Les enjeux ethiques en psychiatrie

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L’Encéphale (2014) 40, 287—288
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
ScienceDirect
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ÉDITORIAL
Les enjeux ethiques en psychiatrie
Ethical stakes in psychiatry
La démarche éthique a pour originalité de ne pas être réductible au conformisme des normes sociales, mais d’être aussi
très souvent spécifique de la dimension individuelle.
La pathologie psychiatrique offre dans ce domaine des
particularités intéressantes. Le névrosé comme l’obsédé,
souffrant intérieurement de manifestations pathologiques
qu’il juge absurdes et dont il veut se défaire, répond à
la norme médicale en demandant et en adhérant activement aux soins. Par contre, le psychotique, qui projette sa
souffrance sur autrui, ne demande et ne sollicite aucune
aide thérapeutique. Comme tel, il conteste l’ordre médical dans une position immorale par définition, et l’aliéné
représente dès lors un scandale médical voire social. C’est
pourquoi l’histoire de la prise en charge du malade mental
par sa société, depuis la Grèce antique jusqu’à nos jours, ne
cesse de poser de multiples réflexions en matière éthique.
Deux domaines majeurs semblent illustrer ces tourments
éthiques, l’information en psychiatrie et le consentement
aux soins.
L’information du grand public, et tout particulièrement
du patient et de sa famille, est devenue presque une priorité
de Santé publique. En 1976, un malade sur cinq connaissait
le diagnostic de cancer. Deux décennies plus tard, ce taux
s’est élevé à 4 malades sur 5. L’information du patient n’est
pas une simple formalité dont on peut se décharger rapidement et une fois pour toutes, mais une obligation continue
qui se poursuit tout au long de la maladie, qui doit être
adaptée à la personnalité du patient et intelligible pour lui.
Mais il faut néanmoins inscrire cet intérêt pour
l’information dans le mouvement éthique contemporain, qui
accompagne et suscite le recul des attitudes autoritaires,
dites paternalistes, au profit de l’attention à la personne,
dans le respect de son autonomie et de sa dignité lors de
la recherche de son bénéfice. Le débat entre autonomie et
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2014.
http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2014.02.003
bénéfice est de nature philosophique. On peut cependant
soutenir qu’en psychiatrie plus qu’ailleurs l’information est
un des moteurs essentiels en vue du maintien de l’autonomie
de la personne.
La conception de maladie psychiatrique est historiquement liée au concept d’aliénation mentale ou selon certains
psychiatres comme Henri Ey à celui de « pathologie de la
liberté ».
La structure de la situation d’information peut être envisagée selon trois registres.
Le rapport au savoir
Le rapport au savoir en est le fondement, puisqu’il s’agit
bien de transmettre un savoir.
Le savoir possède une dimension explicative, mais il produit aussi des effets psychiques. Comme en médecine, en
psychiatrie, il s’articule autour des séquences diagnostique,
pronostique et thérapeutique.
La dimension du diagnostic comporte la dénomination de
la maladie et ses manifestations psychiques.
La dénomination de la maladie porte en psychiatrie sur
l’être même du sujet et comporte un poids spécifique particulier surtout en matière de schizophrénie. L’évocation
du diagnostic entraîne de manière presque automatique la
question de la pathogénie et du fonctionnement du trouble
par rapport à la personnalité.
Avec le pronostic, s’ouvre le registre des effets du trouble
sur l’existence, la qualité de la vie, l’avenir et voire même
le destin de la personne ; l’information peut ici contribuer à
partager la part assumée de l’existence en regard du trouble
et la part de destin subie dans la passivité.
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La thérapeutique enfin est cette part du savoir qui
s’articule à l’action sur le trouble et, partant, sur la personne. À ce niveau, le patient remet entre les mains du
médecin une part de son pouvoir sur soi en vue de se le
voir restitué au fil de l’évolution de sa maladie.
Une intention pédagogique
Il existe une intention pédagogique dans le fait de nommer
le trouble, requête instamment demandée par le patient
et son entourage. Par ce processus de nomination, le mal
est désigné, mais en psychiatrie, il a la particularité de
se confondre avec la personne elle-même et c’est une des
tâches de l’information de les démêler et d’en préciser les
contours. D’où la nécessité de faire comprendre les mécanismes des troubles, leurs occurrences, leurs effets sur les
relations avec l’entourage et la conduite de la vie.
Une part idéologique
En psychiatrie, tout rapport avec le savoir comporte une
part idéologique, doctrinale ou théorique.
L’information du patient est immanquablement marquée
par les références, les appartenances théoriques et doctrinales du psychiatre qui la dispense.
D’où la nécessité pour le psychiatre de discerner ces
implications idéologiques et peut-être d’évaluer de quel
poids elles pèsent sur le destin des patients.
Il résulte de ces considérations que l’information, en psychiatrie plus qu’ailleurs, doit relever d’un processus étendu
dans le temps et animé par la relation thérapeutique ; elle
ne relève pas d’un moment ponctuel. Elle doit aussi être
engagée sur le mode du partenariat, dans un processus dynamique, faisant ainsi partie de la thérapeutique.
Il semble important de signaler que ces informations
soient transmises dans le cadre d’un dialogue médecin/patient. Les représentations et les images que tous deux
ont de ce traitement se confrontent dans cette démarche
d’information et de consentement.
L’exigence d’un consentement libre (c’est-à-dire sans
pression) et éclairé (c’est-à-dire bien informé), avant tout
acte médical constitue la pierre angulaire de tous les textes
internationaux de l’éthique médicale contemporaine.
De nombreux médecins considèrent que l’obtention d’un
consentement totalement libre et éclairé reste du domaine
de l’utopie.
Si l’on peut admettre qu’on peut informer correctement
un patient et obtenir un consentement de qualité en Médecine somatique, peut-on être aussi optimiste en psychiatrie ?
Quels critères faut-il retenir pour apprécier la capacité à
consentir chez un individu qui a ses facultés de discernement
amoindries et ses affects émoussés ?
Éditorial
En dehors des situations où l’on sait que le consentement libre est impossible (dissociation du schizophrène
délirant, détérioration cognitive du dément sénile), est-il,
pour autant, éthique d’écarter volontairement des soins (et
de la recherche) des patients qui poseront des difficultés au
médecin du fait de leur personnalité (psychopathie, paranoïa) ?
Quelle valeur éthique donner à l’accord d’un patient
dépressif sévère qui peut comprendre « intellectuellement »
ce qui lui est proposé, mais qui accepte passivement de collaborer à une recherche, dans un acte de soumission lié
à un état affectif d’auto-dépréciation et de sentiment de
culpabilité ?
En psychiatrie, un consentement obtenu peut être parfaitement légal sans être éthique (la suggestibilité de
l’hystérique, la culpabilité du dépressif mélancolique. . .) ou,
au contraire, il peut être éthique sans être légal.
C’est naturellement dans le domaine des états psychotiques, celui des états détérioratifs intellectuels ou
d’arriération mentale que l’ambiguïté sera la plus grande.
L’une des spécificités de la revendication chez les personnes atteintes d’affections mentales est d’éprouver, de
façon encore plus radicale que les autres, la méthodologie
d’approche de la décision éthique mise en place à la consultation et dans les soins hospitaliers, dans une relation duelle
entre le souffrant et le soigné, entre celui qui a mal et celui
qui est censé savoir, qui représente l’épure d’une situation
profondément inégale, où là plus qu’ailleurs, l’élaboration
de procédures adaptées s’impose.
Les patients qui consultent en psychiatrie sont la plupart
du temps en situation de souffrance. Cet état plus ou moins
durable exige de façon pertinente d’imaginer en permanence les équivalences permettant, quel que soit son état,
du simple mal-être quotidien aux psychoses chroniques schizophréniques, de reconnaître et de maintenir au patient son
statut d’être humain : l’émergence de l’éthique peut être
là !
C’est bien de cette asymétrie qu’il est question en permanence quand le soignant reçoit un malade psychiatrique
revendiquant. Nier cette revendication peut signifier parfois
nier l’individu incapable de s’en séparer et qui peut se sentir
trahi, que ce soit de façon tragique (expériences médicales
dans les camps d’extermination, médecins tortionnaires au
service des régimes politiques totalitaires. . .) ou plus banalement, au quotidien, chaque fois que dans une situation de
soins, par manque d’égard et de parole, le souffrant n’est
pas reconnu dans toute la dimension de son humanité.
S. Richa
Service de psychiatrie à l’Hôtel-Dieu de France, faculté de
médecine de l’U.S.J., BP 166830, Achrafieh, Liban
Adresse e-mail : [email protected]
Disponible sur Internet le 1 avril 2014
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