38 LA V A L   TH ÉO LO G IQ UE   E T   PH IL O SO PH IQ U E
Considérant  que  le  degré  de  conformité  entre  deux  choses—comme 
l’organisme  et  le  milieu— peut  être  représenté  mathématiquement  par  le 
rapprochement  entre  un  point  A  et  un  point  0 ,  supposons  que  le  point  A 
se  trouve  sur  la  surface  d’une  sphère  ayant  le  point  0   pour  centre;  et  que 
les  positions  possibles  qui  représentent  des  adaptations  supérieures  à  A 
sont  contenues  dans  cette  sphère.  Si le  point  A est  déplacé en  parcourant 
une  distance  fixe  r,  dans  un  sens  quelconque,  ce  mouvement  va  améliorer 
l’adaptation  s’il  porte  A  à  l’intérieur  de  la  sphère,  mais  la  rendra  moins 
parfaite  s’il  le  porte  à  l’extérieur.  Toutefois,  dit  Fisher,  si  r  est  très  petit, 
les  chances  de  ces  deux  événements  sont  à  peu  près  égales,  de  sorte  que  la 
chance  d’une  amélioration  tend  vers  la  limite  3^2  comme  r  tend  vers  zéro. 
On  voit  qu’il  en  est  ainsi  parce  que,  par  rapport  à  un  mouvement  excessi
vem ent  petit  de  A,  la  courbature  de  la  surface  de  la  sphère  tend  à  zéro. 
A  la  limite,  la  surface  courbe  est  une  surface  plane.  Mais  si  r  est  aussi 
grand que le diamètre de la sphère, la chance d’une amélioration est évidem
ment  nulle,  puisque  n’importe  quel  mouvement de  A  va  le  porter  à  l’exté
rieur  de la sphère.
De  cela  on  peut  conclure,  d’après  Fisher,  que  les  petites  variations, 
soit  de l’organisme,  soit du  milieu,  ont autant de chance d’améliorer l’adap
tation  que  de  la  gâter.  D ’autre  part,  la  lenteur  du  processus  évolutif 
indique  clairement,  selon  Fisher,  que  les  variations  qui le  rendent  possible, 
sont  en  effet  très  petites.  Car,  si  les  variations  étaient  en  même  temps 
grandes  et  adaptives,  les  organismes  se  transformeraient  sous  nos  yeux 
avec  la rapidité  d’un  train express.  Mais la transformation des  espèces  est 
si  difficile  à  saisir,  que  certains  zoologistes  distingués  admettent  que  l’évo
lution  n’existe  plus,  et  que  les  organismes  sont  actuellement  dans  un  état 
stable.  Ainsi,  pourvu  que  les  variations  se  produisent  assez  souvent,  la 
genèse des adaptations n’offre pas de difficulté  et peut être regardée comme 
un  effet  du  hasard.  Les  généticiens  acceptent  encore  aujourd’hui  la  dé
monstration  mathématique  de  cette  thèse  donnée  par  Fisher.
Si  la  thèse  de  Fisher  correspond  aux  faits,  il  semble  que  la  transfor
mation  des  organismes  peut  avoir  lieu  dans  n’importe  quel  sens.  C’était, 
du  reste,  une  des  idées  fondamentales  de  Darwin.  Mais  certains  savants 
distingués  se  sont  servis  des  principes  mathématiques  pour  démontrer  la 
thèse opposée:  à savoir,  que les transformations des êtres vivants sont  stric
tement  limitées.
Le  passage  d’une forme  organique  à une  autre est une  affaire  extrême
ment  compüquée,  qui  intéresse  une  foule  presque  innombrable  de  détails: 
morphologiques  et  physiologiques.  Il  est  presque  impossible  de  dégager 
le  sens  fondamental  de  la  transformation  en  comparant  les  descriptions 
compliquées  établies  par  les  systématiciens.  Toutefois,  si  on  se  limite  à 
la  forme  externe  des  organismes  ou  même  de  leurs  organes  individuels, 
en  la  regardant  comme  une  simple  surface  géométrique—la  forme  étant 
projetée  sur une  surface  plane— on  peut  aborder  le  problème  par  l’analyse 
géométrique1.
1  D ’A b cy W.  T h o m p s o n ,  Growth and  Form,  1942,  chap.17.