Journal Identification = NRP Article Identification = 0298 Date: July 28, 2014 Time: 5:2 pm
doi: 10.1684/nrp.2014.0298
REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
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Article de synthèse
Rev Neuropsychol
2014 ; 6 (2) : 117-128 Hallucinations et cognition :
une modélisation au service
de notre pratique en neuropsychologie
Hallucinations and cognition:
how cognitive models serve
neuropsychological practice
Morgane Demeulemeester1,2,
Christine Moroni1,
Frédéric Kochman2,3,
Pierre Thomas1,3, Renaud Jardri1,3
1Laboratoire de neurosciences fonctionnelles
et pathologies, Université Droit et San
de Lille, EA 4559, Parc EuraSan
59120 Loos, France
2Clinique Lautréamont,
Groupe ORPEA-CLINEA, 1 rue de Londres,
59120 Loos, France
<modemeulem[email protected]>
3CHRU de Lille, Hôpital Fontan, Pôle
de psychiatrie, CS 70001, 59037 Lille, France
Pour citer cet article : Demeulemeester M,
Moroni C, Kochman F, Thomas P, Jardri
R. Hallucinations et cognition : une modé-
lisation au service de notre pratique en
neuropsychologie. Rev Neuropsychol 2014 ;
6 (2) : 117-128 doi:10.1684/nrp.2014.0298
Résumé Les hallucinations se définissent comme de fausses percep-
tions, i.e. des perceptions vécues comme réelles par le sujet
alors même qu’aucune stimulation externe n’est présente. Ces expériences peuvent concer-
ner toutes les modalités sensorielles, avoir de multiples étiologies et survenir à chacun des
âges de la vie. Peu spécifique d’une pathologie donnée, l’hallucination s’envisage davantage
actuellement comme une dimension clinique transnosographique. Au cours des dernières
décennies, de nombreux modèles cognitifs ont conceptualisé l’émergence de ce symptôme.
Cet article propose d’en faire une synthèse tout en confrontant ces théories à la pratique quo-
tidienne d’évaluation en neuropsychologie. Les modèles issus de la psychologie cognitive
tendent à être de plus en plus complémentaires et propres à la dimension «hallucination »,
indépendamment du diagnostic sous-jacent. Pour autant, certains mécanismes restent dif-
ficilement appréciables en clinique. Les connaissances issues de la neurophysiologie, de
la neuro-modulation ou encore de la réalité virtuelle, permettent aujourd’hui, au regard
des données récentes de l’imagerie cérébrale, une première tentative de validation de nos
pratiques, en termes d’évaluation clinique et psychométrique, et de prise en charge théra-
peutique de l’hallucination.
Mots clés : hallucinations ·perception ·cognition ·évaluation neuropsychologique ·approche dimen-
sionnelle
Abstract Hallucinations are defined as erroneous percepts, i.e. per-
ceptions experienced as real by the subject, despite an
absence of external stimulation. Hallucinations may concern every sensory modality, be
the consequence of various etiologies and occur at all ages. Due to their weak diagnosis
specificity, hallucinatory experiences are more considered as a translational clinical dimen-
sion, which may be observed during normal development or pathological conditions, as
Parkinson’s disease, schizophrenia and so on. In the past decades, several cognitive models
conceptualized the emergence of hallucinations. This paper aims at reviewing the existing
theories of hallucinations and confronts them to the daily neuropsychological practice.
The models derived from cognitive psychology tend to be complementary and specific
to the up-mentioned dimensional approach. However, some mechanisms stay difficult to
grasp in the clinical practice. Data from the neurophysiology, neuromodulation or virtual
reality literature, combined with recent brain-imaging findings, allow to built a validating
framework for our practice, in terms of (i) psychometric, (ii) clinical evaluation, and (iii)
care programs, all dedicated to the hallucinatory phenomena.
Key words: hallucinations ·perception ·cognition ·neuropsychological assessment ·dimensional
approach
Correspondance :
M. Demeulemeester
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NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
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Article de synthèse
Introduction
Constat d’actualité
Les hallucinations restent à l’heure actuelle des symp-
tômes difficiles à appréhender pour les professionnels de
santé. Face à une problématique hallucinatoire, les élé-
ments à même d’en caractériser précisément la nature
ou le retentissement sont peu connus et bien souvent
le pronostic est laissé entre les mains du temps. Long-
temps taboues, les hallucinations restent un sujet délicat
en société, puisque fréquemment assimilées à la folie. À
l’opposé d’une approche dichotomique, que l’on pourrait
qualifier de «classique »(normal/pathologique), les hallu-
cinations s’inscriraient davantage le long d’un continuum,
allant de phénomènes physiologiques ou développemen-
taux à des pathologies constituées de l’enfant et de l’adulte.
Il nous semble à présent urgent de destigmatiser les per-
sonnes souffrant de tels symptômes, et de fournir des
éléments d’évaluation cliniques concrets et pertinents,
indispensables à l’adaptation de la démarche diagnostique
et thérapeutique face à l’hallucination.
Définitions et principaux diagnostics différentiels
L’illusion, l’hallucinose et les compagnons imaginaires
constituent les trois principaux diagnostics différentiels
des hallucinations. L’illusion et l’hallucinose se situent au
rang d’erreurs perceptives, à la différence du compagnon
imaginaire (CI), fréquemment retrouvé au cours du déve-
loppement normal.
L’illusion se définit comme la perception déformée
d’un objet physique réel, dans l’un de ses attributs (forme,
dimension, localisation, intensité, durée). Il s’agit d’un
phénomène physiologique, que tout un chacun peut expé-
rimenter. L’hallucinose est en revanche une perception
sans objet physique à percevoir (principalement visuelle
palinopsie – et auditive – palinacousie). À la différence
de l’hallucination, l’hallucinose est d’emblée reconnue
comme pathologique par l’individu qui en fait l’expérience
[1].
Le CI, retrouvé chez 28 à 65 % des jeunes enfants pré-
pubères, constitue également un diagnostic différentiel à ne
pas méconnaître. À la différence des hallucinations, il appa-
raît à la guise de l’enfant, principalement dans un contexte
de jeu et n’est donc pas source d’angoisse ni d’anxiété. Le
CI n’entrave d’ailleurs pas le développement chez l’enfant
de l’interaction avec les pairs. Par ailleurs, il semblerait être
un marqueur positif du développement des capacités de
théorie de l’esprit (TE), notamment quand l’enfant main-
tient de bonnes relations avec ses pairs indépendamment
de la présence du CI [2].
L’hallucination se définit par contraste comme une per-
ception sans objet physique à percevoir s’imposant à la
conscience d’un individu éveillé. Elle se distingue net-
tement des autres fausses perceptions par son caractère
immersif, son aspect souvent effrayant et par l’absence de
critique de ce qui est perc¸u [1].
L’hallucination, un symptôme complexe
aux multiples enjeux
La difficulté d’évaluation
L’hallucination est un symptôme subjectif qui se révèle
difficile à évaluer en pratique clinique, et ce pour plusieurs
raisons. Premièrement, il n’est pas directement observable
et est souvent tenu secret, tant chez l’enfant que chez
l’adulte, souvent dans le but de ne pas inquiéter l’entourage.
Dans le cadre d’un trouble psychotique (ex. schizophrénie),
le recueil d’informations peut par ailleurs être compliqué
par une altération de la prise de conscience du trouble
(i.e. un défaut d’insight), un rationalisme délirant ou un dis-
cours désorganisé. L’entourage (parents, conjoint) peut dans
certains cas aider à identifier la présence d’hallucinations,
encore faut-il qu’il y soit sensibilisé.
Deuxièmement, le contexte culturel peut venir influen-
cer la représentation ou la compréhension de ce symptôme.
Au sein de certaines cultures africaines ou orientales,
les hallucinations visuelles (HV) et tactiles semblent non
seulement plus fréquentes, mais peuvent également être
attribuées à des causes surnaturelles en lien avec des
croyances magico-religieuses traditionnelles. De même,
les événements de nature traumatique ou les situations
de deuils peuvent favoriser l’émergence et le maintien
de ces expériences hallucinatoires [2]. Ces éléments sont
essentiels pour comprendre le contexte d’apparition du
symptôme et orienter les hypothèses diagnostiques.
Enfin, troisièmement, l’évaluation est également difficile
du fait du peu d’outils d’évaluation disponibles, notamment
en population pédiatrique. Qu’il s’agisse de la psychométrie
ou de la neuropsychologie, les outils disponibles ne sont pas
toujours spécifiques (évaluant l’ensemble des symptômes
de la lignée psychotique), ou lorsqu’ils le sont, peuvent
uniquement concerner : (i) les expériences survenant chez
l’adulte, (ii) la modalité auditive, et (iii) se focaliser sur le
cadre nosographique de la schizophrénie.
Le double enjeu clinique
Les hallucinations présentent un double enjeu cli-
nique. La non-reconnaissance du symptôme, tout comme
sa médicamentation trop précoce, peuvent avoir des consé-
quences délétères en termes de pronostic clinique, cognitif
et social. Il est essentiel de rechercher leur présence,
en restant toutefois prudent, notamment en population
pédiatrique où ce symptôme est fréquent sans être systé-
matiquement pathologique. Les symptômes psychotiques
isolés (hallucinations, délires...) sont d’ailleurs bien plus
fréquents que le trouble psychotique constitué, et ce,
tout au long du développement [3]. Une surveillance de
l’évolution de ce symptôme reste cruciale. Il a été démon-
tré qu’au-delà de la question de la présence isolée de
ces symptômes, c’est la persistance d’hallucinations de
la période pré-pubère à l’adolescence qui a la plus forte
valeur prédictive, avec une majoration d’un facteur 16
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NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
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Article de synthèse
du risque de développer un trouble psychotique à
l’âge adulte [4] (voir aussi plus loin, «La perspective
développementale »).
Le caractère transdiagnostique
Les hallucinations peuvent apparaître au décours d’une
multitude de pathologies, qu’elles soient organiques (prise
de toxiques, crises d’épilepsie, migraines avec aura,
lésions ou tumeurs cérébrales), ophtalmiques (syndrome de
Charles Bonnet sur dégénérescence maculaire liée à l’âge,
glaucome...), ou neurodégénératives (démence à corps de
Lewy, maladie d’Alzheimer, de Parkinson).
De nombreuses pathologies psychiatriques sont égale-
ment concernées par ce symptôme (troubles de l’humeur,
trouble de stress post-traumatique, spectre schizophré-
nique, troubles de la personnalité). Une forte association
au cours du développement est d’ailleurs retrouvée entre
hallucinations et un certain nombre de pathologies psy-
chiatriques sans trouble psychotique tels que les troubles
dépressifs et anxieux de l’enfant. Plus particulièrement,
chez les adolescents, ces symptômes seraient associés à
un plus grand risque de développer un, voire plusieurs,
trouble(s) psychopathologique(s), notamment sur l’axe 1 du
DSM-IV, comparativement aux enfants pré-pubères (80 %
chez les 13-16 ans contre 57 % chez les 11-13 ans) [5].
Les troubles des apprentissages seraient également concer-
nés, tels que le TDA/H (trouble déficitaire de l’attention
avec ou sans hyperactivité) diagnostiqué dans lequel 22 %
des cas présenteraient des hallucinations [6], alors que le
risque d’hallucination pharmaco-induite par le méthylphé-
nidate est estimé à 0,5-1 %. D’autres étiologies, notamment
génétiques, infectieuses, auto-immunes et métaboliques,
sont également retrouvées associées aux hallucinations,
tant chez l’enfant que chez l’adulte [7].
Au vu de ces diverses étiologies, les hallucinations sont
de plus en plus considérées dans une perspective dimen-
sionnelle et transnosographique.
La perspective développementale
Aussi surprenant que cela puisse paraître, ce symp-
tôme est fréquemment retrouvé au cours du développement
normal. Souvent en lien avec des évènements environne-
mentaux stressants, il peut se révéler bénin, et dans 58 à
95 % des cas, transitoire. Les symptômes s’amendent géné-
ralement lors de la résolution de situations anxiogènes [8].
Les parasomnies bénignes (hallucinations hypnagogiques
– au coucher – et hypnopompiques – au réveil) sont égale-
ment des causes physiologiques fréquemment rapportées.
L’avancée en âge fait par ailleurs évoluer la relation
entre le symptôme, sa fréquence et son caractère patho-
logique. Les récentes études épidémiologiques estiment la
prévalence de ce symptôme dans la modalité auditive à
9 % chez les 7-8 ans, 17 % chez les 9-12 ans, 7,5 % chez
les 13-18 ans et à 5 % en population adulte [3]. Ces fré-
quences seraient à diviser par deux pour les hallucinations
survenant dans la modalité visuelle [9]. Il est à noter que
la fréquence du symptôme hallucinatoire semble diminuer
avec l’avancée en âge, à l’inverse de sa valeur pronostique.
La persistance ou l’apparition tardive de ce symptôme au
cours de l’adolescence constituerait un des premiers élé-
ments pronostiques à rechercher [10].
Phénoménologie des hallucinations
À la différence des hallucinations intrapsychiques,
indépendantes des sens et d’emblée complexes, les hallu-
cinations psychosensorielles peuvent concerner l’ensemble
des modalités sensorielles, et pour chacun de ces sens, des
phénomènes élémentaires et complexes sont distingués.
Les hallucinations auditives (HA), les plus fréquentes
quels que soient le contexte d’apparition, la culture et
l’âge, peuvent se traduire par de simples sons (rires, bour-
donnements, sifflements, klaxons, sons d’animaux...), des
mots isolés (prénom...), des mélodies, ou des phrases
et dialogues élaborés. Dans ce dernier cas, il s’agit
d’hallucinations acoustico-verbales (HAV). Les HV sont
également fréquentes, allant de formes géométriques
(kaléidoscopes), phosphènes ou flashs, à la vision de
visages, personnes, animaux réels ou fantastiques, ou
objets divers. Dynamiques ou statiques, certaines, appelées
panoramiques, peuvent envahir tout le champ visuel. Les
hallucinations tactiles (HT) vont de simples picotements,
aux sensations de froid ou de brûlures sur la peau, et les
cénesthésiques (HC) concernent les organes internes et les
sensations ressenties dans le corps. Enfin, les hallucinations
olfactives (HO) et gustatives (HG) sont le plus souvent désa-
gréables (nourriture, parfum, goudron, ammoniac, chairs
en décomposition, matières fécales, pourriture), allant de
la simple identification à l’attribution à une personne ou à
un événement de vie [11].
Le caractère multisensoriel
Au-delà de la complexité au sein d’une modalité sen-
sorielle donnée, il n’est pas rare d’observer une fusion
des percepts pour produire une expérience hallucinatoire
multisensorielle. Dans la schizophrénie, les patients rap-
portent notamment des hallucinations audiovisuelles, où
ce qui est entendu constitue la bande-son de ce qui est vu.
Les HO sont également souvent associées aux HT et aux
HG. Ces trois modalités sensorielles sont regroupés sous
le terme de «TOGH »(tactil olfactory gustatory halluci-
nations) restent cependant encore difficiles à identifier et
malheureusement trop peu étudiées. Néanmoins, même si
cela reste en débat, l’intérêt pour ce type d’hallucinations
croît en raison de sa potentielle valeur pronostique psychia-
trique. Leur présence tôt dans l’évolution pourrait en effet
signer une évolution plus défavorable [12].
Le caractère multisensoriel serait également prédomi-
nant dans la schizophrénie à début précoce, et serait le
marqueur d’une plus grande sévérité du trouble psycho-
tique et d’un poids neurodéveloppemental plus important,
comme l’indique l’association avec l’ampleur de la défi-
cience intellectuelle associée [13]. Chez la personne
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NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
120
Article de synthèse
d’un âge avancé, l’aspect multisensoriel peut également
être retrouvé, notamment au décours d’une psychose
hallucinatoire chronique (PHC) dont le mécanisme prin-
cipal est hallucinatoire et concerne essentiellement les
modalités auditives et cénesthésiques. Aux hallucinations
multisensorielles s’ajoutent des idées délirantes, souvent
sur le thème de la persécution, ainsi qu’un automatisme
mental.
Modélisation cognitive
Il est depuis toujours dans la nature de l’homme de cher-
cher à comprendre comment les phénomènes psychiques
surviennent. Les hallucinations ne font pas exception et
deux grands types d’approches ont pu être utilisés pour
conceptualiser ce symptôme.
Les premiers modèles de l’hallucination
Dans une perspective purement «bottom-up »,où
la perception est considérée comme essentiellement
dépendante des ressources du système perceptif, les
hallucinations seraient la conséquence de dysfonctionne-
ments dans les toutes premières étapes du traitement de
l’information sensorielle. Cette théorie est étayée par la fré-
quente observation d’expériences internes sensory-like chez
les patients atteints de cécité ou de surdité. Via un méca-
nisme de compensation survenant dans la même modalité
que celle concernée par le déficit, le cerveau produirait à
partir du bruit neuronal de bas niveau (et en l’absence de sti-
mulation externe concurrente), de faux percepts à l’origine
d’expériences hallucinatoires [14]. Le paradigme d’écoute
dichotique a notamment contribué à l’hypothèse bottom-
up. Dans ce paradigme expérimental, deux stimuli auditifs
différents sont présentés à chaque oreille du participant
(droite et gauche), via un casque. Un avantage en faveur
du stimulus présenté à l’oreille droite est habituellement
observé chez le sujet sain indépendamment de la latéra-
lité manuelle (right ear advantage [REA]). Le REA n’est pas
retrouvé chez les patients souffrant de schizophrénie avec
HAV, et il a été proposé que l’hémisphère gauche, déjà
engagé dans le traitement des HA, soit moins réceptif à la
stimulation auditive externe [15].
À l’inverse, dans une perspective «top-down »où nos
attentes, nos schémas cognitifs ainsi que nos aptitudes
cognitives, influenceraient notre perception du monde,
des auteurs tels que Grossberg ou Behrendt ont pro-
posé que l’hallucination puisse résulter d’un déséquilibre
entre «information sensorielle »(facteur bottom-up)et
«imagerie mentale »(facteur top-down) [14]. Ce déséqui-
libre en faveur des facteurs top-down rendrait difficile la
distinction entre perception réelle et imaginée, et amène-
rait le sujet à les confondre. Cette priorisation de l’imagerie
mentale sur la sensation est appelée gain d’imagerie. La
théorie du gain d’imagerie s’est notamment basée sur le
célèbre White Christmas hallucination test. Dans cette expé-
rience, des sujets sains prédisposés aux hallucinations, et
préparés à devoir entendre des paroles de chanson en
situation d’écoute bruitée, avaient tendance à entendre
davantage de mots que les témoins alors qu’aucune chan-
son n’était en réalité présentée [16]. Daalman et al.
ont également mis en évidence un phénomène de gain
d’imagerie chez des sujets non psychotiques présentant
des HAV, via des attentes sémantiques [17]. Au travers
d’une tâche comportementale où les participants devaient
compléter la fin d’une phrase, les auteurs mettent claire-
ment en évidence une association entre le nombre d’erreurs
top-down et la tendance à halluciner chez ces participants.
La fin de la phrase était soit absente et bruitée ou logique et
bruitée, soit illogique et bruitée. Les erreurs top-down équi-
valaient dans cette expérience à produire un mot logique à
la fin d’une phrase, alors que cette dernière était soit absente
et bruitée, soit illogique et bruitée. Ce phénomène est préfé-
rentiellement retrouvé dans la modalité auditive, et corrélé
à la sévérité des hallucinations [18]. Bien qu’aucun lien de
causalité entre hallucinations et gain d’imagerie n’ait pu
être démontré, la contribution de cette priorisation des fac-
teurs top-down à la genèse des hallucinations semble être
un résultat répliqué.
La distinction entre modèles bottom-up et top-down
s’est par la suite progressivement complexifiée et intègre
désormais la notion de traitement conscient et non cons-
cient de l’information. Deux catégories de modèles peuvent
à présent être distinguées : les modèles dits «préréflexifs »
conceptualisant l’altération des processus non conscients
de bas niveau tels que l’agentivité, et les modèles
«réflexifs », s’attelant aux dysfonctionnements des proces-
sus conscients tels que les jugements d’attribution et les
fonctions mnésiques et exécutives.
Les modèles préréflexifs de l’hallucination
Le concept d’agentivité
Un des concepts les plus influents à l’heure actuelle
se proposant d’expliquer l’émergence des hallucinations,
notamment intrapsychiques et acoustico-verbales, est celui
du défaut d’agentivité, modélisé au travers des potentiels
dysfonctionnements du modèle Forward et du Who system.
L’agentivité se définit comme le sentiment d’être à l’origine
de nos propres actions (i.e. être agent). Il s’agirait d’un
processus automatique, immédiat, survenant en amont des
capacités réflexives du sujet. Décrite comme une compo-
sante majeure du self, l’agentivité apparaît comme un
concept proche du «self minimal »de Shaun Gallagher,
défini comme le fait de se vivre en tant que sujet de
l’expérience immédiate.
Le défaut du modèle Forward
Dans la schizophrénie, le modèle du défaut d’agentivité
postule, comme mécanisme de base du symptôme hallu-
cinatoire, des erreurs d’attribution de stimuli auto-générés.
Ainsi, il arrive que les patients souffrant de schizophrénie
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NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
121
Article de synthèse
perc¸oivent leur langage intérieur comme une voix prove-
nant d’une source extérieure (hallucinations), ou puissent
ne pas se sentir au contrôle de leurs actes (automa-
tisme mental). Ces éléments, appelés phénomènes de
«passivité », seraient la conséquence d’une confusion
quant à l’origine de leurs propres pensées et actions.
Le défaut d’agentivité tel que décrit dans la schizo-
phrénie a été notamment conceptualisé par des auteurs
tels que Chris Frith (1992) et Blakemore et al. au travers
du modèle du contrôle de l’action et de la prédiction
motrice [19]. Brièvement, les modèles Forward et Inverse
permettent le réajustement de l’action en cours, grâce
à la copie d’efférence (copie de l’action) qui joue un
rôle d’«éclaireur »afin de s’assurer que l’objectif a bien
été atteint (Cf. figure 1). Plus spécifiquement, le modèle
Forward compare la prédiction de l’action, d’une part
(état prédit), et les feedback sensoriels (état réel) produits
par l’action, d’autre part. Une forte compatibilité se tra-
duit généralement par un sentiment d’être au contrôle/ à
l’origine de l’action. Les auteurs postulent que les phéno-
mènes de passivité, observés chez ces patients pourraient
être causés par un défaut du modèle Forward. Alors que
chez l’individu sain, le modèle Forward produirait une atté-
nuation des feedbacks sensoriels lorsqu’une action est auto-
générée, les patients souffrant d’hallucinations percevraient
ces stimulations avec la même intensité que si la source avait
été externe [19]. Ainsi, grâce à une tâche expérimentale
dans laquelle des stimulations tactiles sont générées, soit
par les participants eux-mêmes, soit par l’expérimentateur,
Blakemore et al. ont pu mettre en évidence chez les
patients souffrant de schizophrénie avec HAV une absence
d’atténuation sensorielle des stimulations auto-générées.
D’un point de vue physiologique, Simons et al. ont éga-
lement mis en évidence un trouble d’identification de la
source du percept à l’aide d’une tâche d’imagerie men-
tale auditive chez des patients souffrant de schizophrénie
et d’HAV [20]. Cette étude réalisée en imagerie cérébrale
fonctionnelle objectivait une plus faible désactivation du
gyrus temporal supérieur gauche chez ces patients (zone
impliquée de manière consistante en périodes hallucina-
toires) lorsque les sujets devaient imaginer dans leur tête des
phrases générées par quelqu’un. D’un point de vue compor-
temental, les patients rencontraient de réelles difficultés à
identifier la source de ce qu’ils généraient, avec l’existence
d’un biais d’attribution externe. Ces résultats seraient en
accord avec un dysfonctionnement du modèle Forward
impliqué dans l’émergence des HAV [20]. Ces résultats
d’imagerie objectivant une confusion quant à l’origine des
percepts auto-générés sont cependant à nuancer au vu
d’autres études dans le domaine, où des différences en
Comparaison de l’état désiré et
de l’état prédit grâce à l’envoi
d’une copie de l’efférence
aux structures intégratives.
1re version de ce modèle
(Frith 1992) infirmée par Delevoye-
Turrell et al 2003.
Dissociation entre agentivité
et prédiction motrice
Envoi d’une copie d’efférence
L’agentivité repose sur
l’adéquation entre l’état prédit
et l’état désiré possible grâce au
bon fonctionnement du modèle
Forward. Ainsi les feedback
sensoriels sont ressentis
comme atténués lors
de stimulations dont le sujet
est lui même à l’origine
État désiré
État prédit
État réel
BUT
Commande
motrice
Mouvement
F
O
R
W
A
R
D
M
O
D
E
L
I
N
V
E
R
S
E
M
O
D
E
L
Figure 1. Modèle du défaut d’agentivité chez les patients souffrant de schizophrénie et d’HAV (Frith, 1992 ; Blakemore et al. 2002 [19]).
Les systèmes Forward et Inverse ont pour rôle d’optimiser la commande motrice en anticipant et ajustant les mouvements nécessaires à la réalisation
d’un objectif. Ces deux modèles se basent sur la copie d’efférence qui apparaît dysfonctionnelle chez les patients souffrant de schizophrénie et d’HAV.
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