Les comportements miracles et l`hypertension

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Les comportements miracles et l'hypertension
Entretien avec Dr Ellen Burgess
Michael King, Calgary General Hospital
Près de deux millions d'adultes au Canada souffrent d'hypertension. L'hypertension
constitue peut-être la cause de décès prématuré la plus évitable chez les Canadiens.
Connue sous le nom de «tueur silencieux» parce qu'elle est souvent asymptomatique
avant le déclenchement d'un événement morbide, l'hypertension se développe en
présence d'importants facteurs de risque liés au tabagisme, les modes de vie
sédentaires, l'obésité et le stress mal géré. La moitié des malades hypertendus
abandonnent la thérapie en moins d'un an. Les deux-tiers des autres patients prennent
assez de médicaments pour contrôler leur hypertension.
Parke-Davis Pharmacceuticals a récemment mis sur pied un tout nouveau service de
counselling par téléphone à l'intention des malades hypertendus qui prennent Accupril,
le médicament antihypertenseur qu'elle a mis au point. Appelé Accu-Assist, le
programme fait appel à des conseillers-infirmiers et à des conseillères-infirmières qui
font des interventions psychologiques axées sur les étapes de changement afin d'aider
les malades hypertendus à modifier les comportements nuisibles à leur santé.
Dr Ellen Burgess est néphrologue et directrice de la clinique d'hypertension au Foothills
Hospital, à Calgary. Elle a présidé à l'élaboration de stratégies d'évaluation et
d'intervention utilisées dans le cadre du programme et à la formation du personnel.
Michael King s'est entretenu avec Dr Burgess au sujet du programme Accu-Assist et
des comportements miracles qu'il favorise pour aider les patients à faire face à ce grave
problème de santé.
MK: Ellen, parlez-moi un peu du programme Accu-Assist.
EB: Ce programme a été conçu par Parke-Davis afin d'offrir des services de soutien
aux malades qui prennent Accupril, médicament antihypertenseur mis au point par la
compagnie. Le programme initial visait à aider les gens à cesser de fumer, surveiller
leur alimentation, faire de l'exercice et gérer le stress. On m'a demandé si notre groupe
pouvait élaborer un train de mesures d'information et d'intervention qu'utiliseraient des
conseillers-infirmiers et des conseillères-infirmières, qui sont rattachés à une entreprise
appelée Info-Health, située en banlieue de Toronto. Le programme Accu-Assist a deux
composantes. La première est un numéro sans frais que peuvent composer au besoin
les patients pour obtenir des renseignements et des conseils sur l'hypertension et sur
les moyens d'y faire face. Après avoir pris contact par téléphone, le patient reçoit un
document vidéo et un livret sur les facteurs de risque de l'hypertension. L'autre
composante, de nature proactive, est celle où le médecin oriente le patient vers des
services de counselling visant à modifier un aspect de son mode de vie auquel est
reliée l'hypertension. Le médecin fait parvenier une letre à Info-Health, après quoi la
conseillère-infirmière téléphone le patient une fois par mois pendant quatre mois. Après
chaque appel téléphonique, fait sur l'initiative du patient ou du médecin, un rapport est
envoyé au médecin, exposant les comportements dont il a été question et les moyens
de les gérer qui sont proposés.
MK: Voici une question à laquelle vous vous attendez sûrement: Pourquoi une grosse
compagnie pharmaceutique offrant un médicament antihypertenseur très rentable veutelle assumer le coût d'interventions axées sur le comportement?
EB: Ces dernières années, le gouvernement et les compagnies d'assurance privées ont
fait de plus en plus pression sur les compagnies pharmaceutiques afin qu'elles en
fassent un peu plus pour les consommateurs qui dépensent un somme considérable
pour leurs produits. Si vous achetez un ordinateur et que celui-ci fait défaut, vous
pouvez appeler l'entreprise et obtenir une aide. Les compagnies pharmaceutiques,
toutefois, n'offrent pas de services aux malades, si ce n'est qu'elles font imprimer des
dépliants à l'occasion et qu'elles les distribuent aux médecins. Elles ont de plus en plus
l'impression qu'elles devraient être perçues comme des fournisseurs de soins de santé
et non plus comme des simples vendeurs de pilules et de potions. Sur la scène
internationale, nous voyons de quelle façon les compagnies pharmaceutiques
s'efforcent d'étendre les services qu'elles offrent. Le programme Accu-Assist est l'une
des mesures prises par Parke-Davis pour atteindre cet objectif. C'est aussi l'un des plus
ambitieux projets du genre dans l'industrie.
MK: Les compagnies pharmaceutiques trouvent leur compte à se comporter en bons
citoyens. Par contre, on me dit qu'elles sont en butte à des problèmes fondamentaux en
ce qui concerne, par exemple, le suivi des schémas thérapeutiques prescrits aux
malades hypertendus avec lesquels vous travaillez. Les médicaments ne font effet que
si les patients les absorbent. Les nouvelles habitudes ne portent fruit que si les patients
les intègrent dans leur vie.
EB: En effet. La plus grosse difficulté qui se présente avec nos patients est que la
plupart d'entre eux n'ont pas de symptômes. L'idée qu'ils ont un problème de santé qui
exige de gros changements dans leur vie et pour lequel des médicaments leur sont
prescrits est plutôt abstraite pour eux, jusqu'à ce que l'hypertension provoque un état
morbide. Elle n'est plus si abstraite après un accident cérébrovasculaire ou une crise
cardiaque. Malheureusement, quand cela se produit, nous avons vraiment manqué la
coche. Les interventions peuvent quand même être utiles par la suite, mais il vaut
beaucoup mieux intervenir avant que les accidemtns ne se produisent. D'après les
résultats de certains projets d'envergure conçus pour changer les habitudes de vie des
malades hypertendus, nous savons qu'avec des efforts concertés en matière
d'éducation, nous pouvons amener les gens à changer les comportements qui
compromettent leur santé. Les changements de comportement peuvent avoir une
influence sur des facteurs tangibles comme le nombre de jours de travail perdus et la
fréquence des événements morbides. Nous savons donc que les intervention peuvent
porter fruit, mais elles doivent être menées sur une grande échelle et avec efficacité.
MK: Vous avez clairement indiqué dans nos discussions que vous jugiez important
d'intervenir auprès des malades hypertendus en tenant compte de leur disposition, plus
ou moins grande, à changer leurs habitudes de vie.
EB: Dans notre clinique traitant l'hypertension, nous utilisons depuis 15 ans une
approche multidisciplinaire. Nous avons une éducatrice-infirmière, une diétiticienne, une
psychologue et un médecin. Le médecin peut prescrire des pilules, mais elles risquent
d'avoir peu d'effet si le patient n'apporte pas des changements de base précis à son
comportement. Si le patient réduit la quantité de sel qu'il ingurgite, il obtient un meilleur
résultat. S'il fait plus d'activités, il obtient encore un meilleur résultat. Il en est de même
s'il cesse de fumer et s'il diminue sa consommation d'alcool. Les données qu'a
recueillies le groupe de Dr Prochaska n'ont pas manqué de nous étonner; selon ces
données, nos interventions de counselling auprès des patients peuvent être plus
opportunes et efficaces si nous avons une meilleure idée de l'étape où ils en sont dans
le processus de changement. Par exemple, si le patient n'a pas encore réalisé que sa
consommation d'alcool a pour effet d'accroître sa tension artérielle, cela ne sert pas à
grand-chose de lui proposer des moyens de réduire sa consommation. Nous devons
plutôt tenter de lui faire prendre conscience des réperscussions de son comportement
sur sa santé.
MK: Je sais que vous avez participé à la formation de conseillers-infirmiers et de
conseillères-infirmières afin qu'ils soient en mesure d'évaluer les différentes étapes de
changement des patients, puis d'utiliser les interventions axées sur ces étapes. Pouvezvous m'indiquer, à titre d'exemple, ce qui se passe quand un patient compose le
numéro sans frais?
EB: Quand un patient nous appelle, l'infirmière lui pose d'abord une série de questions
pour déterminer quels sont ses facteurs de risque. Nous devons aussi savoir s'il a subi
un accident dû à sa maladie. Si le patient a déjà eu un accident cérébrovasculaire, il
faut aborder la question de l'activité physique dans une perspective différente. S'il est
question de tabagisme, par exemple, l'infirmière pose deux questions qui nous
permettent de déterminer à quelle étape du processus de changement se trouve le
patient. Elle lui demande s'il a l'intention de cesser de fumer au cours des six prochains
mois. S'il répond oui, elle lui demande ensuite s'il compte cesser de fumer dans les 30
prochains jours. Grâce à ces renseignements, nous pouvons déterminer si le patient se
trouve à l'étape précédant l'intention, à l'étape de l'intention, de la préparation et ainsi
de suite. Si le patient a déjà cessé de fumer, nous lui demandons si c'est depuis moins
de six mois ou depuis plus longtemps. De cette façon, nous pouvons savoir s'il se
trouve dans la phase active ou s'il en est à l'étape de persévérance. À l'aide des
renseignements indiquant l'étape à laquelle se trouve le patient dans le processus de
changement, la conseillère mène une entrevue propre à cette étape sur chacun des
comportements nuisibles. Si le patient en est à l'étape précédant l'intention, des
questions précises lui sont posées, par exemple: «Avez-vous déjà essayé de cesser de
fumer?». Ces questions visent principalement à reconstituer les échecs antérieurs et les
raisons pour lesquelles le patient affirme que le fait de fumer est une habitude dont il ne
peut tout simplement pas se défaire, on lui dit que la plupart des ex-fumeurs ont réussi
à cesser de fumer par leurs propres moyens; ces ex-fumeurs affirment après le coup
que c'est la plus grande victoire de leur vie et qu'ils en tirent une immense satisfaction.
MK: Pour employer les termes de Prochaska, le conseiller ou la conseillère essaie de
mettre dans la balance les avantages et les inconvénients, puis de la faire pencher en
faveur du changement.
EB: Exactement. Dans chacun des scénarios précédant l'étape de l'intention, nous
demandons aux patients de s'asseoir après le coup de téléphone et de dresser une liste
des avantages et des inconvénients se rattachant aux changements qu'ils pourraient
apporter. Pour ce qui est de l'étape de l'intention, le scénario va un peu plus loin: nous
indiquons aux patients les raisons courantes pour lesquelles les gens ne veulent pas
changer leurs habitudes et nous leur demandons s'ils reconnaissent ces raisons. Nous
voulons ainsi les amener à reformuler certains des avantages et des inconvénients et
voir de quelle façon la balance oscille entre eux. Nous essayons de les amener à
réfléchir à la question au lieu d'écouter passivement comme ils le feraient dans le cas
d'un message enregistré. Les scénarios comportent des questions posées à intervalles
réguliers afin qu'il y ait de véritables échanges.
MK: Comment Parke-Davis compte-t-elle s'y prendre pour évaluer le programme?
EB: Nous lui avons expliqué qui si elle évaluait le programme uniquement en fonction
du nombre de personnes ayant cessé de fumer, ou encore ayant perdu du poids, elle
pouvait alors économiser de l'argent. Il n'y aurait pas de cure miracle du genre. Si nous
évaluons les patients qui participent au programme en fonction des étapes franchies
dans le processus de changement, nous pouvons déterminer avec plus de précision les
véritables répercussions du programme. Dans le cadre de la composante active du
programme, les patients reçoivent un appel téléphonique par mois pendant quatre mois.
À l'aide des questions de suivi posées durant les entrevues téléphoniques, nous
pouvons vraiment vérifier si les patients avancent un peu dans le processus de
changement. Nous discutons également de la possibilité de mener avec eux une
entrevue téléphonique de suivi ou d'envoyer peut-être, à eux ou à leur médecin, un
questionnaire sur les changements physiques et psychologiques découlant des
interventions.
MK: Votre méthode d'évaluation des résultats est assez approfondie puisque, au lieu de
simplement vérifier si les gens atteignent ou non l'objectif ultime, vous examinez de
quelle façon ils passent d'une étape à l'autre pour atteindre cet objectif. Combien de
personnes participeront au programme?
EB: 17 500 personnes en une année.
MK: Incroyable. Et combien de personnes pourriez-vous recevoir en consultation
pendant cette période?
EB: Moins d'un millier. L'envergure du programme est telle qu'aucune clinique ne
pourrait suffire à la tâche. De plus, le programme s'adresse aux gens des quatre coins
du Canada. Même si vous demeurez à Tuktoyaktuk, vous pouvez parlez à un conseiller
au moment qui vous convient et obtenir des renseignements pertinents ainsi que des
services de counselling appropriés. Les services sont offerts en français, en anglais, en
italien, en mandarin et en cantonais.
MK: Vous élargissez vraiment votre influence comme fournisseuse de soins de santé
au-delà des services que vous pourriez offrir, depuis votre bureau, aux gens qui
viennent vous voir.
EB: Effectivement. L'un des problèmes de taille qui se posent aux médecins du Canada
est que nous n'avons pas le temps de donner une formation convenable à nos patients.
Les services de counselling ne font pas partie des honoraires. Et pour être bien
honnête, il faut préciser que les médecins n'ont pas reçu de formation qui leur
permettrait de conseiller les patients à l'égard des questions relatives aux soins de
santé; même s'ils avaient le temps et la formation voulus, ils ne seraient peut-être pas
au fait de la littérature la plus récente. De toute évidence, les patients qui n'ont pas de
symptômes ne se paieraient pas de services de counselling les aidant à affronter un
problème de santé qui ne semble pas perturber leur vie.
MK: Il semble que nous réalisions de plus en plus que la plupart des maladies ayant
d'importantes répercussions sont reliés à des troubles de comportement et qu'elles
nécessitent des solutions touchant les comportements.
EB: Tout à fait. Dans une large mesure, les gens ne peuvent exercer un contrôle sur
leur santé, qu'il s'agisse du tabagisme, de l'alimentation, de l'activité physique, etc.
Quelle qu'en soit la raison, ils n'exercent pas ce contrôle.
MK: Dr Ellen Burgess, je vous remercie.
EB: Au revoir.
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