Hallucinations et cognition

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Article de synthèse
Rev Neuropsychol
2014 ; 6 (2) : 117-128
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017.
Hallucinations and cognition:
how cognitive models serve
neuropsychological practice
Morgane Demeulemeester1,2 ,
Christine Moroni1 ,
Frédéric Kochman2,3 ,
Pierre Thomas1,3 , Renaud Jardri1,3
1
Laboratoire de neurosciences fonctionnelles
et pathologies, Université Droit et Santé
de Lille, EA 4559, Parc EuraSanté
59120 Loos, France
2
Clinique Lautréamont,
Groupe ORPEA-CLINEA, 1 rue de Londres,
59120 Loos, France
<[email protected]>
3
CHRU de Lille, Hôpital Fontan, Pôle
de psychiatrie, CS 70001, 59037 Lille, France
Pour citer cet article : Demeulemeester M,
Moroni C, Kochman F, Thomas P, Jardri
R. Hallucinations et cognition : une modélisation au service de notre pratique en
neuropsychologie. Rev Neuropsychol 2014 ;
6 (2) : 117-128 doi:10.1684/nrp.2014.0298
doi: 10.1684/nrp.2014.0298
Hallucinations et cognition :
une modélisation au service
de notre pratique en neuropsychologie
Les hallucinations se définissent comme de fausses perceptions, i.e. des perceptions vécues comme réelles par le sujet
alors même qu’aucune stimulation externe n’est présente. Ces expériences peuvent concerner toutes les modalités sensorielles, avoir de multiples étiologies et survenir à chacun des
âges de la vie. Peu spécifique d’une pathologie donnée, l’hallucination s’envisage davantage
actuellement comme une dimension clinique transnosographique. Au cours des dernières
décennies, de nombreux modèles cognitifs ont conceptualisé l’émergence de ce symptôme.
Cet article propose d’en faire une synthèse tout en confrontant ces théories à la pratique quotidienne d’évaluation en neuropsychologie. Les modèles issus de la psychologie cognitive
tendent à être de plus en plus complémentaires et propres à la dimension « hallucination »,
indépendamment du diagnostic sous-jacent. Pour autant, certains mécanismes restent difficilement appréciables en clinique. Les connaissances issues de la neurophysiologie, de
la neuro-modulation ou encore de la réalité virtuelle, permettent aujourd’hui, au regard
des données récentes de l’imagerie cérébrale, une première tentative de validation de nos
pratiques, en termes d’évaluation clinique et psychométrique, et de prise en charge thérapeutique de l’hallucination.
Résumé
Mots clés : hallucinations · perception · cognition · évaluation neuropsychologique · approche dimensionnelle
Abstract
Hallucinations are defined as erroneous percepts, i.e. perceptions experienced as real by the subject, despite an
absence of external stimulation. Hallucinations may concern every sensory modality, be
the consequence of various etiologies and occur at all ages. Due to their weak diagnosis
specificity, hallucinatory experiences are more considered as a translational clinical dimension, which may be observed during normal development or pathological conditions, as
Parkinson’s disease, schizophrenia and so on. In the past decades, several cognitive models
conceptualized the emergence of hallucinations. This paper aims at reviewing the existing
theories of hallucinations and confronts them to the daily neuropsychological practice.
The models derived from cognitive psychology tend to be complementary and specific
to the up-mentioned dimensional approach. However, some mechanisms stay difficult to
grasp in the clinical practice. Data from the neurophysiology, neuromodulation or virtual
reality literature, combined with recent brain-imaging findings, allow to built a validating
framework for our practice, in terms of (i) psychometric, (ii) clinical evaluation, and (iii)
care programs, all dedicated to the hallucinatory phenomena.
Correspondance :
M. Demeulemeester
Key words: hallucinations · perception · cognition · neuropsychological assessment · dimensional
approach
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Article de synthèse
Introduction
L’hallucination, un symptôme complexe
aux multiples enjeux
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Constat d’actualité
Les hallucinations restent à l’heure actuelle des symptômes difficiles à appréhender pour les professionnels de
santé. Face à une problématique hallucinatoire, les éléments à même d’en caractériser précisément la nature
ou le retentissement sont peu connus et bien souvent
le pronostic est laissé entre les mains du temps. Longtemps taboues, les hallucinations restent un sujet délicat
en société, puisque fréquemment assimilées à la folie. À
l’opposé d’une approche dichotomique, que l’on pourrait
qualifier de « classique » (normal/pathologique), les hallucinations s’inscriraient davantage le long d’un continuum,
allant de phénomènes physiologiques ou développementaux à des pathologies constituées de l’enfant et de l’adulte.
Il nous semble à présent urgent de destigmatiser les personnes souffrant de tels symptômes, et de fournir des
éléments d’évaluation cliniques concrets et pertinents,
indispensables à l’adaptation de la démarche diagnostique
et thérapeutique face à l’hallucination.
Définitions et principaux diagnostics différentiels
L’illusion, l’hallucinose et les compagnons imaginaires
constituent les trois principaux diagnostics différentiels
des hallucinations. L’illusion et l’hallucinose se situent au
rang d’erreurs perceptives, à la différence du compagnon
imaginaire (CI), fréquemment retrouvé au cours du développement normal.
L’illusion se définit comme la perception déformée
d’un objet physique réel, dans l’un de ses attributs (forme,
dimension, localisation, intensité, durée). Il s’agit d’un
phénomène physiologique, que tout un chacun peut expérimenter. L’hallucinose est en revanche une perception
sans objet physique à percevoir (principalement visuelle
– palinopsie – et auditive – palinacousie). À la différence
de l’hallucination, l’hallucinose est d’emblée reconnue
comme pathologique par l’individu qui en fait l’expérience
[1].
Le CI, retrouvé chez 28 à 65 % des jeunes enfants prépubères, constitue également un diagnostic différentiel à ne
pas méconnaître. À la différence des hallucinations, il apparaît à la guise de l’enfant, principalement dans un contexte
de jeu et n’est donc pas source d’angoisse ni d’anxiété. Le
CI n’entrave d’ailleurs pas le développement chez l’enfant
de l’interaction avec les pairs. Par ailleurs, il semblerait être
un marqueur positif du développement des capacités de
théorie de l’esprit (TE), notamment quand l’enfant maintient de bonnes relations avec ses pairs indépendamment
de la présence du CI [2].
L’hallucination se définit par contraste comme une perception sans objet physique à percevoir s’imposant à la
conscience d’un individu éveillé. Elle se distingue nettement des autres fausses perceptions par son caractère
immersif, son aspect souvent effrayant et par l’absence de
critique de ce qui est perçu [1].
118
La difficulté d’évaluation
L’hallucination est un symptôme subjectif qui se révèle
difficile à évaluer en pratique clinique, et ce pour plusieurs
raisons. Premièrement, il n’est pas directement observable
et est souvent tenu secret, tant chez l’enfant que chez
l’adulte, souvent dans le but de ne pas inquiéter l’entourage.
Dans le cadre d’un trouble psychotique (ex. schizophrénie),
le recueil d’informations peut par ailleurs être compliqué
par une altération de la prise de conscience du trouble
(i.e. un défaut d’insight), un rationalisme délirant ou un discours désorganisé. L’entourage (parents, conjoint) peut dans
certains cas aider à identifier la présence d’hallucinations,
encore faut-il qu’il y soit sensibilisé.
Deuxièmement, le contexte culturel peut venir influencer la représentation ou la compréhension de ce symptôme.
Au sein de certaines cultures africaines ou orientales,
les hallucinations visuelles (HV) et tactiles semblent non
seulement plus fréquentes, mais peuvent également être
attribuées à des causes surnaturelles en lien avec des
croyances magico-religieuses traditionnelles. De même,
les événements de nature traumatique ou les situations
de deuils peuvent favoriser l’émergence et le maintien
de ces expériences hallucinatoires [2]. Ces éléments sont
essentiels pour comprendre le contexte d’apparition du
symptôme et orienter les hypothèses diagnostiques.
Enfin, troisièmement, l’évaluation est également difficile
du fait du peu d’outils d’évaluation disponibles, notamment
en population pédiatrique. Qu’il s’agisse de la psychométrie
ou de la neuropsychologie, les outils disponibles ne sont pas
toujours spécifiques (évaluant l’ensemble des symptômes
de la lignée psychotique), ou lorsqu’ils le sont, peuvent
uniquement concerner : (i) les expériences survenant chez
l’adulte, (ii) la modalité auditive, et (iii) se focaliser sur le
cadre nosographique de la schizophrénie.
Le double enjeu clinique
Les hallucinations présentent un double enjeu clinique. La non-reconnaissance du symptôme, tout comme
sa médicamentation trop précoce, peuvent avoir des conséquences délétères en termes de pronostic clinique, cognitif
et social. Il est essentiel de rechercher leur présence,
en restant toutefois prudent, notamment en population
pédiatrique où ce symptôme est fréquent sans être systématiquement pathologique. Les symptômes psychotiques
isolés (hallucinations, délires. . .) sont d’ailleurs bien plus
fréquents que le trouble psychotique constitué, et ce,
tout au long du développement [3]. Une surveillance de
l’évolution de ce symptôme reste cruciale. Il a été démontré qu’au-delà de la question de la présence isolée de
ces symptômes, c’est la persistance d’hallucinations de
la période pré-pubère à l’adolescence qui a la plus forte
valeur prédictive, avec une majoration d’un facteur 16
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du risque de développer un trouble psychotique à
l’âge adulte [4] (voir aussi plus loin, « La perspective
développementale »).
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Le caractère transdiagnostique
Les hallucinations peuvent apparaître au décours d’une
multitude de pathologies, qu’elles soient organiques (prise
de toxiques, crises d’épilepsie, migraines avec aura,
lésions ou tumeurs cérébrales), ophtalmiques (syndrome de
Charles Bonnet sur dégénérescence maculaire liée à l’âge,
glaucome. . .), ou neurodégénératives (démence à corps de
Lewy, maladie d’Alzheimer, de Parkinson).
De nombreuses pathologies psychiatriques sont également concernées par ce symptôme (troubles de l’humeur,
trouble de stress post-traumatique, spectre schizophrénique, troubles de la personnalité). Une forte association
au cours du développement est d’ailleurs retrouvée entre
hallucinations et un certain nombre de pathologies psychiatriques sans trouble psychotique tels que les troubles
dépressifs et anxieux de l’enfant. Plus particulièrement,
chez les adolescents, ces symptômes seraient associés à
un plus grand risque de développer un, voire plusieurs,
trouble(s) psychopathologique(s), notamment sur l’axe 1 du
DSM-IV, comparativement aux enfants pré-pubères (80 %
chez les 13-16 ans contre 57 % chez les 11-13 ans) [5].
Les troubles des apprentissages seraient également concernés, tels que le TDA/H (trouble déficitaire de l’attention
avec ou sans hyperactivité) diagnostiqué dans lequel 22 %
des cas présenteraient des hallucinations [6], alors que le
risque d’hallucination pharmaco-induite par le méthylphénidate est estimé à 0,5-1 %. D’autres étiologies, notamment
génétiques, infectieuses, auto-immunes et métaboliques,
sont également retrouvées associées aux hallucinations,
tant chez l’enfant que chez l’adulte [7].
Au vu de ces diverses étiologies, les hallucinations sont
de plus en plus considérées dans une perspective dimensionnelle et transnosographique.
La perspective développementale
Aussi surprenant que cela puisse paraître, ce symptôme est fréquemment retrouvé au cours du développement
normal. Souvent en lien avec des évènements environnementaux stressants, il peut se révéler bénin, et dans 58 à
95 % des cas, transitoire. Les symptômes s’amendent généralement lors de la résolution de situations anxiogènes [8].
Les parasomnies bénignes (hallucinations hypnagogiques
– au coucher – et hypnopompiques – au réveil) sont également des causes physiologiques fréquemment rapportées.
L’avancée en âge fait par ailleurs évoluer la relation
entre le symptôme, sa fréquence et son caractère pathologique. Les récentes études épidémiologiques estiment la
prévalence de ce symptôme dans la modalité auditive à
9 % chez les 7-8 ans, 17 % chez les 9-12 ans, 7,5 % chez
les 13-18 ans et à 5 % en population adulte [3]. Ces fréquences seraient à diviser par deux pour les hallucinations
survenant dans la modalité visuelle [9]. Il est à noter que
la fréquence du symptôme hallucinatoire semble diminuer
avec l’avancée en âge, à l’inverse de sa valeur pronostique.
La persistance ou l’apparition tardive de ce symptôme au
cours de l’adolescence constituerait un des premiers éléments pronostiques à rechercher [10].
Phénoménologie des hallucinations
À la différence des hallucinations intrapsychiques,
indépendantes des sens et d’emblée complexes, les hallucinations psychosensorielles peuvent concerner l’ensemble
des modalités sensorielles, et pour chacun de ces sens, des
phénomènes élémentaires et complexes sont distingués.
Les hallucinations auditives (HA), les plus fréquentes
quels que soient le contexte d’apparition, la culture et
l’âge, peuvent se traduire par de simples sons (rires, bourdonnements, sifflements, klaxons, sons d’animaux. . .), des
mots isolés (prénom. . .), des mélodies, ou des phrases
et dialogues élaborés. Dans ce dernier cas, il s’agit
d’hallucinations acoustico-verbales (HAV). Les HV sont
également fréquentes, allant de formes géométriques
(kaléidoscopes), phosphènes ou flashs, à la vision de
visages, personnes, animaux réels ou fantastiques, ou
objets divers. Dynamiques ou statiques, certaines, appelées
panoramiques, peuvent envahir tout le champ visuel. Les
hallucinations tactiles (HT) vont de simples picotements,
aux sensations de froid ou de brûlures sur la peau, et les
cénesthésiques (HC) concernent les organes internes et les
sensations ressenties dans le corps. Enfin, les hallucinations
olfactives (HO) et gustatives (HG) sont le plus souvent désagréables (nourriture, parfum, goudron, ammoniac, chairs
en décomposition, matières fécales, pourriture), allant de
la simple identification à l’attribution à une personne ou à
un événement de vie [11].
Le caractère multisensoriel
Au-delà de la complexité au sein d’une modalité sensorielle donnée, il n’est pas rare d’observer une fusion
des percepts pour produire une expérience hallucinatoire
multisensorielle. Dans la schizophrénie, les patients rapportent notamment des hallucinations audiovisuelles, où
ce qui est entendu constitue la bande-son de ce qui est vu.
Les HO sont également souvent associées aux HT et aux
HG. Ces trois modalités sensorielles sont regroupés sous
le terme de « TOGH » (tactil olfactory gustatory hallucinations) restent cependant encore difficiles à identifier et
malheureusement trop peu étudiées. Néanmoins, même si
cela reste en débat, l’intérêt pour ce type d’hallucinations
croît en raison de sa potentielle valeur pronostique psychiatrique. Leur présence tôt dans l’évolution pourrait en effet
signer une évolution plus défavorable [12].
Le caractère multisensoriel serait également prédominant dans la schizophrénie à début précoce, et serait le
marqueur d’une plus grande sévérité du trouble psychotique et d’un poids neurodéveloppemental plus important,
comme l’indique l’association avec l’ampleur de la déficience intellectuelle associée [13]. Chez la personne
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d’un âge avancé, l’aspect multisensoriel peut également
être retrouvé, notamment au décours d’une psychose
hallucinatoire chronique (PHC) dont le mécanisme principal est hallucinatoire et concerne essentiellement les
modalités auditives et cénesthésiques. Aux hallucinations
multisensorielles s’ajoutent des idées délirantes, souvent
sur le thème de la persécution, ainsi qu’un automatisme
mental.
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Modélisation cognitive
Il est depuis toujours dans la nature de l’homme de chercher à comprendre comment les phénomènes psychiques
surviennent. Les hallucinations ne font pas exception et
deux grands types d’approches ont pu être utilisés pour
conceptualiser ce symptôme.
Les premiers modèles de l’hallucination
Dans une perspective purement « bottom-up », où
la perception est considérée comme essentiellement
dépendante des ressources du système perceptif, les
hallucinations seraient la conséquence de dysfonctionnements dans les toutes premières étapes du traitement de
l’information sensorielle. Cette théorie est étayée par la fréquente observation d’expériences internes sensory-like chez
les patients atteints de cécité ou de surdité. Via un mécanisme de compensation survenant dans la même modalité
que celle concernée par le déficit, le cerveau produirait à
partir du bruit neuronal de bas niveau (et en l’absence de stimulation externe concurrente), de faux percepts à l’origine
d’expériences hallucinatoires [14]. Le paradigme d’écoute
dichotique a notamment contribué à l’hypothèse bottomup. Dans ce paradigme expérimental, deux stimuli auditifs
différents sont présentés à chaque oreille du participant
(droite et gauche), via un casque. Un avantage en faveur
du stimulus présenté à l’oreille droite est habituellement
observé chez le sujet sain indépendamment de la latéralité manuelle (right ear advantage [REA]). Le REA n’est pas
retrouvé chez les patients souffrant de schizophrénie avec
HAV, et il a été proposé que l’hémisphère gauche, déjà
engagé dans le traitement des HA, soit moins réceptif à la
stimulation auditive externe [15].
À l’inverse, dans une perspective « top-down » où nos
attentes, nos schémas cognitifs ainsi que nos aptitudes
cognitives, influenceraient notre perception du monde,
des auteurs tels que Grossberg ou Behrendt ont proposé que l’hallucination puisse résulter d’un déséquilibre
entre « information sensorielle » (facteur bottom-up) et
« imagerie mentale » (facteur top-down) [14]. Ce déséquilibre en faveur des facteurs top-down rendrait difficile la
distinction entre perception réelle et imaginée, et amènerait le sujet à les confondre. Cette priorisation de l’imagerie
mentale sur la sensation est appelée gain d’imagerie. La
théorie du gain d’imagerie s’est notamment basée sur le
célèbre White Christmas hallucination test. Dans cette expé-
120
rience, des sujets sains prédisposés aux hallucinations, et
préparés à devoir entendre des paroles de chanson en
situation d’écoute bruitée, avaient tendance à entendre
davantage de mots que les témoins alors qu’aucune chanson n’était en réalité présentée [16]. Daalman et al.
ont également mis en évidence un phénomène de gain
d’imagerie chez des sujets non psychotiques présentant
des HAV, via des attentes sémantiques [17]. Au travers
d’une tâche comportementale où les participants devaient
compléter la fin d’une phrase, les auteurs mettent clairement en évidence une association entre le nombre d’erreurs
top-down et la tendance à halluciner chez ces participants.
La fin de la phrase était soit absente et bruitée ou logique et
bruitée, soit illogique et bruitée. Les erreurs top-down équivalaient dans cette expérience à produire un mot logique à
la fin d’une phrase, alors que cette dernière était soit absente
et bruitée, soit illogique et bruitée. Ce phénomène est préférentiellement retrouvé dans la modalité auditive, et corrélé
à la sévérité des hallucinations [18]. Bien qu’aucun lien de
causalité entre hallucinations et gain d’imagerie n’ait pu
être démontré, la contribution de cette priorisation des facteurs top-down à la genèse des hallucinations semble être
un résultat répliqué.
La distinction entre modèles bottom-up et top-down
s’est par la suite progressivement complexifiée et intègre
désormais la notion de traitement conscient et non conscient de l’information. Deux catégories de modèles peuvent
à présent être distinguées : les modèles dits « préréflexifs »
conceptualisant l’altération des processus non conscients
de bas niveau tels que l’agentivité, et les modèles
« réflexifs », s’attelant aux dysfonctionnements des processus conscients tels que les jugements d’attribution et les
fonctions mnésiques et exécutives.
Les modèles préréflexifs de l’hallucination
Le concept d’agentivité
Un des concepts les plus influents à l’heure actuelle
se proposant d’expliquer l’émergence des hallucinations,
notamment intrapsychiques et acoustico-verbales, est celui
du défaut d’agentivité, modélisé au travers des potentiels
dysfonctionnements du modèle Forward et du Who system.
L’agentivité se définit comme le sentiment d’être à l’origine
de nos propres actions (i.e. être agent). Il s’agirait d’un
processus automatique, immédiat, survenant en amont des
capacités réflexives du sujet. Décrite comme une composante majeure du self, l’agentivité apparaît comme un
concept proche du « self minimal » de Shaun Gallagher,
défini comme le fait de se vivre en tant que sujet de
l’expérience immédiate.
Le défaut du modèle Forward
Dans la schizophrénie, le modèle du défaut d’agentivité
postule, comme mécanisme de base du symptôme hallucinatoire, des erreurs d’attribution de stimuli auto-générés.
Ainsi, il arrive que les patients souffrant de schizophrénie
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perçoivent leur langage intérieur comme une voix provenant d’une source extérieure (hallucinations), ou puissent
ne pas se sentir au contrôle de leurs actes (automatisme mental). Ces éléments, appelés phénomènes de
« passivité », seraient la conséquence d’une confusion
quant à l’origine de leurs propres pensées et actions.
Le défaut d’agentivité tel que décrit dans la schizophrénie a été notamment conceptualisé par des auteurs
tels que Chris Frith (1992) et Blakemore et al. au travers
du modèle du contrôle de l’action et de la prédiction
motrice [19]. Brièvement, les modèles Forward et Inverse
permettent le réajustement de l’action en cours, grâce
à la copie d’efférence (copie de l’action) qui joue un
rôle d’« éclaireur » afin de s’assurer que l’objectif a bien
été atteint (Cf. figure 1). Plus spécifiquement, le modèle
Forward compare la prédiction de l’action, d’une part
(état prédit), et les feedback sensoriels (état réel) produits
par l’action, d’autre part. Une forte compatibilité se traduit généralement par un sentiment d’être au contrôle/ à
l’origine de l’action. Les auteurs postulent que les phénomènes de passivité, observés chez ces patients pourraient
être causés par un défaut du modèle Forward. Alors que
chez l’individu sain, le modèle Forward produirait une atténuation des feedbacks sensoriels lorsqu’une action est autogénérée, les patients souffrant d’hallucinations percevraient
ces stimulations avec la même intensité que si la source avait
été externe [19]. Ainsi, grâce à une tâche expérimentale
dans laquelle des stimulations tactiles sont générées, soit
par les participants eux-mêmes, soit par l’expérimentateur,
Blakemore et al. ont pu mettre en évidence chez les
patients souffrant de schizophrénie avec HAV une absence
d’atténuation sensorielle des stimulations auto-générées.
D’un point de vue physiologique, Simons et al. ont également mis en évidence un trouble d’identification de la
source du percept à l’aide d’une tâche d’imagerie mentale auditive chez des patients souffrant de schizophrénie
et d’HAV [20]. Cette étude réalisée en imagerie cérébrale
fonctionnelle objectivait une plus faible désactivation du
gyrus temporal supérieur gauche chez ces patients (zone
impliquée de manière consistante en périodes hallucinatoires) lorsque les sujets devaient imaginer dans leur tête des
phrases générées par quelqu’un. D’un point de vue comportemental, les patients rencontraient de réelles difficultés à
identifier la source de ce qu’ils généraient, avec l’existence
d’un biais d’attribution externe. Ces résultats seraient en
accord avec un dysfonctionnement du modèle Forward
impliqué dans l’émergence des HAV [20]. Ces résultats
d’imagerie objectivant une confusion quant à l’origine des
percepts auto-générés sont cependant à nuancer au vu
d’autres études dans le domaine, où des différences en
État désiré
Comparaison de l’état désiré et
de l’état prédit grâce à l’envoi
d’une copie de l’efférence
aux structures intégratives.
1re version de ce modèle
(Frith 1992) infirmée par DelevoyeTurrell et al 2003.
Dissociation entre agentivité
et prédiction motrice
BUT
Commande
motrice
Mouvement
Envoi d’une copie d’efférence
M
O
D
E
L
État prédit
L’agentivité repose sur
l’adéquation entre l’état prédit
et l’état désiré possible grâce au
bon fonctionnement du modèle
Forward. Ainsi les feedback
sensoriels sont ressentis
comme atténués lors
de stimulations dont le sujet
est lui même à l’origine
État réel
F
O
R
W
A
R
D
I
N
V
E
R
S
E
M
O
D
E
L
Figure 1. Modèle du défaut d’agentivité chez les patients souffrant de schizophrénie et d’HAV (Frith, 1992 ; Blakemore et al. 2002 [19]).
Les systèmes Forward et Inverse ont pour rôle d’optimiser la commande motrice en anticipant et ajustant les mouvements nécessaires à la réalisation
d’un objectif. Ces deux modèles se basent sur la copie d’efférence qui apparaît dysfonctionnelle chez les patients souffrant de schizophrénie et d’HAV.
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121
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termes de bases neurales sont mises en évidence, concernant notamment l’aire motrice supplémentaire impliquée
dans le contrôle subjectif de l’action. Ces paradigmes seront
également davantage explorés dans la section relative aux
modèles réflexifs.
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Le dysfonctionnement du Who system
Une autre approche conceptualisant le défaut
d’agentivité chez les patients souffrant de schizophrénie a
pu quant à elle questionner le rôle potentiel des systèmes
miroirs dans la survenue des symptômes psychotiques [21].
Sur la base de travaux en imagerie cérébrale fonctionnelle,
il a en effet pu être montré que certaines aires pré-motrices
et pariétales, connues pour être riches en neurones miroirs
chez l’animal, s’activaient aussi bien lors de la réalisation
d’une action que lors de son observation chez l’homme.
Ces systèmes sont dits « miroirs », car ils sont recrutés que le
sujet soit impliqué dans l’action, en première ou troisième
personne (i.e. en tant qu’acteur ou en tant qu’observateur).
Il existerait donc, sur la base des systèmes miroirs, un
partage des représentations motrices internes, puisque les
mêmes aires cérébrales sont activées dans ces deux situations. Mais comment dans ce cas, le cerveau distingue-t-il
les actions qu’il produit de celles qu’il observe ?
Georgieff et Jeannerod [21] ont proposé l’existence
parallèle d’un second système (en plus du système miroir)
permettant l’attribution correcte des actions à soi ou autrui,
qu’ils nomment le Who system. Il s’agirait d’un processus
automatique (i.e. sans ambiguïté dans la vie de tous les
jours) à l’origine du sentiment d’agentivité. Dans le cas de la
schizophrénie, un dysfonctionnement du Who system pourrait rendre compte de la confusion clinique qu’éprouvent
les patients à déterminer ce qui est à l’origine de ce qu’ils
entendent, mécanisme que nous avons proposé comme
central dans la survenue d’HAV [22].
Au cours d’une tâche d’agentivité verbale, Jardri et al.
ont pu mettre en évidence un plus grand chevauchement
des aires cérébrales impliquées dans la distinction soi/non
soi chez les patients souffrant de schizophrénie avec HAV
comparativement aux sujets témoins non hallucinés. Ces
résultats étayent la théorie du Who system, en proposant
un substratum neurophysiologique pour la plus grande
ambiguïté vécue par les patients lorsqu’ils sont amenés à
identifier l’origine de leurs actions ou pensées.
Limites des modèles préréflexifs
de l’hallucination
Les modèles préréflexifs, bien qu’influents, ne permettent cependant pas d’expliquer un certain nombre de
caractéristiques phénoménologiques du symptôme hallucinatoire, notamment le fait que les voix entendues soient
souvent à la deuxième ou troisième personne ou encore
qu’elles puissent être de genre opposé à celui de l’individu
lui-même. Ces modèles se limitent d’ailleurs souvent à
rendre compte des expériences intrapsychiques ou surve-
122
nant dans la modalité auditive. Une autre limite repose sur le
fait que le défaut d’agentivité n’est pas spécifiquement associé aux hallucinations, mais davantage aux phénomènes
de passivité dans leur ensemble, comprenant également
l’automatisme mental. Une étude de cas a d’ailleurs montré
qu’il était possible de dissocier fonctionnellement hallucinations et défaut d’agentivité via les techniques de
neuro-modulation [23]. Cela pose la question de la spécificité de ces modèles aux expériences hallucinatoires
survenant chez les sujets souffrant de schizophrénie, et un
doute persiste quant à leur capacité à rendre compte des
expériences vécues par les « entendeurs de voix » non psychotiques. Malgré leur rôle prépondérant dans l’explication
de la formation et du maintien des symptômes hallucinatoires, ces conceptions ne semblent pas être suffisantes pour
en expliquer l’émergence.
Les modèles réflexifs
Les modèles réflexifs font l’hypothèse d’une implication prépondérante de processus conscients dans
l’hallucination, notamment au travers de l’association de
troubles mnésiques et exécutifs.
Les erreurs d’attribution
De nombreuses études se sont tout d’abord intéressées aux jugements d’attribution, processus conscients,
impliquant l’identification explicite de l’origine d’une stimulation. Souvent assimilés à la métacognition (voir aussi
section « Métacognition et hallucinations »), ces jugements
impliquent la représentation de nos propres connaissances
sur un événement donné.
En pratique clinique, la traditionnelle tâche de mémoire
de source nous permet d’évaluer ces processus. L’épreuve
se déroule généralement en deux temps. La première étape
consiste en la production ou l’écoute (la vision, l’olfaction)
de stimuli. La seconde étape consiste en l’identification
après un certain délai (ou non) de l’origine des stimuli, certains ayant été présentés lors de la première phase, d’autres
étant nouveaux. Il s’agit donc pour le sujet de distinguer
si les stimuli ont été « imaginés » ou « produits », soit par
lui-même, soit par l’investigateur, ou s’ils n’ont pas été présentés (nouveaux stimuli), impliquant alors trois distinctions
en termes de « source » (interne – entre ce qui est produit
et imaginé par la même personne –, externe – entre deux
personnes –, interne-externe – entre ce qui est fait par la
personne et par autrui [24]).
Comme son nom l’indique, la mémoire de source est
donc un processus mnésique impliquant notamment le
phénomène de binding, permettant de relier entre eux
les différents indices d’une situation afin de former un
souvenir cohérent et de se sentir à l’origine du souvenir en
question [24, 25]. Des processus exécutifs sont également
impliqués tels que la récupération des différents indices
contextuels et les processus de contrôle sélectionnant les
indices les plus pertinents. De manière plus ou moins
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consistante, les patients souffrant de schizophrénie avec
HAV ont des performances plus faibles à cette épreuve en
attribuant plus souvent les items générés par eux-mêmes
à autrui, démontrant leur difficulté à identifier la source
d’un événement [26]. Ces difficultés ont également été
retrouvées chez des participants sains prédisposés aux HAV
[24, 27]. De manière intéressante, ce défaut d’attribution
de la source a également été mis en évidence chez
des patients souffrant de la maladie de Parkinson (MP)
avec HV. Ces derniers feraient beaucoup plus d’erreurs
d’attribution comparativement à des patients MP sans HV
et des témoins sains. Les erreurs ne portaient cependant
pas sur la distinction de l’origine, mais sur la distinction
entre les modalités sensorielles des items présentés. Autrement dit, un patient MP avec HV aurait plus tendance à
croire qu’une image mentale générée par un mot est en
réalité une image réellement présentée [28]. Ces données
pourraient également être mises en lien avec le modèle de
gain d’imagerie discuté précédemment.
Enfin, des difficultés d’attribution ont également été
mises en évidence chez des patients souffrant de schizophrénie présentant des HO [29]. Non seulement Arguedas
et al. ont été les premiers à mettre en évidence un défaut
de mémoire de source dans le cas spécifique d’HO, mais
les résultats semblent également impliquer une spécificité
quant à la modalité sensorielle. Ainsi, les patients souffrant
de schizophrénie avec HAV inclus dans cette étude ne présentaient que des difficultés à la tâche de mémoire de source
verbale, et ceux présentant des HO, uniquement à la tâche
de mémoire de source olfactive.
Les modèles mnésiques et exécutifs
Waters et al. ont également proposé un modèle alliant
déficits mnésiques et exécutifs à l’origine de l’émergence
des hallucinations. Ces auteurs postulent qu’un déficit du
contrôle inhibiteur intentionnel associé à des intrusions
de fragments de souvenirs non pertinents serait à l’origine
de l’émergence des HA chez des patients souffrant de
schizophrénie [25].
Le contrôle inhibiteur volontaire nous permet en temps
normal de mettre de côté de manière consciente (et volontaire) les associations mentales et souvenirs auditifs non
pertinents qui traversent en permanence notre esprit, afin
de tenir une conversation cohérente. Chez les patients souffrant de schizophrénie, ce défaut d’inhibition aurait pour
conséquence l’intrusion intempestive d’éléments auditifs
non pertinents (souvenirs, représentations et associations
mentales), donnant naissance aux HA, dont les HAV. Ces
souvenirs seraient incomplets du fait d’un dysfonctionnement des processus intentionnels de binding, soit lors de
l’encodage, soit lors de la récupération, contrairement aux
processus de binding automatique qui seraient préservés
[30]. Cette intégration incomplète des indices contextuels
ne permettrait qu’un rappel partiel du souvenir en question et provoquerait le sentiment d’étrangeté fréquemment
rapporté par les patients.
L’hypothèse d’intrusions de souvenirs non pertinents,
précédemment posée par Nayani et David, corroborerait un
certain nombre de caractéristiques phénoménologiques des
HA. Ces dernières sont souvent décrites comme intrusives,
incontrôlables et involontaires ; les voix perçues sont fréquemment identifiées, bien dissociées de celle du patient,
parlées à la seconde ou troisième personne, et sont souvent
assimilées à d’anciennes conversations ; ces mécanismes
pourraient également rendre compte des autres HA telles
que les bruits environnementaux ou la musique.
Sur le plan comportemental, des difficultés d’inhibition
volontaire ont également été mises en évidence chez des
sujets sains présentant des HAV comparativement à d’autres
sujets sains n’en présentant pas. Les processus de binding
sont en revanche préservés, qu’ils soient automatiques ou
intentionnels [31].
Des données d’imagerie cérébrale étayent ces résultats,
mettant en évidence de manière consistante l’activation
du lobe temporal médian (incluant l’hippocampe et le
parahippocampe) durant la période hallucinatoire, régions
impliquées respectivement dans les processus de rappel
en mémoire à long terme et la contextualisation des
souvenirs [32]. De manière intéressante, plusieurs études
rapportent également une désactivation de cette région
dans les secondes précédant l’apparition de l’hallucination
[33]. Ces données restent bien évidemment à étoffer, mais
mettent d’ores et déjà en avant l’implication d’un dysfonctionnement des processus mnésiques dans l’émergence des
hallucinations.
Daalman et al. postulent quant à eux qu’une combinaison de déficits exécutifs et instrumentaux (sur le versant
langagier) pourrait être à l’origine de la tendance à halluciner dans le domaine verbal [34]. Ces difficultés d’inhibition
ne corroboreraient pas en revanche l’aspect intrusif chez
les sujets sains, caractéristique ne se retrouvant pas au premier plan dans cette population. De manière intéressante,
des difficultés exécutives se retrouvent également chez des
patients souffrant de troubles de la personnalité schizotypique, chez des patients souffrant d’HA fréquentes dans un
contexte épileptique, d’HV dans un contexte de pathologie
ophtalmique, ainsi que chez les patients souffrant de la MP
[35].
En plus de corroborer en partie la phénoménologie des
HAV, cette modélisation cognitive semble pouvoir s’adapter
aux hallucinations non psychotiques, puisque chez des
individus sains prédisposés aux HAV, Paulik et al. ont
pu mettre en évidence de subtiles mais réelles difficultés
d’inhibition intentionnelle de souvenirs non pertinents [36].
Métacognition et hallucinations
La métacognition a également été étudiée dans le cadre
de l’émergence des hallucinations. Elle désigne l’ensemble
des connaissances que le sujet a de son propre fonctionnement cognitif, mais également les croyances qu’il peut
générer vis-à-vis de ce dernier (se sentir capable de, le sentiment de contrôle sur sa vie. . .).
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Les croyances métacognitives (CM)
Les études s’intéressant aux liens entre CM et hallucinations se sont principalement basées sur le modèle
d’Anthony P. Morrison, postulant que des CM dysfonctionnelles pourraient être à l’origine des symptômes
hallucinatoires [37]. À l’heure actuelle, les résultats restent assez contradictoires d’une étude à l’autre, étayant
l’hypothèse d’une relation indirecte. En réalité, ces
croyances sur nos propres capacités cognitives, d’action
et d’apprentissage, et sur le contrôle que l’on peut avoir
de nos pensées influenceraient plutôt le niveau d’anxiété
(distress) associé aux hallucinations, à défaut d’être directement à l’origine de ce symptôme [38]. Il semble en revanche
qu’une relation plus explicite existe avec le risque de développer un trouble psychotique, plutôt qu’avec le risque de
développer un symptôme en particulier, ex. l’hallucination
[38].
Les connaissances métacognitives
Comme déjà mentionnées, les capacités de mémoire
de source peuvent être apparentées à des capacités métacognitives, et sont altérées chez les sujets avec hallucinations.
La TE a également été étudiée dans ce cadre, mais
seule une association indirecte a pu être mise en évidence avec les hallucinations. La TE désigne la faculté
à s’attribuer ou à attribuer à autrui des états mentaux
(pensées, émotions, intentions), à les comprendre et à
adapter son comportement en conséquence. Elle est essentielle au bon déroulement de nos interactions sociales. En
clinique, trois types d’épreuves permettent d’évaluer les
capacités de TE, à savoir les tâches évaluant les aspects
purement cognitifs (tâches de fausses croyances de 1er ou
2e ordre où le sujet doit comprendre le décalage entre ses
croyances et celles d’autrui), celles évaluant les aspects
affectifs (compréhension cognitive avec une appréciation
empathique) (faux pas social, humour, sarcasme, ironie),
et enfin celles alliant les deux [39]. Des difficultés spécifiques à inférer ce que l’autre pense, prétend ou a l’intention
de faire, telles qu’elles peuvent être observées dans la
schizophrénie [40], peuvent conduire à des interprétations
délirantes à la suite d’attributions causales erronées ou
de détection aberrante de coïncidences, mais non directement à l’émergence d’hallucinations [38]. Il en va de
même chez des sujets sains présentant des traits de personnalité schizotypiques chez qui aucun lien entre difficultés
de TE et susceptibilité à halluciner n’a pu être identifié
[40].
Dans cette même perspective, Bartels-Velthuis et al. ont
pu mettre en évidence, chez des enfants âgés de 12 à 13 ans
présentant des HAV, que le bon développement des capacités de mentalisation (i.e. de théorie de l’esprit) jouait un
rôle « protecteur » vis-à-vis du développement d’idéations
délirantes secondaires. Autrement dit, les enfants présentant des HA et de bonnes capacités de théorie de l’esprit
seraient moins susceptibles de développer un rationalisme
124
morbide sur l’origine des « voix », plus à même de prendre
du recul et peut-être aussi de développer des explications
alternatives à ces expériences [41].
Implications cliniques
Importance de l’observation et de l’anamnèse
En pratique clinique, les hallucinations ne sont pas suffisamment recherchées, notamment en dehors du champ de
la psychiatrie. Comme nous l’avons vu, ce symptôme, loin
d’être pathognomonique d’un trouble psychotique, peut se
retrouver au décours de nombreuses pathologies et à tous
les âges de la vie. L’anamnèse, l’observation clinique ainsi
que l’évaluation neuropsychologique sont des éléments clés
dans notre pratique quotidienne et permettent de recueillir
des informations précieuses sur une éventuelle problématique hallucinatoire.
L’observation du comportement du patient est essentielle, notamment si le patient est réticent à parler de ce
symptôme, ou si l’insight est faible. Les attitudes d’écoute
et les poursuites du regard sont des attitudes passives où
le sujet focalise toutes ses capacités attentionnelles sur
l’hallucination. Cette distractibilité excessive amène souvent le patient à faire répéter les questions posées en
entretien. Des attitudes bizarres et imposées, voire une
hyper-vigilance ou une certaine agitation motrice, peuvent
également être observées, en réponse à ce qui est entendu,
vu, ressenti ou en référence aux potentielles idées délirantes du patient. Les réponses verbales et émotionnelles
(rires immotivés) impromptues et inappropriées peuvent
traduire la présence de symptômes hallucinatoires envahissants, mais sont le plus souvent en rapport avec la dimension
dissociative d’un trouble schizophrénique. En population
pédiatrique plus particulièrement, l’expression clinique de
ce symptôme peut prendre la forme de plaintes somatiques
peu spécifiques (ex. douleurs abdominales. . .).
Lors de l’anamnèse, il est important d’identifier de
potentiels facteurs prédisposant (privations sensorielles ou
de sommeil, carences affectives, traumatismes, consommations de substances), ou de maintien, notamment dans
le cadre d’une pathologie psychiatrique constituée, ainsi
qu’un maximum d’informations sur le fonctionnement global, touchant les sphères professionnelles ou scolaires chez
l’enfant, ainsi que sociales.
Certains outils psychométriques permettant la
recherche, la qualification (phénoménologie) ou la quantification (sévérité) du symptôme peuvent être utilisés pour
compléter l’entretien libre. Loin d’être exhaustif, quelques
outils rapides et traduits en français peuvent être proposés.
Quelques outils psychométriques
L’Adolescent Psychotic-Like Symptom Screener (APSS)
est un instrument d’évaluation rapide de dépistage
des expériences psychotiques chez l’adolescent. La
Launay-Slade Hallucinations Scale (LSHS, Launay et Slade,
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1981) est une échelle d’auto-évaluation simple et rapide
d’utilisation, mesurant la prédisposition à halluciner. Cet
outil a été utilisé de manière régulière quelle que soit la
population, psychiatrique ou générale. La Computerized
Binary Scale Of Auditory Speech Hallucinations (cbSASH,
Stephane et al., 2006) permet d’investiguer la phénoménologie des HAV en y associant d’autres modalités
sensorielles. Elle a pour particularité d’inclure une échelle
de fiabilité en posant les mêmes questions mais formulées autrement afin de s’assurer de la validité des réponses.
La Scale For Assessment Of Positive Symptoms (SAPS,
Andreansen, 1984) et la Psychotic Symptom Rating Scale
(PSYRATS, Haddock et al., 1999), permettent quant à elles
de mesurer la sévérité du symptôme [42].
Une fois ces éléments recueillis, il convient de les interpréter de manière adéquate. La présence d’hallucinations
en soi n’est pas synonyme de pathologie mais certains
éléments doivent alerter. La persistance d’un symptôme
démarré dans l’enfance et se maintenant à l’adolescence
(ou leur apparition tardive, > 21 ans) associée à une grande
fréquence d’apparition, un contenu négatif et un manque
de contrôle sont les quatre caractéristiques permettant, avec
une valeur prédictive positive (VPP) de 88 %, une distinction entre expériences bénignes et expériences à risque
psychotique. À elle seule, la valence émotionnelle négative du contenu de l’hallucination recueille une VPP de
92 % [10]. Une chute brutale des performances scolaires,
des bizarreries de comportement ainsi qu’un isolement
social progressif sont aussi des signes annonciateurs d’un
pronostic plus sombre chez l’enfant ou adolescent avec
hallucinations.
L’évaluation cognitive
Cette évaluation nous permet de recueillir des informations pertinentes en lien avec le symptôme hallucinatoire
même s’il n’existe pas d’évaluation neuropsychologique ou
d’épreuve spécifique à l’hallucination. Une grande partie
des études s’est intéressée aux profils cognitifs en lien avec
la schizophrénie, qu’il s’agisse de prodromes ou de psychose avérée. En revanche, peu d’études se sont attelées
aux altérations cognitives spécifiquement en lien avec les
HAV.
En population adulte
Les HAV sont retrouvées spécifiquement associées à
des troubles exécutifs, en lien notamment avec les conceptions de Waters et al. Dans cette perspective, des difficultés
d’inhibition intentionnelle ont pu être mises en évidence
chez des sujets sains prédisposés aux hallucinations [25].
Rappelons que ce contrôle inhibiteur intentionnel nous
permet de mettre de côté de manière consciente et volontaire les associations mentales et souvenirs auditifs non
pertinents qui traversent en permanence notre esprit, afin
de tenir une conversation cohérente. L’épreuve neuropsychologique mettant en évidence un défaut d’inhibition
volontaire la plus utilisée est le Hayling Sentence Completion Test. Dans ce test, le participant doit compléter
des phrases, dans un premier temps de manière logique,
puis dans un second, de manière illogique. C’est dans cette
deuxième partie, dite expérimentale, où les performances
d’inhibition volontaire seront cotées. Les auteurs ont également utilisé une tâche informatisée, l’ICIM (l’Inhibition
Of Currently Irrevelant Memories), consistant en l’inhibition
volontaire de 52 images d’animaux présentées au cours de
quatre sessions. Le participant est prévenu qu’au cours de la
première session, il verra des animaux et qu’il doit identifier
ceux qui apparaîtront plusieurs fois. Pour les autres sessions,
la consigne est d’oublier les images déjà vues et d’identifier
les images qui se répètent mais seulement au sein de la session en question. Les performances pour la première session
dépendent de l’apprentissage, alors que celles des sessions
suivantes dépendent de l’inhibition volontaire de ce qui a
déjà été vu. C’est donc le nombre de fausses alarmes dans
les trois dernières sessions qui informera sur les capacités
d’inhibition du sujet [25].
Gisselgård et al. ont pu également démontrer une association spécifique entre la présence d’HAV et de faibles
performances en mémoire de travail verbale chez des participants présentant un premier épisode psychotique. Les
auteurs utilisaient les épreuves de mémoire de chiffres et
de séquences lettres-chiffres de la WAIS III. Daalman et al.
avaient également mis en évidence des difficultés sur le
versant langagier, notamment l’aspect réceptif consistant
en la dénomination d’images [34]. Enfin, DeFreitas et al.
ont quant à eux mis en évidence une association spécifique entre sévérité des hallucinations et difficultés d’accès
au lexique chez des patients souffrant de schizophrénie au
travers de tâches de fluence verbale [43].
En population pédiatrique
Cullen et al. mettent en évidence chez des enfants âgés
de 9 à 12 ans présentant des signes précurseurs de la schizophrénie, des performances cognitives globales dans les
limites inférieures de la norme, par rapport à des enfants
témoins appariés [44]. Il s’agissait dans les deux groupes
d’enfants sains, même si le groupe d’enfants avec antécédents incluait des participants présentant des difficultés
de développement des capacités langagières ou motrices,
des troubles du comportement et des symptômes psychotiques infra-cliniques, dont des hallucinations.
Plus spécifiquement, des altérations des aptitudes
motrices (vitesse de traitement de l’information et vitesse
d’exécution), ainsi que des troubles langagiers affectant en
particulier le versant réceptif (dénomination d’images) ont
été mises en évidence chez des adolescents de 11 à 13 ans
présentant des symptômes psychotiques (majoritairement
des HA et HV) [45].
Les troubles moteurs semblent être retrouvés de manière
consistante au travers de la littérature, qu’il s’agisse de sujets
jugés à haut risque, du stade prodromal, ou de schizophrénie avérée. Il semblerait même que ces signes neurologiques
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mineurs soient un des marqueurs cognitifs précoces de schizophrénie, sans association systématique aux symptômes
hallucinatoires. Au même titre que, et en association à la
présence d’hallucinations au cours de l’adolescence, des
performances déficitaires à l’épreuve des « symboles » de
la WAIS IV sont associées à un plus grand risque de développer un trouble psychotique à l’âge adulte [46]. Une étude
réalisée chez des personnes âgées souffrant de schizophrénie a par ailleurs pu mettre en évidence que cette épreuve
et la manière dont le sujet traite l’information apportaient
des informations sur la manière de fonctionner au quotidien [47]. Ainsi, les capacités de vitesse de traitement
de l’information, au même titre que celle d’attention et
de mémoire de travail, seraient impliquées dans le bon
déroulement des relations sociales et dans les compétences
fonctionnelles. Plus précisément, la vitesse de traitement de
l’information serait impliquée dans les compétences professionnelles et interpersonnelles.
Enfin, Frommann et al. ont proposé une chronologie
d’apparition des troubles cognitifs durant les stades prodromaux des troubles psychotiques, qu’ils dissocient en deux
étapes, le early prodromal state (EPS) et le late prodomal
state (LPS). Des altérations exécutives et motrices seraient
au premier plan lors de l’EPS, alors que des difficultés mnésiques verbales émergeraient ensuite lors du LPS. Le LPS
serait un bon prédicteur de la transition psychotique.
Discussion
Peu d’études se sont spécifiquement intéressées aux
marqueurs cognitifs de la susceptibilité à halluciner,
cependant quelques pistes d’intervention émergent, tant
du point de vue de l’évaluation que de la prise en
charge. Les modèles cognitifs les plus influents à l’heure
actuelle sont issus du constat que les patients souffrant
d’hallucinations présentent plus de difficultés à reconnaître
leurs propres actions et qu’ils les attribueraient plus souvent de manière erronée à l’extérieur. Ainsi, la psychologie
cognitive contemporaine nous apporte une compréhension
plus fine du symptôme en postulant un dysfonctionnement des processus tant préréflexifs (agentivité) que réflexifs
(jugements d’attribution, troubles mnésiques et exécutifs)
comme mécanismes de base des hallucinations.
Au vu des données actuelles, il apparaît évident que
des altérations concomitantes peuvent survenir à différents
niveaux de la hiérarchie du traitement de l’information et
qu’un modèle en particulier ne peut expliquer à lui seul la
genèse du symptôme hallucinatoire. Malgré tout, il semble
que des difficultés mnésiques et exécutives soient associées de manière plus ou moins robuste à la présence de
symptômes hallucinatoires, sans pour autant parler d’un
quelconque lien de causalité.
Cette association apparaît significative tant chez des
individus sains prédisposés aux hallucinations [24, 27, 36],
chez des individus non psychotiques « entendeurs de voix »
(ou voice hearers), chez ceux présentant des traits de per-
126
sonnalité schizotypique, chez des patients souffrant de
schizophrénie et d’HAV [25, 26] ou d’HO [30], chez des
patients souffrant de la MP et présentant des HV [28, 35], et
enfin chez des patients présentant des troubles épileptiques
avec HA et ophtalmiques avec HV.
Forts de ces considérations, les professionnels de la neuropsychologie ont à leur disposition plusieurs outils, non
seulement relationnels, psychométriques mais surtout neuropsychologiques afin d’évaluer plus précisément, en cas
de suspicion de présence du symptôme hallucinatoire, les
capacités exécutives et mnésiques de la personne concernée. L’identification (présence ou non) et la caractérisation
(modalités sensorielles. . .) du symptôme sont essentielles
à la prise en charge d’un patient quel que soit le contexte
nosographique. Il s’agira bien souvent d’une première étape
dans la prise de conscience de la maladie s’il y a lieu
(insight), et dans la compréhension des symptômes qui en
découlent, et renforcera l’alliance thérapeutique indispensable à un suivi de qualité.
Loin de se restreindre à un cadre nosographique
univoque, notamment en psychiatrie, les hallucinations se
retrouvent également, nous l’avons vu, au décours d’un certain nombre de pathologies comme lors du développement
normal. Malgré les avantages de l’approche catégorielle
instaurée à l’origine par Kraepelin et perpétuée au travers
des différentes versions des classifications internationales,
telles que le Diagnostic & Statistical Manual Of Mental
Disorders (DSM) (prise de décision thérapeutique, critères
d’inclusion/d’exclusion en recherche, reproductibilité et
communication des résultats entre professionnels), celle-ci
se retrouve sérieusement mise à mal par ce symptôme.
En effet, non spécifique d’un point de vue étiologique et
impliquant des processus cognitifs communs, ce symptôme
gagnerait à être exploré dans un cadre dimensionnel et
diachronique [48]. Van Os et al. mettent en évidence que
cette approche dimensionnelle pourrait être également
plus adaptée pour l’élaboration des projets de soins
personnalisés au quotidien [49]. Elle permet par ailleurs
une destigmatisation du symptôme hallucinatoire aux yeux
de tout un chacun d’une part, et d’autre part, l’ouverture
sur des perspectives intéressantes tant en recherche qu’en
pratique clinique.
L’approche cognitive participe donc pleinement, au
même titre que l’imagerie cérébrale et la neurophysiologie,
à cette conception dimensionnelle. Même si les données
recensées ici nécessitent encore réplication, le symptôme
hallucinatoire nous semble devoir tendre vers une entité
à part entière, évaluée et prise en charge de manière
spécifique.
Se pose bien sûr la question de la causalité entre symptômes hallucinatoires et troubles cognitifs. Il reste de ce
point de vue difficile de savoir si les troubles cognitifs
rencontrés chez les sujets hallucinés sont causés par ces
symptômes ou inversement. Des atteintes cognitives sont
en effet retrouvées dès les stades précoces d’un trouble psychotique, et persisteraient malgré la prise de traitement, ce
qui laisse actuellement penser que ces marqueurs cogni-
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tifs seraient davantage des facteurs de vulnérabilité (trait) de
l’hallucination. La stabilité des troubles cognitifs pourrait
d’ailleurs être davantage explorée dans cette perspective de
mécanisme « trait » ou « état », étant donné le caractère
phasique (i.e. non permanent) des hallucinations.
Des perspectives de recherche émergent également de
ces nouvelles données. Les différentes modalités sensorielles mériteraient d’être davantage explorées. Il existe
actuellement quelques similitudes quant aux modélisations des HA, HV et des HO, de par les difficultés
d’attribution de la source, ainsi que de l’influence prépondérante des facteurs top-down, mais très peu d’études sont
disponibles concernant les hallucinations gustatives et tactiles, notamment concernant leur modélisation. L’approche
transdiagnostique reste elle aussi trop peu envisagée, alors
même qu’elle permettrait de mettre en évidence les mécanismes cognitifs communs impliqués dans l’émergence et
dans le maintien de l’hallucination, indépendamment de
ceux associés à la schizophrénie. Garety et al. placent par
exemple les émotions au centre de leur modèle des symptômes positifs. Il a en effet été démontré que les émotions
pouvaient déclencher et contribuer au maintien des hallucinations (notamment chez les patients présentant des
troubles dépressifs ou anxieux) mais avaient également un
impact sur le contenu (i.e. la congruence à l’humeur dans le
trouble bipolaire ou des voix angoissantes chez les patients
schizophrènes avec faible estime de soi). Enfin, d’un point
de vue méthodologique, les procédures transdiagnostiques
gagneraient également à intégrer des populations contrôles supplémentaires, telles que des sujets « entendeurs de
voix », mais ne répondant pas aux critères diagnostiques
d’un trouble psychiatrique constitué. Cela permettrait également d’obtenir des données propres aux hallucinations,
indépendant de facteurs confondants tels que la chronicité
d’évolution d’une pathologie neurologique ou psychiatrique, la médicamentation ou encore les hospitalisations
répétées.
La neuropsychologie cognitive propose un niveau
d’analyse intermédiaire entre la recherche d’un substratum neurophysiologique et l’observation clinique des
symptômes. Au même titre que l’étude des diagnostics
différentiels, l’étude du symptôme hallucinatoire offre la
possibilité de mettre à l’épreuve les modèles de la psychologie cognitive, développés chez le participant sain,
et de les enrichir à partir des résultats de l’imagerie
cérébrale, de la neurophysiologie et la neuropsychologie.
L’étude des troubles cognitifs associés à l’hallucination
apparaît centrale, puisqu’ils semblent non seulement précéder l’éclosion de certaines pathologies et accompagner
leur évolution, mais également persister malgré les traitements établis. Par ailleurs, il a été démontré que ces troubles
cognitifs contribuaient de manière déterminante aux difficultés fonctionnelles dans le quotidien des patients, tant à
un niveau social que professionnel, et qu’ils seraient même
un des meilleurs prédicteurs de leur évolution à long terme
[50], justifiant par là même une prise en charge spécifique
au travers de la remédiation cognitive.
Liens d’intérêts
les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en
rapport avec cet article.
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