Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVII - n° 4 - avril 2013
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dossier thématique
Effets de l’exposition
à l’alcool
Alcool et rythmes de sécrétion
hormonale
Alcohol and hormonal rhythms
Thierry Danel*
points forts
Highlights
»
Les hormones ont une sécrétion rythmique circadienne,
infradienne et ultradienne.
»
Les rythmes biologiques sont contrôlés par les gènes, mais sous
l’influence de facteurs exogènes tels que la lumière, les rythmes
sociaux ou certains xénobiotiques.
»
L’alcool est l’un des xénobiotiques susceptibles d’agir sur les
rythmes biologiques : rythme veille-sommeil, température
centrale ou sécrétions hormonales.
»
Si l’alcool trouble les rythmes biologiques, la perturbation de
ceux-ci a également une influence sur la consommation d’alcool
et, plus généralement, sur les comportements d’addiction.
Mots-clés : Chronobiologie – Alcool – Cortisol – Mélatonine –
Addiction.
Hormones have circadian, infradian and ultradian secretion
rhythms.
Biological rhythms are under endogenous gene control but
under the influence of external factors such as light, social
rhythms or xenobiotics.
Among xenobiotics, alcohol is one which may act on
biological rhythms: sleep-wake rhythm, central temperature
and hormonal secretions.
Beyond alcohol action on biological rhythms, it seems
that alteration of these latter may have an influence on
alcoholization behavior and more generally on addictive
disorders.
Keywords: Chronobiology – Alcohol – Cortisol – Melatonin
– Addiction.
L
es rythmes biologiques témoignent de l’organisa-
tion temporelle des organismes vivants. Certains
se donnent à voir aisément, comme l’alternance
de la veille et du sommeil ou l’alimentation. D’autres se
détectent par des mesures (température, activité, archi-
tecture du sommeil) ou avec des dosages biologiques.
Les hormones ont une sécrétion discontinue de rythme
prévisible circadien, ultradien ou infradien. Le rythme
de sécrétion des hormones est d’origine endogène,
mais il est influencé par l’environnement, notamment
les xénobiotiques. L’alcool est l’un d’entre eux.
On distingue l’étude de l’action de l’alcool sur les
rythmes biologiques des individus sains et sur ceux
des personnes présentant un mésusage d’alcool,
dépendants et abuseurs donc utilisateurs régulière-
ment excessifs. L’action de l’alcool sur le rythme des
sécrétions de mélatonine, des axes corticotropes et
thyréotropes et de la calcitonine chez l’adulte sain et
chez les personnes présentant un mésusage d’alcool
est l’objet de cette présentation.
Les rythmes biologiques
La chronobiologie est l’étude de la structure temporelle
organisée en rythmes des organismes, de ses altérations
et de ses mécanismes (1). La fonction sinusoïdale qui
modélise un rythme biologique se définit par 4 para-
mètres : période, acrophase, amplitude et mésor. La
période représente la durée d’un cycle complet de la
variation rythmique par rapport à la période de réfé-
rence quest le nycthémère. On parle de rythme circa-
dien quand la période est d’environ 24 heures, infradien
pour une période inférieure à 24 heures et ultradien
pour une période supérieure à 24 heures. Lamplitude
du rythme correspond à la moitié de la diérence entre
le pic et le creux de la sinusoïde. Le mésor correspond à
la moyenne arithmétique des valeurs recueillies régu-
lièrement au cours d’une période. Lacrophase est la
localisation du sommet de la fonction : pour un rythme
circadien, elle correspond à l’heure du pic dans l’échelle
des 24 heures.
* Praticien hospitalier,
CHRU de Lille ; EA 1046,
université Lille Nord
deFrance.
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVII - n° 4 - avril 2013
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Alcool et rythmes de sécrétion hormonale
Les rythmes ont des composantes endogène et exo-
gène. La composante endogène a été mise en évi-
dence par suppression de la composante exogène lors
d’expériences hors du temps. Dans de telles conditions,
les rythmes persistent, et la génétique des rythmes
biologiques est aujourd’hui bien documentée (2).
Ils sont sous le contrôle d’une ou plusieurs horloges
internes ou pacemakers capables de les générer et
de les moduler en fonction des informations reçues
de l’environnement. Le noyau supra-chiasmatique de
l’hypothalamus est modulé notamment par l’infor-
mation photopériodique. L’horloge interne assure
2 rôles principaux : la synchronisation des rythmes
biologiques entre eux et l’adaptation de ces rythmes
à l’alternance jour-nuit.
La composante exogène est celle des facteurs d’en-
vironnement qui ne créent pas les rythmes mais les
modulent. L’alternance lumière-obscurité, les horaires
de travail, les habitudes sociales sont les principaux
synchroniseurs.
Certaines conditions conduisent à une désynchronisa-
tion des rythmes biologiques, qui cessent de présenter
les relations temporelles habituelles (3). La cause de la
désynchronisation peut être externe, comme un vol
transméridien ou le travail posté. Elle peut être interne
comme conséquence du vieillissement, de la dépression
ou de certains cancers.
La désynchronisation peut être également due à des
xénobiotiques. L’alcool est l’un d’entre eux, et les pre-
miers concepts en chronobiologie sont liés aux études
concernant l’alcool. Il en est ainsi de la chronocinétique,
en 1956, et de la chronotoxicité, en 1959, ainsi que de
la chronesthésie, qui rend compte des variations de la
sensibilité des organes cibles aux eets de l’alcool (4).
Leet de l’alcool sur le système veille-sommeil, les per-
formances physiques et intellectuelles, la température
ou les secrétions hormonales a ainsi fait l’objet d’une
abondante littérature (5). Nous développons ci-après
les eets de l’alcool sur l’organisation temporelle de la
sécrétion d’hormones, et notamment de la mélatonine,
et des axes corticotrope et thyréotrope.
Mélatonine
La mélatonine est sécrétée par la glande pinéale. Sa
sécrétion débute vers 22 h, atteint un maximum entre
minuit et 2 h, pour s’interrompre entre 4 h et 6 h. Il
n’y a pas de sécrétion diurne de mélatonine, elle est
inhibée par la lumière. Le rythme de sécrétion est
généré directement par l’oscillateur circadien des
noyaux supra-chiasmatiques, soumis aux synchroni-
seurs photiques. La lumière provoque une avance de
sécrétion lorsquelle est appliquée en début de journée
et un retard lorsquelle est appliquée en fin de journée.
La mélatonine est un excellent marqueur de la synchro-
nisation circadienne d’un individu, capable d’entr-
ner les rythmes dautres systèmes circadiens comme
l’humeur, le sommeil ou les cycles de reproduction et
d’hibernation chez l’animal (1).
Les rapports entre alcool et mélatonine ont été étu-
diés chez le volontaire sain et chez les personnes ayant
un trouble lié à l’alcool. Chez le volontaire sain et en
population générale, la sécrétion de mélatonine a été
rapportée comme étant inhibée par l’alcoolisation aiguë
et chronique (6).
Chez les alcoolo-dépendants, il y a également une
diminution de la sécrétion nocturne de la mélatonine
associée à un retard de la phase d’apparition du pla-
teau de sécrétion. Cette action pourrait être impliquée
dans l’augmentation de l’incidence des cancers du sein
chez les consommateurs d’alcool, notamment en cas
de travail posté (7).
Dans un travail mené chez les volontaires sains,
nous navons pas retrouvé cet eet inhibiteur dans
un protocole au cours duquel des volontaires sains
recevaient 256 g d’alcool répartis régulièrement sur
24 heures (8).
En revanche, dans un travail réalisé chez les alcoolo-
dépendants, nous avons retrouvé une sécrétion diurne
inhabituelle de mélatonine lors des 24 premières heures
de sevrage chez 4 alcoolodépendants sur 7 au total
en dosant dans les urines l’excrétion diurne de 6-sul-
fatoxymélatonine (6SM) et suggéré les potentialités
désynchronisantes de l’alcool (9).
Axe corticotrope et alcool
La sécrétion du cortisol a une composante circa-
dienne avec un pic maximal le matin, des pics du midi
et du soir et un rythme ultradien de 90 mn. Chez le
volontaire sain, l’alcool stimule l’axe hypothalamo-
hypophyso-surrénalien (HHS) lorsque les éthanolémies
sont supérieures à 1 g/l et varie en fonction de l’heure
d’administration (10). Ainsi, les alcoolisations à partir
de 19 h entraînent de manière la plus régulière une
élévation des cortisolémies.
Chez l’alcoolo-dépendant, les données concernant
l’axe HHS dièrent suivant le moment dans la maladie :
consommation active, sevrage, abstinence ou compli-
cations de l’alcoolisation chronique (11).
Lexposition chronique à l’éthanol peut conduire, chez
certains alcoolo-dépendants, à une adaptation de l’axe
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dossier thématique
Effets de l’exposition
à l’alcool
HHS, mais, chez d’autres, elle conduira à un pseudo-
syndrome de Cushing (12).
Lors du sevrage des alcoolo-dépendants, la plupart
des études trouvent un hypercorticisme, puis les cor-
tisolémies se normalisent, et l’axe HHS est hyporéactif
durant les premiers temps de l’abstinence, en particu-
lier à la corticolibérine, à la naloxone et à l’hypogly-
cémie induite par l’insuline. La succession de cycles
d’intoxication et de sevrage conduit l’axe HHS à des
cycles d’hypo- et d’hyper activité. Par hypercorticisme,
le sevrage pourrait avoir des conséquences délétères :
ostéoporose, diabète, hypertension artérielle, dysim-
munité, neurotoxicité. La diminution de la réactivité
de l’axe HHS au stress lors de l’abstinence pourrait en
avoir également : dépression, amotivation, craving.
Notons que l’étude de l’axe HHS chez l’alcoolo-dépen-
dant est complexe, à cause de nombreux facteurs de
confusion : dépression, hépatopathie, malnutrition et
autres alcoolopathies.
Thyroïde et alcool
L’alcoolisation chez le volontaire sain diminue signifi-
cativement le pic de sécrétion nocturne de la thyréo-
stimuline (TSH), dont le rapport avec une altération du
sommeil est discuté (13). En eet, les relations entre le
sommeil et la sécrétion de TSH sont ténues. Le sommeil
a globalement un eet inhibiteur sur la montée noc-
turne de la TSH : la sécrétion de TSH diminue lorsque
les ondes lentes augmentent.
Chez les personnes présentant un trouble lié à l’alcool,
une méta-analyse (14) conclut que les données les
plus solides sont une réduction des taux de T4 et de
T3, et une diminution non systématique de la TSH à
l’épreuve de stimulation par la thyréolibérine (TRH). Si
le rôle de la thyroïde dans la vulnérabilité à l’alcoolo-
dépendance à travers une hypothyroïdie latente a été
avancé, d’autres études sur cette population se sont
avérées peu concluantes.
En ce qui concerne la calcitonine, nous avons retrouvé
des taux supérieurs à ceux des sujets témoins chez
20 personnes consommant quotidiennement plus
de 100 g d’alcool pur (15). Ce taux na pas diminué
avec un sevrage de 21 jours attesté par la mesure
des γ-GT.
Conclusion
Cette brève revue de l’action de l’éthanol sur les rythmes
de sécrétion hormonale montre l’un des aspects de l’action
de l’éthanol sur les rythmes biologiques en général. Il en
est d’autres, comme l’action sur le rythme veille-sommeil
et l’architecture du sommeil avec le raccourcissement du
délai d’apparition du sommeil paradoxal, le trouble de sa
répartition au sein du sommeil, l’altération du sommeil
lent (16). Nous avons également montré la réduction signifi-
cative du creux nocturne de la température centrale chez le
volontaire sain, donnée confirmée par d’autres auteurs (17).
Tout cela va dans le sens de l’hypothèse qu’un certain
nombre de troubles rencontrés chez l’alcoolo-dépen-
dant ou le patient abusant de l’alcool sont au moins en
partie la conséquence d’une altération de l’organisation
temporelle de l’organisme. Les troubles de l’humeur et
les troubles du sommeil qui ont une composante chrono-
biologique sont de ceux-là. Mais on peut aussi évoquer
les troubles de la sécrétion du cortisol ou des hormones
thyroïdiennes dans le cas de certaines conséquences
métaboliques (diabète, ostéoporose) de l’alcoolisation.
L’altération de la sécrétion de mélatonine pourrait, pour
certains auteurs, être un facteur favorisant l’apparition de
certains cancers en raison des propriétés antioxydantes
de la molécule. Cette anomalie de la sécrétion intervient
très probablement dans les troubles du sommeil ren-
contrés lors de l’alcoolisation aiguë ou chronique. De
manière plus générale, on peut aussi considérer que les
propriétés désynchronisantes de la molécule puissent
être une des causes du décalage du rythme des alcoolo-
dépendants par rapport aux rythmes sociaux habituels.
De manière plus spéculative, nous avons envisagé avec
d’autres que les troubles addictifs, dont l’addiction à l’alcool,
pourraient être une conséquence d’une anomalie de l’orga-
nisation rythmique des organismes (18). Cette anomalie
d’organisation trouve son origine dans des facteurs exo-
gènes de désynchronisation (lumière, travail posté, rythmes
sociaux), des conditions morbides désynchronisantes
(troubles de l’humeur), voire des facteurs de vulnérabilité
génétiques touchant aux gènes d’horloge (19).
Ces spéculations ouvrent pour l’addictologie des
champs encore inexplorés d’utilisation des méthodes
resynchronisantes, médicamenteuses (20), photiques ou
comportementales dans la prise en charge des troubles
addictifs.
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Alcool et rythmes de sécrétion hormonale
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