Dossier thématique Traitement médical de l’artérite oblitérante des membres inférieurs Coordonné par Joseph EMMERICH (hôpital G. Pompidou, Paris) Sténose des deux artères iliaques primitives responsables d’une claudication bilatérale. Le patient a été traité par angioplastie des deux iliaques (en “kissing”) avec un excellent résultat 10 ans plus tard. I Dossier thématique Traitement médical de l’artérite oblitérante de membres inférieurs Joseph Emmerich L ’évolution de l’artériopathie chez le claudicant est le plus souvent lente et bénigne dans ses conséquences ischémiques. Après 5 à 7 ans de suivi, 70 à 80 % des patients sont sta-bles ou améliorés, 20 à 30 % ont aggravé leurs symptô-mes, et 5 à 70 % ont besoin d’une amputation mineure ou majeure. Malgré ce relatif bon pronostic local, la mortalité et l’espérance de vie sont réduites chez l’artéritique, en raison principalement d’une surmortalité d’origine cardiovasculaire. Le traitement médical repose principalement sur la prescription d’antiagrégants plaquettaires, qui doit être systématique en l’absence de contre-indication, sur la correction des facteurs de risque d’athérosclérose, et sur des exercices de marche réguliers afin d’améliorer l’ischémie d’effort. Ce n’est qu’en cas d’aggravation ou de gêne persistante qu’on s’adressera aux autres possibilités thérapeutiques, soit la radiologie vasculaire interventionnelle, qui a bouleversé la prise en charge de l’artéritique, soit la chirurgie qui garde des indications mieux définies. II Introduction L’artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI) se définit comme une atteinte artérielle obstructive principalement, mais non exclusivement, liée à l’athérosclérose. L’AOMI est une pathologie extrêmement fréquente qui, en elle-même, compromet peu le pronostic vital. Elle est, en revanche, souvent le témoin d’une atteinte athéroscléreuse dans d’autres territoires, notamment les artères coronaires et cérébrales, qui, elles, peuvent rapidement compromettre le pronostic vital et fonctionnel. On doit donc raisonner, dans le bilan et la prise en charge thérapeutique d’un patient artéritique, non pas seulement sur ses seuls symptômes localisés aux membres inférieurs, mais aussi sur le dépistage, la prévention et le traitement des autres localisations. Rappel épidémiologique Les études épidémiologiques retrouvent une incidence de la maladie chez 2 à 3 % des hommes et 1 à 2 % des femmes âgés de plus de 60 ans. La prévalence augmente avec l’âge, passant de 1 à 1,5 % avant 50 ans pour atteindre 5 % au-delà de 70 ans chez les hommes. Lorsqu’on utilise des tests plus sensibles, comme la prise de pression distale, cette prévalence est multipliée par 3 à 4. L’évolution de l’artériopathie chez le claudicant est le plus souvent lente et bénigne dans ses conséquences ischémiques. Après 5 à 10 ans de suivi, 70 à 80 % des patients sont stables ou améliorés, 20 à 30 % ont aggravé leurs symptômes, et 5 à 10 % ont besoin d’une amputation mineure ou majeure (figure 1). Malgré ce relativement bon pronostic local, l’espérance de vie est réduite chez l’artéritique en raison principalement d’une surmortalité d’origine cardiovasculaire. Dix ans après les premiers signes de claudication, environ 60 % des patients de sexe masculin sont décédés, et le risque de mortalité cardiovasculaire est multiplié par 2 à 3. Dans une étude épidémiologique récente, le risque relatif de mortalité cardiovasculaire, après 10 ans de suivi, était multiplié par 6 et la mortalité coronaire par 6,6 chez les patients avec atteinte vasculaire périphérique. L’excès de mortalité totale, outre la mortalité coronaire – qui est la principale – s’explique aussi par les accidents vasculaires cérébraux, les ruptures d’anévrisme de l’aorte et les cancers du poumon. L’incidence des accidents cardiovasculaires non mortels chez le claudicant est estimée entre 2 et 3 % par an. Par ailleurs, si on retient que 20 % des artéritiques voient leur artérite se dégrader, on peut calculer que 1 % des hommes au-delà de 55 ans auront une ischémie critique Le Courrier de Médecine Vasculaire (1), n° 1, octobre/novembre/décembre 2001 des membres. L’incidence annuelle d’une ischémie critique est estimée entre 500 et 1 000/million d’habitants. Le pronostic de l’ischémie critique est redoutable. La mortalité est de 18 % et le taux d’amputations majeurs de 26 % à 1 an. Classification Les indications thérapeutiques de l’AOMI dépendent, bien entendu, du stade évolutif de la maladie, et l’on ne traitera pas de la même façon un patient se plaignant d’une claudication à 500 m, qu’un autre ayant un trouble trophique associé à des douleurs de décubitus. À la classique mais imprécise classification de Leriche et Fontaine (tableau I), on préfère maintenant définir le claudicant par des critères plus objectifs incluant, outre la distance de marche et la gêne fonctionnelle, l’index de pression systolique (IPS) à la cheville, qui doit être systématiquement noté lors de l’examen clinique d’un artéritique. La survenue de douleurs spontanées et de décubitus doit faire suspecter une ischémie critique, dont la définition a été précisée par le consensus européen de 1989. La définition de l’ischémie critique chronique des membres inférieurs, que le malade soit ou non diabétique, repose sur l’un des deux critères suivants : – douleurs ischémiques de décubitus, persistantes et récidivantes, ayant nécessité Dossier thématique régulièrement un traitement antalgique adéquat de plus de deux semaines, avec une pression systolique inférieure ou égale à 50 mmHg à la cheville et/ou inférieure ou égale à 30 mmHg à l’orteil ; – ulcération ou gangrène du pied ou des orteils, avec une pression systolique inférieure ou égale à 50 mmHg à la cheville ou inférieure ou égale à 30 mmHg à l’orteil. Récemment, le consensus de la TASC (TransAtlantic Inter-Society Consensus) sur la prise en charge de l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs a légèrement élargi les critères hémodynamiques définissant l’ischémie critique. “Le terme d’ischémie critique doit être utilisé pour tous les patients avec ischémie chronique de repos associée à une douleur, un ulcère ou une gangrène, imputable à une atteinte artérielle objectivement démontrée. Le terme d’ischémie critique implique la notion de chronicité et doit être distingué de l’ischémie aiguë des membres inférieurs”. Les pressions retenues afin de parler d’ischémie critique sont une pression à la cheville inférieure à 50-70 mmHg, ou une pression mesurée à l’orteil inférieure à 30-50 mmHg, ou encore une pression transcutanée d’oxygène (TcPO2) inférieure à 30-50 mmHg. Ces définitions sont beaucoup plus précises que les stades III et IV de la classification de Leriche et Fontaine, qui peuvent englober des patients dont la Population › 55 ans Asymptomatique IPS < 0,9 10 % Claudication 5% Devenir vasculaire périphérique Aggravation de la CI 16 % Chirurgie 7% Revascularisation itérative 26 % Amputation majeure 4% Amputation majeure 20 % Ischémie critique 1% Morbidité/mortalité cardiovasculaire IDM/AVC 20 % Décès (à 5 ans) 30 % Cause cardiovasculaire 75 % Cause non cardiovasculaire 25 % Figure 1. Épidémiologie dans une population de plus de 55 ans (d’après Weitz et al. Circulation 1996 ; 94 : 3026). IPS : index de pression systolique ; IDM : infarctus du myocarde ; AVC : accident vasculaire cérébral ; CI : claudication intermittente. sévérité des lésions et le devenir sont très différents. Ainsi, des douleurs de décubitus peuvent n’être que transitoires lors d’une obstruction fémorale superficielle et, après mise en charge de la circulation collatérale, le patient peut évoluer en quelques jours vers un stade II et ne pas nécessiter de chirurgie en urgence qui pourrait au contraire l’aggraver. Autrement dit, un stade III ou IV de la classification de Leriche et Fon-taine ne doit pas signifier ipso facto la nécessité d’une revascularisation en l’absence d’une quantification plus précise de l’ischémie. Enfin, cette classification donne l’illusion que la progression de l’AOMI est linéaire, allant du stade I au stade IV, alors qu’un patient peut entrer dans la maladie par une ischémie critique. De même, le pronostic de la maladie n’est pas forcément lié au stade de Leriche et Fontaine, mais peut dépendre principalement des possibilités thérapeutiques. Les possibilités de traitement de l’AOMI reposent sur un trépied qui associe : – le traitement médical ; – le traitement endovasculaire ; – le traitement chirurgical. Nous incluons volontairement dans le traitement médical les thérapeutiques endoluminales qui ont profondément changé la prise en charge de l’artéritique au cours de la dernière décennie, et qui font maintenant partie à part entière de l’arsenal thérapeutique du médecin. Traitement médical proprement dit Le traitement médical a deux buts : contrôler l’athérosclérose, cause de cette pathologie, afin de prévenir la progression de la maladie III Dossier thématique Tableau I. Classification de Leriche et Fontaine. Stade I Stade II Stade III Stade IV Absence d’ischémie, abolition d’un pouls distal Ischémie d’effort, claudication intermittente Ischémie de repos, douleurs de décubitus Ischémie de repos, troubles trophiques (ulcère, gangrène) et améliorer la perfusion périphérique, donc les symptômes liés à l’ischémie. En raison de la fréquence élevée des complications vasculaires de l’artéritique, ces patients doivent être considérés comme des candidats systématiques à une prévention de même niveau que celle effectuée en prévention secondaire de la maladie coronaire. Le contrôle des facteurs de risque d’athérosclérose Il repose principalement sur la correction des quatre facteurs de risque principaux de l’athérosclérose : la cholestérolémie, la tension artérielle, le tabac et la glycémie. Cette prévention doit être mise en route dans tous les cas. Compte tenu de la forte prédominance du tabac dans la survenue d’une AOMI, une intoxication tabagique doit être arrêtée. Tabac En ce qui concerne spécifiquement l’AOMI, on ne dispose pas d’études de bonne qualité concernant l’amélioration de la claudication après sevrage tabagique. L’arrêt du tabac entraîne indiscutablement un bénéfice IV assez rapide sur la progression de l’athérosclérose en général et contribue également à l’amélioration du pronostic de l’artéritique en diminuant les risques d’amputation ou d’aggravation des symptômes. Il n’est pas certain que l’arrêt du tabac améliore la distance de marche chez le claudicant. Chez les patients ayant été opérés, la poursuite de l’intoxication tabagique diminue (divise par deux) les chances à 5 ans de perméabilité d’un pontage, qu’il soit proximal ou distal. La dépendance du malade visà-vis du tabac doit être évaluée afin d’améliorer la prise en charge du sevrage souvent difficile. L’introduction prochaine du bupropion devrait être une aide supplémentaire au sevrage à côté des patchs de nicotine. Hypercholestérolémie Un artéritique sur deux environ a une hypercholestérolémie. En cas d’hypercholestérolémie, et compte tenu du bénéfice important du traitement par les statines démontré vis-à-vis de la maladie coronaire en prévention secondaire, une hypercholestérolémie même modérée (supérieure à 2,20 g/l ou 5,7 mmol/l) doit être prise en charge, afin d’améliorer le pronostic coronaire et vital. Il n’y a pas, à l’heure actuelle, d’évidence prouvant que le traitement hypocholestérolémiant diminue la progression de l’artériopathie sur des populations initiales ayant une artérite. Le Courrier de Médecine Vasculaire (1), n° 1, octobre/novembre/décembre 2001 En revanche, dans l’étude 4S (avec la simvastatine), le risque relatif de voir apparaître une claudication ou l’aggravation d’une claudication était diminué de 40 %. Les recommandations actuelles de prévention secondaire doivent s’appliquer, c’est-à-dire obtenir un LDLcholestérol inférieur à 1 g/l (2,6 mmol/l). Hypertension artérielle On ne dispose pas encore de preuve d’une efficacité du traitement de l’hypertension artérielle sur la progression de l’artérite. La correction d’une hypertension artérielle doit cependant toujours être obtenue pour son bénéfice sur la morbidité par accident vasculaire cérébral, en évitant les diurétiques et en privilégiant de préférence les vasodilatateurs. En outre, il faut prendre soin d’éviter une diminution trop rapide et trop importante de la pression artérielle, notamment en présence d’ischémie sévère. En cas d’utilisation des inhibiteurs de l’enzyme de conversion, il faudra être particulièrement prudent dans la surveillance de la fonction rénale (créatinémie), en raison de la fréquence accrue de sténoses associées des artères rénales chez l’artéritique (de l’ordre de 15 %). En raison de la coexistence fréquente d’une maladie coronaire chez le claudicant, le problème de la prescription de bêtabloquants sur ce terrain est souvent posé. De nombreux médecins craignent ici cette classe théra- Dossier thématique peutique, en raison du risque potentiel et théorique d’une aggravation de l’artérite par baisse de pression artérielle et en raison d’une vasoconstriction périphérique induite par le blocage des récepteurs périphériques bêta-2. Une méta-analyse des essais thérapeutiques par bêtabloquants chez l’artéritique souffrant de claudication intermittente ne met pas en évidence d’aggravation de la distance de marche. Il n’y a donc aucune raison de ne pas faire profiter l’artéritique angineux – ou ayant fait un infarctus du myocarde – de cette classe médicamenteuse, d’autant que l’on choisira un bêtabloqueur cardiosélectif. En revanche, on évitera les bêtabloquants en cas de claudication intermittente sévère avec un périmètre de marche déjà très limité et en cas d’ischémie critique. Diabète Le traitement d’un diabète doit être effectué, principalement pour la prévention de la microangiopathie, qui contribue d’ailleurs à l’aggravation des conséquences de la macroangiopathie. En effet, le bénéfice d’un équilibre parfait d’un diabète, qu’il soit insulino- ou non insulinodépendant, n’a toujours pas été formellement démontré sur les complications liées à l’athérosclérose. L’individualisation du pied artériel, du pied neuropathique et du pied infectieux est classique chez le diabétique, bien que ces trois atteintes agissent souvent en conjonction. L’atteinte neurologique et la moindre résistance aux infections contribuent à la plus grande gravité de l’artériopathie chez le diabétique. La claudication intermittente est moins souvent révélatrice de l’artérite chez le diabétique, et l’atteinte artérielle peut n’être découverte qu’au stade de la gangrène ou des troubles trophiques. Le risque d’amputation majeure et d’exérèse limitée en cas d’artériopathie et de troubles trophiques est très augmenté chez le diabétique. L’infection est une menace permanente du pied diabétique. On se méfiera particulièrement d’un petit pertuis en regard d’une articulation qui peut témoigner d’une arthrite septique d’un orteil. Antithrombotiques Antiagrégants plaquettaires La prescription d’antiagrégants plaquettaires a essentiellement pour but de prévenir la mortalité et la morbidité liées aux accidents coronaires et cérébraux de cette population à haut risque. Cette recommandation se fonde essentiellement sur les données de la méta-analyse des antiplatelet trialist’s, qui montrent une baisse de 18 % (de 11,8 à 9,7 %) des décès et de la morbidité vasculaires par l’aspirine, après un suivi moyen de 27 mois. L’artérite des mem-bres inférieurs, définissant en elle-même un groupe de patients à haut risque coronaire et vasculaire cérébral, est donc une indication formelle à la prescription au long cours d’antiagrégant plaquettaire en l’absence de contre-indication. Une étude a montré une diminution de la progression des lésions, évaluée par artériographie, chez les patients traités par aspirine seule. L’aspirine diminue le pourcentage d’occlusion des pontages à condition qu’elle soit prescrite avant la chirurgie. La posologie utilisée est comprise entre 80 et 325 mg/ jour, en une seule prise. Aucune étude n’a montré la supériorité d’une dose par rapport à une autre dans cette indication, et l’on prescrit habituellement 100, 160 ou 300 mg/jour. Ces données avec l’aspirine sont confortées par la méta-analyse des essais concernant les accidents cardiovasculaires chez l’artéritique traité par la ticlopidine (Ticlid®), un autre antiagrégant plaquettaire. Une diminution par trois du risque relatif d’accidents cardiovasculaires fatals ou non fatals est obtenue par ce traitement après un suivi de 6 à 12 mois, au prix néanmoins d’effets secondaires 2,4 fois plus fréquents qu’avec le placebo. Pour cette raison, l’aspirine, du fait de son moindre coût et de l’absence de surveillance hématologique, est plus souvent prescrite. Le clopidogrel (un dérivé de la ticlopidine, Plavix®) a montré une efficacité légèrement supérieure à l’aspirine chez l’artéritique et une tolérance V Dossier thématique comparable à cette dernière, supériorité qui n’est cependant pas confirmée chez le patient coronarien (étude CAPRIE). Les recommandations actuelles préconisent chez l’artéritique l’utilisation en première intention de l’aspirine et de ne prescrire le clopidogrel (Plavix®) qu’en cas de contre-indication digestive ou d’intolérance à l’aspirine (consensus TASC). Anticoagulants Leur place est mal définie, en raison de l’absence de données suffisantes dans l’artériopathie non opérée et de données contradictoires concernant le maintien de la perméabilité des pontages fémoro-poplités ou distaux. Il est probable, si leur bénéfice existe, qu’il soit contrebalancé par le risque hémorragique inhérent à cette classe thérapeutique. En dehors de la prévention des embolies systémiques chez les patients atteints de cardiopathie emboligène (fi-brillation auriculaire, prothèse cardiaque mécanique), ils n’ont pas de place dans le cadre thérapeutique de la claudication intermittente chronique. Une héparinothérapie doit, en revanche, être instituée à la phase aiguë d’une oblitération artérielle. Chez le sujet ayant été opéré d’un pontage jambier, l’étude BOA (publiée en 2000) a randomisé aspirine versus anticoagulants oraux. Plus de 2 600 patients ayant un pontage sus- ou sous-articulaire ont été randomisés en VI ouvert pour recevoir soit un anticoagulant oral à forte dose (INR entre 3 et 4,5) soit 80 mg d’aspirine. Environ 14 % d’occlusions de pontages survinrent après 21 mois de suivi, sans différence significative entre les deux groupes. En termes d’événements combinés (dé-cès vasculaires, infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral, amputation), les anticoagulants oraux étaient légèrement supérieurs à l’aspirine, 13 événements en moins pour 1 000 patients traités, mais cela au prix de 18 hémorragies ma-jeures supplémentaires. En ce qui concerne les types de pontage, les anticoagulants étaient supérieurs pour les pontages veineux, alors qu’inversement, l’aspirine prévenait mieux l’occlusion des pontages prothétiques. Soulignons que l’INR, cible de cette étude (3, 4, 5), qui était atteint lors de 50 % des prélèvements de contrôle, est supérieur à l’INR compris entre 2 et 3 utilisé en pratique courante, et on peut supposer, à ces dernières doses, l’aspirine supérieure aux AVK. Fibrinolytiques Ils n’ont aucune utilité au stade chronique de la maladie, qu’il s’agisse de la claudication ou de l’ischémie critique. L’utilité des fibrinolytiques en perfusion locale, dans la prise en charge des ischémies aiguës, a été démontrée pour des ischémies de moins de 14 jours. Le fibrinolytique le plus uti- Le Courrier de Médecine Vasculaire (1), n° 1, octobre/novembre/décembre 2001 lisé est l’urokinase en perfusion intra-artérielle à l’aide d’une sonde descendue au contact du thrombus ou de l’embolie. La dose d’urokinase habituelle est de 4 000 UI/mn pendant 4 à 6 heures, puis de 2 000 UI/mn, sans dépasser 12 à 24 heures de fibrinolyse. Ce traitement ne peut être effectué qu’en milieu spécialisé, après une confrontation médico-radiochirurgicale, afin de choisir la meilleure option thérapeutique devant l’urgence que constitue l’ischémie aiguë de membre. Marche et rééducation des artériopathies Des exercices de marche réguliers font partie intégrante du traitement visant à améliorer la distance de marche chez le claudicant. Le bénéfice de la marche est démontré et passe principalement par une augmentation de l’efficacité musculaire ainsi que du système cardiorespiratoire. Au minimum, la marche doit être quotidienne et durer une heure. Les programmes de rééducation permettent d’obtenir un doublement de la distance de marche en 3 à 6 mois. Il faut recommander une marche régulière, sans jamais forcer, lorsque la claudication s’installe, complétée par des mouvements simples des membres inférieurs. En moyenne, la rééducation par la marche entraîne une amélioration de 135 % du périmètre de marche. Ces données expli- Dossier thématique quent que toute évaluation d’un traitement vasoactif doit impérativement être effectuée par rapport à un placebo, en raison de l’amélioration spontanée fréquemment observée de la distance de marche. Si la marche est bénéfique chez le claudicant, elle doit être proscrite dès qu’il apparaît un trouble trophique d’origine artérielle. Cette erreur de compréhension de l’intérêt de la marche dans la rééducation de l’artéritique est fréquemment observée. En effet dans ce cas, le repos permet au mieux d’obtenir une cicatrisation, la marche détournant le flux sanguin des tissus sous-cutanés vers les muscles grands consommateurs d’oxygène. Après cicatrisation, spontanée ou grâce à la revascularisation, l’entraînement quotidien à la marche peut et doit être repris. Vasodilatateurs ou vasoactifs La prescription de vasodilatateurs artériels périphériques, ou plutôt vasoactifs, est souvent effectuée, et 22 spécialités orales sont présentes dans le Vidal 2001. Seules les études effectuées versus placebo avec une méthodologie adéquate (double aveugle) méritent d’être retenues, en raison de l’amélioration naturelle de la claudication par l’exercice. Le bénéfice obtenu par ces molécules, même s’il apparaît légèrement supérieur au placebo dans quelques études, n’a probablement pas de signification clinique sur le bénéfice à long terme. L’intérêt de cette famille thérapeutique est donc limité. En pratique, on devrait les réserver aux patients ayant un périmètre de marche très réduit et ne pouvant pas bénéficier d’une revascularisation endoluminale ou chirurgicale. Dans de tels cas, une monothérapie doit être essayée, sans association de plusieurs vasoactifs. La pentoxifylline, le naftidrofuryl, le buflomédil et le cilostazol (non commercialisé en France) ont fait l’objet d’études contrôlées. Prostanoïdes ou dérivés de la prostacycline C’est dans l’ischémie critique que les prostanoïdes, représentés en pratique essentiellement par l’iloprost (analogue stable de la prostacycline) et la PGE1, doivent être discutés. La prostacycline et ses dérivés sont de très puissants vasodilatateurs et antiagrégants plaquettaires. Leur intérêt clinique reste néanmoins controversé. Dans l’ischémie critique liée à l’athérosclérose, le premier essai a été publié en 1973, avec l’administration intra-artérielle de PGE1 (alprostadil) et a fait état d’une amélioration spectaculaire. Depuis plus de vingt ans, de nombreuses études ont essayé les prostanoïdes dans cette indication, initialement par voie intra-arté- rielle avec des complications propres à la voie d’administration, puis par voie intraveineuse. Si on retient les essais contrôlés, comme dans deux méta-analyses étudiant l’iloprost, il semble qu’il y aurait un bénéfice en termes d’efficacité sur la douleur et de réduction de la taille des ulcères (nombre de répondeurs dans le groupe iloprost de 49 % versus 26 % sous placebo, p < 0,001). En termes d’événements lourds, tels que la réduction des amputations, l’odds ratio était de 0,52 (p = 0,01). Ces données reposaient sur des essais de petite taille et des méta-analyses regroupant moins de 800 patients. La publication, en 1999, de l’essai ICAI doit rendre prudent quant à l’efficacité réelle de la prostacycline et de ses dérivés dans l’ischémie critique des membres inférieurs. Il s’agit d’un essai randomisé, contrôlé, ouvert, comparant un placebo à la PGE1 administrée en intraveineux à la dose de 60 µg/jour pendant deux heures. La durée du trai- Prise de pression distale tement était de 28 jours et les événements étaient analysés à la sortie de l’hôpital et à 6 mois. L’intérêt majeur de l’étude repose sur sa taille, puisque 771 patients ont reçu le traitement actif et 789 le placebo. Les événements combinés regroupaient les décès et les événements vasculaires (persistance de l’ischémie critique, amputation majeure, infarctus du myocarde ou AVC). L’incidence des événements VII Dossier thématique combinés était favorable à la sortie du patient mais devenait non significative à 6 mois. Aucune différence significative n’était observée en termes de décès ou d’amputation majeure à 6 mois. Dans le cadre de la claudication, plusieurs essais ont démontré un effet supérieur au placebo des prostanoïdes sur le court terme, mais aucun élément ne permet d’évaluer sur le long terme le rapport coût/bénéfice de ces traitements, qui doivent être administrés pendant plusieurs jours en perfusion intraveineuse. Les dérivés oraux de la prostacycline se sont montrés très décevants dans un essai contrôlé. En fait, la seule indication démontrée des dérivés de la prostacycline concerne la maladie de Buerger, à la suite d’un essai randomisé en double aveugle utilisant l’Ilomédine®. Hémodilution Introduite en 1963 par Housset, la perfusion massive de sérum physiologique ou de macromolécules et l’hémodilution normovolémique (qui a pour but de ramener l’hématocrite à 35 %) restent d’actualité. L’hémodilution permet d’augmenter le débit sanguin au niveau des membres, et la libération d’oxygène au niveau des tissus. Ce traitement n’a cependant pas été validé formellement par des essais contrôlés. L’hémodilution est utile en cas d’ischémie critique ou de dou- leurs de décubitus, essentiellement lorsqu’il n’y a pas de possibilités chirurgicales ou endoluminales permettant de soulager rapidement le patient. En pratique, il faut néanmoins se méfier de l’insuffisance cardiaque, de l’insuffisance rénale et de l’hypertension artérielle (HTA), souvent présentes chez l’artéritique et qui peuvent en limiter l’emploi. On peut utiliser la perfusion de sérum physiologique à la posologie de 1 litre en une heure le premier jour, 2 litres en deux heures le deuxième, puis 3 litres en trois heures, chaque jour pendant 8 à 10 jours, ou 500 ml de macromolécules en une heure pendant 8 à 10 jours. Il est nécessaire de surveiller l’absence de survenue d’une insuffisance cardiaque induite par l’hypovolémie sur 1a clinique et la pesée quotidienne. On surveillera également la tension artérielle, la diurèse, ainsi que la fonction rénale. Traitements adjuvants Antalgiques En cas de douleurs permanentes de décubitus, il faut soulager le malade en ayant recours à une antalgie efficace, sans hésiter à recourir aux morphiniques si nécessaire. Il faut interdire au malade d’adopter une position jambes pendantes au bord du lit, qui soulage la douleur mais est responsable de la formation d’un œdème qui aggrave l’ischémie. La position allongée, VIII Le Courrier de Médecine Vasculaire (1), n° 1, octobre/novembre/décembre 2001 les pieds du lit légèrement déclive, doit être plutôt préconisée. Soins locaux Tout artéritique doit être éduqué vis-à-vis du risque de survenue d’un trouble trophique plus fréquent sur un pied ischémique, et tout particulièrement chez le diabétique. On doit recommander une hygiène et une inspection journalières des pieds, et des soins de podologie prudents afin d’éviter toute blessure. Toute plaie cutanée devra faire l’objet de soins vigilants, en milieu spécialisé en cas de doute sur l’évolution de la plaie, sans oublier de vérifier la mise à jour de la vaccination anti-tétanique. Greffes cutanées En cas d’ulcère cutané ischémique, on peut proposer, après une détersion soigneuse afin d’obtenir un fond de plaie propre et bourgeonnant, une greffe cutanée soit en résille, soit plus facilement en pastilles, permettant d’obtenir plus rapidement la cicatrisation. Ces greffes en pastilles sont effectuées au lit du malade, après une simple anesthésie locale au niveau du site de prélèvement des greffons. Cures thermales Elles n’ont pas en ellesmêmes une efficacité particulière. Elles ont l’avantage de favoriser l’application des mesures hygiéno-diététiques, dans un environnement favo- Dossier thématique rable au patient, et de faciliter son éducation. Radiologie interventionnelle La radiologie vasculaire interventionnelle – et tout particulièrement le développement de l’angioplastie transluminale percutanée – a considérablement modifié le traitement de l’AOMI durant ces 15 dernières années. Elle permet de traiter des patients qui, ayant seulement une claudication, ne relèvent pas encore de la chirurgie, et, inversement, elle permet maintenant de traiter des patients ayant une ischémie très sévère pour lesquels une chirurgie est soit contre-indiquée par son état général, soit trop périlleuse et souvent vouée à l’échec. Pour cette raison, elle fait maintenant partie, à part entière, du traitement médical de l’artérite. Angioplastie endoluminale percutanée par ballonnet Le succès de l’angioplastie est défini par une sténose résiduelle inférieure à 30 % du diamètre de l’artère normale sur deux incidences orthogonales ou un gradient résiduel inférieur à 10 mmHg. Les risques de l’angioplastie sont essentiellement la création d’un hématome au point de ponction et celui d’entraîner une dissection artérielle lors de l’inflation du ballonnet. Dans ce cas, on dispose maintenant des endoprothèses, ou stents, qui permettent de “réacoller” la paroi vasculaire, et qui se posent également par voie endovasculaire. Le succès initial de l’angioplastie aux niveaux iliaque et fémoral est de 70 % à 1 an et chute à 40-50 % à 5 ans ; les résultats étant les meilleurs en cas de sténose iliaque, avec un bon lit d’aval. Les indications se sont élargies aux occlusions qui peuvent maintenant être “recanalisées”. Thrombolyse locale, in situ Elle s’adresse surtout aux ischémies aiguës et n’a pas d’indication au stade de la claudication. Les fibrinolyses systémiques ne sont plus utilisées dans cette indication. Après ponction artérielle et mise en place, au sein même du thrombus, d’un cathéter multiperforé, une perfusion d’urokinase est administrée pour une durée variable selon les équipes, habituellement jusqu’à la recanalisation et, au maximum, moins de 24 heures. Le risque d’hémorragie majeure est de 2 % environ. Les contreindications à une fibrinolyse générale doivent être respectées. La fibrinolyse est au mieux réalisée en salle de radiologie interventionnelle, avec un contrôle régulier de l’artériographie, ce qui permet, d’une part, de repositionner le cathéter au cours de l’avancement de la fibrinolyse et, d’autre Ulcère artérielle. part, d’associer à la fibrinolyse d’au-tres techniques de radiologie interventionnelle (angioplastie, thromboaspiration). La plupart des équipes associent à la fibrinolyse une prescription d’aspirine et d’héparine, avec un temps de céphaline activateur (TCA) maintenu entre 1,5 et 3 fois le témoin. Thromboaspiration Elle est utilisée essentiellement en cas d’ischémie aiguë, ou en cas d’embolie distale suite à une angioplastie. Elle consiste à descendre un cathéter au contact du thrombus et à l’aspirer à l’aide d’une seringue située à l’autre extrémité du cathéter. Tout en maintenant la dépression par la seringue, le cathéter est ensuite retiré avec le thrombus au travers du désilet artériel. Autres techniques L’athérectomie, l’angioplas- IX Dossier thématique tie par laser et l’angioplastie par ultrasons n’ont pas de supériorité démontrée par rapport à l’angioplastie par ballonnet. Plus récemment, au stade d’ischémie critique, des essais de thérapie génique (non contrôlés), ayant pour but de stimuler l’angiogenèse, ont été publiés. Le principe repose sur l’injection intra-musculaire au niveau de la jambe de plasmides nus codant pour la sécrétion de facteurs de croissance (VEGF pour vascular endothelial growth factor ou FGF-1 pour fibrosblast growth factor). Si cette approche est prometteuse, elle nécessite encore d’être formellement validée. Tableau II. Principales causes des artériopathies des membres inférieurs non liées à l’athérosclérose. Artérites inflammatoires Maladie de Buerger Maladie de Takayasu Maladie de Behçet Maladie de Horton Maladie de Kawasaki Maladies congénitales héréditaires Elastorrhexie (Ehlers Danlos) Pseudoxanthome élastique Mucopolysaccharisoses Maladies congénitales anatomiques et pièges artériels Coarctation de l’aorte Artère sciatique persistante Pièges poplités Endartérite ilique externe du cycliste Kyste adventitiel Fibrodysplasie Artérite radique Artérite médicamenteuse Ergotisme Bléomycine X Indications thérapeutiques Au stade d’artériopathie asymptomatique (stade 1 de Leriche et Fontaine) Seule la prescription d’aspirine, ou d’un autre antiagrégant plaquettaire en cas de contre-indication à l’aspirine, se justifie en association avec la correction des facteurs de risque d’athérosclérose. En effet, comme nous l’avons vu, la présence d’une artériopathie, même asymptomatique, est un excellent facteur prédictif d’atteinte coronaire. Au stade de claudication (stade 2 de Leriche et Fontaine) Le traitement médical est toujours indiqué en première intention, après bilan des lésions par échographiedoppler. Il n’y a pas d’indication à réaliser d’emblée une artériographie. Le traitement repose principalement sur la prescription d’antiagrégants plaquettaires, sur des exercices de marche journaliers, ainsi que sur le contrôle des facteurs de risque. Ce n’est qu’en cas d’absence d’amélioration des symptômes, après six mois de traitement médical et après avoir analysé le profil des lésions artérielles de façon non invasive, qu’on peut être amené à proposer une angioplastie iliaque, fémorale commune, Le Courrier de Médecine Vasculaire (1), n° 1, octobre/novembre/décembre 2001 voire fémorale superficielle en cas de sténose courte. Il est alors souhaitable de programmer l’artériographie et l’angioplastie dans le même temps. Chez certains patients ayant une athérosclérose évoluée du trépied fémoral et une claudication, une endartériectomie chirurgicale peut être proposée. Dans les autres situations, qui pourraient bénéficier d’une angioplastie complexe, ou bien celles difficiles à traiter en raison de la diffusion des lésions, une confrontation multidisciplinaire médicale, radiologique et chirurgicale est toujours souhaitable. Signalons le cas très particulier d’une claudication intermittente survenant de façon brutale, chez un sujet n’ayant aucun symptôme artériel au préalable. Dans ce cas, il faut savoir évoquer une embolie artérielle, surtout si le patient est jeune. Une artériographie doit alors être effectuée rapidement. Elle a également pour intérêt de rechercher les autres causes d’artériopathie non athéroscléreuse des membres inférieurs (tableau II). Au stade d’ischémie critique L’ischémie critique est une situation grave, le membre étant souvent compromis, et le pronostic vital du malade peut être engagé en cas d’amputation. Dans tous les cas, un facteur favorisant ou déclenchant l’ischémie doit être recherché et corrigé. Un Dossier thématique bas débit, une fibrillation auriculaire, une anémie, un syndrome myéloprolifératif, la prescription de vasoconstricteurs, un cancer doivent être recherchés. En situation de sauvetage de membre, plusieurs thérapeutiques peuvent être proposées, après avoir effectué un bilan complet des lésions, en milieu spécialisé, par artériographie. Une revascularisation doit être recherchée de parti pris soit chirurgicale, soit endoluminale et maintenant de plus en plus souvent de façon combinée. C’est dans l’ischémie critique et en situation de sauvetage de membre qu’il faut savoir parfois tenter des “audaces thérapeutiques” avec des recanalisations souvent associées à des angioplasties d’axes distaux, par voie percutanée ou encore des pontages très distaux. L’ischémie critique survient souvent chez des patients âgés et fragiles, chez lesquels une chirurgie vasculaire représente souvent une agression importante. Malgré tous les efforts thérapeutiques, le pronostic de l’ischémie critique reste sombre, un patient sur deux sera amputé ou décédé un an plus tard. En cas de revascularisation impossible, les traitements par prostanoïdes peuvent être tentés avec les limites déjà évoquées. C’est dans l’ischémie critique que l’injection de plasmides codant pour des facteurs de croissance, tels que le VEGF ou le FGF-1, et favorisant le développement des collatérales a été tentée. Si les résultats sont encore au stade préliminaire, la “manipulation de l’angiogenèse” sera peut-être un des traitements de demain. Conclusion Le traitement médical de l’artérite des membres inférieurs repose principalement sur la marche, la prescription d’un antiagrégant plaquettaire et le contrôle des facteurs de risque d’athérosclérose, avec le même niveau de prévention que celui effectué en prévention secondaire de la maladie coronaire. On ne doit jamais oublier, lorsqu’on traite un artéritique, que l’athérosclérose, responsable des symptômes allégués par le patient, est souvent présente de façon asymptomatique, ou patente dans d’autres territoires, principalement coronaire et cérébral. Il ne faut donc pas se limiter à la prescription automatique d’un médicament de l’artérite dont nous avons vu les limites, mais surtout prendre en charge le sujet et la maladie athéroscléreuse dans sa globalité. Références bibliographiques 1. TransAtlantic inter-Society Consensus (TASC). 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