La Lettre du Psychiatre • Vol. IX - no 1 - janvier-février 2013 | 7
Points forts
»
Le trouble bipolaire de l’enfant et de l’adolescent (TBEA) n’est pas rare, mais il est de diagnostic difficile.
»
La manie chez l’enfant se manifeste rarement par une exaltation de l’humeur, mais s’associe le plus
souvent à une irritabilité sévère, une colère prolongée et une agressivité, avec de possibles violences.
»
Le TBEA est de début mixte et non phasique, chronique et à cycles rapides, contrairement à la
présentation du trouble bipolaire chez l’adulte, biphasique et épisodique.
»
Les stabilisateurs de l’humeur traditionnels semblent moins efficaces en cas de TBEA que dans le
trouble bipolaire de l’adulte. Les antipsychotiques atypiques (APA) semblent les plus efficaces dans le
traitement des symptômes maniaques de l’enfant.
»
Les associations thérapeutiques de lithium ou de valproate avec un APA ont une efficacité mais
aussi des effets indésirables et elles s’accompagnent des taux de perdus de vue les plus importants.
Mots-clés
Trouble bipolaire
Enfant
Adolescent
Caractéristiques
cliniques
Traitement
Summary
Bipolar disorder in children
and adolescents is atypical
compared to adult stan-
dards. Thus bipolar disorder
in children may be difficult
to diagnose and is frequently
misdiagnosed. Difficulties to
recognize and characterize
childhood-onset mania are in
part due to the absence of the
typical euphoric mood. Rather,
the most common clinical
features in manic children
are irritability mood, aggres-
sive temper, mixed manic
state onset, rapid cycles, and
a chronic course of symptoms.
Youth seem to benefit less from
traditional mood stabilizers in
comparison with adults exhib-
iting mania. Atypical antipsy-
chotics in monotherapy have
a stronger therapeutic profile
but are also associated with
important adverse effects
including weight gain, dyslip-
idemias, glycemic dyscon-
trol, and the risk for tardive
dyskinesia. A greater efficacy
of combination of atypical
antipsychotics and traditional
mood stabilizers is observed
but it is associated with an
increase of adverse effects
and a higher dropout rate. The
effects of antimanic agents on
depression and symptoms of
attention-deficit/hyperactivity
disorder are modest.
Keywords
Bipolar disorders
Child
Adolescent
Clinical characteristics
Treatment
Dès le XIX
e
siècle il est possible de retrouver des
descriptions cliniques de manie chez l’enfant : par
exemple, E.H. Greves, à Liverpool, publie dans le
journal The Lancet, en 1884, le cas clinique d’un
enfant de 5 ans présentant un épisode maniaque (4).
En France, E. Kraepelin, dès ses premières descrip-
tions cliniques en 1921, rapportait un nombre
important de TBEA et indiquait qu’environ 20 %
des cas de trouble bipolaire diagnostiqués à l’âge
adulte commençaient en fait lors de l’adolescence
tardive (5). Ce sont R.A. Weller et al. qui, en 1986,
à l’aide d’une revue systématique de 157 cas d’en-
fants rapportés, dans la littérature, comme étant
“sévèrement perturbés”, observèrent que la manie
de l’enfant n’est pas rare (33 cas) et qu’environ la
moitié de ces cas avaient initialement reçu d’autres
diagnostics, ce qui confirmait la difficulté à diagnos-
tiquer les cas de manies de l’enfant (6). Ces descrip-
tions anciennes sont corroborées et précisées par
certaines observations plus récentes, comme l’étude
de la Systematic Treatment Enhancement Program for
Bipolar Disorder (STEP-BD), qui montre qu’environ
65 % des sujets avec trouble bipolaire présentent
un premier épisode thymique avant l’âge de 18 ans,
et 28 %, avant l’âge de 13 ans (7). Soulignons que
le nombre de diagnostics de TBEA n’a cessé d’aug-
menter, passant, pour 10 000 enfants, de 1,3 en
1996 à 7,3 en 2004, contre une augmentation de
56 % pour le diagnostic porté de trouble bipolaire de
l’adulte, selon une étude américaine (8). L’améliora-
tion des connaissances du TBEA et de son dépistage
n’est sans doute pas la seule explication. L’identifica-
tion diagnostique des manies (ou trouble bipolaire
de type I) s’est élargie progressivement également
à des phénotypes dits larges de la maladie bipolaire,
ou “spectre bipolaire” qui sont notamment reconnus
dans le DSM-IV et nommés “trouble bipolaire non
spécifié” (TB-NS) [8, 9].
Caractéristiques cliniques
du trouble bipolaire de l’enfant
et de l’adolescent
Les arguments en faveur de processus neuro-
développementaux en jeu dans la physiopathologie
du trouble bipolaire sont bien établis et l’âge de
début des troubles semble avoir un effet majeur dans
l’expression clinique du trouble et de ses biomar-
queurs (10). Ainsi, le trouble bipolaire de l’enfant est
de présentation clinique atypique par rapport aux
normes du trouble bipolaire de l’adulte, et présente,
par exemple, une expression clinique de la manie
rarement associée à une exaltation de l’humeur (3).
Le TBEA se caractérise plutôt par une irritabilité
importante, s’exprimant de manière périodique
sous forme d’“orages affectifs” ou alors d’accès de
colère et d’agressivité prolongés. Cette irritabilité
observée chez les enfants avec épisode maniaque
est souvent très sévère et peut être accompagnée
de violences et/ou menaces envers l’entourage et
le milieu scolaire (3). Ainsi, il est fréquent que ces
enfants fassent l’objet d’un diagnostic erroné de
trouble des conduites (3).
La cyclicité est aussi souvent différente chez l’enfant et
chez l’adulte, les épisodes maniaques de l’enfant étant
de nature plus chronique et prolongée qu’épisodique
et aiguë (3). De plus, il apparaît que le début d’un
épisode maniaque est chronique et non phasique, avec
des cycles rapides et une manie mixte composée de
symptômes dépressifs (3). L’adolescent présente un
tableau quasi similaire à celui de l’enfant prépubère,
avec une irritabilité importante et un début chronique
et simultané des symptômes maniaques et dépressifs
(contrairement au début classiquement biphasique
chez l’adulte), mais avec davantage de symptômes
euphoriques que chez le petit enfant.
Enfin, les comorbidités du TBEA sont nombreuses et
seront détaillées dans un article, complémentaire
de celui-ci (cf. page 12). Elles comprennent notam-
ment le TDAH, le trouble des conduites, le trouble
oppositionnel avec provocation (TOP), les troubles
anxieux et les toxicomanies.
Tableau I. Principales difficultés qui compliquent le diagnostic
de manie chez l’enfant.
Comorbidités
TDAH
Agressivité et troubles des conduites
Toxicomanies
Environnement Traumatismes infantiles
Carences infantiles
Réponse
thérapeutique
Atypique
Différente de l’adulte (normes)
TDAH : trouble déficit de l’attention/hyperactivité.