Revue L`accueil d`embryons : le point de vue des couples donneurs

Revue
L’accueil d’embryons :
le point de vue des couples donneurs
The donors point of view
Eva Weil
1,2
Charlotte Dudkiewicz-
Sibony
2,3
Dominique Cornet
3
Jacqueline Mandelbaum
1,2
1
APHP, Hôpital Tenon,
Service de Biologie de la Reproduction et
Embryologie,
4 rue de la Chine, 75020 Paris
2
Cecos, Tenon
3
APHP, Hôpital Tenon,
Service de Gynécologie-Obstétrique
et Médecine de la Reproduction
Résumé.Les auteurs rapportent leur pratique des entretiens psychologiques avec les couples,
suivis en AMP qui choisissent de donner leurs embryons à d’autres couples. Les motivations
de ce choix sont abordées, liées aux positions psychiques des deux membres du couple. Il faut
noter la proportion importante de couples ayant eu recours au don de gamètes pour devenir
parents et qui optent pour ce devenir de leurs embryons.
Mots clés : accueil d’embryons, motivation au don, mécanismes psychiques, place de
l’entretien psychologique
Abstract.The authors report their clinical work in psychological interviews with patients who
chose to donate their embryos. Motivations to donate seem strongly linked to psychic
positions in the couple. It is important to note the high proportion of couple having received
gamete in order to conceive their embryos among those who donate.
Key words: embryo donation, motivations to donate, psychic mecanisms, psychological
interview
L’avènement et le développement
des nouvelles technologies d’as-
sistance médicale à la procréation
(AMP) ont enrichi et transformé la no-
tion de filiation. L’embryon est de-
venu, dans le cadre de ces pratiques,
un espace privilégié de projection
pour les fantasmes concernant la filia-
tion, l’idée de vie et de mort [1].
Lorsque les embryons surnumérai-
res cryopréservés, issus d’AMP, ne font
plus l’objet du projet parental initial,
se pose la question de leur devenir. À
l’hôpital Tenon, les couples choisis-
sent majoritairement (57 %) l’arrêt de
conservation. Près d’un tiers opte pour
le don à la recherche et 13,5 % seule-
ment se tournent vers l’accueil d’em-
bryons.
Ces couples donneurs ont eux-
mêmes vécu pour devenir parents, à la
différence de donneurs de gamètes,
des difficultés pour avoir un enfant. Ils
ont eu recours à la FIV, et pour nombre
d’entre eux au don de gamètes. Ils
peuvent facilement s’identifier aux
demandeurs d’embryons et imaginer
l’espoir que leur geste engendre. Pour-
tant, ces entretiens nous apprennent
que ce geste ne va pas de soi, qu’il
aura fallu du temps, parfois un long
temps pour qu’ils envisagent de don-
ner à d’autres leurs embryons si dure-
ment obtenus [2]. Une élaboration est
souvent nécessaire.
Aperçu clinique
Dans notre équipe, les donneurs
d’embryons ont plusieurs entretiens :
clinique, biologique, génétique et
psychologique.
M
me
et M. S. ont bénéficié d’un
don d’ovocytes. Ils ont attendu long-
temps. Mais dès le premier don, trois
mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie 2008 ; 10 (1) : 34-7
médecine thérapeutique
Médecine
de la Reproduction
Gynécologie
Endocrinologie
Tirésàpart:E.Weil
doi: 10.1684/mte.2008.0138
mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 10, n° 1, janvier-février 2008
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embryons ont été obtenus dont deux transférés et une
grossesse a suivi. Ils ont aujourd’hui 50 et 47 ans, et un fils
Arnaud de 4 ans. Tous deux sont très émus.
Mme S. est bouleversée ; elle pleure et regrette que
tout cela soit arrivé si tard dans leur vie : ils ne peuvent
plus envisager un transfert du dernier embryon car ils se
sentent trop vieux pour être, à nouveau, parents. « Il nous
a été beaucoup donné » disent-ils l’un et l’autre. Et le fait
de n’avoir pas suscité de donneuse revient à plusieurs
reprises : « Nous allons donner à notre tour ».
Ce couple se sent visiblement en dette de façon diffuse.
Ils ont reçu des ovocytes grâce à l’institution. Ils se sentent
en dette vis-à-vis du service, de la médecine, de la don-
neuse anonyme inconnue.
N’ayant pu susciter de don autour d’eux, en recrutant
une donneuse, ils savent combien c’est difficile à trouver
et combien c’est précieux. Pourtant, après avoir dit que si
un enfant naissait de ce don et accueil d’embryons, il ne
pourrait être que merveilleux comme leur fils, le père
remarque : « Je sais bien qu’avec un seul embryon il y a
peu de chance qu’il y ait grossesse ». Donner cet em-
bryon, c’est une façon de régler cette dette, mais en même
temps, ils n’ont pas eu leur compte d’enfant et l’idée qu’il
y aura un enfant à partir de l’embryon qu’ils donnent n’est
pas si facile à envisager. Voilà un exemple où l’ambiva-
lence s’exprime avec beaucoup d’émotion.
Ce sont les représentations imaginaires concernant la
condition de parents dans le couple qui déterminent le
choix du devenir puisqu’il semble qu’avant d’être conçu,
l’embryon soit déjà enserré dans un réseau imaginaire de
filiation. Il semble difficile de ne pas s’interroger sur ce que
l’on peut entendre ou lire à ce sujet. Par exemple : qu’en
serait-il de l’enfant qui naîtrait « orphelin », après que ses
géniteurs ont confié à un autre couple le soin d’assumer sa
gestation et son devenir ? Les entretiens réalisés avec les
couples donneurs reçus à Tenon nous ont semblé mettre
en évidence que pour pouvoir « donner » un embryon, il
faut que ce dernier ne soit pas, pour eux, un enfant.
Evidemment, si l’on parle d’enfant pour cet embryon
conservé dans l’azote, tous les fantasmes d’abandon sont
possibles et l’on peut également en arriver à parler d’« en-
fant orphelin ». Mais n’est-ce pas un abus de langage qui
enferme l’acte d’accueil dans un schéma préétabli ? Les
« géniteurs » le sont certes, mais par technique interposée,
ce qui modifie le rapport à l’embryon. Les donneurs
donnent car ce qu’ils donnent n’est pas pour eux un
enfant. On en revient toujours à la question : qui désire
être parent ? qu’est ce qui fait un parent ? [3, 4-6].
Les couples qui veulent donner savent que c’est leur
désir irrépressible de devenir parents qui leur a permis de
surmonter tous les obstacles. Sans le désir d’être parents,
leur embryon n’est guère plus que quelques cellules
congelées. C’est le désir d’un couple de les accueillir qui
leur permettra peut-être de se développer et d’aboutir à un
enfant que les receveurs élèveront.
Les entretiens réalisés avec les couples donneurs nous
ont permis d’élaborer des hypothèses quant aux motiva-
tions à l’œuvre chez ces acteurs de l’accueil d’embryons.
Les motivations des couples donneurs
Rendre ce qu’on a reçu
Le contre-don
Il s’agit de rendre ce qu’on a reçu – en l’occurrence la
possibilité d’avoir des enfants – comme les couples le font
dans la vie ordinaire, en ayant des enfants à leur tour pour
continuer la chaîne des générations.
On peut supposer que les équipes médicales prennent
la place des « parents interdicteurs ou bienveillants » à qui
l’on rend ce qu’ils ont « transmis ». Cette fois, il ne s’agit
pas de transmission du patrimoine génétique mais de la
possibilité d’accéder à l’état de parent.
Il semble que s’établit, entre ces ex-couples infertiles
devenus parents et ceux qui à leur tour vont peut-être le
devenir, une chaîne de solidarité importante : « C’est le
retour des choses : on a reçu, on redonne ».
Ces couples qui n’ont pu avoir d’enfants sans aide
médicale et souvent même grâce à des gamètes tiers
peuvent paradoxalement permettre à d’autres couples sté-
riles de devenir parents. Ainsi, dans une étude réalisée à
l’hôpital Tenon, il semblerait que l’origine des gamètes
influence ce choix puisque seuls 8 % des couples privilé-
gient le don d’embryons après une AMP intraconjugale
alors que 40 % y ont recours après une AMP avec tiers
donneur [2]. Ce contre-don peut prendre d’autres formes.
Se protéger du regard envieux d’autrui
S. Freud écrit, dans L’inquiétante étrangeté : [7] :
« Quiconque possède quelque chose d’à la fois précieux
et fragile, redoute l’envie des autres, en projetant sur eux
l’envie qu’il aurait éprouvée dans la situation inverse. On
redoute donc une intention secrète ou inconsciente de
nuire, et sur la foi de certains présages, on suppose que
cette intention dispose également du pouvoir de se mani-
fester. »
On peut imaginer, et cette hypothèse a déjà été évo-
quée [8], que chez ces couples devenus parents d’enfants
très investis et précieux existe le fantasme inconscient que
le don de leurs embryons surnuméraires pourrait conjurer
l’envie des couples stériles à leur égard. Par ce don, ils
protégeraient leurs enfants selon un mécanisme qui
s’énoncerait comme : donner une partie, c’est-à-dire ces
embryons, amas de cellules, aurait comme finalité d’éviter
qu’on ne les envie, ce qui pourrait mettre en danger leurs
enfants nés. Précisons que ce mécanisme propitiatoire se
retrouve régulièrement dans les démarches de don, sous
une forme quelquefois reconnue mais souvent incons-
ciente.
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Impossibilité d’utiliser les embryons pour son
propre projet parental
Les couples nous disent qu’ils ont choisi de donner
parce que :
leur âge est trop élevé : « on aurait 10 ans de
moins... »;
ils ont fait le « plein » d’enfants : « on pensait ne
même pas pouvoir avoir un enfant... »;
le statut du couple a changé : divorce, séparation.
Les couples peuvent alors choisir de donner une
chance à la vie en permettant à l’embryon de se dévelop-
per. En fonction de ce qu’est un embryon dans les repré-
sentations des donneurs, il peut s’avérer impossible de le
détruire car il appartient à la cohorte de ceux qui sont liés
à l’enfant qui leur est né, même s’ils ne considèrent pas
consciemment qu’il s’agit de frères ou sœurs [9].
La filiation et les théories sexuelles infantiles
D’où viennent les enfants [10] ? Cette question univer-
selle se pose à notre population d’une manière singulière :
les embryons sont-ils des enfants ? Les enfants de qui ?
Une femme nous dit qu’au début, elle souhaitait savoir
à qui ses embryons seraient donnés pour avoir des nou-
velles de... « ses » enfants. Au cours de l’entretien, elle
réalise que « les enfants sont ceux qu’elle a portés et à qui
elle a donné naissance et que les embryons, s’ils sont
privés de projet parental, ne sont que des cellules ». Cette
représentation que nous retrouvons très souvent formulée
par les couples de notre population est sans doute néces-
saire pour pouvoir « faire don de ses embryons ». Ceci
pourrait expliquer que cette option n’est choisie que par
13 % des couples qui possèdent des embryons surnumé-
raires cryoconservés [4,5]. Avec le temps, elle et son mari
ont pris conscience que vu leur âge et le fait qu’ils avaient
eu des jumeaux (un garçon et une fille), ils étaient comblés
et pouvaient donner à leur tour, eux qui avaient reçu des
ovocytes... et qu’ils n’avaient pas à s’en occuper. Ils pou-
vaient faire confiance à l’équipe qui leur avait permis de
devenir parents.
La place de l’entretien psychologique
dans ce périple
Nous faisons l’hypothèse que la proposition faite à ces
couples d’une rencontre avec les psychologues de
l’équipe représente une opportunité de mieux les accom-
pagner. En laissant s’exprimer les désirs profonds des
couples quant à ce choix, on leur offre un espace singulier
de réflexion dans leur parcours, souvent difficile, de stéri-
lité. Il représente l’occasion de conclure ces événements
qui les ont fait rencontrer les différents acteurs de l’AMP.
Cela peut prendre parfois la forme d’une cérémonie de
deuil et/ou de clôture.
Outre ces considérations, il nous est apparu, dans ces
entretiens, qu’il existait, de manière intermittente chez les
couples un sentiment de complexité supplémentaire. Le
recours à l’AMP oblige les donneurs, tous déjà parents,
dans notre protocole, à questionner et à contextualiser ce
qui pourrait sembler aller de soi et être le plus naturel au
monde : « avoir un enfant ».
Ils sont contraints, du fait de l’AMP, de reconsidérer et
d’interroger leurs ressentis, leurs croyances, leurs rapports
aux lignées parentales et à leurs propres fantasmes géné-
rationnels, souvent peu explorés jusque-là. Ce chemine-
ment peut prendre un temps assez long, du fait des exa-
mens et diagnostics nécessaires, et ils sont à la fois
accompagnés et sollicités par les équipes médicales et,
bien entendu les « psys », qui requestionnent avec eux
leur histoire, leur choix, ainsi que le poids des lois.
L’ambivalence, les projections et les identifications
successives sont présentes dans le champ de notre prise en
charge et dans l’espace relationnel entre l’institution et
eux.
La question des représentations de la procréation mé-
dicalement assistée semble pouvoir se référer à deux types
de processus :
dans un premier temps, avoir un enfant, c’est faire
comme papa et maman, reproduire, se prolonger et, au
fond, on ne sait pas grand-chose de comment cela arrive,
sauf, et encore, que c’est une conséquence des rapports
sexuels. S’y ajoute la position de l’enfant à concevoir, plus
ou moins identifié aux souvenirs, aux images que l’on a de
soi-même, de ses frères et sœurs éventuels, de l’enfant
merveilleux ou idéal que l’on porte en soi ;
dans un second temps, ces représentations cohabi-
tent avec des connaissances intellectuelles qui mêlent
savoir sur la conception, savoir sur la contraception, sa-
voir sur ce qu’est un embryon et savoir sur le patrimoine
génétique et la filiation.
Dans le champ, qui s’ouvre aux couples que nous
rencontrons, l’annonce de l’incapacité à procréer « de
façon ordinaire, comme papa et maman » remanie ces
divers niveaux de connaissance dans l’histoire singulière
de chacun.
Les donneurs d’embryons, qui ont eu recours au don
de gamètes dans leur parcours antérieur d’infertilité, ont
déjà eu à aborder la question : cet enfant, porté dans le
ventre de la femme qui en devient la mère, sera-t-il leur
enfant à part entière ?
Les couples sont contraints de se confronter, dans
l’entretien, à la complexité du questionnement de la
conception d’un enfant et de ce qui fait la maternité et
l’identité de mère, de père. C’est là que les théories
sexuelles infantiles de l’histoire personnelle jouent leur
rôle d’organisatrices de sens et de tissage entre les
connaissances du premier temps et les connaissances du
second [11]. Gamètes reçus, embryons donnés... la repré-
sentation de la part génétique s’efface souvent à ce
moment-là, au profit de la part de l’affect, des explications
qu’on se raconte à soi-même et des inscriptions intersub-
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jectives « libidinalisées » : c’est-à-dire les représentations
de chacun quant à la place de cet enfant dans son histoire
personnelle, de couple et de la transmission.
Le don d’embryons en dissociant radicalement la
transmission génétique de la grossesse et de l’accouche-
ment pose la question des origines d’une manière particu-
lière. En effet, les logiques ordinaires de la filiation et de
ses transmissions semblent déconstruites [12].
Conclusion
Les couples infertiles peuvent maintenant donner leurs
embryons alors que longtemps, ils n’arrivaient pas même à
en produire. Aujourd’hui, il leur en reste et ils peuvent
même éventuellement les donner. Ils doivent ainsi passer
d’un surinvestissement à un désinvestissement qui permet
de laisser le biologiste choisir l’embryon à donner à tel ou
tel couple anonyme, inconnu d’eux.
À cette question du choix du devenir de leurs em-
bryons cryoconservés, les couples répondront en fonction
des éléments structuraux de leur biographie et des aléas de
leur rencontre.
Nous, cliniciens des PMA, représentons des interlocu-
teurs particulièrement investis puisque nous les confron-
tons, par notre présence même, à ces interrogations origi-
naires. Le « transfert » sur l’institution médicale, vécue
comme un parent bienveillant ou « interdicteur », en-
traîne des ressentis de confiance et de réassurance déter-
minant en partie les projections à l’égard des embryons et
des enfants qui en sont issus, toujours « parfaits », du
moins à la naissance, et de la gestion des embryons qui
restent et seront confiés aux soins des « bons » docteurs de
la stérilité.
L’entretien psychologique permet à beaucoup de cho-
ses non exprimées jusque-là, d’être évoquées, apportant
l’apaisement dans une démarche qui permet de mieux
vivre avec le don reçu, en donnant à son tour[13,14].
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tion. Rev Fr Psychanal 1993;4:1269-79.
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