Journal Identification = IPE Article Identification = 0806 Date: August 31, 2011 Time: 11:57 am
Le paradoxe du respect du consentement dans les soins sous contrainte : entre norme juridique et éthique
psychiatrique
spontané du vivant pour dominer son milieu et l’organiser
selon ses valeurs de vivant [...]. Voilà pourquoi, sans être
elle-même une science, la médecine utilise les résultats de
toutes les sciences au service des normes de la vie [7]. »
Toutes ces observations démontrent à quel point la consci-
ence raisonnée n’est pas au premier plan pour des processus
biologiques évidemment inconscients et pour des processus
psychologiques dont la dimension non argumentée cons-
ciemment se constate tout autant et l’on sait que « dans
ses derniers ouvrages, Freud allait insister sur les aspects
biologiques du moi, en lui attribuant des caractéristiques
innées et en faisant de l’instinct de conservation une de
ses fonctions essentielles » [10]. Dans le cadre de la rela-
tion de soins, l’approche scientifique des processus mis en
œuvre par les patients a permis à la psychiatrie de produire
des modèles de compréhension de la réorganisation de la
subjectivité. Le travail que les patients accomplissent ainsi
pour redevenir eux-mêmes fait bien partie de ce à quoi nous
assistons avec respect au cours de cette relation médecin-
malade. Attribuer de la grandeur à cet effort du patient
et y compris dans le conflit avec son thérapeute, c’est lui
accorder une dignité, c’est-à-dire notamment, reconnaître
la dignité de l’élaboration d’un consentement à venir. Dans
l’espace confidentiel et protecteur du monde hospitalier,
c’est déjà reconnaître au consentement toute sa valeur dès
les premiers instants fragiles de son émergence. C’est aussi
préparer le patient à son retour à la vie ambulatoire, c’est-
à-dire sur la scène publique, là où le juriste l’accueille pour
le recevoir comme citoyen apte à consentir. Cela signifie
l’importance de l’éthique du soin psychique en tant que
processus relationnel, à la fois comme acte thérapeutique et
intention de réinsertion. Vouloir soigner et vouloir le retour
d’un consentement libre sont ici confondus en un même
processus d’information mutuelle visant l’autonomie. Cela
n’est possible que par la reconnaissance et le respect des
processus vitaux et psychopathologiques mis en œuvre au
cours de cette séquence. La culture psychiatrique euro-
péenne, par l’importance qu’elle accorde à la subjectivité,
considère en effet que ces processus ont directement à voir
avec ce qui constitue la subjectivité d’une personne. De
ce fait, l’ensemble de ces processus doit jouir de la dignité
accordée à l’humain en général. Cela signifie une continuité
de la culture psychiatrique avec l’humanisme et donc aussi
avec le droit qui s’en réclame encore. [9] Cela signifie une
continuité de l’approche déterministe de la science, avec la
culture. On a ici toute la problématique médicale de la ren-
contre de l’homme confronté à l’association de l’expérience
vécue, de sa raison et de son animalité. Henry Ey, dans la
préface à la deuxième édition des Études psychiatriques,
s’exprime ainsi avec des accents évoquant la conception
de la maladie de Georges Canguilhem:«Endépit des cri-
tiques contradictoires et qui de ce fait s’annulent, je continue
à faire une psychiatrie qui intègre comme dans la nature
des choses, la personne humaine, son “être au monde”, son
intentionnalité dans l’accident qu’est toujours une maladie.
C’est-à-dire que je considère la “maladie mentale” pour ce
qu’elle est : un “équilibre” dans le déséquilibre – un modèle
d’existence, vivant le déficit et l’impuissance – une fac¸on
de s’accommoder à la catastrophe, mais sans oublier que,
tout de même que le rêve dépend du sommeil, cet équi-
libre, cette réaction, cette forme d’existence dépendent du
déséquilibre, du déficit et de la désorganisation vitale. Et
cette “catastrophe vitale” c’est non pas seulement une situa-
tion “malheureuse” passée ou présente, mais la maladie
qui altère la “mise en situation” et ne permet plus à l’être
d’y réagir autrement qu’avec des moyens inférieurs et à
des niveaux inférieurs [11]. » Toutefois, le déterminisme si
souvent évoqué par les savoirs de toutes sortes ne doit pas
pour autant démobiliser l’être humain engagé dans un effort
d’hominisation, ce qui a fait dire à Hannah Arendt:«Ilest
vrai que la psychologie, la sociologie modernes, sans par-
ler de la bureaucratie moderne, nous ont bien habitués à
évacuer la responsabilité de l’acteur pour ses actes en les
expliquant par tel ou tel déterminisme. Que ces explications
apparemment plus profondes des actions humaines soient
justes ou pas, voilà qui est discutable. Mais, ce qui est hors
de discussion est qu’aucune procédure judiciaire ne serait
possible sur ces bases et qu’à l’aune de telles théories, la jus-
tice n’est pas du tout une institution moderne, elle est même
tout à fait démodée. Quand Hitler disait qu’un jour viendrait
en Allemagne où la profession de juriste serait considérée
comme “honteuse”, il exprimait seulement, avec une cohé-
rence extrême, son rêve d’une bureaucratie parfaite [2]. »
La médecine et le droit peuvent et doivent ainsi s’accorder
sur le respect de l’humain, chacun dans son domaine. Nous
pensons qu’il est essentiel que la psychiatrie et chaque
psychiatre conservent une liberté d’interprétation concer-
nant l’organisation psychologique d’un patient. Mais, on
sait aussi que cette interprétation peut être contestée par
les tenants d’une autre école en termes de référence théo-
riques quant à sa représentation du psychisme humain et
donc à ce qu’est l’homme. Cela a une implication d’ordre
éthique. En effet, le recours à une théorie médicale psy-
chiatrique quelle qu’elle soit, si elle inclut une conception
globale de l’homme, aura pour conséquence de permettre
de penser les questions éthiques selon le même registre que
les questions cliniques, puisqu’en définitive, la question de
la liberté du patient en est une thématique centrale. Mais,
qu’en est-il si ce n’est pas le cas ? C’est ce que Jean-Jacques
Kress exprime en ces termes:«Toutd’abord, qu’est-ce
qui spécifie une question éthique pour la psychiatrie ? [...]
Une question éthique est toujours liée à celle du sujet, elle
concerne la reconnaissance de la place que les épistémo-
logies lui accordent, puis la prise en considération de son
autonomie, de sa liberté, de son statut individuel par rapport
aux actes que le savoir exerce sur lui, elle concerne aussi
dans le cadre de la relation avec le psychiatre la prise en
compte de son histoire. Ensuite, il y a lieu de se demander
avec quels concepts et quels systèmes de représentations
ces questions peuvent être posées et élaborées. S’agit-il des
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 87, N◦6 - JUIN-JUILLET 2011 463
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