L’apostasie dans le judaïsme
di Eric Gozlan
Daimon 2016
Apostasy in Judaism
The history of Jewish people shows a great number of forced or sham conversions, due to the
situation of diaspora and the social and juridical inferiority which came along with it. The phenom-
enon is particularly widespread in medieval and modern Spain, where the «marranos» (converted
Jews) wishing to return in the Jewish community underwent penitential rituals. The problem of
the re-admittance of converted Jews has gained a new interest because of the present claim of the
descendants of marranos to be considered effectively Jews, especially with concern to marriage.
Keywords: Apostasy, Forced Conversions, Marranos, Re-admittance
Sommaire: 1. La tentation de l’apostasie dans le judaïsme. – 2. La loi juive et l’apostasie. L’apostat qui revient
au judaïsme. – 3. L’apostasie dans les textes. – 4. L’apostasie dans le monde antique. – 5. L’apostasie dans
les temps modernes. Les marranes. – 6. Prosélytes et reconvertis à Vienne (1868-1914). – 7. Conversions
au christianisme et retour au judaïsme à Trieste au tournant du XIXe siècle. – 8. Juifs en Hongrie dans la
première moitié du XIX e siècle.
Traiter de l’apostasie dans le judaïsme ne peut se faire sans d’abord
donner quelques définitions.
Une personne est considérée comme juive si elle est née d’une mère
juive ou si elle s’est convertie.
L’apostasie (en grec, l’apostat désigne celui qui se sépare) est l’aban-
don d’une religion pour en adopter une autre.
Pour écrire cet article, je me suis basé sur les livres suivants: La
Thora du Rabbin David Feinstein (édition Edmond J. Safran), la voix
de la Thora du rabbin Elie Munk (édition Fondation Samuel et Odette
Levy), Le dictionnaire des mondes juifs de Jean-Christophe Attias et
Esther Benbassa (édition Larousse à présent), Le dictionnaire encyclo-
pédique du judaïsme sous la direction de Geoffrey Wigoder, (édition
CERF/Robert Laffont), La revue Histoire, Economie et Société n. 4,
2014 (édition Armand Colin).
Eric Gozlan
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1. La tentation de l’apostasie dans le judaïsme
La tentation de l’apostasie a toujours été présente dans l’histoire des juifs.
La vie en diaspora, l’infériorité juridique que cette dernière impliqua, les
pressions, parfois violentes, exercées par le pouvoir ont souvent entraîné
des défections. Même si ces dernières pouvaient être sincères, dans la
majorité des cas il s’agissait de conversions forcées qui pouvaient être des
conversions de façade cachant une double vie. Certains ont choisi d’être
apostats par convenance ou par commodité afin de faciliter leur intégration.
L’apostasie a été en général plus efficace dans les pays libéraux et
conservateurs. Les études montrent qu’une assimilation radicale n’inter-
vient qu’au bout de deux générations.
Certains apostats sont devenus, notamment au temps de l’inquisi-
tion, des propagandistes zélés de leur nouvelle fois.
La forte proportion de juifs devenus catholiques fervents, ecclésias-
tiques, enseignants dans les facultés de théologie, s’explique par le fait
que cela leur permettait de trouver une place dans la société dès lors que
leur lien avec la communauté juive était interrompu.
2. La loi juive et l’apostasie
D’une manière générale, pour ses proches, l’apostat est considéré comme
mort mais il n’en demeure pas moins juridiquement toujours juif.
2.1. L’apostat qui revient au judaïsme
Un non-juif qui s’est converti au judaïsme et qui, dans un second temps
souhaite, retourner à sa religion d’origine est considéré par le judaïsme
comme un juif apostat.
De nombreux juifs se sont convertis au christianisme durant ces
dernières décennies et en particulier à la suite de la deuxième guerre
mondiale. Le retour aux racines juives est devenu chose courante. D’après
la stricte Halakha (Loi juive), ces personnes sont halakhiquement juives
(du moment que leur mère est juive). Elles peuvent donc réintégrer le
judaïsme sans autre forme de procès. Le mouvement libéral (Massorti)
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recommande néanmoins que ces personnes se plongent dans un bain
rituel (mikvé)1.
Le mouvement Massorati occupe une place intermédiaire entre le
judaïsme orthodoxe et le judaïsme réformé.
Ce courant est apparu au milieu du XIXe siècle en Europe. Son
centre est actuellement situé aux Etats Unis avec des ramifications en
Amérique latine, au Canada et en Europe.
Tout en reconnaissant l’importance de la loi juive (Halakha), le
courant massortiadmet l’étude critique et historique du judaïsme (Attias,
Benbassa, 2008).
À l’époque talmudique, aucune procédure spéciale n’a été enre-
gistrée. Il semble que la repentance intense ait été considérée comme
suffisante.
A l’époque des Gueonim (VIe et IXe siècle), on exigeait de l’ex-apos-
tat qu’il s’engage à respecter le shabbat et les mitsvot (commandements).
Certains pensaient qu’il devait être fouetté. Rav Paltoi Gaon considérait
que le pénitent devait être immergé dans le bain rituel2.
Au Moyen Age, on cesse de demander que le pénitent soit battu
bien que Ibn Adret et Rashi l’exigent encore. Rabbi Simha de Spire
considère que tout pénitent doit passer par le mikvé (bain rituel). Rabbi
Meir Hacohen de Rotenbourg pense que le mikvé n’est pas suffisant et
qu’il faut également une repentance sincère, preuve supplémentaire que
la pratique du mikvé était courante à l’époque. Rabbi Eliezer de Worms
exigeait tout un processus de pénitence couronné par un mikvé3.
Dans l’Espagne du 14e siècle, cette pratique du mikvé comme céré-
monie de réintégration au judaïsme est tout à fait courante. Rabbi Yom
Tom ben Abraham pense même que cela doit se faire devant un Beit Din
(tribunal rabbinique) de trois personnes.
Au 15e siècle, plusieurs commentateurs ashkénazes rapportent la
coutume que le pénitent se rase totalement le corps avant de se plonger
dans le mikvé. Rabbi Isserlein considère cependant qu’il ne faut pas trop
humilier le pénitent déjà suffisamment affligé comme cela.
Au XVIIIe siècle, il semble que cette pratique soit un peu tombée
en désuétude, tout en étant encore appliquée par certains.
1 http://www.massorti.com/spip.php?page=imprimer&id_article=444
2 http://www.massorti.com/spip.php?page=imprimer&id_article=759
3 http://www.massorti.com/spip.php?page=imprimer&id_article=759
Eric Gozlan
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3. L’apostasie dans les textes
Les deux premières paroles des dix commandements condamnent toute
forme d’apostasie. Exode 20, 3-6: «Tu n’auras pas d’autres dieux devant
moi. Tu ne feras point d’idole, ni toute image de ce qui est en haut dans
le ciel, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux au-dessous de la terre. Tu
ne te prosterneras point devant elles, tu ne les adoreras point; car moi,
l’Eternel ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui poursuit la faute des pères
sur les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième génération, pour ceux
qui me haïssent; et qui exerce la bienveillance jusqu’à la millième, pour
ceux qui m’aiment et gardent les commandements».
Pour Rachi, l’expression «tu n’auras pas… » signifie que non seu-
lement la confection d’une idole est interdite, mais qu’on ne doit pas
même en avoir (c’est-à-dire en faire garder) une, par une tierce personne.
Maïmonide déclare que quiconque se laisse aller à la pensée qu’il existe
une autre divinité que Dieu transgresse cette défense et est un apostat.
«Tu ne feras point d’idoles, d’images de ce qui est en haut dans le
ciel». Tandis que les autres religions permettent et vont jusqu’à exiger la
représentation imagée de leurs idoles et divinités, le judaïsme enseigne
dès ses débuts que Dieu est esprit et il stigmatise toutes les formes d’ado-
ration reposant sur une image taillée ou sculptée de mains d’hommes.
À l’époque des Hasmonéens, il était ordonné aux hébreux de s’incliner
devant une idole ou de s’écarter tant soit peu de leur foi en un Dieu unique.
Aussi, d’innombrables juifs se trouvèrent-t-ils prêts à mourir ou à se laisser
écraser par les légions romaines plutôt que de permettre d’ériger dans le
temple de Jérusalem l’aigle romain. Au Moyen Âge, nombre de pères et de
mères préférèrent mourir avec leurs enfants plutôt qu’accepter le baptême
forcé. Emmanuel Kant écrit au sujet de ces versets: «Il n’existe aucun pas-
sage plus sublime dans les Ecritures que cette phrase: Tu ne te feras point
d’image. Elle suffit à expliquer l’enthousiasme dont fit preuve le peuple
juif, à l’époque de sa grandeur, lorsqu’il se compara à d’autres nations».
Deutéronome 13, 7,10: «Si ton frère, l’enfant de ta mère, si ton fils
ou ta fille ou l’épouse qui repose sur ton sein, ou l’ami qui t’est comme
ta vie vient secrètement te séduire en disant: allons servir des dieux
étrangers, que ni toi ni tes pères n’avez connus, des dieux des peuples qui
vous entourent qu’ils soient proches ou lointains d’un bout de la terre à
l’autre: tu ne lui céderas pas, tu ne l’écouteras pas, tu le regarderas sans
pitié, tu n’auras pas de peine pour lui et tu ne le couvriras pas».
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Rachi commente ce verset en disant: «Ceci est une grande honte
pour toi, car même les autres nations ne délaissent pas ce que leurs pères
leur ont transmis».
Le rabbin Feinstein4 enseigne à ce sujet «qu’il est défendu de laisser
qui que ce soit inciter les autres à l’idolâtrie. Cette faute est si grave que
même si celui qui la commet est un proche qu’on aime, on doit néanmoins
le traduire en justice».
Le Talmud ne traite pas directement de l’apostasie mais consacre
un traité entier à l’«avodazara» (service «étranger» souvent traduit par
«idolâtrie») qui s’oppose au traité «avodahachem» (service divin).
Les penseurs juifs ont toujours fait une distinction entre l’apostasie
par conviction et l’apostasie motivée par des raisons matérielles. Ils vont
plus loin encore et distinguent ceux qui se convertissent volontairement
pour des motivations d’ordre idéologique (les mechoummadim) et ceux
qui se convertissent sous la pression «les anoussim».
Maïmonide n’écrit pas sur l’apostasie mais établit les treize articles
de foi5 donnant une formulation précise des croyances du judaïsme, dont
la négation de l’une d’elles prive le juif du monde futur. Il est intéressant
de noter le neuvième article «Que cette Torah ne sera pas changée contre
une autre loi ou doctrine».
Dans la tradition juive, l’apostat est considéré comme étant mort, au
point que ses proches parents observent à son égard les rites de deuil. Lors-
qu’un apostat meurt réellement, sa famille ne prend pas le deuil pour lui.
Après avoir vu les différents textes qui régissent l’apostat dans le
judaïsme, nous étudierons l’apostasie chez les juifs à travers le temps.
4. L’apostasie dans le monde antique
Le premier récit formel d’une apostasie organisée date de l’époque Ha-
smonéenne (IIe siècle avant J.C.). Influencés par leurs dirigeants gréco-
syriens, de nombreux juifs – surtout parmi les classes supérieures de la
société – s’hellénisèrent dans un processus d’abandon de la religion de
leurs ancêtres. On offrit même des sacrifices à des dieux étrangers dans
le Temple de Jérusalem.
4 Le Houmach, Edmond J. Safra Edition by Rabbi Nosson Scherman. Mesorah
Pubns Ltd (31 Aug. 2011).
5 Introduction au chapitre X du traité Sanhedrin.
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