Disponible en ligne sur FMC 3 www.smr.ma Aspects échographiques du muscle traumatique. Sonographic aspects of traumatic muscle. Khadija Berrada, Fatima Ezzahra Abourazzak, Taoufik Harzy. Service de rhumatologie, CHU Hassan II, Fès - Maroc. Rev Mar Rhum 2014; 29: 3-8 Résumé Abstract L’échographie musculo-squelettique est une technique en plein développement dans le domaine de la rhumatologie. Son accessibilité, son innocuité et sa maniabilité font d’elle un outil indispensable à la pratique quotidienne du rhumatologue. Dans cette mise au point nous allons étudier les aspects échographiques des traumatismes musculaires puisque la pathologie traumatique est de loin la plus fréquente en matière de pathologie musculaire en particulier chez le sportif. The musculoskeletal ultrasound is a technique Mots Key words : clés : Echographie; Muscle; in full expansion in the field of rheumatology. Accessibility, safety and maneuverability make it an indispensable tool in the daily practice of rheumatologists. In this focus we will study the sonographic appearances of muscle injuries since the traumatic pathology is by far the most common in muscle pathology especially in athletes. Ultrasonography; Muscle; Traumatism. Traumatisme. La pathologie musculaire traumatique est d’une diversité sémiologique qui mérite d’être étudiée. Grâce au développement des sondes échographiques, la détection des lésions musculaires traumatiques ainsi que le suivi de leur évolution est actuellement facile. Néanmoins, une bonne connaissance anatomique des différentes structures reste indispensable afin de différencier les images normales des images pathologiques. Rappel anatomo-histologique muscle normal du Sur le plan architectural, le muscle normal est constitué de fibres musculaires baignant dans un tissu conjonctif nommé l’endomysium. Ces fibres sont disposées en faisceaux entourés par le périmysium où cheminent les éléments vasculo-nerveux; l’ensemble des faisceaux constituant le muscle est limité par l’épimysium ou aponévrose périmusculaire (Figure 1). Le muscle comporte également Figure 1 : Représentation schématique d’un muscle squelettique. des cloisons aponévrotiques centrales qui assurent sa cohésion, augmentent sa résistance et favorisent son glissement sur les autres muscles. Selon leur architecture interne, on distingue des muscles uni-pennés, bipennés ou multi-pennés. Correspondance à adresser à : Dr K. Berrada Email : [email protected] Revue Marocaine de Rhumatologie 4 K. Berrada et al. FMC Sémiologie échographique du muscle La contraction musculaire conduit à une hypertrophie des fibres musculaires aux dépens de tissu conjonctif normal La connaissance d’abord de l’aspect échographique normal du muscle est indispensable pour pouvoir reconnaitre une anomalie. L’exploration échographique des muscles doit être comparative et dynamique. En coupe longitudinale le muscle normal prend un aspect penné sous forme de fines stries obliques hyperéchogènes correspondant au périmysium disposées sur un fond hypoéchogène correspondant aux fibres musculaires et à l’endomysium. Sur une coupe axiale le muscle prend un aspect réticulé avec des fibres hypoéchogènes, un périmysium et des aponévroses hyperéchogènes. (Figures 2a, 2b). Figure 2a : Coupe longitudinale d’un muscle normal accentuant ainsi l’hypoéchogénicité globale du muscle. Chez le sujet âgé, on remarque une augmentation de l’échogénicité en rapport avec la baisse de la trophicité musculaire. Tout comme les tendons mais à moindre degré, les muscles peuvent aussi être sujets à l’artefact d’anisotropie, d’où l’intérêt de changer constamment l’inclinaison de la sonde pour s’en affranchir. Aspects pathologiques L’examen échographique permet de poser le diagnostic de la lésion, évaluer sa gravité, suivre son évolution et guider un éventuel geste (ponction d’hématome). En règle générale, il doit être systématiquement réalisé de façon bilatérale, comparative, à la fois statique et dynamique, dans les deux plans de l’espace, en mode B et en mode Doppler. La pathologie traumatique domine largement la pathologie musculaire. Deux mécanismes lésionnels peuvent être en cause : un mécanisme extrinsèque par impact direct sur le muscle causant son écrasement entre l’agent traumatisant et l’os sous-jacent; un mécanisme intrinsèque secondaire à l’étirement excessif des fibres musculaires au-delà de leur capacité. Dans tout les cas, un interrogatoire bien conduit précisant les circonstances du traumatisme est indispensable. L’échographie est un excellent outil de détection et d’évaluation des lésions musculaires traumatiques. Cette exploration ultrasonographique doit intéresser la totalité du muscle atteint avec une attention particulière au niveau des zones jonctionnelles en cas de traumatisme par mécanisme intrinsèque. Dans les premières heures suivant le traumatisme, les images échographiques ne sont pas très parlantes et peuvent sous estimer les lésions. L’échographie doit être alors réalisée idéalement entre 48 et 72 heures suivant le traumatisme afin que les lésions deviennent visibles permettant ainsi une exploration optimale du muscle traumatisé [1]. Figure 2b : Coupe axiale d’un muscle normal Dans les traumatismes musculaires extrinsèques, le siège de la lésion correspond généralement au point d’impact causé par l’agent traumatisant. Les muscles les plus exposés à ce type de traumatisme sont le vaste intermédiaire et le vaste latéral au niveau du membre inférieur et le brachial antérieur au niveau du membre supérieur. Le palper échographique oriente l’exploration Revue Marocaine de Rhumatologie 5 Aspects échographiques du muscle traumatique. vers le point douloureux. Une lésion mineure à type de contusion peut se résumer à une simple infiltration oedémato-hémorragique du muscle atteint qui augmente de volume en comparaison avec le côté sain et prend une échostructure hyperéchogène, hétérogène signant une désorganisation architecturale focale. Des lésions plus sévères peuvent causer la rupture partielle ou complète des fibres musculaires qui seront remplacées par un hématome prenant un aspect de collection hypoéchogène plus ou moins hétérogène en fonction de l’ancienneté du traumatisme, avec dans le cas extrême un aspect de moignon en «battant de cloche» en cas de véritable fracture du muscle. Figure 3a : Désinsertion du muscle gastrocnémien médial à sa jonction myo-aponévrotique distale avec le muscle soléaire (Tennis leg). En fonction de son échogénicité et de son caractère compressible ou non sous la sonde, on peut juger du caractère ponctionnable ou non d’un hématome. En effet, un hématome compressible signifie qu’il est liquéfié et donc accessible à la ponction. Cette dernière permettrait de lever la compression exercée par l’hématome sur la loge musculaire atteinte et contribuerait au raccourcissement du délai de cicatrisation. Dans ce cas, l’intérêt thérapeutique de l’échographie est incontestable en permettant de guider le geste. Enfin, il faut également étudier les structures sous cutanées dont la lésion peut conduire à l’expansion d’un hématome et la formation d’une collection type Morel Lavallée. Figure 3b : Aspect normal de la jonction myo-aponévrotique distale du gastrocnémien médial avec le muscle soléaire. du muscle, sa structure pennée et sa composition L’intégrité de la surface de l’aponévrose périphérique est aussi intéressante à vérifier afin de déceler une éventuelle rupture de celle-ci, source de hernie musculaire visible pendant les manœuvres de contraction/relâchement. majoritaire en fibres musculaire de type II (à contraction Les lésions résultant d’un mécanisme intrinsèque siègent essentiellement près des jonctions myo-tendineuses et myoaponévrotiques centrales et périphériques puisqu’elles représentent des zones de faiblesse vu leur incapacité à absorber l’énergie appliquée probablement à cause de la différence d’élasticité entre les différents tissus. Ceci implique une exploration particulièrement minutieuse de ces zones afin de déceler d’éventuelles désinsertions débutantes qui se manifestent par un flou échogène périaponévrotique. été proposées, la plus récente est celle de Rodineau et Les muscles les plus exposés à ce type de mécanisme lésionnel sont les muscles ischio-jambiers, le droit fémoral en particulier au niveau de sa jonction myoaponévrotique centrale et le gastrocnémien médial surtout dans sa jonction myo-aponévrotique distale avec le muscle soléaire dont la désinsertion est connue sous le nom de «tennis leg» (Figures 3 a,b). Les facteurs de risques sont représentés par le caractère bi-articulaire Revue Marocaine de Rhumatologie rapide). Les lésions peuvent être classées en fonction de leur gravité depuis la simple crampe jusqu’à la rupture complète avec rétraction. Plusieurs classifications ont Durey (tableau1) [2]. Tableau 1 : Classification histopathologique de Rodineau et Durey [2] Stade Histologie Clinique Echographie 0 FM : réversible TC : normal Crampe Non indiquée 1 FM : irréversible partielle TC : normal Contracture Non indiquée 2 FM : irréversible partielle TC : lésé Elongation Indiquée Contributive 3 FM : irréversible avancée TC : lésé hématome Claquage Indiquée Contributive 4 FM : rupture partielle ou totale TC : lésé Rupture Indiquée Contributive FM : fibre musculaire ; TC : tissu conjonctif 6 K. Berrada et al. FMC Tableau 2 : Classification échographique des lésions musculaires et musculoconjonctives intrinsèques (en parallèle avec la classification de Rodineau et Durey) [3]. Stade 0 Atteinte réversible de la fibre Hypertrophie hyperéchogène du musculaire, sans atteinte du muscle tissu conjonctif de soutien DOMS (Delayed Onset Muscular Soreness) 1 Atteinte irréversible de Nuage hyperéchogène sans quelques fibres musculaires, désorganisation de l’architecture sans atteinte du tissu conjonctif musculaire (figure 4) de soutien 2 Atteinte irréversible d’un Plage hyperéchogène à contours flous nombre réduit de fibres et irréguliers avec désorganisation de musculaires, avec atteinte du l’architecture musculaire (figure 5) tissu conjonctif de soutien 3 Atteinte irréversible de Désinsertion musculo-aponévrotique nombreuses fibres musculaires, ou musculo-tendineuse avec avec atteinte du tissu conjonctif hématome collecté (figure 6) Figure 4 : Coupe axiale postéro-interne de la cuisse montrant une zone hyperéchogène focale (flèche verte) correspondant à une lésion musculaire de grade 1 [7]. de soutien et formation d’un hématome intramusculaire localisé 4 Rupture partielle ou totale d’un Désinsertion ou rupture d’un faisceau muscle musculaire avec rétraction (figure 7) La correspondance échographique de la classification de Rodineau et Durey est représentée dans le tableau 2. [3] Il est parfois difficile de différencier une déchirure musculaire partielle d’une déchirure totale à cause du comblement du foyer lésionnel par le sang et les débris, dans ce cas l’échographie permet de faire la part des choses grâce a son approche dynamique en demandant au patient de faire une contraction musculaire. Les lésions cicatricielles Figure 5 : Plage hyperéchogène à contours flous et irréguliers avec désorganisation de la structure musculaire correspondant à une lésion musculaire de grade 2. [8] La cicatrice fibreuse La myosite ossifiante les traumatismes musculaires minimes guérissent généralement sans laisser de cicatrice visualisable à l’échographie. Par contre, les lésions sévères avec formation d’hématome intra-tissulaire sont susceptibles de générer une cicatrice fibreuse perceptible à l’examen ultrasonographique. Cette cicatrice représente une zone de faiblesse qui peut être responsable d’une altération de l’élasticité du muscle prédisposant celui-ci aux récidives lésionnelles. Elle peut aussi être la source de compression d’un nerf périphérique de voisinage et générer une douleur chronique. La cicatrice fibreuse prend échographiquement l’aspect d’une structure linéaire ou stellaire hyperéchogène entouré parfois d’une zone moins échogène au sein d’un muscle antérieurement traumatisé. Sa taille est généralement proportionnelle au volume de l’hématome initial. (Figure 8). Il s’agit d’une ossification intramusculaire par métaplasie bénigne des cellules mésenchymateuses dont la physiopathologie est encore mal connue. Elle est le plus souvent secondaire à un traumatisme minime passé inaperçu dans plus de 50% des cas ce qui rend son diagnostic difficile [4]. Elle peut être douloureuse ou complètement asymptomatique. Elle touche préférentiellement les muscles de la cuisse et de la loge antérieure du bras [5]. L’échographie montre à la phase initiale un aspect hétérogène non spécifique du muscle, secondairement, on note la présence d’ossifications périphériques hyperéchogènes avec cône d’ombre postérieur (Figure 9). Elles sont détectables plusieurs semaines avant leur apparition sur les radiographies standards. Le mode Doppler puissance montre une hyper-vascularisation aussi bien de la lésion que du tissu qui l’entoure [6]. Revue Marocaine de Rhumatologie 7 Aspects échographiques du muscle traumatique. Figure 8 : Epaississement cicatriciel (CIC) ancien à contours parfaitement nets d’une désinsertion sur la cloison frontale du long adducteur. [8] Figure 6 : Désinsertion avec hématome collecté de la jonction musculaire sur la cloison aponévrotique centrale du droit fémoral correspondant à une lésion musculaire de grade 3. [8] Figure 9 : Volumineux amas de calcification (CA), trois semaines après une contusion grave du vaste intermédiaire. [8] Figure 7 : Epreuve de contraction montrant la rétraction d’un long biceps désinséré correspondant à une lésion musculaire de grade 4. [8] Droit fémoral correspondant à une lésion musculaire de grade 3. [8] L’atrophie musculaire Dans un contexte post traumatique le muscle peut être le siège d’une infiltration graisseuse qui se manifeste L’hématome enkysté en échographie par une diminution de l’épaisseur Il correspond à un défaut de résorption d’un hématome qui prend l’aspect d’une collection hypoéchogène voire anéchogène avec renforcement postérieur des échos, circonscrite par une pseudo-capsule, compressible sous la sonde pouvant être ponctionné sous écho-guidage. du muscle en comparaison avec le côté sain. On Revue Marocaine de Rhumatologie note également une perte de l’aspect fibrillaire remplacé par une hyperéchogénicité globale liée au remplacement des fibres musculaires par du tissu graisseux. 8 K. Berrada et al. FMC Conclusion L’échographie est un excellent outil de détection et d’évaluation des lésions musculaires traumatiques. Son utilisation en complément d’un bon interrogatoire et d’un bon examen clinique permet dans la majorité des cas d’établir un bilan lésionnel complet. Outre son intérêt diagnostic, elle a un intérêt pronostic en permettant de suivre l’évolution et la cicatrisation des lésions musculaires et thérapeutique en permettant le guidage d’une ponction d’hématome par exemple. Déclaration d’intérêt Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt. Références 1. C Courthaliac, A Lhoste-Trouilloud et P Peetrons. Échographie des muscles. J Radiol 2005;86:1859-67. 2. Rodineau J. Evaluation clinique des lésions musculaires récentes et essai de classification. Sport Med 1997 ; 73 : 287-90. 3. Berquist th, kricum M. Imaging of sport injuries. Series Editor Aspen 1992. 4. Joe B. Woodhouse, and Eugene G. McNally. Ultrasound of Skeletal Muscle Injury: An Update. Semin Ultrasound CT MRI 2011;32:91-100 . 5. Bianchi S, Martinoli C. Ultrasound of the musculoskeletal system. 2007 p 59. 6. Marianna Vlychou and James The. Ultrasound of Muscle. Curr Probl Diagn Radiol 2008. 7. Theumann N, Richarme D. Lésions musculaires traumatiques? Quelles investigations faire et à quel moment. Revue Suisse de Médecine et Traumatologie du Sport 2011;59:22-26. 8. Brasseur JL, Renoux J. Classification des lésions musculaires. GEL CONTACT, revue de la société d’imagerie musculo-squelettique. Juin 2012. Revue Marocaine de Rhumatologie