Laval théologique et philosophique
Document généré le 23 mai 2017 18:07
Laval théologique et philosophique
L'évolution des êtres vivants
W. R. Thompson
Volume 4, numéro 1, 1948
2 1
9 2 Aller au sommaire du numéro
Éditeur(s)
Faculté de philosophie, Université Laval et Faculté de théologie
et de sciences religieuses, Université Laval
ISSN 0023-9054 (imprimé)
1703-8804 (numérique)
2 1
9 2 Découvrir la revue
Citer cet article
W. R. Thompson "L'évolution des êtres vivants." Laval
théologique et philosophique 41 (1948): 37–48.
Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services
d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous
pouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-
dutilisation/]
Cet article est diffusé et préservé par Érudit.
Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de
Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la
promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org
Tous droits réservés © Laval théologique et philosophique,
Université Laval, 1948
L’évolution des êtres vivants*
Lidée que le monde des êtres vivants, tel quil existe actuellement,
a été produit par un processus évolutif quelconque, est à peu près univer
sellement acceptée par les biologistes et les philosophes. Mais ils sont
loin dêtre daccord sur les causes et lhistoire précise de lévolution. On
peut même affirmer que ces problèmes nous paraissent à présent beaucoup
plus obscurs quaux naturalistes contemporains de Darwin. Vouloir unir
la mathématique, qui est une science certaine, à la doctrine évolutionniste,
qui est incertaine au plus haut degré, paraît être une tentative extravagante.
Nous nallons pas essayer de justifier tout ce qui a été entrepris dans cette
voie. Nous nous limiterons à exposer deux ou trois tentatives importantes
de traiter les problèmes de lévolution par les méthodes matmatiques,
en réservant au prochain article la question de leur validi et de leur
pore philosophique.
Chez les théoriciens scientifiques de lévolution, la doctrine préférée
reste toujours celle de la lection naturelle. Cette doctrine a subi des
modifications considérables depuis le temps de Darwin. Pourtant, elle a
gardé son caractère fondamental, qui est dêtre une doctrine atéléologique
ou anti-finaliste. Selon cette doctrine, les adaptations sultent de varia
tions ou de facteurs dont le rôle, par rapport à la physiologie de lorganisme,
est quelconque. Ces variations ou facteurs se combinent sous leffet du
hasard; de sorte quen fin de compte, les adaptations et la vie elle-même
sont, dans le sens le plus strict, un effet du hasard.
Les sélectionnistes prétendent pouvoir donner une preuve mathémati
que de cette doctrine. Cette preuve a été élaboe par le biologiste anglais
R. A. Fisher1. Il lappelle le théorème fondamental de la sélection naturelle.
D après ce théome, la chance pour quune modification quelconque de
lorganisme lui soit avantageuse, est égale à la chance quelle lui soit nui
sible, à la seule condition que cette modification soit très petite, comme les
modifications doivent lêtre, vu la lenteur du processus évolutif.
Considérons, dit Fisher, la signification du mot adaptation. «Un
organisme peut être dit adapté à une situation particulre ou à lensemble
des situations qui constituent son milieu, seulement pour autant que nous
pouvons imaginer un ensemble dautres situations ou dautres milieux par
rapport auxquels lanimal serait moins bien adap; et aussi seulement pour
autant que nous pouvons imaginer un ensemble dautres formes organiques,
gèrement différentes, qui seraient moins bien adaptées au milieu dont il
sagit. Généralement parlant, continue Fisher, plus ladaptation est com
plexe, plus sont nombreux les exemples de conformi qu’elle psente et
plus essentiellement adaptive la situation nous paraît».
♦Les deux premiers articles de cette série, Mathématiques et biologie, ont é pu
bliés dans le Vol.III, nn.l et 2 du Laval théologique et philosophique.
1 R. A. Fi s h e r , The Genetical Theory of Natural Selection, Oxford 1930.
. \
V
38 LA V A L TH ÉO LO G IQ UE E T PH IL O SO PH IQ U E
Considérant que le deg de conformité entre deux chosescomme
lorganisme et le milieu peut être représen mathématiquement par le
rapprochement entre un point A et un point 0 , supposons que le point A
se trouve sur la surface dune spre ayant le point 0 pour centre; et que
les positions possibles qui repsentent des adaptations surieures à A
sont contenues dans cette sphère. Si le point A est déplacé en parcourant
une distance fixe r, dans un sens quelconque, ce mouvement va améliorer
ladaptation sil porte A à lintérieur de la sphère, mais la rendra moins
parfaite sil le porte à lextérieur. Toutefois, dit Fisher, si r est très petit,
les chances de ces deux événements sont à peu près égales, de sorte que la
chance dune amélioration tend vers la limite 3^2 comme r tend vers ro.
On voit quil en est ainsi parce que, par rapport à un mouvement excessi
vem ent petit de A, la courbature de la surface de la sphère tend à zéro.
A la limite, la surface courbe est une surface plane. Mais si r est aussi
grand que le diamètre de la sphère, la chance dune amélioration est évidem
ment nulle, puisque nimporte quel mouvement de A va le porter à lexté
rieur de la sphère.
De cela on peut conclure, daprès Fisher, que les petites variations,
soit de lorganisme, soit du milieu, ont autant de chance daméliorer ladap
tation que de la ter. D autre part, la lenteur du processus évolutif
indique clairement, selon Fisher, que les variations qui le rendent possible,
sont en effet très petites. Car, si les variations étaient en même temps
grandes et adaptives, les organismes se transformeraient sous nos yeux
avec la rapidité dun train express. Mais la transformation des espèces est
si difficile à saisir, que certains zoologistes distingués admettent que lévo
lution nexiste plus, et que les organismes sont actuellement dans un état
stable. Ainsi, pourvu que les variations se produisent assez souvent, la
genèse des adaptations noffre pas de difficul et peut être regardée comme
un effet du hasard. Les généticiens acceptent encore aujourd’hui la dé
monstration mathématique de cette thèse donnée par Fisher.
Si la thèse de Fisher correspond aux faits, il semble que la transfor
mation des organismes peut avoir lieu dans nimporte quel sens. Cétait,
du reste, une des ies fondamentales de Darwin. Mais certains savants
distingués se sont servis des principes mathématiques pour démontrer la
thèse oppoe: à savoir, que les transformations des êtres vivants sont stric
tement limies.
Le passage dune forme organique à une autre est une affaire extrême
ment compüquée, qui inresse une foule presque innombrable de détails:
morphologiques et physiologiques. Il est presque impossible de dégager
le sens fondamental de la transformation en comparant les descriptions
compliquées établies par les sysmaticiens. Toutefois, si on se limite à
la forme externe des organismes ou même de leurs organes individuels,
en la regardant comme une simple surface géométriquela forme étant
projetée sur une surface plane— on peut aborder le problème par lanalyse
géométrique1.
1 D A b cy W. T h o m p s o n , Growth and Form, 1942, chap.17.
lé v o l u t i o n d e s ê t r e s v i v a n t s 39
Prenons, pour commencer, le cas dun cercle. Inscrivons ce cercle
dans un système de coordonnées carsiennes rectangulaires. Construi
sons maintenant un système de coordonnées la distance entre les ordon
nées est réduite de moitié. Marquons sur les ordonnées et les abscisses
les points qui correspondent à ceux le cercle coupe les ordones et les
abscisses du premier système.* Relions ces points par une courbe continue.
Nous obtenons alors une ellipse (Fig. 1, p. 39). Le sysme de coordonnées
cartésiennes permet, sans que nous approfondissions cette question, de
traduire la quantité continue de la géométrie en quanti discontinue de
larithmétique. En étudiant les proprs du cercle inscrit, comme nous
lavons fait, nous voyons quelles correspondent à léquation x2+ y 2 = a2
où a repsente une valeur constante. La déformation nécessaire pour
x2
obtenir lellipse nous donne léquation + y2 = a2, ce qui est une forme
2
x2 y2
particulre de léquation générale ~ + = 1
(\
/
\
L
\Vy/
Fi g . 1 P a s s a ge d ’u n c e rc l e (a ) à u n e ellip s e ( b ) p a r t r a n s fo r m a
tio n d u n s y s t è m e d e c o o rd o n n é e s ca rté s ie n n e s .
Au cercle employé dans le premier exemple, substituons los canon du
boeuf, en le dessinant dans un système de coordonnées rectangulaires com
po déléments carrés. Faisons maintenant un sysme de coordonnées
semblables, mais où les intervalles sur laxe des x sont diminués dans le
rapport xî _2x et relions les points où le dessin de l’os canon du bœuf
traverse les coordonnées dans le premier sysme. Nous obtenons alors
le dessin de los canon du mouton. Par le même procédé, et une duction don
née par léquation x2 = , nous obtenons los canon de la girafe (Fig. 2, p. 41).
3
Ces cas sont très simples. Prenons à présent quelques organismes
complets. Voici (Fig. 3, p. 43) une représentation du petit poisson Argyrope-
lecus olfersi, dessi dans un système de coordonnées rectangulaires. A
côté, (Fig. 4, p. 45) nous voyons un poisson de la même famille : Stemoptyx
40 LA V A L T HÉO LO G IQU E E T PH IL O SO P H IQ U E
diaphana, dessiné dans un sysme de coordonnées passant par les points
homologues. Comme on le voit, la différence dans la forme de ces deux
espèces, quil serait ts difficile de tirer des descriptions taxonomiques
ordinaires, peut être définie en disant que les ordonnées du sysme d ’Argy-
ropelecus ont été inclies à un angle de 7 par rapport à laxe des x. Une
déformation très simple du point de vue matmatique nous permet de
passer dune forme à lautre.
Un exemple encore plus remarquable est celui des deux poissons Diodon
(Fig. 5, p. 47) et Orthagoriscus (Fig. 6, p. 47). Replaçons les lignes verticales
du sysme nous avons dessiné Diodon, par un sysme de cercles concen
triques; et les lignes horizontales par des courbes du genre hyperbolique,
qui se divergent par rapport à la ligne larale de lanimal. Relions les
points homologues du sysme de coordonnées ainsi déformé et nous avons
dessiné le poisson Orthagoriscus. Du point de vue mathématique, la défor
mation est plus compliquée que dans le cas précédent; mais la comparaison
des systèmes de coordones montre clairement que la diversité anatomique
des deux poissons, qui intéresse une foule de détails, est lexpression de dif
rences de croissance graduées suivant une loi quantitative très simple.
Mettons-nous maintenant au point de vue évolutionniste. La trans
formation dune esce organique en une autre, implique un mouvement
physique continu, donc, le passage dune forme à lautre par une rie
détapes intermédiaires, celles, du moins, que lon peut distinguer dans ce
mouvement. Le caractère précis de ces étapes dans des cas particuliers,
a susci des controverses interminables. La généalogie de l homme, par
exemple, a été construite et défaite un grand nombre de fois en citant com
me série dantres de lhomme actuel, des restes fossiles et un singe el
ou hypothétique; mais les naturalistes ne sont pas encore près dun accord.
Par la méthode des coordones cartésiennes, on peut trouver une solu
tion mathématique de ces problèmes. Pour cela, prenons les deux systèmes
de coordonnées qui correspondent à deux formes organiques différentes,
mettons-les lun sur lautre, et relions par des lignes droites les points
riphériques homologues. Ces lignes coupent les bords externes dune
série de sysmes de coordonnées intermédiaires, dont nous pouvons faci
lement construire un aussi grand nombre que nous voudrons. Dans chacun
de ces sysmes, nous pouvons dessiner la forme organique qui lui corres
pond. Nous aurons ainsi une série de formes mathématiquement inter
médiaires entre les deux formes que nous avons prises comme points de
départ. D e cette fon, on a construit une série de dessins de cnes
intermédiaires entre celui du cheval et celui de son lointain précesseur
Echippus. Ces dessins ressemblent à sy méprendre aux formes des crânes
fossiles consirés par les paléontologistes comme ceux des ancêtres du che
val. Par contre, malg le fait quune modification assez simple des coor
données nous permet de passer du cne de lhomme à celui du chimpanzé
ou à celui du gorille, ces deux derniers ne peuvent pas être rangés dans une
même série géométrique reliée au cne de l homme. E t il en est de même
pour les crânes des ptendus prédécesseurs fossiles de lhomme en général.
1 / 13 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !