Impossibilité d’utiliser les embryons pour son
propre projet parental
Les couples nous disent qu’ils ont choisi de donner
parce que :
–leur âge est trop élevé : « on aurait 10 ans de
moins... »;
–ils ont fait le « plein » d’enfants : « on pensait ne
même pas pouvoir avoir un enfant... »;
–le statut du couple a changé : divorce, séparation.
Les couples peuvent alors choisir de donner une
chance à la vie en permettant à l’embryon de se dévelop-
per. En fonction de ce qu’est un embryon dans les repré-
sentations des donneurs, il peut s’avérer impossible de le
détruire car il appartient à la cohorte de ceux qui sont liés
à l’enfant qui leur est né, même s’ils ne considèrent pas
consciemment qu’il s’agit de frères ou sœurs [9].
La filiation et les théories sexuelles infantiles
D’où viennent les enfants [10] ? Cette question univer-
selle se pose à notre population d’une manière singulière :
les embryons sont-ils des enfants ? Les enfants de qui ?
Une femme nous dit qu’au début, elle souhaitait savoir
à qui ses embryons seraient donnés pour avoir des nou-
velles de... « ses » enfants. Au cours de l’entretien, elle
réalise que « les enfants sont ceux qu’elle a portés et à qui
elle a donné naissance et que les embryons, s’ils sont
privés de projet parental, ne sont que des cellules ». Cette
représentation que nous retrouvons très souvent formulée
par les couples de notre population est sans doute néces-
saire pour pouvoir « faire don de ses embryons ». Ceci
pourrait expliquer que cette option n’est choisie que par
13 % des couples qui possèdent des embryons surnumé-
raires cryoconservés [4,5]. Avec le temps, elle et son mari
ont pris conscience que vu leur âge et le fait qu’ils avaient
eu des jumeaux (un garçon et une fille), ils étaient comblés
et pouvaient donner à leur tour, eux qui avaient reçu des
ovocytes... et qu’ils n’avaient pas à s’en occuper. Ils pou-
vaient faire confiance à l’équipe qui leur avait permis de
devenir parents.
La place de l’entretien psychologique
dans ce périple
Nous faisons l’hypothèse que la proposition faite à ces
couples d’une rencontre avec les psychologues de
l’équipe représente une opportunité de mieux les accom-
pagner. En laissant s’exprimer les désirs profonds des
couples quant à ce choix, on leur offre un espace singulier
de réflexion dans leur parcours, souvent difficile, de stéri-
lité. Il représente l’occasion de conclure ces événements
qui les ont fait rencontrer les différents acteurs de l’AMP.
Cela peut prendre parfois la forme d’une cérémonie de
deuil et/ou de clôture.
Outre ces considérations, il nous est apparu, dans ces
entretiens, qu’il existait, de manière intermittente chez les
couples un sentiment de complexité supplémentaire. Le
recours à l’AMP oblige les donneurs, tous déjà parents,
dans notre protocole, à questionner et à contextualiser ce
qui pourrait sembler aller de soi et être le plus naturel au
monde : « avoir un enfant ».
Ils sont contraints, du fait de l’AMP, de reconsidérer et
d’interroger leurs ressentis, leurs croyances, leurs rapports
aux lignées parentales et à leurs propres fantasmes géné-
rationnels, souvent peu explorés jusque-là. Ce chemine-
ment peut prendre un temps assez long, du fait des exa-
mens et diagnostics nécessaires, et ils sont à la fois
accompagnés et sollicités par les équipes médicales et,
bien entendu les « psys », qui requestionnent avec eux
leur histoire, leur choix, ainsi que le poids des lois.
L’ambivalence, les projections et les identifications
successives sont présentes dans le champ de notre prise en
charge et dans l’espace relationnel entre l’institution et
eux.
La question des représentations de la procréation mé-
dicalement assistée semble pouvoir se référer à deux types
de processus :
–dans un premier temps, avoir un enfant, c’est faire
comme papa et maman, reproduire, se prolonger et, au
fond, on ne sait pas grand-chose de comment cela arrive,
sauf, et encore, que c’est une conséquence des rapports
sexuels. S’y ajoute la position de l’enfant à concevoir, plus
ou moins identifié aux souvenirs, aux images que l’on a de
soi-même, de ses frères et sœurs éventuels, de l’enfant
merveilleux ou idéal que l’on porte en soi ;
–dans un second temps, ces représentations cohabi-
tent avec des connaissances intellectuelles qui mêlent
savoir sur la conception, savoir sur la contraception, sa-
voir sur ce qu’est un embryon et savoir sur le patrimoine
génétique et la filiation.
Dans le champ, qui s’ouvre aux couples que nous
rencontrons, l’annonce de l’incapacité à procréer « de
façon ordinaire, comme papa et maman » remanie ces
divers niveaux de connaissance dans l’histoire singulière
de chacun.
Les donneurs d’embryons, qui ont eu recours au don
de gamètes dans leur parcours antérieur d’infertilité, ont
déjà eu à aborder la question : cet enfant, porté dans le
ventre de la femme qui en devient la mère, sera-t-il leur
enfant à part entière ?
Les couples sont contraints de se confronter, dans
l’entretien, à la complexité du questionnement de la
conception d’un enfant et de ce qui fait la maternité et
l’identité de mère, de père. C’est là que les théories
sexuelles infantiles de l’histoire personnelle jouent leur
rôle d’organisatrices de sens et de tissage entre les
connaissances du premier temps et les connaissances du
second [11]. Gamètes reçus, embryons donnés... la repré-
sentation de la part génétique s’efface souvent à ce
moment-là, au profit de la part de l’affect, des explications
qu’on se raconte à soi-même et des inscriptions intersub-
Revue
mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 10, n° 1, janvier-février 2008
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