La vieillesse : problème social ou objet sociologique ?
La construction de la vieillesse par les politiques publiques en France continue d’en faire un
problème social. Comment les sociologues peuvent-ils la reconstruire comme objet
sociologique ?
Le fait que les politiques publiques considèrent, depuis les années 1960 et depuis la naissance
de la politique vieillesse, les « personnes âgées » comme un problème social influe
indéniablement sur la façon dont la société se représente la vieillesse et le vieillissement et sur
la sémantique utilisée pour décrire cette population décrite à la fois comme dépendante, en
perte d’autonomie, à risque, fragile, vulnérable et sous l’angle d’un défi démographique etc.
Le projet de loi en cours « relatif à l’adaptation de la société au vieillissement » projet dans
lequel l’âge est stigmatisé gravement comme un « défi majeur » pour la société (projet de
mise en place d’un Haut conseil de l’âge…) nous ramène à l’analyse déjà ancienne de Rémy
Lenoir : « La première difficulté rencontrée par sociologue tient au fait qu’il se trouve devant
des représentations préétablies de son objet d’étude qui induisent la manière de
l’appréhender et par là de le définir et de le concevoir (...) parmi ces représentations, celle
qui nous apparaît sous la forme d’un « problème social » constitue peut-être l'un des
obstacles les plus difficiles à surmonter. Les « problèmes sociaux » sont en effet institués dans
tous les instruments qui participent à la formation de la vision ordinaire du monde social,
qu’il s’agisse des organismes et des réglementations visant à les résoudre ou des catégories
de perception et de pensée qui leur correspondent (…) l’objet de la sociologie de la vieillesse
ne consiste pas à définir qui est vieux et qui ne l’est pas, ou à fixer l’âge à partir duquel les
agents des différentes classes sociales le deviennent, mais à décrire le processus à travers
lequel les individus sont socialement définis comme tels (…) la sociologie de la vieillesse est
un des cas où la sociologie de la construction de la notion est l’objet même de la
recherche »1.
En reprenant ces interrogations de Rémy Lenoir qui nous paraissent plus que jamais
d’actualité, notre propos est de renouveler le regard critique que se doit de porter la sociologie
sur la vieillesse et le vieillissement à partir des attendus des politiques vieillesses et
particulièrement à partir du projet de loi actuel. Comment le sociologue peut-il prendre de la
distance par rapport à la vision du vieillissement que donne ce projet de loi, comment peut-il
dénoncer les faux semblants de représentation de la vieillesse et des « personnes âgées »
(révolution de l’âge, défi démographique, etc.) qui sous-tendent l’analyse politique telle
qu’elle apparait dans ce texte de loi. Comment le sociologue peut-il notamment s’affranchir
des commandes de recherche (et des budgets qui vont avec…) qui continuent pour la plupart à
considérer la vieillesse comme un « problème social » et à demander aux sociologues des
« réponses » au problème ?
Bernard Ennuyer, le 16 mars 2014.
1LENOIR, R. (1989). Objet sociologique et problème social, Initiation à la pratique sociologique,
Paris, Bordas, p. 57-99.