Puis en 1674, consécration ultime : Benserade fut élu à l’Académie française où il
succéda à Chapelain. La Bruyère lui-même, frappé de son succès continu, le peint
dans ses Caractères sous les traits de Théobalde, celui qu’on applaudit en confiance,
sans toujours l’entendre11. Mais peu à peu, la renommée du poète s’essouffla et ses
oeuvres perdirent cette fraîcheur et cette vivacité qui faisaient le succès de leur auteur.
En 1676, le roi lui commanda une mise en rondeaux des Métamorphoses d’Ovide. Cette
nouvelle œuvre, critiquée, entre autres, par Boileau, sonna le glas de la carrière
mondaine du poète courtisan. Peu à peu dégoûté de la Cour, il se retira à Gentilly où
il s’occupa à traduire tous les psaumes et à écrire quelques ouvrages de piété pendant
les dix dernières années de sa vie. Il mourut le 19 octobre 1691 à 78 ans.
Il reste dans les mémoires comme le bel esprit préféré de la cour de Louis XIV et
laisse une œuvre poétique importante. Benserade a été pendant plus de cinquante ans
un homme d’esprit, jouant des modes de son époque, toujours prêt à satisfaire les
goûts et les caprices littéraires de la Cour. « Benserade n’a été qu’un précieux, il a
toujours été un précieux ; mais il l’a été avec autant d’esprit et de ressources
ingénieuses dans l’esprit qu’on a jamais pu en avoir12. »
Carrière dramatique de l’auteur
Sa carrière de dramaturge commence alors qu’il n’a que 22 ans, en 1635. Avec la
tragédie de Cléopâtre, Benserade signe son premier texte. Le théâtre connaît à ce
moment-là un essor considérable qui marque le début d’une ère nouvelle. À partir de
1629, des transformations profondes réorganisent de façon décisive l’activité
théâtrale : modes de production, statut des auteurs et des comédiens, localisation des
qui les divertissements de l’amour présentaient une importance plus considérable que les
luttes des dévôts et des athées, des jésuites et des jansénistes, des catholiques et des
protestants » (dans Libertins et amoureuses).
11 Voir Les Caractères, V, 66 : « Je le sais, Théobalde, vous êtes vieilli ; mais voudriez-vous
que je crusse que vous êtes baissé, que vous n’êtes plus poète ni bel esprit, que vous êtes
présentement aussi mauvais juge de tout genre d’ouvrage que méchant auteur, que vous
n’avez plus rien de naïf et de délicat dans la conversation ? Votre air libre et
présomptueux me rassure, et me persuade tout le contraire. Vous êtes donc aujourd’hui
tout ce que vous fûtes jamais, et peut-être meilleur ; car si à votre âge vous êtes si vif et
impétueux, quel nom, Théobalde, fallait-il vous donner dans votre jeunesse, et lorsque
vous étiez la coqueluche ou l’entêtement de certaines femmes qui ne juraient que par vous
et sur votre parole, qui disaient : « Cela est délicieux ; qu’a-t-il dit ? » » Plus loin (XIV, 73), La
Bruyère parle avec plus de bienveillance de notre auteur et le considère comme le poète le
plus capable avec Voiture de représenter les Modernes dans ce siècle où s’intensifient les
débats entre, d’un côté, les partisans des Anciens, de l’autre, les défenseurs des Modernes.
12 Émile FAGUET, Histoire de la littérature française.