Revue mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie 2008 ; 10 (1) : 34-7 L’accueil d’embryons : le point de vue des couples donneurs The donors point of view Résumé. Les auteurs rapportent leur pratique des entretiens psychologiques avec les couples, suivis en AMP qui choisissent de donner leurs embryons à d’autres couples. Les motivations de ce choix sont abordées, liées aux positions psychiques des deux membres du couple. Il faut noter la proportion importante de couples ayant eu recours au don de gamètes pour devenir parents et qui optent pour ce devenir de leurs embryons. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. 1,2 Eva Weil Charlotte DudkiewiczSibony2,3 Dominique Cornet3 Jacqueline Mandelbaum1,2 Mots clés : accueil d’embryons, motivation au don, mécanismes psychiques, place de l’entretien psychologique Abstract. The authors report their clinical work in psychological interviews with patients who chose to donate their embryos. Motivations to donate seem strongly linked to psychic positions in the couple. It is important to note the high proportion of couple having received gamete in order to conceive their embryos among those who donate. 1 APHP, Hôpital Tenon, Service de Biologie de la Reproduction et Embryologie, 4 rue de la Chine, 75020 Paris 2 Cecos, Tenon <[email protected]> 3 APHP, Hôpital Tenon, Service de Gynécologie-Obstétrique et Médecine de la Reproduction Key words: embryo donation, motivations to donate, psychic mecanisms, psychological interview L’ médecine thérapeutique Tirés à part : E. Weil 34 ont eu recours à la FIV, et pour nombre d’entre eux au don de gamètes. Ils peuvent facilement s’identifier aux demandeurs d’embryons et imaginer l’espoir que leur geste engendre. Pourtant, ces entretiens nous apprennent que ce geste ne va pas de soi, qu’il aura fallu du temps, parfois un long temps pour qu’ils envisagent de donner à d’autres leurs embryons si durement obtenus [2]. Une élaboration est souvent nécessaire. Aperçu clinique Dans notre équipe, les donneurs d’embryons ont plusieurs entretiens : clinique, biologique, génétique et psychologique. Mme et M. S. ont bénéficié d’un don d’ovocytes. Ils ont attendu longtemps. Mais dès le premier don, trois mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 10, n° 1, janvier-février 2008 doi: 10.1684/mte.2008.0138 Médecine de la Reproduction Gynécologie Endocrinologie avènement et le développement des nouvelles technologies d’assistance médicale à la procréation (AMP) ont enrichi et transformé la notion de filiation. L’embryon est devenu, dans le cadre de ces pratiques, un espace privilégié de projection pour les fantasmes concernant la filiation, l’idée de vie et de mort [1]. Lorsque les embryons surnuméraires cryopréservés, issus d’AMP, ne font plus l’objet du projet parental initial, se pose la question de leur devenir. À l’hôpital Tenon, les couples choisissent majoritairement (57 %) l’arrêt de conservation. Près d’un tiers opte pour le don à la recherche et 13,5 % seulement se tournent vers l’accueil d’embryons. Ces couples donneurs ont euxmêmes vécu pour devenir parents, à la différence de donneurs de gamètes, des difficultés pour avoir un enfant. Ils Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. embryons ont été obtenus dont deux transférés et une grossesse a suivi. Ils ont aujourd’hui 50 et 47 ans, et un fils Arnaud de 4 ans. Tous deux sont très émus. Mme S. est bouleversée ; elle pleure et regrette que tout cela soit arrivé si tard dans leur vie : ils ne peuvent plus envisager un transfert du dernier embryon car ils se sentent trop vieux pour être, à nouveau, parents. « Il nous a été beaucoup donné » disent-ils l’un et l’autre. Et le fait de n’avoir pas suscité de donneuse revient à plusieurs reprises : « Nous allons donner à notre tour ». Ce couple se sent visiblement en dette de façon diffuse. Ils ont reçu des ovocytes grâce à l’institution. Ils se sentent en dette vis-à-vis du service, de la médecine, de la donneuse anonyme inconnue. N’ayant pu susciter de don autour d’eux, en recrutant une donneuse, ils savent combien c’est difficile à trouver et combien c’est précieux. Pourtant, après avoir dit que si un enfant naissait de ce don et accueil d’embryons, il ne pourrait être que merveilleux comme leur fils, le père remarque : « Je sais bien qu’avec un seul embryon il y a peu de chance qu’il y ait grossesse ». Donner cet embryon, c’est une façon de régler cette dette, mais en même temps, ils n’ont pas eu leur compte d’enfant et l’idée qu’il y aura un enfant à partir de l’embryon qu’ils donnent n’est pas si facile à envisager. Voilà un exemple où l’ambivalence s’exprime avec beaucoup d’émotion. Ce sont les représentations imaginaires concernant la condition de parents dans le couple qui déterminent le choix du devenir puisqu’il semble qu’avant d’être conçu, l’embryon soit déjà enserré dans un réseau imaginaire de filiation. Il semble difficile de ne pas s’interroger sur ce que l’on peut entendre ou lire à ce sujet. Par exemple : qu’en serait-il de l’enfant qui naîtrait « orphelin », après que ses géniteurs ont confié à un autre couple le soin d’assumer sa gestation et son devenir ? Les entretiens réalisés avec les couples donneurs reçus à Tenon nous ont semblé mettre en évidence que pour pouvoir « donner » un embryon, il faut que ce dernier ne soit pas, pour eux, un enfant. Evidemment, si l’on parle d’enfant pour cet embryon conservé dans l’azote, tous les fantasmes d’abandon sont possibles et l’on peut également en arriver à parler d’« enfant orphelin ». Mais n’est-ce pas un abus de langage qui enferme l’acte d’accueil dans un schéma préétabli ? Les « géniteurs » le sont certes, mais par technique interposée, ce qui modifie le rapport à l’embryon. Les donneurs donnent car ce qu’ils donnent n’est pas pour eux un enfant. On en revient toujours à la question : qui désire être parent ? qu’est ce qui fait un parent ? [3, 4-6]. Les couples qui veulent donner savent que c’est leur désir irrépressible de devenir parents qui leur a permis de surmonter tous les obstacles. Sans le désir d’être parents, leur embryon n’est guère plus que quelques cellules congelées. C’est le désir d’un couple de les accueillir qui leur permettra peut-être de se développer et d’aboutir à un enfant que les receveurs élèveront. Les entretiens réalisés avec les couples donneurs nous ont permis d’élaborer des hypothèses quant aux motivations à l’œuvre chez ces acteurs de l’accueil d’embryons. Les motivations des couples donneurs Rendre ce qu’on a reçu Le contre-don Il s’agit de rendre ce qu’on a reçu – en l’occurrence la possibilité d’avoir des enfants – comme les couples le font dans la vie ordinaire, en ayant des enfants à leur tour pour continuer la chaîne des générations. On peut supposer que les équipes médicales prennent la place des « parents interdicteurs ou bienveillants » à qui l’on rend ce qu’ils ont « transmis ». Cette fois, il ne s’agit pas de transmission du patrimoine génétique mais de la possibilité d’accéder à l’état de parent. Il semble que s’établit, entre ces ex-couples infertiles devenus parents et ceux qui à leur tour vont peut-être le devenir, une chaîne de solidarité importante : « C’est le retour des choses : on a reçu, on redonne ». Ces couples qui n’ont pu avoir d’enfants sans aide médicale et souvent même grâce à des gamètes tiers peuvent paradoxalement permettre à d’autres couples stériles de devenir parents. Ainsi, dans une étude réalisée à l’hôpital Tenon, il semblerait que l’origine des gamètes influence ce choix puisque seuls 8 % des couples privilégient le don d’embryons après une AMP intraconjugale alors que 40 % y ont recours après une AMP avec tiers donneur [2]. Ce contre-don peut prendre d’autres formes. Se protéger du regard envieux d’autrui S. Freud écrit, dans L’inquiétante étrangeté : [7] : « Quiconque possède quelque chose d’à la fois précieux et fragile, redoute l’envie des autres, en projetant sur eux l’envie qu’il aurait éprouvée dans la situation inverse. On redoute donc une intention secrète ou inconsciente de nuire, et sur la foi de certains présages, on suppose que cette intention dispose également du pouvoir de se manifester. » On peut imaginer, et cette hypothèse a déjà été évoquée [8], que chez ces couples devenus parents d’enfants très investis et précieux existe le fantasme inconscient que le don de leurs embryons surnuméraires pourrait conjurer l’envie des couples stériles à leur égard. Par ce don, ils protégeraient leurs enfants selon un mécanisme qui s’énoncerait comme : donner une partie, c’est-à-dire ces embryons, amas de cellules, aurait comme finalité d’éviter qu’on ne les envie, ce qui pourrait mettre en danger leurs enfants nés. Précisons que ce mécanisme propitiatoire se retrouve régulièrement dans les démarches de don, sous une forme quelquefois reconnue mais souvent inconsciente. mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie vol. 10, n° 1, janvier-février 2008 35 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Revue Impossibilité d’utiliser les embryons pour son propre projet parental Les couples nous disent qu’ils ont choisi de donner parce que : – leur âge est trop élevé : « on aurait 10 ans de moins... » ; – ils ont fait le « plein » d’enfants : « on pensait ne même pas pouvoir avoir un enfant... » ; – le statut du couple a changé : divorce, séparation. Les couples peuvent alors choisir de donner une chance à la vie en permettant à l’embryon de se développer. En fonction de ce qu’est un embryon dans les représentations des donneurs, il peut s’avérer impossible de le détruire car il appartient à la cohorte de ceux qui sont liés à l’enfant qui leur est né, même s’ils ne considèrent pas consciemment qu’il s’agit de frères ou sœurs [9]. La filiation et les théories sexuelles infantiles D’où viennent les enfants [10] ? Cette question universelle se pose à notre population d’une manière singulière : les embryons sont-ils des enfants ? Les enfants de qui ? Une femme nous dit qu’au début, elle souhaitait savoir à qui ses embryons seraient donnés pour avoir des nouvelles de... « ses » enfants. Au cours de l’entretien, elle réalise que « les enfants sont ceux qu’elle a portés et à qui elle a donné naissance et que les embryons, s’ils sont privés de projet parental, ne sont que des cellules ». Cette représentation que nous retrouvons très souvent formulée par les couples de notre population est sans doute nécessaire pour pouvoir « faire don de ses embryons ». Ceci pourrait expliquer que cette option n’est choisie que par 13 % des couples qui possèdent des embryons surnuméraires cryoconservés [4,5]. Avec le temps, elle et son mari ont pris conscience que vu leur âge et le fait qu’ils avaient eu des jumeaux (un garçon et une fille), ils étaient comblés et pouvaient donner à leur tour, eux qui avaient reçu des ovocytes... et qu’ils n’avaient pas à s’en occuper. Ils pouvaient faire confiance à l’équipe qui leur avait permis de devenir parents. La place de l’entretien psychologique dans ce périple Nous faisons l’hypothèse que la proposition faite à ces couples d’une rencontre avec les psychologues de l’équipe représente une opportunité de mieux les accompagner. En laissant s’exprimer les désirs profonds des couples quant à ce choix, on leur offre un espace singulier de réflexion dans leur parcours, souvent difficile, de stérilité. Il représente l’occasion de conclure ces événements qui les ont fait rencontrer les différents acteurs de l’AMP. Cela peut prendre parfois la forme d’une cérémonie de deuil et/ou de clôture. Outre ces considérations, il nous est apparu, dans ces entretiens, qu’il existait, de manière intermittente chez les 36 couples un sentiment de complexité supplémentaire. Le recours à l’AMP oblige les donneurs, tous déjà parents, dans notre protocole, à questionner et à contextualiser ce qui pourrait sembler aller de soi et être le plus naturel au monde : « avoir un enfant ». Ils sont contraints, du fait de l’AMP, de reconsidérer et d’interroger leurs ressentis, leurs croyances, leurs rapports aux lignées parentales et à leurs propres fantasmes générationnels, souvent peu explorés jusque-là. Ce cheminement peut prendre un temps assez long, du fait des examens et diagnostics nécessaires, et ils sont à la fois accompagnés et sollicités par les équipes médicales et, bien entendu les « psys », qui requestionnent avec eux leur histoire, leur choix, ainsi que le poids des lois. L’ambivalence, les projections et les identifications successives sont présentes dans le champ de notre prise en charge et dans l’espace relationnel entre l’institution et eux. La question des représentations de la procréation médicalement assistée semble pouvoir se référer à deux types de processus : – dans un premier temps, avoir un enfant, c’est faire comme papa et maman, reproduire, se prolonger et, au fond, on ne sait pas grand-chose de comment cela arrive, sauf, et encore, que c’est une conséquence des rapports sexuels. S’y ajoute la position de l’enfant à concevoir, plus ou moins identifié aux souvenirs, aux images que l’on a de soi-même, de ses frères et sœurs éventuels, de l’enfant merveilleux ou idéal que l’on porte en soi ; – dans un second temps, ces représentations cohabitent avec des connaissances intellectuelles qui mêlent savoir sur la conception, savoir sur la contraception, savoir sur ce qu’est un embryon et savoir sur le patrimoine génétique et la filiation. Dans le champ, qui s’ouvre aux couples que nous rencontrons, l’annonce de l’incapacité à procréer « de façon ordinaire, comme papa et maman » remanie ces divers niveaux de connaissance dans l’histoire singulière de chacun. Les donneurs d’embryons, qui ont eu recours au don de gamètes dans leur parcours antérieur d’infertilité, ont déjà eu à aborder la question : cet enfant, porté dans le ventre de la femme qui en devient la mère, sera-t-il leur enfant à part entière ? Les couples sont contraints de se confronter, dans l’entretien, à la complexité du questionnement de la conception d’un enfant et de ce qui fait la maternité et l’identité de mère, de père. C’est là que les théories sexuelles infantiles de l’histoire personnelle jouent leur rôle d’organisatrices de sens et de tissage entre les connaissances du premier temps et les connaissances du second [11]. Gamètes reçus, embryons donnés... la représentation de la part génétique s’efface souvent à ce moment-là, au profit de la part de l’affect, des explications qu’on se raconte à soi-même et des inscriptions intersub- mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 10, n° 1, janvier-février 2008 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. jectives « libidinalisées » : c’est-à-dire les représentations de chacun quant à la place de cet enfant dans son histoire personnelle, de couple et de la transmission. Le don d’embryons en dissociant radicalement la transmission génétique de la grossesse et de l’accouchement pose la question des origines d’une manière particulière. En effet, les logiques ordinaires de la filiation et de ses transmissions semblent déconstruites [12]. Références Conclusion 4. Nachtigall RD, Becker G, Friese C, Butler A, Mac Dougall K. Parents conceptualisation of their frozen embryos complicates the disposition decision. Fertil Steril 2005 ; 84 : 431-4. Les couples infertiles peuvent maintenant donner leurs embryons alors que longtemps, ils n’arrivaient pas même à en produire. Aujourd’hui, il leur en reste et ils peuvent même éventuellement les donner. Ils doivent ainsi passer d’un surinvestissement à un désinvestissement qui permet de laisser le biologiste choisir l’embryon à donner à tel ou tel couple anonyme, inconnu d’eux. À cette question du choix du devenir de leurs embryons cryoconservés, les couples répondront en fonction des éléments structuraux de leur biographie et des aléas de leur rencontre. Nous, cliniciens des PMA, représentons des interlocuteurs particulièrement investis puisque nous les confrontons, par notre présence même, à ces interrogations originaires. Le « transfert » sur l’institution médicale, vécue comme un parent bienveillant ou « interdicteur », entraîne des ressentis de confiance et de réassurance déterminant en partie les projections à l’égard des embryons et des enfants qui en sont issus, toujours « parfaits », du moins à la naissance, et de la gestion des embryons qui restent et seront confiés aux soins des « bons » docteurs de la stérilité. L’entretien psychologique permet à beaucoup de choses non exprimées jusque-là, d’être évoquées, apportant l’apaisement dans une démarche qui permet de mieux vivre avec le don reçu, en donnant à son tour[13,14]. 1. Weil E. Les enfants, les embryons, les psychanalystes et la civilisation. Rev Fr Psychanal 1993 ; 4 : 1269-79. 2. Weil E, Sibony C, Cornet D, et al. Accueil d’embryons : un don de don ? Journées FFER, octobre 2005. 3. De Lacey S. Parent identity and « virtual » children : Why patients discard rather than donate unused embryos? Hum Reprod 2005 ; 6 : 1661-9. 5. Newton CR, McDermid A, Tekpetey F, Tummon IS. Embryo Donation : attitudes towards donation procedures and factors predicting willingness to donate. Hum Reprod 2003 ; 18 : 878-84. 6. Widdows H, Maccallum F. Disparities in parenting criteria : an exploration of the issues, focusing on adoption and embryo donation. J Med Ethics 2002 ; 28 : 139-42. 7. Freud S. L’inquiétante étrangeté et autres essais. Traduction de B. Féron. NRF, Editions Gallimard, 1985. 8. Weil E, Cornet D, Sibony C, Mandelbaum J, Salat-Baroux J. Psychological aspects in anonymous and non-anonymous oocyte donation. Hum Repro 1994 ; 9 : 1344-7. 9. Van Den Akker O. A review of family donor constructs : Current research and future directions. Human Reproduction Update 2006 ; 12(no2) : 91-101. 10. Freud S. Trois essais sur la vie sexuelle. In : Œuvres complètes (tome VI). Paris : PUF, 2006. 11. Freud S. Les théories sexuelles infantiles. In : La vie Sexuelle, traduction de D. Berger et J. Laplanche. Paris : PUF, 1969. 12. 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