(1&2856'¶(;$0(1 7.3.1 Examen de l'éthique de la recherche Jonathan Kimmelman, PhD Objectifs d'apprentissage Après examen de l'étude de cas, l'apprenant doit être en mesure de : 1. Comprendre les fondements qui justifient la tenue d'un examen indépendant avant la conduite de recherches cliniques 2. Comprendre les principaux enjeux examinés par les comités d'éthique de la recherche durant leur examen des protocoles proposés Cas Les céphalosporines sont couramment administrées durant une chirurgie pour prévenir l'infection postopératoire de la plaie. Depuis longtemps, le Dr Tong utilise une céphalosporine de première génération pour ses patients qui subissent une chirurgie, estimant que ce type d'antibiotiques est aussi efficace pour lutter contre l'infection et qu'il est, par surcroît, moins coûteux qu'une céphalosporine à large spectre comme la ceftizoxime. Cependant, d'autres centres médicaux optent de plus en plus pour des céphalosporines à large spectre, et le Dr Tong a luimême utilisé la ceftizoxime à quelques reprises. Notant l'absence de données concluantes sur la supériorité des céphalosporines à large spectre, le Dr Tong propose de mener une étude dans le cadre de laquelle les patients seront répartis de façon aléatoire entre ceux recevant de la ceftizoxime et les autres traités par une céphalosporine de première génération, la céfazoline. Le Dr Tong propose d'évaluer les signes d'infection chez les patients à intervalles réguliers durant la période de récupération, puis 30 jours après leur départ de l'hôpital. La séparation des patients se fera selon un protocole masqué, tout comme l'évaluation des résultats. Cependant, le Dr Tong considère que d'avoir à soumettre son projet de recherche à un comité d'éthique de la recherche est une exigence bureaucratique contraignante, ainsi qu'une atteinte à son autonomie professionnelle. L'étude prévoit une évaluation en parallèle de deux pratiques médicales couramment utilisées. Aucun motif plausible ne laisse croire que l'innocuité ou l'efficacité de l'un ou l'autre traitement variera de façon significative, ni que le contrôle de l'infection s'écartera de la norme de diligence. De plus, tous les patients inscrits à l'étude feront l'objet d'une surveillance plus étroite sur le plan de l'infection que les patients qui subissent normalement une chirurgie. Questions 1. Pourquoi le Dr Tong doit il obtenir une autorisation pour administrer un médicament à la moitié de ses patients, mais n'a pas à le faire s'il veut administrer le même médicament à l'ensemble de ses patients? 2. Pourquoi cette étude doit elle faire l'objet d'un examen indépendant par un comité d'éthique de la recherche? 3. Quels facteurs généraux le comité d'éthique de la recherche devrait il examiner durant l'examen d'un protocole de recherche de cette nature? 4. Compte tenu du niveau de risque que comporte la proposition du Dr Tong et du fait que les deux antibiotiques sont couramment utilisés en chirurgie, ne pourrait-on pas considérer qu'en consentant aux soins, le patient consent également à participer à l'étude? 5. Comment les cliniciens pourraient ils déterminer quand une activité doit être soumise à un examen indépendant et quand il faut obtenir un consentement libre et éclairé? Discussion Q1. Pourquoi le Dr Tong doit il obtenir une autorisation pour administrer un médicament à la moitié de ses patients, mais n'a pas à le faire s'il veut administrer le même médicament à l'ensemble de ses patients? Une réponse simple à cette question serait la suivante : si le Dr Tong fait à ce point confiance au médicament qu'il serait prêt à l'administrer à tous ses patients, pourquoi propose t il dans son protocole d'en priver la moitié des patients? Comme nous le verrons ci après, refuser à des patients l'accès à un médicament ayant des avantages manifestes constituerait un manquement à l'éthique contraire à l'obligation du médecin de défendre l'intérêt supérieur des personnes qui sont sous ses soins. Q2. Pourquoi cette étude doit elle faire l'objet d'un examen indépendant par un comité d'éthique de la recherche? L'histoire de l'éthique de la recherche clinique a été largement façonnée par des scandales qui ont forcé l'adoption de mesures. Ainsi, à la suite des révélations d'atrocités commises par les médecins nazis sur les prisonniers des camps de concentration, le Code de Nuremberg1 (et par la suite la Déclaration d'Helsinki)2 ont établi que le consentement éclairé et l'équilibre entre les risques et les avantages constituaient les principaux défis éthiques de la recherche sur les humains. Ces politiques laissaient toutefois largement à la discrétion des médecins-chercheurs le soin de juger les risques, les avantages, les procédures de consentement et la rigueur scientifique de leurs protocoles. Une autre série de scandales durant les années 1960 et 1970 (notamment les exposés relatant les expériences menées à la Willowbrook State School et au Jewish Chronic Disease Hospital de Brooklyn, à New York, et l'étude d'observation de Tuskegee sur la syphilis)3 a mis en lumière certaines limites de l'autoréglementation. À partir de ce moment, la question des loyautés divisées est devenue le principal défi éthique de la recherche clinique. Les médecins qui mènent des recherches cliniques sont des fiduciaires et, à ce titre, ils ont l'obligation de promouvoir le bien être et les intérêts des personnes qui sont sous leurs soins. Cependant, les protocoles de recherche visent principalement à profiter à la société par la collecte de connaissances généralisables; ils peuvent donc prévoir des pratiques susceptibles d'entrer en concurrence avec la prestation de soins optimaux (p. ex., la randomisation, le masquage, les régimes à dose fixée). Le principal motif qui justifie la conduite d'un examen indépendant découle d'une préoccupation selon laquelle le médecin-chercheur doit concilier des intérêts divergents, en l'occurrence ceux des patients actuels et ceux des futurs patients qui pourraient profiter des connaissances acquises, ce qui diffère de la prestation habituelle des soins médicaux. Q3. Quels facteurs généraux le comité d'éthique de la recherche devrait il examiner durant l'examen d'un protocole de recherche de cette nature? Trois principes fondamentaux sous tendent la recherche clinique : le respect de la personne, la bienfaisance et la justice4. Cependant, l'interprétation qui est faite de ces principes, ainsi que la manière dont ils se traduisent dans la pratique, varient considérablement. Il existe malgré tout un vaste consensus international selon lequel le protocole de recherche doit respecter les six conditions suivantes pour être considéré conforme à l'éthique : Obtenir un consentement éclairé valide. Élaborer un protocole qui assure un équilibre raisonnable entre les risques et les avantages. Élaborer un plan d'étude qui soit valable sur le plan méthodologique et qui propose l'examen d'une question utile. Voir à ce que les sujets soient sélectionnés d'une manière équitable. Garantir aux sujets le respect de leur vie privée, le droit de se retirer de l'étude et l'accès à l'information susceptible d'influencer leur décision de maintenir ou non leur participation. Soumettre les protocoles à un examen indépendant. La principale fonction du comité d'éthique de la recherche est de s'assurer que le protocole de recherche respecte ces six conditions, y compris la dernière dont le comité d'éthique de la recherche doit s'acquitter en veillant à ce que ses membres possèdent les compétences médicales, éthiques et juridiques nécessaires à l'examen du protocole proposé. Les comités d'éthique de la recherche sont également appelés à gérer les conflits d'intérêts. Q4. Compte tenu du niveau de risque que comporte la proposition du Dr Tong et du fait que les deux antibiotiques sont couramment utilisés en chirurgie, ne pourrait-on pas considérer qu'en consentant aux soins le patient consent également à participer à l'étude? Obtenir et documenter un consentement éclairé exigent des chercheurs le respect d'exigences administratives et l'affectation de ressources supplémentaires. Certains cliniciens estiment en outre que le juridisme de ce processus perturbe la relation de confiance entre le soignant et le patient. La question pourrait être reformulée comme suit : « Sur le plan éthique, le Dr Tong pourrait il être soustrait de l'obligation d'obtenir un consentement éclairé? » D'une part, il est plausible de croire qu'il le pourrait. En effet, à l'exception de l'appel téléphonique de suivi fait après 30 jours, les chirurgiens de l'étude ne s'écarteraient pas de la norme de diligence. De plus, il n'est pas habituel pour les chirurgiens de décrire en détail, avant une intervention, quels antibiotiques précis seront administrés. Alors pourquoi devraient ils être tenus de le faire dans le cas présent? La réponse à cette question se trouve dans les codes de déontologie qui définissent les critères à respecter pour renoncer au processus de consentement éclairé. Selon l'Énoncé de politique des trois Conseils : Éthique de la recherche avec des êtres humains5, le renoncement au consentement ne peut être autorisé que si : la recherche comporte un risque minimal, l'abandon de l'exigence de consentement risque peu d'avoir des conséquences négatives sur les sujets, obtenir le consentement serait peu pratique, dans la mesure du possible, un compte rendu sera fourni aux sujets après l'étude, l'étude ne comporte pas d'intervention thérapeutique. Manifestement, l'étude du Dr Tong ne respecterait ni la troisième condition (« peu pratique » n'est pas synonyme de contraignant), ni la cinquième. Sur le plan éthique, il semble que ce soit une erreur de considérer le risque comme la seule raison d'obtenir un consentement éclairé. Comme on l'a indiqué précédemment, le principal problème sur le plan éthique vient du fait que la recherche clinique cherche essentiellement à servir les intérêts des futurs patients. La société reconnaît généralement aux individus le droit de choisir les activités auxquelles ils veulent participer et celui de comprendre la nature des liens qui les lient à autrui. Répondant à une proposition de recherche très similaire, un groupe d'éthiciens a formulé la déclaration suivante : si l'on renonce à l'obligation d'obtenir un consentement, « tous les intervenants sont au courant [que les sujets participent à un projet de recherche?, sauf les sujets eux-mêmes. Comment pareille pratique peut elle être justifiable? » (traduction)6. Cependant, compte tenu du faible niveau de risque et du fait que les médicaments à l'étude ne constituent pas un écart majeur par rapport à la pratique médicale normale, un document de consentement abrégé, visant essentiellement à expliquer le fait de la recherche et non ses détails, pourrait être mieux indiqué ici que les longs formulaires utilisés pour les recherches comportant plus de risque. Q5. Comment les cliniciens pourraient ils déterminer quand une activité doit être soumise à un examen indépendant et quand il faut obtenir un consentement libre et éclairé? À certains égards, le clinicien mène une recherche chaque fois qu'il administre un médicament. Ainsi, les médecins prescrivent souvent des médicaments pour des emplois non conformes, en ayant l'intuition que cela pourrait être bénéfique pour les patients. La proposition du Dr Tong laisse croire à une étude qui se rapprocherait davantage d'un projet d'amélioration de la qualité que d'une recherche clinique. Certaines activités, comme les essais contrôlés randomisés sur de nouveaux médicaments, répondent clairement à la définition de recherche et doivent faire l'objet d'un examen indépendant. D'autres activités, telles que les chirurgies novatrices, sont beaucoup plus ambiguës et ne seront généralement pas soumises à un examen par le comité d'éthique de la recherche. La proposition du Dr Tong se rapproche d'une troisième catégorie de recherche, celle des projets d'amélioration de la qualité dont le but est d'aider les fournisseurs de soins de santé à optimiser les soins et à réduire au minimum les dépenses. Or l'Énoncé de politique des trois Conseils stipule que les études d'assurance de qualité n'ont pas à faire l'objet d'un examen par un comité d'éthique de la recherche5. Il n'existe pas de règles simples pour déterminer quelles études sont des « recherches » qui doivent faire l'objet d'un examen indépendant et lesquelles sont des protocoles de soins novateurs ou des études d'assurance de qualité. Voici néanmoins quelques considérations fondamentales à envisager. Premièrement, dans quelle mesure le protocole nuit-il à la pratique clinique normale? Selon la proposition du Dr Tong, le soignant (Dr Tong) ne pourra savoir quel antibiotique a été administré et, sous l'effet de la randomisation, ne pourra utiliser son propre jugement médical pour décider quel antibiotique doit être utilisé. Ces exigences nécessaires à la validité de l'étude semblent éloigner le Dr Tong de sa manière habituelle d'exercer la médecine. Deuxièmement, dans quelle mesure l'information obtenue d'un protocole particulier pourrait-elle être bénéfique au sujet dans l'avenir? Dans l'étude du Dr Tong, il est peu probable que ses patients auront à subir une autre chirurgie identique; ils sont donc moins susceptibles de profiter des connaissances qui seront acquises durant l'étude que les futurs patients. Cependant, les études sur l'amélioration de la qualité fournissent souvent des renseignements qui peuvent être utilisés pour optimiser les soins dispensés aux sujets actuels, ainsi qu'aux futurs patients. Les comités d'éthique de la recherche disposent de ressources et de personnel limités et, si les études mineures sur l'assurance de la qualité leur étaient toujours soumises, cela pourrait avoir pour effet d'empêcher l'affectation de ressources à des études plus litigieuses sur le plan éthique. Dans le doute, toutefois, le chercheur devrait toujours communiquer avec un administrateur du comité d'éthique de la recherche pour savoir s'il doit soumettre son protocole à un examen ou s'il vaut mieux demander un examen accéléré. Références 1. « Nuremberg code: directives for human experimentation », dans Trials of war criminals before the Nuremberg military tribunals under control council law, vol 2, no 10, Washington, D.C., U.S. Government Printing Office, 1949. p. 181–2. Texte publié sur le site http://ohsr.od.nih.gov/guidelines/nuremberg.html 2. Association médicale mondiale. Déclaration d’Helsinki : Principes éthiques applicables aux recherches médicales sur des sujets humains, Association médicale mondiale [adoptée en 1964; dernière mise à jour 2004]. Texte publié sur le site : http://www.wma.net/f/policy/b3.htm 3. Faden, R.R., T.L. Beauchamp et N.M.P. King. A history and theory of informed consent, New York, Oxford University Press, 1986. 4. National Commission for the Protection of Human Subjects of Biomedical and Behavioral Research. The Belmont report: ethical principles and guidelines for the protection of human subjects of research, Washington, D.C., Government Printing Office, 1979. Texte publié sur le site : http://ohsr.od.nih.gov/guidelines/belmont.html 5. Instituts de recherche en santé du Canada, Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Énoncé de politique des trois Conseils : Éthique de la recherche avec des êtres humains, Ottawa, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2003. Texte publié sur le site : http://www.pre.ethics.gc.ca/francais/pdf/TCPS%20octobre%202005_F.pdf Ressources Moreno, J.D. « Goodbye to all that. The end of moderate protectionism in human subjects research », Hastings Center Report, 2001, vol. 31, no 3, p. 9–17. Appelbaum, P.S., L.H. Roth, C.W. Lidz, P. Benson et W. Winslade. « False hopes and best data: consent to research and the therapeutic misconception », Hastings Center Report, 1987, vol. 17, no 2, p. 20–24. Emanuel, E.J., D. Wendler et C. Grady. « What makes clinical research ethical? », JAMA: Journal of the American Medical Association, 2000, vol. 283, no 20, p. 2701–2711. Kass, N.E., J. Sugarman, R. Faden et M. Schoch-Spana. « Trust, the fragile foundation of contemporary biomedical research », Hastings Center Report, 1996, vol. 26, no 5, p. 25–29. Casarett, D., J.H. 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