Nouveaux concepts Des cellules souches mésenchymateuses pour réparer les tissus : une réalité palpable Isabelle Lihrmann* L es cellules souches mésenchymateuses (mesenchymal stem cells [MSC]) adultes sont des cellules souches présentes dans de nombreux tissus et organes, généralement en petite quantité et à l’état quiescent. Toutefois, elles peuvent être réactivées et différenciées en réponse à des signaux qu’elles reçoivent des tissus endommagés afin de réparer le traumatisme. C’est donc un système de réparation naturel in vivo. Elles peuvent être multipliées facilement, traitées ou modifiées en dehors du corps (ex vivo), et elles sont douées d’une grande plasticité cellulaire, puisqu’elles sont capables de se différencier en multiples types cellulaires (par exemple : ostéoblaste, chondrocyte, adipocyte, myocyte, cellule bêta-pancréatique et autres types cellulaires). Elles interagissent avec leur microenvironnement en diminuant la réponse immunitaire du receveur et en sécrétant des facteurs de croissance, stimulant ainsi la régénération tissulaire. Par ailleurs, elles présentent peu d’éléments du système majeur d’histocompatibilité (major histocompatibility complex [MHC]) à leur surface, ce qui leur permet d’échapper à la réponse immunitaire du receveur. Enfin, les MSC sont faciles à obtenir, à partir du sang de cordon, par exemple. Tous ces aspects en font des outils attractifs pour une utilisation en thérapie cellulaire afin de remplacer des cellules déficientes ou de reconstituer des organes endommagés, mais aussi pour réintroduire une substance qui fait défaut dans l’organisme. Les différents types de cellules souches * Laboratoire de différenciation et communication neuronale et neuroendocrine (DC2N), unité mixte inserm U982, IFRMP 23, université de Rouen, MontSaint-Aignan. 304 Les cellules utilisées en médecine régénératrice sont principalement classées en fonction de leur origine, autologue (provenant du patient lui-même) ou allogénique (provenant d’un don), et de leur niveau de différenciation (cellules souches embryonnaires ou cellules souches adultes). La classification des cellules souches, encore discutée aujourd’hui, se fonde sur leur potentiel de développement. Les cellules souches totipotentes sont issues de l’embryon pendant les premières divisions de l’ovule fécondé. Elles sont capables de se transformer en toutes les cellules de l’organisme (tissus embryonnaires et extra-embryonnaires) et sont les seules à assurer le développement complet d’un individu. Les cellules souches embryonnaires pluripotentes sont dérivées de la masse cellulaire interne du blastocyste (embryon de 5 à 7 jours). Elles ont vocation à former tous les types cellulaires différenciés de l’organisme (200 au total), à l’exception des tissus extra-embryonnaires, mais ne peuvent pas aboutir à la création d’un individu complet. Les cellules souches adultes multipotentes sont des cellules dont le spectre de différenciation s’applique à un grand nombre de types cellulaires, mais pas à tous. Les cellules souches adultes oligopotentes sont seulement capables de générer quelques types cellulaires d’un même tissu. Les cellules souches adultes unipotentes peuvent donner seulement un type de cellule avec la capacité de s’autorégénérer (http://www.ariis.fr/ wp-content/uploads/2010/05/ therapie-cellulaireleem-2010.pdf). Actuellement, les recherches sur des lignées de cellules souches embryonnaires humaines ne sont autorisées en France que de façon dérogatoire, pour des raisons éthiques. En revanche, elles sont autorisées depuis 2009 aux États-Unis. Par ailleurs, les premiers résultats cliniques obtenus montrent que le risque de développement d’un cancer après greffe de cellules souches est beaucoup moins élevé avec des cellules souches adultes, plus différenciées, qu’avec des cellules souches embryonnaires. Actuellement, environ 23 % des essais cliniques au niveau mondial utilisent des cellules souches adultes. Au sein de ces cellules souches, une catégorie est fortement étudiée depuis quelques années : les cellules souches mésenchymateuses (1). Les cellules mésenchymateuses Il y a 130 ans, l’Allemand J.F. Cohnheim suggère que la moelle osseuse chez les rongeurs contient des fibroblastes qui contribuent aux processus de réparation tissulaire (cicatrisation de la peau, formation du cal osseux). Puis, dans les années 1970, A.J. Friedenstein Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIV - n° 9 - novembre 2010 Des cellules souches mésenchymateuses pour réparer les tissus : une réalité palpable et al. sont les premiers à annoncer la présence de cellules fibroblastiques pouvant être extraites de la moelle osseuse murine adulte, capables de former des colonies sur un support plastique et de se différencier dans certains lignages cellulaires d’origine mésodermique (ostéoblaste, chondrocyte et adipocyte [2]). Il s’agit là de la première preuve de l’existence dans la moelle osseuse de ce qui serait appelé plus tard la “cellule souche mésenchymateuse” (MSC), terme utilisé par A.I. Caplan en 1999 (3). Les MSC seront par la suite isolées à partir de moelle osseuse humaine (hMSC) [4], et leur caractère multipotent sera démontré par M.F. Pittenger et al. (5). Les données récentes tendraient à montrer que les MSC peuvent se différencier en de nombreux types cellulaires qui ne dérivent pas exclusivement du mésoderme (myocyte, ostéocyte, endothélium, adipocyte, cardiomyocyte), mais aussi de l’ectoderme (neurone) et de l’endoderme (hépatocyte, cellule bêta, épithélium pulmonaire) [figure 1]. Cette capacité à donner naissance à des cellules provenant des trois feuillets embryonnaires (ectoderme, endoderme, mésoderme) les classerait donc parmi les cellules souches pluripotentes. L’origine embryologique des MSC n’est pas bien connue ; on manque à l’heure actuelle de marqueurs pour localiser ces cellules in vivo. Plusieurs hypothèses ont été proposées, qui mettent en jeu les péricytes entourant les vaisseaux présents dans de nombreux organes, ainsi que le neuroépithélium et les crêtes neurales à un stade plus précoce (6). étant adhérentes sur le plastique et pluripotentes. Les MSC produisent également des molécules d’adhésion, des interleukines, des chimiokines et des facteurs de croissance, ainsi que les récepteurs de ces molécules. Les divers signaux qu’elles peuvent ainsi émettre et recevoir permettent à ces cellules de gagner spécifiquement (homing) les sites où les tissus sont endommagés (blessure mécanique, inflammation, infection, cancer) pour participer à leur réparation (1). Ils lui sont aussi utiles pour interagir avec le microenvironnement, en diminuant la réponse immunitaire et en stimulant la régénération tissulaire. Par ailleurs, la présence de ces marqueurs est utilisée pour évaluer l’homogénéité des populations de MSC utilisées dans la communauté scientifique (1). Une meilleure tolérance immunitaire Les cellules à transplanter peuvent être prélevées sur le patient (autogreffe) ou sur un autre individu (allogreffe). La greffe allogénique de cellules souches adultes comporte des risques de rejet causés par la présence des antigènes du système majeur d’histocompatibilité à la surface membranaire, problème qui ne se pose pas dans le cas d’une autogreffe. De façon intéressante, les cellules multipotentes MSC expriment moins d’antigènes du système majeur d’histocompatibilité (MHC) à leur surface, notamment MHC II. Par ailleurs, elles présentent des propriétés immunosuppressives. Elles inhibent la différenciation des lymphocytes B, réduisant ainsi la Caractérisation in vitro des MSC L’idée selon laquelle les MSC constitueraient un système de réparation naturel se fonde sur les résultats récents montrant leur présence dans de nombreux tissus et organes (par exemple : le sang circulant, le sang de cordon provenant du placenta, la moelle osseuse, la rate, le liquide amniotique, le cartilage, les tendons, le tissu adipeux, le pancréas, etc.). Toutefois, l’équivalence réelle de toutes ces populations et leur homogénéité est loin d’être démontrée. L’absence de marqueurs a été mise en cause. On connaît mieux le phénotype des MSC humaines multipliées in vitro. Les hMSC expriment un certain nombre d’antigènes de surface (1) qui ont permis de définir des critères d’identification. Ainsi, la règle établie par M. Dominici et al. (7) fixe que les hMSC doivent exprimer à leur surface les récepteurs CD73, CD90, et CD105 et être négatives pour CD45 (le marqueur hématopoïétique), CD34, CD14, CD19 et HLA-DR, tout en Agrégats de cellules produisant de l’insuline Cellule souche mésenchymateuse (cellule souche adulte) Cellule produisant de l’insuline Myocyte Prolifération Différenciation contrôlée in vitro Cellule musculaire cardiaque, striée Chondrocyte Cartilage Autres types cellulaires Adipocyte Ostéocyte OS Figure 1. Plasticité des cellules mésenchymateuses. Les cellules MSC isolées à partir de différentes sources peuvent être multipliées et différenciées in vitro pour générer différents lignages cellulaires dérivant des trois feuillets embryonnaires (ectoderme, endoderme, mésoderme). Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIV - n° 9 - novembre 2010 305 Nouveaux concepts production d’anticorps. Elles inhibent la formation des lymphocytes T, la prolifération des natural killer cells (NK) et la différenciation des monocytes en cellules dendritiques (1). Ces qualités immunosuppressives et immunomodulatrices leur permettent d’échapper à la réponse immunitaire dans le cas d’une allogreffe. Il s’ensuit que la transplantation demande une compatibilité tissulaire receveur/donneur moins importante. Utilisation des MSC pour la régénération tissulaire Il existe deux stratégies principales de traitement en thérapie cellulaire : l’utilisation de cellules souches pour remplacer des cellules endommagées et l’utilisation de cellules souches pour délivrer des agents thérapeutiques dans les zones lésées. Dans ce cas, les cellules peuvent être corrigées par transfert de gène avant d’être réimplantées. Cette opération, qui combine thérapie génique et thérapie cellulaire, est aussi appelée thérapie génique ex vivo (figure 2). La médecine régénératrice utilisant la thérapie cellulaire peut en théorie être appliquée à deux principaux types de pathologies : les maladies dégénératives (par exemple : maladies de Parkinson et d’Huntington) et les pathologies impliquant une destruction des cellules, des tissus ou des organes (par exemple : diabète). Les MSC ont été utilisées après multiplication ex vivo et transplantation locale, ou administration systémique, dans une variété de modèles expérimentaux de tissus lésés. L’une des limitations de l’administration Thérapie cellulaire Cellule Modification Amplification Thérapie génique Thérapie génique ex vivo Gène Ciblage par un vecteur Transplantation Site d’action Cellules cibles Figure 2. Biothérapies incluant la thérapie cellulaire, la thérapie génique ainsi que la thérapie génique ex vivo, cette dernière opération combinant thérapie génique et thérapie cellulaire. 306 systémique de MSC est, semble-t-il, le faible rendement du nombre de cellules parvenant à coloniser la zone lésée. Ainsi, les MSC commencent à être utilisées pour reconstituer l’os et le cartilage, ou pour traiter les plaies chroniques chez l’homme et d’autres modèles expérimentaux (6, 8, 9). L’implantation de hMSC dans le cerveau du rat améliore les déficits neurologiques résultant d’un épisode ischémique (10). L’administration systémique de MSC de moelle osseuse a permis une restauration du rein et du cerveau lésés dans des modèles animaux. Elle a été utilisée chez l’homme pour traiter l’infarctus du myocarde. Après six mois, les patients ont vu leur fonction cardiaque s’améliorer (11). Des MSC issues de différentes sources tissulaires, comptant parmi elles le pancréas humain, le tissu adipeux, le foie et la moelle osseuse, ont pu être différenciées en cellules endocrines avec un phénotype de cellules bêtaproductrices d’insuline (11). L’administration systémique de hMSC est capable d’infléchir la glycémie chez les souris diabétiques. Cependant, l’insuline humaine n’est pas détectée dans le pancréas des souris transplantées. Il semble que les cellules injectées contribuent non pas à se différencier en cellule bêta, mais à régénérer les îlots de Langerhans de façon indirecte en promouvant la différenciation de l’endothélium vasculaire autour de l’îlot de Langerhans lésé (12). De nombreuses études actuelles associent la thérapie cellulaire et la thérapie génique afin d’augmenter le contenu en insuline et la réactivité au glucose Ainsi la différenciation des MSC en cellules bêta a-t-elle pu être obtenue en introduisant le gène PDX-1 (pancreatic and duodenal homeobox 1) codant pour un facteur de transcription essentiel à la différenciation des cellules pancréatiques (13). La transplantation de ces cellules normalise la glycémie chez des souris diabétiques. Les mêmes résultats ont été obtenus par J. Xu et al. (14), qui ont transplanté des MSC produisant de l’insuline humaine par transfert rétroviral. Plus récemment, N.K. Chen et al. (15) ont modifié des hMSC de moelle osseuse en introduisant dans ces cellules le gène de l’insuline sous le contrôle d’un promoteur sensible aux variations de la glycémie (promoteur EGR1, early growth response 1). La transplantation hépatique ou intrapéritonéale de ces cellules génétiquement modifiées chez la souris a corrigé de façon durable la glycémie, la tolérance au glucose et le poids dans un modèle de souris diabétique. L’ensemble des travaux effectués dans ce champ de recherche apporte un réel espoir pour la thérapie cellulaire du diabète. Ces bioimplants pourraient représenter à l’avenir une alternative à la greffe d’îlots de Langerhans, pour le traitement des patients diabétiques de type 1. Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIV - n° 9 - novembre 2010 Des cellules souches mésenchymateuses pour réparer les tissus : une réalité palpable Perspectives La faible immunogénicité des MSC et leurs propriétés immunosuppressives en font des outils attractifs pour une approche de transplantation allogénique. De plus, le fait d’utiliser des cellules adultes limite le risque de développer des cancers et constitue une approche plus sécuritaire que celle recourant à des cellules souches embryonnaires. De façon très intéressante, les MSC sont présentes dans le sang de cordon, une source de MSC aux nombreux avantages. Le sang est prélevé après l’accouchement sur le cordon ombilical, sans douleur pour la mère ni pour l’enfant. Il y a un grand nombre de donneurs potentiels. Il peut être utilisé directement comme greffon (après validation) ou cryocongelé dans des banques, constituant ainsi une source immédiatement disponible pour la régénération tissulaire. L’utilisation du sang de cordon est en croissance constante et représente maintenant 27 % des greffes. Il existe cependant une limitation à son utilisation : son faible volume et la petite quantité de cellules souches disponible. Pour cette raison, il ne peut être utilisé pour l’instant que sur des enfants. La France est encore en retard en termes de stockage de sang de cordon, mais de nombreux efforts ont été réalisés pour la création de nouvelles banques. Fin 2009, huit banques de sang de cordon ont été établies en France (contre trois en 2008). Sur le plan clinique, selon une étude réalisée par le Comité biotechnologies de santé du Leem (http:// www.ariis.fr/wp-content/uploads/2010/05/therapiecellulaire-leem-2010.pdf), quelques travaux pilotes sont en cours (moins de 200 essais cliniques) à travers le monde pour évaluer le potentiel thérapeutique des MSC, principalement aux États-Unis, en Allemagne et en France. Seuls quelques-uns sont en phase III. Vingtquatre pour cent de ces essais utilisent des cellules adultes. La thérapie cellulaire cardiovasculaire est l’aire thérapeutique la plus représentée (près de la moitié des essais), la quasi-totalité de ces essais utilisant des cellules souches mésenchymateuses. Les autres essais concernent le traitement de lésions cutanées, et celui du cartilage ou des pathologies osseuses. Les autres aires d’application (tractus gastro-intestinal/pancréas/foie, système nerveux central, sang, maladies hématologiques, système immunitaire) sont minoritaires à l’heure actuelle. Sur le plan expérimental, les études actuelles visent à identifier les voies de transduction impliquées dans le renouvellement, la multiplication et la différenciation des MSC afin de développer des outils pharmacologiques permettant de promouvoir leur différenciation in vivo. Celle-ci sera mieux connue si l’on parvient à caractériser phénotypiquement les MSC in vivo (c’està-dire à découvrir de nouveaux marqueurs), ce qui contribuera aussi à expliquer le rôle de ces cellules dans l’organogenèse. ■ Références 1. Kode JA, Mukherjee S, Joglekar MV et al. Mesenchymal stem 7. Dominici M, Le Blanc K, Mueller I et al. Minimal criteria for defining multipotent mesenchymal stromal cells. 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