In.
LE PARADOXE EPR ET LES IDEES D'EINSTEIN SUR LA
REALITE
P. JASSELETTE
1. Contexte historique
En cette année 1979, centenaire de la naissance d'Einstein,
c'est une banalité de d ire q u'il a marqué puissamment toute la
Physique d u XXe siècle. Chacun connaît l'impo rtance d e sa
théorie de la relativité qui a conquis les masses aussi bien que
les scientifiques unanimes p o ur entrer dans la cu ltu re autant
que dans la science. Peu de gens cependant connaissent l'in -
fluence d'Einstein su r la canique Quantique, l'a u t re p ilie r
de la physique moderne. Elle n'est pas moins décisive.
L'idée des quanta est énoncée p a r Ma x Planck [1] e n 1900,
mais c'est Einstein [2] déjà qui, en 1905, lu i fait passer le pre-
mier gué: de la quantification des échanges d'énergie à la no-
tion d e quantum, le photon. C'e st Einstein q ui, e n 1911, a u
er Conseil de Physique Solva y [3] fa it pencher la balance du
côté des idées neuves e t convainc H. Poinca, indécis, a in si
que le s opposants ju sq u e l a ma jo rita ires. C'e st u n a rt icle
d'Einstein [4] e n 1917 q u i d e p re mie r, a p p o rte u n p e u d e
lumière dans l'obscurité» [5] des transitions atomiques e t ma r-
que le début de la nouvelle mécanique. Si c'est de Broglie qui
donne la relation traduisant la caractéristiqueme essentielle des
h
particules quantiques P = l a relativité permet de l'obte n ir
X
comme généralisation de la relatio n de Planck E = hv, grâce
au concept de quadri-implusion.
La canique Quantique est bien f ille d'Einstein. Cette en-
fant ne le satisfait pourtant pas. Lorsqu'en 1926, e lle prend sa
forme définitive gce à Heisenberg, Schclinger, Born, Jordan
et quelques autres [6], Einstein écrit [7]: «La canique Quan-
tique force le respect, mais une vo ix intérieure me d it que ce
n'est pas encore le nec plus ultra». Les relations d'incertitude
408 P. JASSELETTE
de Heisenberg no tamment so n t l'o b je t d e se s attaques. E n
1927, le Conseil Solvay est à nouveau au carrefour de l'h istoire
scientifique [8, 9]. Einstein e t Niels Bo h r s'y affrontent en u n
combat de colosses, le p re mie r imaginant l'une aps l'au t re
des expériences idéalisées q u i sont autant de chausse-trappes
pour le second qui s'en extrait à chaque fois, me si c'est au
p rix d'une n u it blanche et s'il d oit reco u rir à la relativité géné-
rale. La tradition rapporte que Bo hr a gagné le duel, scellant
ainsi la victoire de la canique Quantique. Cependant, Ein-
stein ne s'est jamais avoué vaincu. To ut le reste de sa vie, i l
continue d'argumenter avec acharnement et invention. 11 n'est
ni naïf, n i rebelle; il connaît les succès de la théorie q u 'il cri-
tique; i l est prêt à admettre ses erreurs ou ses ch o ix malheu-
reux. I l ne ptend pas que la canique Quantique produise
des sultats faux. Il ne la croit plus incohérente. I l la considère
comme parfaitement valide et vérifiée p a r les faits, aussi bien
dans les expériences alisées ou à a lise r dans l'a ve n ir que
dans le s expériences idéales inventées p o u r le seul je u des
théoriciens. I l ne cherche pas à trouve r la théorie en défaut ou
en contradiction. I l l u i rep roche d 'ê tre incompte. A in si l e
titre de son cébre a rticle [10] de 1935 avec Rosen et Podolski
est-il: « Ca n Q u a n t u m Me ch a n ica l De scrip tio n o f P h ysica l
Reality Be Considered Complete . Dans ce tra va il, Einstein
présente un exemple de situation que la canique Quantique
étudie certes correctement et pour laquelle cette théorie donne
toutes les bonnes prédictions, ma is q ui, dans ce formalisme,
n'est pas, selon Einstein, décrite dans toute sa complexité, dans
tous les détails de sa alité. Elle a été longuement analysée par
la suite sous l'appellation de «paradoxe E.P.R.».
2. Contexte théorique
Les hypothèses à la base de tou te discussion d u paradoxe
E.P.R., comme de tous les autres probmes d'interptation de
la canique Quantique, sont de deux ordres: les hypothèses
et les outils formels de la théorie quantique d'une part; certains
présupposés plus ou moins philosophiques sur la alité physi-
que, la théorie et les relations entre ces deux-ci d'autre part.
LE P ARADO X E EPR E T LES IDEES D'EI NS TEI N 4 0 9
a. Les hypothèses techniques
Les hypothèses techniques de la canique Quantique po r-
tent sur la description de l'état d'un système et de ses pro pr -
tés mesurables, sur son évolution et sur la manière d'interp-
ter les sultats obtenus.
Bien q u e plusieu rs vo ie s so ie n t possibles p o u r a rriv e r
décrire les systèmes quantiques, l'accord se fait quasi unanime-
ment sur le formalisme proposé dès 1932 par von Neumann [11]
après Dira c [12] e t su r l'interp ta tion probab iliste d ue à M.
Born [13].
En ts bref [14], ce formalisme peut se sumer par les quel-
ques gles qui suivent.
L'état d'un système est repsenté p a r u n p o in t lp (on d it
plus communément u n vecte u r) d a n s u n espace a b strait d e
Hilb e r H. Ces vecteurs peuvent être décrits par une «fonction
d'ond(')Iil(x) prenant des valeurs complexes en chaque point
de l'espace ord ina ire. Cette fo n ction peut aussi dépendre d u
temps, si l'état évolue.
De u x état peuvent être additionnés, fournissant ainsi un troi-
sième état du même système. C'est le principe de superposition,
base essentielle de toute la théorie.
U n système composé est d é crit a p a rtir des produits des
fonctions d'onde décrivant ses constituants.
Un e grandeur mesurable ne prend pas n'importe quelle
valeur, ma is seulement les «valeurs propres» d 'u n opérateur
associé à. la grandeur.
Po u r u n même état, l a mesu re d'une grand e ur donnée
peut fo u rn ir des sultats différents.
L a probabilité de chacun des sultats possibles se ca l-
cule à p a rt ir de l'état du système et des états propres de l'opé-
rateur associé à l'aide d'une gle donnée p a r M. Born 113, 141.
Une caractéristique fondamentale et intrigante de la Méca-
nique Quantique est l'existence de deux lo is différentes p o u r
décrire l'évolution du système:
(I) C e v oc able archaïque e t a mb igu s'es t maint enu malgré des inc onv é-
nients manifestes,
410 P. JASSELh. I 1.b
I) u n e équation linéaire, l'équation de Schdinger:
li a
Ip(t) = H tp(t)
i a t
lorsque le système évolue librement ou sous l'effet d'interac-
tions connues et décrites p a r l'opérateur hamiltonien H (cette
évolution est continue et déterministe);
II) u n processus discontinu, aatoire, la «réduction du pa-
quet d'onde»:
1P a
lorsque le système est soumis à une mesure dont le résultat
est connu; l'état ly a les propriétés souhaitées pour l'état d'un
a
système q u i vie n t d'être soumis à une mesure correcte i.e. i l
prévoit le me sultat que celui obtenu par la mesure. Cette
évolution est indéterministe. Même lorsque l'état lp est parfaite-
ment connu, i l n'est pas possible de d ire à l'avance quel sera
le résultat de la mesure et donc sur quel vecteur q) a b o u t ira
a
l'état d u système. O n ne p eut donner que l a p robab ilité d e
chaque sultat possible. C'est donc à cet endroit pcis du for-
malisme que les probabilités font leur ente dans les bases de
la canique Quantique.
De nombreux physiciens sont insatisfaits par cette lo i double
parce que le processus I I ne peut se réduire à un cas p articu -
lie r du processus I et que cela distingue nettement les opéra-
tions d e mesure des autres phénones physiques. C'est ce
qu'on appelle le «probme de la mesure en canique Quan-
tique». Un e lit té ra ture abondante [15] y e st consace. E lle
tente nota mment d e réduire, d e l'u n e o u l'a u t re faço n , l a
contradiction entre les deu x modes d'évolution d'un système.
Une équivoque est à dissiper ici. Einstein aurait manifeste-
ment pfé une théorie entièrement déterministe. I l a pété
pendant trente ans «Dieu n e jo u e pas a u x dé. Cependant,
c'était là l'expression d'u n a ttrait, d 'u n g o ût personnel, n o n
celle d 'u ne exigence. I l s'accommodait b o n g ré ma l g ré d u
caractère ind éterministe d e l a can ique Quantique. I l a d -
LE PARADOXE EPR ET LES IDEES D'EINSTEIN 411
mettait aussi sa validité universelle. Ma is il restait solument
adversaire de son caractère, selon lui, incomplet.
b. L e s p r é s u p p o s é s
Les hypothèses techniques énoncées plus haut sont explicites
et permettent assez aisément à deux interlocuteurs maîtrisan t
le sujet de se mettre d'accord.
Il n'en est pas de me des présupposés de nature philoso-
phique. Généralement, ceu x-ci sont passés sous silence, quitte
se ptendre évidents s'ils sont débusqués. Ils anent gu-
lièrement des incompréhensions irréductib les, d e s q u e relles
achares, des débats passionnés o ù les interlocuteurs mono-
loguent sans s'entendre vraiment.
Pour Einstein, le monde extérieur existe indépendamment de
l'homme et de ses observations. Ce monde est comphensible
et ses lois sont simples (
2
). L a
t â c h e
du
p h y s i c i
e n
e s t
de
d é c r
i r e
cette ré a lité aussi complètement q u e possible, d e d é co u vrir
(dévoiler) ces lois.
De plus, dans ce monde extérieur, i l y a des objets, lo ca li-
sables dans l'espace-temps, q u i, mê me s'ils so n t interdépen-
dants, possèdent u n e certaine in d ividu a lité. I ls o n t des p ro -
priétés q u i le u r appartiennent e n prop re, san s réfé ren ce
aucun observateur. Ce s p ro prié té s s o n t indépendantes d e
l'avenir d u système, comme de l'appareillage q u i les me t en
évidence.
3. Disp ositif
Dans l'article [10] de 1935, Einstein, Podolski et Rosen discu-
tent une situation dans laquelle deux sous-systèmes U e t V
interagissent pendant un temps fin i t et dans une gion de l'es-
pace R également finie, bornée. Ces deu x parties du système
se séparent ensuite p o u r po u rsuivre le u r d e stin sa n s p lu s
aucune interaction, n i entre elles, n i avec le reste du monde
(
2
)
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monde, c 'es t q u ' il s oit c omphensible» e t auss i «Si les lo is de l a nature
ne sont pas simples , elles ne m'intéres s ent pas».
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