ne sont plus guère, comme Mari, que des
champs de ruines, recouverts d’herbes folles. Même si, ici ou
là, et à Ninive notamment, la mégalomanie de Saddam Hussein
a fait reconstruire plus ou moins à l’identique quelques pans de
muraille ou une porte de la cité ce qui donne un côté kitch sur-
prenant à ces ruines qui se mettent soudain à évoquer davantage
Disney land que la civilisation sumérienne. En fait, si l’on veut
voir les plus grands chefs de ces civilisations d’autrefois, il vaut
bien aller... au Louvre ou au British muséum.
Ninive fut l’une des grandes capitales de l‘empire assyrien. C’est
ici qu’Assourbanipal rassembla, sept siècles avant notre ère, la
plus gigantesque bibliothèque de l’antiquité qui renfermait « tous
les savoirs » de l’époque, avec notamment plus de 20.000 tablet-
tes d’écriture cunéiforme... qui sont aujourd’hui au British Mu-
séum.
Certains préféreront donc l’Irak d’aujourd’hui et surtout d’hier
à la Mésopotamie d’avant-hier. Mossoul, la deuxième métropole
d’Irak, après Bagdad mais avant Bassora, a tous les charmes d’une
vieille ville arabe, et en plus –car nous sommes ici à la frontière
du monde arabe- ceux de l’Iran et presque de l’Asie centrale,
avec sa vieille forteresse, ses minarets de guingois et surtout ses
souks qui sentent bon les épices et où l’on entend se chamailler
toutes les langues de la région, le kurde, bien sûr, mais aussi
l’arabe, le persan, le syriaque, voire parfois même l’araméen.
Rien n’a dû beaucoup changer depuis l’âge d’or de Mossoul
quand ses caravansérails étaient encore une étape essentielle en-
tre l’Occident et l’Orient et que ses tisserands avaient inventé
la « mousseline », en lui donnant
le nom de leur ville.
Samarra � vaut le voyage �
Il faut dire aussi que si la Syrie connait depuis des
mois une guerre civile particulièrement atroce,
l’Irak, lui, vient, après des années d’une dictature
impitoyable, de connaitre, coup sur coup, une inter-
minable guerre avec l’Iran et deux guerres avec l’Oc-
cident, la première en riposte à l’invasion du Koweït,
la seconde pour abattre Saddam Hussein. Les ruines
d’aujourd’hui se mêlent aux ruines antiques. Mais les
Kurdes, si longtemps persécutés par tous les régimes
de Bagdad, en ont profité pour acquérir une réelle
autonomie pour ne pas dire une véritable indépen-
dance.
Quittant Mossoul, on passe très vite devant Ni-
mroud, l’ancienne Kalah autre capitale de l’empire
assyrien. Parmi les archéologues qui fouillèrent le
site, il y avait un britannique du nom de Max Mallo-
wan qui ne voyageait qu’accompagné de sa femme,
une certaine Agatha Christie. C’est sur le champ de
fouilles de Nimroud que la reine des romans policiers
situa « Meurtre en Mésopotamie ». Nimroud est entré dans
la littérature policière avant de trouver sa place dans
les livres d’histoire ancienne.