AQ E La pratique de la philosophie en communauté de recherche au secondaire
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Document préparé par Mathieu Gagnon, en collaboration avec Élisabeth Couture
L’anneau de Gygès de Platon
«Pour prouver que nous ne pratiquons pas la justice volontairement mais parce que nous ne
pouvons pas commettre l’injustice, nous ne pourrions faire mieux qu’en imaginant le cas suivant.
Donnons à l’homme qui agit bien et au méchant le pouvoir de faire ce qui leur plaira : suivons-
les ensuite et regardons à quel endroit les conduira la passion; nous surprendrons l’homme qui
agit habituellement bien dans la même route que le méchant, entraîné par le désir d’avoir sans
cesse davantage, désir que toute personne poursuit, mais que la loi encadre de manière à
réspecter l’égalité de chacun.
Le meilleur moyen de leur donner le pouvoir dont je vous parle est de leur prêter le pouvoir
qu’eut autre fois Gygès. Gygès était un berger au service d’un roi. À la suite d’un grand orage et
d’un tremblement de terre, le sol s’était fendu et une ouverture béante s’était formée à l’endroit
pù passait son troupeau. Étonné, il descendit dans ce trou, et on raconte qu’il y vit [un homme
mort]. Cet homme était nu; il avait seulement un anneau d’or à la main. Gygès le prit et sortit. À
ce moment, les bergers se réunissaient autour du roi. Gygès alla à l’assemblée, l’anneau à la
main. Ayant pris place parmi les bergers, il tourna par hasard sa bague vers lui, en dedans de
sa main, et aussitôt il devint invisible à ses voisins. Il entendit les autres parler de lui, comme s’il
était parti, ce qui le remplit d’étonnement. En tournant de nouveau sa bague, vers l’extérieur de
sa main, il redevint visible. Frappé de cet effet, il refit l’expérience pour voir si l’anneau avait bel
et bien ce pouvoir. Il constata qu’en tournant sa bague, il pouvait devenir soit visible, soit
invisible. Sûr de sa découverte, il se rendit au palais et tua le roi, puis s’empara du trône.
Supposons maintenant deux anneaux comme celui-là. Mettons l’un au doigt du juste, l’autre au
doigt de l’injuste. Selon tout vraisemblance, nous ne trouverons aucun homme assez fort pour
rester fidèle à la justice et résister à la tentation de s’emparer de ce qui appartient aux autres,
alors qu’il pourrait prendre ce qu’il veut, ou, en un mot, qu’il serait maître de tout de tout faire
comme un dieu parmi les hommes. En cela, rien ne le distinguerait le juste du méchant, et ils
tendraient tous les deux au même but. On pourrait voir là une grande preuve que nous ne
sommes pas justes par choix, mais par obligation (ou contrainte). […] Tous les hommes croient
en effet que l’injustice leur est beaucoup plus avantageuse individuellement que la justice. Et ils
ont raison de le croire, si on s’en tient à l’histoire que je viens de raconter. […] Si en effet une
personne, possédant un tel pouvoir, ne commettais jamais une injustice ou ne touchait jamais à
ce qui appartient aux autres, ils serait regardé par les autres comme insensé. Ils n’en diraient