7.3.1 Examen de l`éthique de la recherche

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7.3.1 Examen de l'éthique de la recherche
Jonathan Kimmelman, PhD
Objectifs d'apprentissage
Après examen de l'étude de cas, l'apprenant doit être en mesure de :
1. Comprendre les fondements qui justifient la tenue d'un examen indépendant avant la conduite de
recherches cliniques
2. Comprendre les principaux enjeux examinés par les comités d'éthique de la recherche durant leur examen
des protocoles proposés
Cas
Les céphalosporines sont couramment administrées durant une chirurgie pour prévenir l'infection postopératoire
de la plaie. Depuis longtemps, le Dr Tong utilise une céphalosporine de première génération pour ses patients qui
subissent une chirurgie, estimant que ce type d'antibiotiques est aussi efficace pour lutter contre l'infection et
qu'il est, par surcroît, moins coûteux qu'une céphalosporine à large spectre comme la ceftizoxime. Cependant,
d'autres centres médicaux optent de plus en plus pour des céphalosporines à large spectre, et le Dr Tong a luimême utilisé la ceftizoxime à quelques reprises. Notant l'absence de données concluantes sur la supériorité des
céphalosporines à large spectre, le Dr Tong propose de mener une étude dans le cadre de laquelle les patients
seront répartis de façon aléatoire entre ceux recevant de la ceftizoxime et les autres traités par une
céphalosporine de première génération, la céfazoline. Le Dr Tong propose d'évaluer les signes d'infection chez les
patients à intervalles réguliers durant la période de récupération, puis 30 jours après leur départ de l'hôpital. La
séparation des patients se fera selon un protocole masqué, tout comme l'évaluation des résultats.
Cependant, le Dr Tong considère que d'avoir à soumettre son projet de recherche à un comité d'éthique de la
recherche est une exigence bureaucratique contraignante, ainsi qu'une atteinte à son autonomie professionnelle.
L'étude prévoit une évaluation en parallèle de deux pratiques médicales couramment utilisées. Aucun motif
plausible ne laisse croire que l'innocuité ou l'efficacité de l'un ou l'autre traitement variera de façon significative,
ni que le contrôle de l'infection s'écartera de la norme de diligence. De plus, tous les patients inscrits à l'étude
feront l'objet d'une surveillance plus étroite sur le plan de l'infection que les patients qui subissent normalement
une chirurgie.
Questions
1. Pourquoi le Dr Tong doit il obtenir une autorisation pour administrer un médicament à la moitié de ses
patients, mais n'a pas à le faire s'il veut administrer le même médicament à l'ensemble de ses patients?
2. Pourquoi cette étude doit elle faire l'objet d'un examen indépendant par un comité d'éthique de la
recherche?
3. Quels facteurs généraux le comité d'éthique de la recherche devrait il examiner durant l'examen d'un
protocole de recherche de cette nature?
4. Compte tenu du niveau de risque que comporte la proposition du Dr Tong et du fait que les deux
antibiotiques sont couramment utilisés en chirurgie, ne pourrait-on pas considérer qu'en consentant aux
soins, le patient consent également à participer à l'étude?
5. Comment les cliniciens pourraient ils déterminer quand une activité doit être soumise à un examen
indépendant et quand il faut obtenir un consentement libre et éclairé?
Discussion
Q1. Pourquoi le Dr Tong doit il obtenir une autorisation pour administrer un médicament à la
moitié de ses patients, mais n'a pas à le faire s'il veut administrer le même médicament à
l'ensemble de ses patients?
Une réponse simple à cette question serait la suivante : si le Dr Tong fait à ce point confiance au
médicament qu'il serait prêt à l'administrer à tous ses patients, pourquoi propose t il dans son protocole
d'en priver la moitié des patients? Comme nous le verrons ci après, refuser à des patients l'accès à un
médicament ayant des avantages manifestes constituerait un manquement à l'éthique contraire à
l'obligation du médecin de défendre l'intérêt supérieur des personnes qui sont sous ses soins.
Q2. Pourquoi cette étude doit elle faire l'objet d'un examen indépendant par un comité d'éthique
de la recherche?
L'histoire de l'éthique de la recherche clinique a été largement façonnée par des scandales qui ont forcé
l'adoption de mesures. Ainsi, à la suite des révélations d'atrocités commises par les médecins nazis sur
les prisonniers des camps de concentration, le Code de Nuremberg1 (et par la suite la Déclaration
d'Helsinki)2 ont établi que le consentement éclairé et l'équilibre entre les risques et les avantages
constituaient les principaux défis éthiques de la recherche sur les humains. Ces politiques laissaient
toutefois largement à la discrétion des médecins-chercheurs le soin de juger les risques, les avantages,
les procédures de consentement et la rigueur scientifique de leurs protocoles. Une autre série de
scandales durant les années 1960 et 1970 (notamment les exposés relatant les expériences menées à
la Willowbrook State School et au Jewish Chronic Disease Hospital de Brooklyn, à New York, et l'étude
d'observation de Tuskegee sur la syphilis)3 a mis en lumière certaines limites de l'autoréglementation. À
partir de ce moment, la question des loyautés divisées est devenue le principal défi éthique de la
recherche clinique. Les médecins qui mènent des recherches cliniques sont des fiduciaires et, à ce titre,
ils ont l'obligation de promouvoir le bien être et les intérêts des personnes qui sont sous leurs soins.
Cependant, les protocoles de recherche visent principalement à profiter à la société par la collecte de
connaissances généralisables; ils peuvent donc prévoir des pratiques susceptibles d'entrer en
concurrence avec la prestation de soins optimaux (p. ex., la randomisation, le masquage, les régimes à
dose fixée). Le principal motif qui justifie la conduite d'un examen indépendant découle d'une
préoccupation selon laquelle le médecin-chercheur doit concilier des intérêts divergents, en l'occurrence
ceux des patients actuels et ceux des futurs patients qui pourraient profiter des connaissances acquises,
ce qui diffère de la prestation habituelle des soins médicaux.
Q3. Quels facteurs généraux le comité d'éthique de la recherche devrait il examiner durant
l'examen d'un protocole de recherche de cette nature?
Trois principes fondamentaux sous tendent la recherche clinique : le respect de la personne, la
bienfaisance et la justice4. Cependant, l'interprétation qui est faite de ces principes, ainsi que la
manière dont ils se traduisent dans la pratique, varient considérablement. Il existe malgré tout un vaste
consensus international selon lequel le protocole de recherche doit respecter les six conditions suivantes
pour être considéré conforme à l'éthique :
Obtenir un consentement éclairé valide.
Élaborer un protocole qui assure un équilibre raisonnable entre les risques et les avantages.
Élaborer un plan d'étude qui soit valable sur le plan méthodologique et qui propose l'examen d'une
question utile.
Voir à ce que les sujets soient sélectionnés d'une manière équitable.
Garantir aux sujets le respect de leur vie privée, le droit de se retirer de l'étude et l'accès à
l'information susceptible d'influencer leur décision de maintenir ou non leur participation.
Soumettre les protocoles à un examen indépendant.
La principale fonction du comité d'éthique de la recherche est de s'assurer que le protocole de
recherche respecte ces six conditions, y compris la dernière dont le comité d'éthique de la recherche
doit s'acquitter en veillant à ce que ses membres possèdent les compétences médicales, éthiques et
juridiques nécessaires à l'examen du protocole proposé. Les comités d'éthique de la recherche sont
également appelés à gérer les conflits d'intérêts.
Q4. Compte tenu du niveau de risque que comporte la proposition du Dr Tong et du fait que les
deux antibiotiques sont couramment utilisés en chirurgie, ne pourrait-on pas considérer qu'en
consentant aux soins le patient consent également à participer à l'étude?
Obtenir et documenter un consentement éclairé exigent des chercheurs le respect d'exigences
administratives et l'affectation de ressources supplémentaires. Certains cliniciens estiment en outre que
le juridisme de ce processus perturbe la relation de confiance entre le soignant et le patient. La
question pourrait être reformulée comme suit : « Sur le plan éthique, le Dr Tong pourrait il être
soustrait de l'obligation d'obtenir un consentement éclairé? » D'une part, il est plausible de croire qu'il
le pourrait. En effet, à l'exception de l'appel téléphonique de suivi fait après 30 jours, les chirurgiens de
l'étude ne s'écarteraient pas de la norme de diligence. De plus, il n'est pas habituel pour les chirurgiens
de décrire en détail, avant une intervention, quels antibiotiques précis seront administrés. Alors
pourquoi devraient ils être tenus de le faire dans le cas présent? La réponse à cette question se trouve
dans les codes de déontologie qui définissent les critères à respecter pour renoncer au processus de
consentement éclairé. Selon l'Énoncé de politique des trois Conseils : Éthique de la recherche avec des
êtres humains5, le renoncement au consentement ne peut être autorisé que si :
la recherche comporte un risque minimal,
l'abandon de l'exigence de consentement risque peu d'avoir des conséquences négatives sur les
sujets,
obtenir le consentement serait peu pratique,
dans la mesure du possible, un compte rendu sera fourni aux sujets après l'étude,
l'étude ne comporte pas d'intervention thérapeutique.
Manifestement, l'étude du Dr Tong ne respecterait ni la troisième condition (« peu pratique » n'est pas
synonyme de contraignant), ni la cinquième. Sur le plan éthique, il semble que ce soit une erreur de
considérer le risque comme la seule raison d'obtenir un consentement éclairé. Comme on l'a indiqué
précédemment, le principal problème sur le plan éthique vient du fait que la recherche clinique cherche
essentiellement à servir les intérêts des futurs patients. La société reconnaît généralement aux
individus le droit de choisir les activités auxquelles ils veulent participer et celui de comprendre la
nature des liens qui les lient à autrui. Répondant à une proposition de recherche très similaire, un
groupe d'éthiciens a formulé la déclaration suivante : si l'on renonce à l'obligation d'obtenir un
consentement, « tous les intervenants sont au courant [que les sujets participent à un projet de
recherche?, sauf les sujets eux-mêmes. Comment pareille pratique peut elle être justifiable? »
(traduction)6. Cependant, compte tenu du faible niveau de risque et du fait que les médicaments à
l'étude ne constituent pas un écart majeur par rapport à la pratique médicale normale, un document de
consentement abrégé, visant essentiellement à expliquer le fait de la recherche et non ses détails,
pourrait être mieux indiqué ici que les longs formulaires utilisés pour les recherches comportant plus de
risque.
Q5. Comment les cliniciens pourraient ils déterminer quand une activité doit être soumise à un
examen indépendant et quand il faut obtenir un consentement libre et éclairé?
À certains égards, le clinicien mène une recherche chaque fois qu'il administre un médicament. Ainsi,
les médecins prescrivent souvent des médicaments pour des emplois non conformes, en ayant
l'intuition que cela pourrait être bénéfique pour les patients. La proposition du Dr Tong laisse croire à
une étude qui se rapprocherait davantage d'un projet d'amélioration de la qualité que d'une recherche
clinique. Certaines activités, comme les essais contrôlés randomisés sur de nouveaux médicaments,
répondent clairement à la définition de recherche et doivent faire l'objet d'un examen indépendant.
D'autres activités, telles que les chirurgies novatrices, sont beaucoup plus ambiguës et ne seront
généralement pas soumises à un examen par le comité d'éthique de la recherche. La proposition du Dr
Tong se rapproche d'une troisième catégorie de recherche, celle des projets d'amélioration de la qualité
dont le but est d'aider les fournisseurs de soins de santé à optimiser les soins et à réduire au minimum
les dépenses. Or l'Énoncé de politique des trois Conseils stipule que les études d'assurance de qualité
n'ont pas à faire l'objet d'un examen par un comité d'éthique de la recherche5.
Il n'existe pas de règles simples pour déterminer quelles études sont des « recherches » qui doivent
faire l'objet d'un examen indépendant et lesquelles sont des protocoles de soins novateurs ou des
études d'assurance de qualité. Voici néanmoins quelques considérations fondamentales à envisager.
Premièrement, dans quelle mesure le protocole nuit-il à la pratique clinique normale? Selon la
proposition du Dr Tong, le soignant (Dr Tong) ne pourra savoir quel antibiotique a été administré et,
sous l'effet de la randomisation, ne pourra utiliser son propre jugement médical pour décider quel
antibiotique doit être utilisé. Ces exigences nécessaires à la validité de l'étude semblent éloigner le Dr
Tong de sa manière habituelle d'exercer la médecine. Deuxièmement, dans quelle mesure l'information
obtenue d'un protocole particulier pourrait-elle être bénéfique au sujet dans l'avenir? Dans l'étude du Dr
Tong, il est peu probable que ses patients auront à subir une autre chirurgie identique; ils sont donc
moins susceptibles de profiter des connaissances qui seront acquises durant l'étude que les futurs
patients. Cependant, les études sur l'amélioration de la qualité fournissent souvent des renseignements
qui peuvent être utilisés pour optimiser les soins dispensés aux sujets actuels, ainsi qu'aux futurs
patients. Les comités d'éthique de la recherche disposent de ressources et de personnel limités et, si les
études mineures sur l'assurance de la qualité leur étaient toujours soumises, cela pourrait avoir pour
effet d'empêcher l'affectation de ressources à des études plus litigieuses sur le plan éthique. Dans le
doute, toutefois, le chercheur devrait toujours communiquer avec un administrateur du comité
d'éthique de la recherche pour savoir s'il doit soumettre son protocole à un examen ou s'il vaut mieux
demander un examen accéléré.
Références
1. « Nuremberg code: directives for human experimentation », dans Trials of war criminals before the
Nuremberg military tribunals under control council law, vol 2, no 10, Washington, D.C., U.S. Government
Printing Office, 1949. p. 181–2. Texte publié sur le site http://ohsr.od.nih.gov/guidelines/nuremberg.html
2. Association médicale mondiale. Déclaration d’Helsinki : Principes éthiques applicables aux recherches
médicales sur des sujets humains, Association médicale mondiale [adoptée en 1964; dernière mise à jour
2004]. Texte publié sur le site : http://www.wma.net/f/policy/b3.htm
3. Faden, R.R., T.L. Beauchamp et N.M.P. King. A history and theory of informed consent, New York, Oxford
University Press, 1986.
4. National Commission for the Protection of Human Subjects of Biomedical and Behavioral Research. The
Belmont report: ethical principles and guidelines for the protection of human subjects of research,
Washington, D.C., Government Printing Office, 1979. Texte publié sur le site :
http://ohsr.od.nih.gov/guidelines/belmont.html
5. Instituts de recherche en santé du Canada, Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du
Canada, Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Énoncé de politique des trois Conseils :
Éthique de la recherche avec des êtres humains, Ottawa, Travaux publics et Services gouvernementaux
Canada, 2003. Texte publié sur le site :
http://www.pre.ethics.gc.ca/francais/pdf/TCPS%20octobre%202005_F.pdf
Ressources
Moreno, J.D. « Goodbye to all that. The end of moderate protectionism in human subjects research »,
Hastings Center Report, 2001, vol. 31, no 3, p. 9–17.
Appelbaum, P.S., L.H. Roth, C.W. Lidz, P. Benson et W. Winslade. « False hopes and best data: consent to
research and the therapeutic misconception », Hastings Center Report, 1987, vol. 17, no 2, p. 20–24.
Emanuel, E.J., D. Wendler et C. Grady. « What makes clinical research ethical? », JAMA: Journal of the
American Medical Association, 2000, vol. 283, no 20, p. 2701–2711.
Kass, N.E., J. Sugarman, R. Faden et M. Schoch-Spana. « Trust, the fragile foundation of contemporary
biomedical research », Hastings Center Report, 1996, vol. 26, no 5, p. 25–29.
Casarett, D., J.H. Karlawish et J. Sugarman. « Determining when quality improvement initiatives should be
considered research: proposed criteria and potential implications », JAMA: Journal of the American Medical
Association, 2000, vol. 283, no 17, p. 2275–2280.
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