DOSSIER THÉMATIQUE Les lignes de vie du bipolaire Trouble bipolaire de l’enfant et de l’adolescent : caractéristiques cliniques et traitement Bipolar disorder in childhood and adolescence: clinical characteristics and treatment P.A. Geoffroy*, B. Rolland* P.A. Geoffroy * Université Lille-Nord-de-France ; pôle de psychiatrie, CHRU de Lille. L e trouble bipolaire est une maladie psychiatrique sévère, dont l’hérédité est complexe, mêlant des facteurs génétiques et environnementaux, et touchant traditionnellement l’adulte jeune entre 15 et 25 ans (1). Cependant, le trouble bipolaire est marqué par une clinique très hétérogène, aux expressions plus ou moins typiques, par exemple la présence ou non de caractéristiques psychotiques, de cycles rapides, de comorbidités addictives, de caractéristique saisonnière, etc. L’âge de début du trouble bipolaire semble aussi jouer un rôle important dans l’expression du trouble et 3 sous-groupes d’âge de début du trouble ont pu être identifiés et validés (précoce, intermédiaire et tardif) [2]. Le trouble bipolaire à début précoce (TBDP) se définit par un âge inférieur à 21 ans, concerne 1 sujet sur 2 avec trouble bipolaire, et semble présenter un tableau clinique plus sévère avec des comorbidités et des biomarqueurs spécifiques (2). Ces patients à TBDP non traités développent une maladie chronique avec une incidence élevée de rechute et un pronostic altéré (1). Ainsi, l’enjeu thérapeutique pour ces formes à début précoce est crucial et nécessite d’intervenir rapidement, en dépistant les prodromes, les symptômes et les comorbidités (1). C’est dans ce sous-groupe des TBDP que certains auteurs se proposent de décrire un trouble bipolaire pédiatrique, c’est-à-dire un trouble bipolaire de l’enfant et de l’adolescent. La littérature scientifique concernant la notion de trouble bipolaire de l’enfant et de l’adolescent (TBEA) est moins riche que celle sur le trouble bipolaire de 6 | La Lettre du Psychiatre • Vol. IX - no 1 - janvier-février 2013 l’adulte, et le TBEA comporte souvent des difficultés de diagnostic et de prise en charge. Les questions sont nombreuses : le trouble bipolaire de l’enfant existe-t-il vraiment ? Si oui, est-il différent de celui de l’adulte jeune ? Quelles seraient ses caractéristiques cliniques et sont-elles différentes de celles des formes adultes ? Comment traite t-on le TBEA ? Voici les questions auxquelles nous tenterons d’apporter des réponses dans cet article. Le trouble bipolaire de l’enfant existe-t-il ? L’entité clinique du trouble bipolaire de l’enfant a pu faire débat, car ce trouble était considéré comme très rare, voire inexistant (3). Ces doutes quant à son existence étaient aussi liés aux difficultés du diagnostic et, plus précisément, d’identification des état maniaques juvéniles en raison notamment d’une présentation clinique complexe, hétérogène et associée à de nombreuses comorbidités (3). J. Biederman et al., à l’aide d’une revue systématique de la littérature, ont synthétisé les principaux facteurs qui compliquent l’identification du trouble bipolaire de l’enfant comparativement à celle du trouble bipolaire de l’adulte (tableau I) [3]. Ils observent que le diagnostic de manie pédiatrique est rendu malaisé par les comorbidités psychiatriques dont le trouble déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH), les addictions, les traumatismes infantiles et les réponses thérapeutiques différentes de l’adulte (3). Points forts »» Le trouble bipolaire de l’enfant et de l’adolescent (TBEA) n’est pas rare, mais il est de diagnostic difficile. »» La manie chez l’enfant se manifeste rarement par une exaltation de l’humeur, mais s’associe le plus souvent à une irritabilité sévère, une colère prolongée et une agressivité, avec de possibles violences. »» Le TBEA est de début mixte et non phasique, chronique et à cycles rapides, contrairement à la présentation du trouble bipolaire chez l’adulte, biphasique et épisodique. »» Les stabilisateurs de l’humeur traditionnels semblent moins efficaces en cas de TBEA que dans le trouble bipolaire de l’adulte. Les antipsychotiques atypiques (APA) semblent les plus efficaces dans le traitement des symptômes maniaques de l’enfant. »» Les associations thérapeutiques de lithium ou de valproate avec un APA ont une efficacité mais aussi des effets indésirables et elles s’accompagnent des taux de perdus de vue les plus importants. Tableau I. Principales difficultés qui compliquent le diagnostic de manie chez l’enfant. dans le DSM-IV et nommés “trouble bipolaire non spécifié” (TB-NS) [8, 9]. TDAH Comorbidités Agressivité et troubles des conduites Toxicomanies Environnement Traumatismes infantiles Carences infantiles Réponse thérapeutique Atypique Différente de l’adulte (normes) TDAH : trouble déficit de l’attention/hyperactivité. Dès le XIXe siècle il est possible de retrouver des descriptions cliniques de manie chez l’enfant : par exemple, E.H. Greves, à Liverpool, publie dans le journal The Lancet, en 1884, le cas clinique d’un enfant de 5 ans présentant un épisode maniaque (4). En France, E. Kraepelin, dès ses premières descriptions cliniques en 1921, rapportait un nombre important de TBEA et indiquait qu’environ 20 % des cas de trouble bipolaire diagnostiqués à l’âge adulte commençaient en fait lors de l’adolescence tardive (5). Ce sont R.A. Weller et al. qui, en 1986, à l’aide d’une revue systématique de 157 cas d’enfants rapportés, dans la littérature, comme étant “sévèrement perturbés”, observèrent que la manie de l’enfant n’est pas rare (33 cas) et qu’environ la moitié de ces cas avaient initialement reçu d’autres diagnostics, ce qui confirmait la difficulté à diagnostiquer les cas de manies de l’enfant (6). Ces descriptions anciennes sont corroborées et précisées par certaines observations plus récentes, comme l’étude de la Systematic Treatment Enhancement Program for Bipolar Disorder (STEP-BD), qui montre qu’environ 65 % des sujets avec trouble bipolaire présentent un premier épisode thymique avant l’âge de 18 ans, et 28 %, avant l’âge de 13 ans (7). Soulignons que le nombre de diagnostics de TBEA n’a cessé d’augmenter, passant, pour 10 000 enfants, de 1,3 en 1996 à 7,3 en 2004, contre une augmentation de 56 % pour le diagnostic porté de trouble bipolaire de l’adulte, selon une étude américaine (8). L’amélioration des connaissances du TBEA et de son dépistage n’est sans doute pas la seule explication. L’identification diagnostique des manies (ou trouble bipolaire de type I) s’est élargie progressivement également à des phénotypes dits larges de la maladie bipolaire, ou “spectre bipolaire” qui sont notamment reconnus Caractéristiques cliniques du trouble bipolaire de l’enfant et de l’adolescent Les arguments en faveur de processus neuro­ développementaux en jeu dans la physiopathologie du trouble bipolaire sont bien établis et l’âge de début des troubles semble avoir un effet majeur dans l’expression clinique du trouble et de ses biomarqueurs (10). Ainsi, le trouble bipolaire de l’enfant est de présentation clinique atypique par rapport aux normes du trouble bipolaire de l’adulte, et présente, par exemple, une expression clinique de la manie rarement associée à une exaltation de l’humeur (3). Le TBEA se caractérise plutôt par une irritabilité importante, s’exprimant de manière périodique sous forme d’“orages affectifs” ou alors d’accès de colère et d’agressivité prolongés. Cette irritabilité observée chez les enfants avec épisode maniaque est souvent très sévère et peut être accompagnée de violences et/ou menaces envers l’entourage et le milieu scolaire (3). Ainsi, il est fréquent que ces enfants fassent l’objet d’un diagnostic erroné de trouble des conduites (3). La cyclicité est aussi souvent différente chez l’enfant et chez l’adulte, les épisodes maniaques de l’enfant étant de nature plus chronique et prolongée qu’épisodique et aiguë (3). De plus, il apparaît que le début d’un épisode maniaque est chronique et non phasique, avec des cycles rapides et une manie mixte composée de symptômes dépressifs (3). L’adolescent présente un tableau quasi similaire à celui de l’enfant prépubère, avec une irritabilité importante et un début chronique et simultané des symptômes maniaques et dépressifs (contrairement au début classiquement biphasique chez l’adulte), mais avec davantage de symptômes euphoriques que chez le petit enfant. Enfin, les comorbidités du TBEA sont nombreuses et seront détaillées dans un article, complémentaire de celui-ci (cf. page 12). Elles comprennent notamment le TDAH, le trouble des conduites, le trouble oppositionnel avec provocation (TOP), les troubles anxieux et les toxicomanies. Mots-clés Trouble bipolaire Enfant Adolescent Caractéristiques cliniques Traitement Summary Bipolar disorder in children and adolescents is atypical compared to adult standards. Thus bipolar disorder in children may be difficult to diagnose and is frequently misdiagnosed. Difficulties to recognize and characterize childhood-onset mania are in part due to the absence of the typical euphoric mood. Rather, the most common clinical features in manic children are irritability mood, aggressive temper, mixed manic state onset, rapid cycles, and a chronic course of symptoms. Youth seem to benefit less from traditional mood stabilizers in comparison with adults exhibiting mania. Atypical antipsychotics in monotherapy have a stronger therapeutic profile but are also associated with important adverse effects including weight gain, dyslipidemias, glycemic dyscontrol, and the risk for tardive dyskinesia. A greater efficacy of combination of atypical antipsychotics and traditional mood stabilizers is observed but it is associated with an increase of adverse effects and a higher dropout rate. The effects of antimanic agents on depression and symptoms of attention-deficit/hyperactivity disorder are modest. Keywords Bipolar disorders Child Adolescent Clinical characteristics Treatment La Lettre du Psychiatre • Vol. IX - no 1 - janvier-février 2013 | 7 DOSSIER THÉMATIQUE Les lignes de vie du bipolaire Trouble bipolaire de l’enfant et de l’adolescent : caractéristiques cliniques et traitement Tableau II. Résumé des caractéristiques principales et typiques du trouble bipolaire de l’enfant et de l’adulte. Humeur Début Évolution symptomatique Cyclicité Comorbidités (principales) Trouble bipolaire de l’enfant Trouble bipolaire de l’adulte Irritabilité sévère Colères prolongées Agressivité importante Euphorie ou exaltation de l’humeur Mixte et non phasique (manie et dépression simultanées) Biphasique (manie puis dépression ou l’inverse) Chronique Aiguë Continue Cycles rapides Épisodique (cycles rapides possibles) TDAH TC/TOP Troubles anxieux Toxicomanies Traumatismes infantiles Troubles anxieux Toxicomanies Suicide Traumatismes infantiles TC : trouble des conduites ; TDAH : trouble déficit de l’attention avec hyperactivité ; TOP : trouble oppositionnel avec provocation. Nous avons résumé dans le tableau II les caractéristiques cliniques principales différenciant les troubles bipolaires de l’enfant et de l’adulte. Le résumé proposé dans le tableau II est évidemment simpliste et ne présente que les caractéristiques cliniques dites typiques du TBEA comparé à celles du trouble bipolaire de l’adulte. La réalité est plus nuancée, et les TBEA, comme ceux de l’adulte, forment un continuum allant du normal à la forme typique du trouble bipolaire de type I la plus sévère. Plusieurs auteurs ont entrepris de décrire ce spectre du TBEA, notamment E. Leibenluft et al., qui en proposent un système de définition plus ou moins élargi, classant les manies juvéniles en un spectre étroit, 2 phénotypes intermédiaires et 1 phénotype élargi (tableau III) [11]. Cette clarification des phénotypes élargis ou étroits est utile sur le plan de la recherche mais aussi sur le plan clinique. Au niveau clinique, les implications sont directes, puisque caractériser la nature des symptômes maniaques d’un enfant pourra avoir une valeur pronostique sur sa réponse thérapeutique et son évolution (les réponses thérapeutiques ne sont généralement pas les mêmes pour un tableau de trouble bipolaire franc et pour un tableau partiel, moins sévère), et permettra également de lui proposer une prise en charge personnalisée avec des traitements adaptés. Sur le plan de la recherche, il est indispensable de caractériser des sous-groupes de la maladie plus homogènes afin de faciliter la compréhension des processus physiopathologiques et de pouvoir identifier des facteurs de risque, de vulnérabilité et de réponse thérapeutique. Enfin, soulignons que les phénotypes élargis de “dysrégulation émotionnelle 8 | La Lettre du Psychiatre • Vol. IX - no 1 - janvier-février 2013 et comportementale sévère” ou Severe Mood Dysregulation (SMD), de E. Leibenluft et al., présentés dans le tableau III et la notion de Temper Dysregulation Disorder (TDD), qui sera prochainement dans le DSM-V, ont fait la preuve, ainsi qu’en témoigne la littérature, de leur intérêt, notamment en termes de pronostic, d’évolution et de thérapeutique, différents de ceux du trouble bipolaire de phénotype étroit ou de type I. Traitement du trouble bipolaire de l’enfant Contrairement au traitement du trouble bipolaire de l’adulte, qui est bien établi et qui a fait l’objet de nombreux travaux scientifiques, le traitement du TBEA est plus incertain et peu d’études scientifiques s’y sont intéressées (12). Ces lacunes dans la littérature sont réelles, même pour le trouble bipolaire de type I chez l’adolescent ; et c’est pourquoi nous ne disposons que de très peu de données sur les phénotypes élargis. La première revue systématique consacrée à l’efficacité des agents antimaniaques sur les symptômes maniaques, dépressifs et ceux du TDAH vient d’être publiée par H.Y. Liu et al. (12). Ils concluent en premier lieu à une efficacité modeste de tous les agents actuellement disponibles (sels de lithium, anticonvulsivants, antipsychotiques atypiques [APA]) sur les symptômes de la dépression et du TDAH. La littérature montre que les stabilisateurs de l’humeur traditionnels (lithium, valproate de sodium et carbamazépine) présentaient des effets modestes, utilisés en monothérapie dans la manie juvénile. Les enfants semblent moins tirer profit que les adultes des effets antimaniaques des stabilisateurs de l’humeur traditionnels. En revanche, en cas d’association avec un APA, et après l’échec d’une monothérapie, 80 % de réponse en moyenne étaient observés. Mais ces associations étaient mal tolérées et de nombreux patients étaient perdus de vue (12). Le topiramate et l’oxcarbazépine n’ont pas démontré d’efficacité dans la manie juvénile. La lamotrigine, dans un essai ouvert récent, a pu avoir une efficacité sur la manie juvénile et sur les symptômes dépressifs, mais ces résultats intéressants devront être répliqués (12). Les APA en monothérapie ont eu les effets antimaniaques escomptés et la FDA (Food and Drug Administration) a recommandé l’utilisation de la rispéridone, l’aripiprazole et la quétiapine chez les jeunes de 10 à 17 ans, et celle de l’olanzapine chez les jeunes de 13 à 17 ans dans le traitement du TBEA (12). DOSSIER THÉMATIQUE Tableau III. Les différents phénotypes cliniques de l’épisode maniaque juvénile selon le DSM-IV (9) et ceux adaptés de E. Leibenluft et al. (11). Épisode maniaque selon le DSM-IV TR A. Une période nettement délimitée durant laquelle l’humeur est élevée de façon anormale et persistante, pendant au moins une semaine (ou toute autre durée si une hospitalisation est nécessaire). B. Au cours de cette période de perturbation de l’humeur, au moins 3 des symptômes suivants (4 si l’humeur est seulement irritable) ont persisté avec une intensité suffisante : • augmentation de l’estime de soi ou idées de grandeur, • réduction du besoin de sommeil (par exemple, le sujet se sent reposé après 3 heures de sommeil), • plus grande communicabilité que d’habitude ou désir de parler constamment, • fuite des idées ou sensations subjectives que les pensées défilent, • distractibilité (par exemple, l’attention est trop facilement attirée par des stimulus extérieurs sans importance ou insignifiants), • augmentation de l’activité orientée vers un but (social, professionnel, scolaire ou sexuel) ou agitation psychomotrice, • engagement excessif dans des activités agréables mais à potentiel élevé de conséquences dommageables. C. Les symptômes ne répondent pas aux critères d’un épisode mixte. D. Altération marquée du fonctionnement professionnel, des activités sociales ou des relations interpersonnelles. E. Non lié aux effets physiologiques directs d’une substance ou d’une affection médicale générale. Phénotype étroit de la manie juvénile = (Hypo)manie avec la durée complète des épisodes et l’ensemble des symptômes. A. Modification des critères du DSM-IV pour les épisodes maniaques : l’enfant doit présenter soit une élévation de l’humeur, soit des idées de grandeur en même temps qu’il présente les autres critères du DSM-IV pour un épisode (hypo)maniaque. B. Recommandations pour appliquer les critères du DSM-IV • Les épisodes doivent remplir les critères de durée (≥ 7 jours pour la manie et ≥ 4 jours pour les hypomanies) et se démarquer par des conversions des autres états d’humeur (dépression, état mixte, euthymie). • Les épisodes sont caractérisés par un ensemble de changements dans l’humeur du patient (critère A des DSM-IV) et, simultanément, par la présence de symptômes associés (critères B du DSM-IV). Par exemple, la distractibilité d’un enfant avec TDAH ne comptera comme un diagnostic d’(hypo)manie que si elle s’aggrave en même temps qu’il présente une élévation de l’humeur. • La baisse du besoin de sommeil doit être distinguée de l’insomnie (c’est-à-dire d’un trouble non spécifique du sommeil, qui est associé à une fatigue). • L’altération du jugement n’est pas un critère diagnostique pour l’(hypo)manie ; elle doit apparaître dans le contexte d’une “augmentation de l’activité orientée vers un but” ou d’un “engagement excessif dans des activités agréables mais à potentiel élevé de conséquences dommageables”. Phénotypes intermédiaires de la manie juvénile A. (Hypo)manie non spécifiée L’enfant remplit les critères du phénotype étroit de la manie juvénile à l’exception de la durée des épisodes (hypo)maniaques ; ils durent entre 1 et 3 jours. B. (Hypo)manie irritable L’enfant remplit les critères de l’(hypo)manie avec l’irritabilité et non l’élévation de l’humeur. En accord avec les critères du DSM-IV de l’(hypo)manie, l’irritabilité (hypo)maniaque de l’enfant doit apparaître de manière distincte et remplir les critères de durée des épisodes. Phénotype élargi de la manie juvénile = Dysrégulation émotionnelle et comportementale sévère ou Severe Mood Dysregulation (SMD) A. Critères d’inclusion • L’enfant ou l’adolescent doit être âgé de 7 à 17 ans et le début des symptômes doit être antérieur à l’âge de 12 ans. • Une altération de l’humeur (spécifiquement, tristesse ou colère) doit être constatée pendant au moins 1 demi-journée, la plupart des jours, et être notable par l’entourage (parents, instituteurs, pairs). • Une excitabilité définie par au moins 3 des symptômes suivants : insomnie, agitation, distractibilité, fuite des idées, désir de parler constamment, intrusion, est observée. • En comparaison de ses pairs, l’enfant doit présenter une réactivité marquée et amplifiée aux stimuli négatifs, se manifestant verbalement ou de manière comportementale. De tels événements doivent se présenter en moyenne au moins 3 fois par semaine sur les 4 dernières semaines. • Ces symptômes cliniques sont présents au moins pendant les 12 mois précédents, sans intervalle libre de plus de 2 mois. • Ces symptômes doivent être sévères dans au moins 1 type de situation (école, maison, avec des pairs) et modérés dans au moins 1 autre type de situation. B. Critères d’exclusion • Un des symptômes majeurs de la manie : humeur élevée, augmentation de l’estime de soi ou idées de grandeur, réduction épisodique du besoin de sommeil. • Les symptômes surviennent de manière épisodique plus de 4 jours. • Critères diagnostiques de schizophrénie, de schizophrénie dysthymique, de troubles envahissants du développement, de syndrome de stress post-traumatique. • Le sujet remplit les critères d’abus de substance. • QI < 80 • Symptômes liés aux effets physiologiques directs de substances ou liés à une affection médicale ou neurologique. La Lettre du Psychiatre • Vol. IX - no 1 - janvier-février 2013 | 9 DOSSIER THÉMATIQUE Les lignes de vie du bipolaire Trouble bipolaire de l’enfant et de l’adolescent : caractéristiques cliniques et traitement Enfin, concernant les effets sur les symptômes dépressifs, J. Biederman et al. ont rapporté, dans une série d’études ouvertes, des taux de réponses satisfaisants dans cette indication : 60 % pour l’aripiprazole, 50 % pour la ziprasidone, 48 % pour la rispéridone et 36 % pour l’olanzapine. La carbamazépine a montré des effets similaires avec un taux de réponse de 43 %. Sur les symptômes du TDAH, J. Biederman et al. montrent un taux de réponse de 35 % pour la rispéridone, de 33 % pour la ziprazidone et de 60 % pour l’aripiprazole (12). En ce qui concerne les effets indésirables, il est observé que plus les enfants sont jeunes et plus certains effets secondaires sont majorés. Il conviendra de faire attention pour les sels de lithium aux niveaux rénal et thyroïdien, pour les APA, au risque de somnolence, de prise de poids et de syndrome métabolique, mais il existerait moins d’akathisie avec les APA chez les enfants et adolescents que chez l’adulte (12). Soulignons la persistance des risques de pancréatite et de dyscrasie sanguine avec les anticonvulsivants et les réactions dermatologiques sévères avec la lamotrigine. Ces effets secondaires sont majorés en cas d’association thérapeutiques, ce qui correspond aux situations cliniques les plus fréquentes afin d’obtenir un effet thérapeutique satisfaisant (13). En effet, une étude prospective d’enfants avec trouble bipolaire de type I suivis 8 ans indique qu’environ 70 % des enfants recevaient au moins 2 traitements psychotropes (14). De manière intéressante, cette même étude prospective indiquait que seuls 68,6 % de ces enfants avec trouble bipolaire de type I recevaient un trai- tement stabilisateur de l’humeur (14). Par ailleurs, parmi ceux sans traitement antimaniaque, 77,4 % recevaient un traitement pour le TDAH et 64,3 %, un traitement antidépresseur (14). Ces chiffres confirment les difficultés diagnostiques et thérapeutiques auxquelles nous confrontent le TBEA. Conclusion La présentation clinique du TBEA est atypique en comparaison des standards adultes. Le TBEA est souvent mal, voire n’est pas, diagnostiqué, à cause de sa présentation clinique hétérogène, sévère et évolutive à travers les âges. La manie chez l’enfant est rarement associée à une exaltation de l’humeur mais, plus souvent, à une irritabilité importante ; elle comporte un début mixte et non phasique, chronique et à cycles rapides, contrairement à sa présentation chez l’adulte, qui est biphasique et épisodique. Les APA semblent plus efficaces dans le traitement des symptômes maniaques chez l’enfant que les stabilisateurs de l’humeur traditionnels. Cependant, le manque d’études dans la population infantile et la trop grande hétérogénéité des échantillons (âges, phénotypes de trouble bipolaire, comorbidités, taille des échantillons) ne permettent pas à l’heure actuelle de proposer des recommandations précises et fiables. De futures études prospectives et thérapeutiques randomisées sont indispensables afin d’améliorer les prises en charge actuelles et, ainsi, le pronostic de ces patients. ■ Références bibliographiques 1. Geoffroy PA, Etain B, Leboyer M, Bellivier F. Une entité clinique aux implications thérapeutiques majeures : le trouble bipolaire à début précoce. Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique 2012;170(7):502-9. 2. Geoffroy PA, Etain B, Jamain S, Bellivier F, Leboyer M. Early onset bipolar disorder: validation from admixture analyses and biomarkers. Can J Psychiatry. 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