I.E.P. de Toulouse La politique de la France en Afrique subsaharienne après les indépendances. Mémoire préparé sous la direction du Général Raffenne. Par Priscille Guinant. Année universitaire 2012/2013 REMERCIEMENTS Je tiens à remercier sincèrement et particulièrement le Général Raffenne, qui, en tant que Directeur de mémoire, s’est montré réactif à mes diverses sollicitations. Les échanges ont été rapides, efficaces et constructifs. Les recherches que j’ai pu effectuer pour bâtir ce mémoire mon été très profitables et je sors enrichie de ce travail qui n’aurait pu être possible sans le concours de mon tuteur. Je l’en remercie à nouveau. Je voudrais également remercier l’I.E.P. de Toulouse qui m’a fourni un cadre pour la rédaction de ce mémoire J’exprime aussi toute ma reconnaissance à mes relecteurs pour le temps qu’ils m’ont consacré. 2 SOMMAIRE REMERCIEMENTS .................................................................................................................. 2 SOMMAIRE .............................................................................................................................. 3 INTRODUCTION ...................................................................................................................... 5 PARTIE 1 : La politique de la France en Afrique ...................................................................... 7 I. Des indépendances aux années 1990 : le maintien de la tutelle française ................. 9 1. Les accords de défense et de coopération militaire .................................................... 9 2. Les accords de coopération monétaire ..................................................................... 11 3. L’aide bilatérale au développement ......................................................................... 12 4. La langue française, lien entre la France et l’Afrique .............................................. 15 5. Les sommets France - Afrique ................................................................................. 16 L’inflexion des années 1990 : « ni ingérence, ni indifférence » ................................. 19 II. 1. Le sommet de La Baule : la mise en place de la démocratie contre une aide majorée 19 2. RECAMP : un programme pour l’autonomisation de l’Afrique en matière de défense .............................................................................................................................. 21 3. Le discours de Cotonou : deux idées nouvelles ....................................................... 22 4. Les nouvelles orientations de la politique de sécurité et de défense de la France en Afrique à partir de 2008. .................................................................................................. 22 5. Les nouvelles orientations de la politique d’aide au développement de la France en Afrique à partir de 2008 ................................................................................................... 25 PARTIE 2 : Européanisation de la politique de la France en Afrique ..................................... 29 La coopération européenne en matière de commerce et d’aide au développement ..... 29 I. 1. Les Conventions de Yaoundé (1963 – 1975) : prolongement de la spécialisation et de la préférence coloniale. ................................................................................................ 29 2. Les Conventions de Lomé (1975 – 2000) : innovations commerciales et conditionnement de l’aide ................................................................................................ 30 3. L’Accord de Cotonou (2000) : banalisation des relations entre la France et les pays A.C.P. ............................................................................................................................... 32 II. Les sommets Union africaine – Union européenne : une tentative de coopération en difficulté. .............................................................................................................................. 34 III. La stratégie européenne en matière de sécurité et de défense .................................. 35 3 1. La France, leader des opérations menées dans le cadre de la P.E.S.D. .................... 35 2. De la P.E.S.D. à la P.S.D.C., la France leader malgré tout ...................................... 36 3. La Facilité européenne pour la paix en Afrique ....................................................... 37 PARTIE 3 : La politique de la France en Afrique, bousculée par l’arrivée de nouveaux acteurs. .................................................................................................................................................. 40 « La Chine est un géant au berceau et quand la Chine s’éveillera... Le monde I. tremblera » (Napoléon Bonaparte) ....................................................................................... 40 1. Le FOCAC, un outil pour l’établissement d’un partenariat global qui bouscule la présence française en Afrique .......................................................................................... 42 2. L’utilisation du « soft power » à travers les F.O.C.A.C. .......................................... 43 3. Une remise en cause des partenaires économiques traditionnels. ............................ 45 4. Les avantages de la Chine sur la France. ................................................................. 45 L’offensive politique, économique et diplomatique américaine en Afrique. ............... 46 II. 1. L’offensive économique ........................................................................................... 46 2. L’offensive politique ................................................................................................ 47 3. L’offensive diplomatique ......................................................................................... 48 III. L’intérêt croissant d’autres puissances pour l’Afrique............................................. 48 1. Le Japon ................................................................................................................... 49 2. La Russie .................................................................................................................. 49 3. L’Union Indienne ..................................................................................................... 50 4. Le Brésil ................................................................................................................... 50 IV. Les luttes d’influence en Afrique : les cas du Rwanda, de la République Démocratique du Congo et de la Côte d’Ivoire. ................................................................... 51 1. La perte d’influence française au Rwanda et en R.D.C. au profit des Etats-Unis ... 51 2. Le maintien de la Côte d’Ivoire dans la zone d’influence française. ....................... 53 CONCLUSION ........................................................................................................................ 55 BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................... 58 4 INTRODUCTION L’objet de ce mémoire est de tenter une étude globale de la place et du rôle de la France en Afrique depuis les indépendances. De nombreux travaux traitent soit de l’Afrique, soit de la France. D’autres s’intéressent à la politique de la France en Afrique, mais généralement de manière partielle, en se cantonnant à l’un ou à l’autre de ses grands axes (politique, économique, sécuritaire, culturel...). Il nous paraît donc intéressant d’appréhender la politique de la France en Afrique dans son ensemble, afin d’en situer les différents enjeux. Nous essaierons autant que possible de nous garder de verser dans des considérations d’ordre idéologique, afin de ne pas susciter de vaines polémiques et d’éviter tant la diabolisation que la langue de bois. Dans un souci de cohérence, le cadre géographique de ce travail écartera d’emblée les Etats d’Afrique du Nord, dont la prise en compte aurait exigé de s’intéresser à des problématiques méditerranéennes et moyen-orientales, étrangères à l’Afrique subsaharienne à laquelle nous limiterons notre réflexion. D’aucun pourraient se demander pourquoi la France met en œuvre une politique africaine alors qu’elle n’a pas spécialement de politique asiatique, malgré un présence ancienne, certes révolue, en Indochine et aux Indes avec d’ex comptoirs. La réponse tient de l’évidence : la France qui avait colonisé une grande partie du continent africain y avait établi une présence et tissé des liens qui ne peuvent se comparer à ce qu’elle a pu entreprendre ailleurs. La politique africaine de la France ne procède ni d’une tactique accidentelle, ni d’une improvisation, mais au contraire d’une stratégie réfléchie pour tenter de combler le vide créé par l’accession à l’indépendance de ses anciennes colonies sur le « continent noir ». Notons qu’au sein de la Communauté Française, certains des futurs chefs d’Etats africains ne voulaient pas de l’indépendance, à l’instar de l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny ou encore du gabonais Léon M’Ba. Ceux-ci reprochaient au Général de Gaulle de « couper le cordon ombilical » liant leur pays à la « mère patrie ». Cependant, la France ne pouvait pas ignorer le contexte international de l’époque qui faisait la promotion du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » (droit issu de la Révolution Française de 1789) et donc de la décolonisation. Vue d’Afrique, la France fait l’objet d’un double discours. Elle est admirée, aimée et enviée pour son niveau de vie et sa protection sociale, pour la liberté d’opinion, y compris politique, qui y règne, ou encore pour le rayonnement de sa culture. Mais parallèlement, la 5 France y est aussi critiquée. Un demi-siècle après les indépendances, il lui est encore reproché d’être à l’origine des maux qui affligent l’Afrique, et la tentation de chercher dans le passé colonial la cause de tous les problèmes contemporains rencontrés par celle-ci existe toujours. En outre, un procès d’intention paradoxal est instruit contre la politique française en Afrique, que le Président Sarkozy résumait bien lors de son discours du Cap en 2008 : « Nous nous trouvons dans une situation où notre engagement politique, militaire ou économique aux côtés de l'Afrique est perçu par beaucoup non comme une aide sincère, mais comme une ingérence coloniale ; mais où, dans le même temps, une indifférence, un retrait ou une absence d'engagement nous sont reprochés comme un abandon ou une ingratitude ». Ce double procès d’intention démontre que si la France a bien eu des motifs et des raisons personnelles à s’engager en Afrique, même si parfois sa politique a connu des dérives largement contestables, l’Afrique est aussi demandeuse d’une certaine présence de la France sur le continent. Quelle politique africaine la France met-elle en œuvre après avoir accordé l’indépendance aux Etats de son ex-empire colonial d’Afrique subsaharienne ? Comment cette politique évolue-t-elle et s’adapte-t-elle face aux bouleversements que connaîtra le contexte international depuis les années 1960 ? La France a-t-elle encore un rôle à jouer en Afrique, et si oui, lequel et selon quelles modalités ? Répondre à ces questions nécessite d’abord de s’intéresser aux modalités du maintien de l’influence française dans les divers registres où celle-ci s’exprime sur ses ex-colonies, ainsi qu’à la tentative d’élargissement du « pré carré » traditionnel français juste après les indépendances. Puis les réformes de cette politique à la suite de critiques dont elle a pu faire l’objet et aux bouleversements internationaux des années 1990 seront examinées. Une deuxième partie sera consacrée à l’européanisation de la politique française en Afrique, aussi bien dans les domaines économique, politique, d’aide au développement ou encore la sécurité et la défense. Enfin, une troisième partie s’attachera à considérer la nouvelle donne introduite en Afrique par la venue de nouveaux acteurs, et dans quelle mesure ceux-ci y bousculent la politique de la France. 6 PARTIE 1 : La politique de la France en Afrique Les relations entre la France et l’Afrique sub-saharienne sont anciennes. Dès le XVIIème siècle, des comptoirs sont fondés sur les côtes de Guinée et du Sénégal pour intensifier la traite des esclaves, et une présence est établie sur les îles Bourbon (future île de la Réunion) et de France (future île Maurice), ainsi qu’à Madagascar. Mais c’est au XIXème siècle, dans le cadre des rivalités impériales des grandes nations européennes, que celles-ci se partageront l’Afrique. Pour la France, le phénomène s’accentue à partir de 1871 en vue de compenser la défaite contre la Prusse avec la perte de l’ « Alsace-Lorraine », afin de recouvrer une position dominante dans le concert des nations européennes. Les empires coloniaux atteindront leurs étendues maximales pendant l’entre deux guerres et leur apogée sera consacrée en France par l’Exposition coloniale internationale de Paris, au Bois de Vincennes en 19311. Les deux principales puissances coloniales en Afrique sont le Royaume-Uni et la France. La majeure partie de l’Afrique de l’Ouest, du Sénégal (Afrique Occidentale Française ou A.O.F.) à l’Oubangui-Chari (Afrique Equatoriale Française ou A.E.F.) ainsi que Madagascar, la Réunion, les Comores et la Côte française des Somalis (actuel Djibouti) sont sous influence française. Les possessions et mandats britanniques, bien que présents à l’Ouest (la Gambie, le Sierra Leone, la Golden Coast, la Nigeria et le West Kamroon) se situent surtout à l’Est et au Sud du continent, de l’Egypte à l’Union Sud Africaine. Les autres Etats européens présents de façon plus limitée en Afrique sont la Belgique, le Portugal, l’Espagne et l’Italie. Seules l’Abyssinie (actuelle Ethiopie) et le Libéria échapperont à la colonisation, malgré une courte présence italienne de cinq ans pour la première. 1 Encyclopédie Larousse en ligne, http://www.larousse.fr/encyclopedie/autreregion/Empire_colonial_fran%C3%A7ais/120109, consultée le 11 octobre 2013. 7 Figure 1 : Les domaines coloniaux en Afrique en 19251 La Seconde Guerre Mondiale détruit définitivement le prestige de l’Europe, déjà gravement entamé au lendemain de la Première Guerre Mondiale. Les puissances européennes en déclin et ruinées ne peuvent pas ignorer le nouveau contexte international marqué par la promotion du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, principe issu de la Révolution française de 1789, et de son corollaire : la décolonisation. L’indépendance est donc accordée successivement et de façon plus ou moins pacifique à toutes les possessions européennes entre 1957 (Ghana, ex-Golden Coast) et 1975 (domaine colonial portugais). Toutefois, la France n’est pas prête à renoncer à aux avantages stratégiques et économiques qu’elle détenait en Afrique. De plus, le contexte de la Guerre froide pousse les occidentaux à garder leur zone d’influence en Afrique pour contrer l’expansion soviétique. 1 Atlas Historique, http://www.atlas-historique.net/1914-1945/cartes_popups/Afrique1925GF.html, consulté le 11 octobre 2013 8 A ce titre, le message que le Président de Gaulle adresse à son homologue gabonais Léon M’Ba le 5 juillet 1960 est assez évocateur : « On donne l’indépendance à condition que l’Etat, une fois indépendant, s’engage à respecter les accords de coopération conclus. Il y a deux systèmes qui entrent en vigueur simultanément : indépendance et accords de coopération. L’un ne va pas sans l’autre. »1 La France signe donc avec la plupart de ses anciennes colonies des dispositifs de coopération, dans des domaines aussi variés que la sécurité, la monnaie, l’aide au développement ou encore la culture. Les nouveaux Etats indépendants se trouvent inscrits, de fait, dans une forme de continuité avec la situation de subordination de l’époque coloniale. I. Des indépendances aux années 1990 : le maintien de la tutelle française 1. Les accords de défense et de coopération militaire Des accords de défense et des accords de coopération militaire sont signés entre la France et la plupart de ses anciennes colonies. Ceux-ci sont nécessaires dans la mesure où les armées nationales africaines sont souvent déstructurées et incompétentes, et donc inaptes à assurer la Défense de leur pays contre des mouvements rebelles ou des attaques extérieures. Le but des accords de Défense est de permettre une intervention militaire française quand l’Etat partie à l’accord subit une agression extérieure. Cela implique l’autorisation de stationnement de troupes françaises dans le pays signataire. Juridiquement, l’accord de Défense ne permet pas d’intervenir contre un mouvement d’insurrection nationale, mais seulement en cas d’attaque de pays tiers et de bandes armées. En cas de conflit interne, le Droit international n’autorise donc pas la France à prendre part aux hostilités en invoquant des accords de Défense conclus. Mais une confusion est entretenue pour que la distinction entre agression extérieure et insurrection soit floue. De plus, ces accords comportent de nombreuses clauses secrètes que même le Parlement français ignore, alors qu’il est normalement compétent en la matière. 1 M’Zali Abderrahmane, La Coopération franco-africaine en matière de Défense, Etudes africaines, l’Harmattan, Paris, 2011, p. 26 9 Cette opacité masque les clauses les plus controversées qui protègent certains chefs d’Etats africains « amis » de la France (mais pas forcément démocratiques), afin que les intérêts français perdurent en Afrique. Avec ces accords de Défense, la France dispose en Afrique d’une présence militaire unique, dont ne dispose aucun autre Etat occidental en Afrique. Certains voient ces accords comme la prolongation de la colonisation par d’autres moyens qui rendent les indépendances des Etats parties plus théorique que réelle. Si les accords de Défense autorisent une intervention militaire française sur le territoire de l’Etat africain partie au traité, les accords de coopération militaire permettent la formation, l’équipement et l’encadrement de l’armée de l’Etat partenaire par la France. Même si en Droit les accords de coopération militaire sont moins controversés, ils ne sont pas exempts de polémiques. A ce sujet, la plus évocatrice est celle du Rwanda en 1994, lorsque la France a été accusée d’avoir équipé et encadré l’Armée rwandaise, responsable d’une partie du génocide. Les Etats africains qui coopèrent le plus avec la France sont pour l’essentiel des anciennes colonies françaises : Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo-Brazzaville, Côted’Ivoire, Djibouti, Gabon, Sénégal, Tchad et Zaïre (depuis 1997, République Démocratique du Congo). Celles-ci concluent des accords de Défense qu’elles associent à des accords de coopération militaire. Les autres Etats se limitent à la coopération militaire. Certains Etats qui n’avaient pas signé d’accords de coopération militaire dès la décolonisation ont dû s‘y résoudre plus tard, parce que les indépendances en Afrique se sont accompagnées de la prolifération de conflits internes ou régionaux. Notons que si les Etats du Maghreb ont des relations importantes avec la France, ils ne font pas partie du « pré carré » français. Les conditions difficiles de leur décolonisation, surtout pour l’Algérie, les poussent toujours à adopter une attitude méfiante envers la France. La France est ainsi la puissance étrangère la mieux intégrée en Afrique. Elle est la seule grande puissance qui a su négocier des accords qui lui confèrent une influence sur le continent - au détriment de la souveraineté des Etats – à tel point qu’elle est appelée « le gendarme de l’Occident en Afrique ». Elle peut assurer le maintien de la paix sur des territoires de régimes politiques « amis », diriger des opérations militaires et humanitaires et sauver des régimes politiques alliés. Cette place stratégique privilégiée n’est pas due au hasard mais a une politique volontariste française qui, contrairement aux autres anciens empires coloniaux européens, a cherché à maintenir son influence en Afrique après la vague 10 des indépendances. Même le Commonwealth britannique a instauré des relations beaucoup moins intenses et moins étendues avec ses ex colonies que ne l’a fait la France. 2. Les accords de coopération monétaire L'émergence de la zone franc est liée à la crise de 1929 et à la nécessité, dans un monde qui se fragmente en différentes zones monétaires, de garantir une stabilité monétaire autour du maintien de la convertibilité avec le franc français. Formellement créée en septembre 1939 par un décret instaurant une législation des changes commune pour tous les territoires de l'empire colonial français, la zone franc est maintenue après les indépendances. En effet, la France et ses anciennes colonies signent des accords bilatéraux de coopération monétaire. Celles-ci demeurent néanmoins libres d’émettre leur propre monnaie, et de quitter ainsi la Zone franc, tout en maintenant une coopération monétaire avec la France La Zone franc regroupe deux zones monétaires en Afrique : - les États membres de l'Union monétaire Ouest africaine (UMOA) - Bénin, Burkina-Faso, Côte-d'Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo, ainsi que la Guinée Bissau (ancienne colonie portugaise lusophone) - qui se sont constitués en union monétaire par le traité du 14 novembre 1973 ; - les États membres de l'Union monétaire d'Afrique centrale (UMAC) - Cameroun, Tchad, Centrafrique, Congo, Gabon et Guinée équatoriale depuis 1985 (elle aussi ancienne colonie portugaise lusophone) - qui se sont constitués en union monétaire par le traité du 23 novembre 1972. La monnaie commune, le Franc-C.F.A (anciennement Franc des Colonies Françaises d’Afrique, aujourd’hui franc de la Communauté Financière africaine) et l’harmonisation des législations bancaires en zone franc favorisent l’implantation des banques françaises et l’intensification des échanges économiques entre la France et les pays de la zone, parce que les mouvements de capitaux et les transactions commerciales et financières sont libres (1990) Ces unions monétaires sont complétées par des unions économiques, lors de l’adoption du Traité constitutif de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (U.E.M.O.A.) et du Traité instituant la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (C.E.M.A.C.). Ils sont signés respectivement le 10 janvier 1994 à Dakar et le 16 mars 1994 à N’Djamena au 11 Tchad entre les États membres de chacune des deux unions monétaires, héritage des ancienne A.O.F. et A.E.F. Les partenariats régionaux en sont ainsi renforcés.1 Ainsi, la zone Franc est un legs de l’époque coloniale qui contribue à donner à la France un avantage stratégique en Afrique sur les autres pays. Toutefois, la zone C.F.A. qui fut longtemps un vecteur de pénétration des marchés pour les firmes françaises l’est de moins en moins. D’une part, la France est passé à l’Euro, comme nombre d’Etat européens. De l’autre, dans un marché mondialisé, l’essentiel des échanges est désormais libellé en dollar. 3. L’aide bilatérale au développement L’aide bilatérale au développement apparaît au tournant des années soixante, dans le contexte de la bipolarisation du monde issue de la Guerre froide et de la décolonisation. Elle est principalement mise en œuvre par les deux principales anciennes puissances colonisatrices européennes : la France et le Royaume-Uni. Fondée sur des accords de coopération, l’aide bilatérale est l’un des moyens qui permet aux anciennes métropoles d’entretenir une relation de tutelle sur ses ex colonies et de se réapproprier un espace géopolitique majeur au sud du Sahara.2 L’aide bilatérale au développement ne se limite pas à la mobilisation de financements conséquents. La France influence la manière dont ces programmes sont conçus et mis en œuvre. Pour ce faire, les accords bilatéraux lui permettent d’être matériellement présente sur le terrain de la mise en œuvre des actions de développement, dans les pays bénéficiaires. Etant donné l’ancrage français de longue date en Afrique subsaharienne, celle-ci dispose d’une expérience sur le terrain qui facilite la mise en place des programmes d’aide. a) L’aide liée De plus, paradoxalement, la France gagne économiquement à aider financièrement les pays en développement. En effet, jusqu’au début des années 2000, l’aide est liée. Cela 1 Ministère de l’Economie et des Finances et Ministère du Commerce extérieur, Direction générale du Trésor, https://www.tresor.economie.gouv.fr/cooperation-monetaire-la-zone-franc/DocumentsReference, consulté le 17 octobre 2013 2 SIMON Thierry, « Permanences bilatérales dans l’aide au développement en Afrique subsaharienne », EchoGéo [en ligne], n°14, septembre 2010/novembre 2010, consulté le 22 octobre 2013. 12 implique que les Etats africains ont l’obligation de confier aux seules entreprises françaises les projets financés par la Caisse Centrale de coopération économique (l’actuelle Agence française de développement). Les aides apportées par la France en Afrique ont donc des effets bénéfiques sur l’économie française. Le rapport d’Yves Berthelot et de Jacques de Brandt1 demandé par le gouvernement Rocard (1980) mesure l’impact de l’aide publique française sur les exportations et les emplois en France. Il constate que le taux de retour moyen est d’environ 70%, ce qui est loin d’être négligeable. Ces retours directs correspondent à des sommes dépensées en France : montant des contrats obtenus par les entreprises françaises, achats de produits français, transferts au profit d’une personne physique ou morale française. La coopération économique entre la France et les pays africains favorise aussi la création d’emplois allant à des citoyens français dans plusieurs Etats africains. En conséquence, on voit qu'en aidant les pays africains, la France s'y retrouve largement. b) Une volonté d’élargissement de la zone d’influence française initiale En 1960, l’espace où la France octroie une aide bilatérale au développement correspond aux Etats nouvellement indépendants de l’Afrique Occidentale Française (A.O.F.) et de l’Afrique Equatoriale Française (A.E.F.), plus Madagascar. Cet espace concorde avec l’ancien « pré carré » de la présence française presque séculaire dans cette partie du monde. Mais la France, en quête d’une influence de plus en plus étendue, cherche à multiplier les accords bilatéraux d’aide au développement. Dès 1963, un premier élargissement a lieu avec l’entrée de trois pays qui sont des anciennes possessions belges : le Burundi, le Rwanda (ex protectorat du Ruanda-Urundi) et surtout l’immense Congo Léopoldville, qui deviendra le Zaïre en 1971, puis la République Démocratique du Congo en 1997. En 1976, une nouvelle extension vient battre en brèche une règle implicite qui consistait à cantonner l’aide bilatérale à des territoires francophones. Trois Etats lusophones, anciennes colonies portugaises tout justes devenues indépendantes à la suite de la "Révolution des œillets", à Lisbonne (1974), sont intégrés au « pré carré » de la coopération française : l’archipel du Cap Vert, la Guinée-Bissau et Sao Tomé et Principe. 1 BERTHELOT Yves et de BRANDT Jacques, Impact des relations avec le Tiers monde sur l’économie française, Paris, La documentation française, 1982, pp. 198 - 199 13 Djibouti intègre le champ dès son indépendance acquise en 1977 seulement, suivi par les Comores en 1978, la Guinée Equatoriale (ex-colonie espagnole) et la Guinée Conakry en 1984. L’élargissement prend une autre dimension en 1995 dans la mesure où pas moins de dix-huit nouveaux pays africains sont intégrés dans cet espace de coopération entièrement redessiné. Ces pays africains sont pour la plupart d’anciennes colonies britanniques, et certains ont un poids démographique et économique considérables. Il s’agit par exemple de l’Afrique du Sud, véritable puissance régionale et continentale ; de la Nigéria, « géant » à l’angle du Golfe de Guinée, à la croisée de frontières culturelles capitales pour le continent ; ou encore du Soudan (pas encore amputé du Sud Soudan), Etat en grande instabilité récurrente, mais future puissance pétrolière majeure et clef géopolitique à l'Est du Sahel. La France s’est ainsi évertuée à inscrire prioritairement son action d’aide au développement dans un champ africain afin de maintenir des liens avec ce continent. Une continuité des appuis financiers existe de longue date dans cette région. En effet, l’Afrique subsaharienne demeure toujours la destination majoritaire de ces aides. Elle en a reçu plus de 90 % dans les années soixante, 80 % dans les années soixante dix, 63 % en 1995, 58 % en 2005, 55 % en 20111. Même si au cours du temps la part de l’aide à destination de l’Afrique diminue, l’Afrique reste la priorité géographique de la coopération française. En outre, la France n’abandonne pas l’aide bilatérale malgré sa contribution croissante aux budgets d’aide au développement de différentes organisations mondiales (Banque mondiale) et régionales (U.E.) qui veulent associer et coordonner les efforts des Etats contributeurs. Cela s’explique par sa volonté de rester ancré sur le terrain afin de garder son influence, alors que les fonds multilatéraux sont mobilisés de façon indifférenciée dans les pays bénéficiaires et y restreignent d’autant les marges de manœuvre géopolitique, économique, et en conséquence l’influence culturelle des Etats contributeurs. 1 Ministère des Affaires étrangères, l’Aide publique au Développement, http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/aide-au-developpement-et/dispositifs-etenjeux-de-l-aide-au/l-aide-publique-au-developpement/ , consulté le 10 octobre 2013 14 4. La langue française, lien entre la France et l’Afrique "Dans les décombres du colonialisme, nous avons trouvé cet outil merveilleux, la langue française", disait le poète Léopold Sédar Senghor, premier président du Sénégal indépendant. Cette formule reflète la volonté des pères fondateurs de la Francophonie institutionnelle (Senghor et ses homologues : le tunisien Habib Bourguiba et le nigérien Hamani Diori) de mettre à profit la langue française au service de la solidarité, du développement et du rapprochement des peuples par le dialogue permanent des cultures et des civilisations.1 a) L’A.C.C.T. Ce projet aboutissait le 20 mars 1970 à la signature de la Convention créant l’Agence de coopération culturelle et technique (A.C.C.T.) par les représentants de vingt-et-un Etats et gouvernements, dont treize d’Afrique subsaharienne, à Niamey (Niger). Cette nouvelle organisation intergouvernementale était fondée sur le partage de la langue française, en vue de promouvoir, de diffuser et d’intensifier la coopération technique et les échanges culturels. Notons que les Alliances françaises diffusaient déjà la langue française et les cultures francophones, mais cela semblait ne pas suffire. En effet, il s’agissait désormais, sur une base de réciprocité, de favoriser des échanges multiculturels utilisant la langue française et ne plus se contenter du seul enseignement de la langue. A titre d’exemple, l’A.C.C.T. met en place à partir de 1986 des Centres de lecture et d’animation culturelle (C.L.A.C.) qui offrent aux populations des zones rurales et des quartiers défavorisés un accès aux livres et à la culture. On en dénombre aujourd’hui deux cent quatre vingt quinze, répartis dans vingt-et-un pays. Par ailleurs, le premier Marché des arts du spectacle africain (M.A.S.A.) est organisé à Abidjan (Côte d’Ivoire) en 1993. Parallèlement, un programme d’appui à la circulation des artistes et de leurs œuvres est lancé, ouvrant les frontières aux créations d’arts vivants : art du conte, théâtre, danse, musique. Le projet francophone évolue régulièrement. L’A.C.C.T. devient en 1998 l’Agence intergouvernementale de la Francophonie et, en 2005, l’Organisation internationale de la Francophonie (O.I.F.). 1 Organisation Internationale de la Francophonie, http://www.francophonie.org/L-Organisation-internationalede-42707.html, consulté le 8 octobre 2013 15 b) Les sommets de la Francophonie Dès 1986, à l’initiative du Président de la République française, le premier Sommet de la Francophonie réunit les chefs d’État et de gouvernement des pays francophones à Versailles. Trente-trois Etats, dont dix-huit d’Afrique subsaharienne y participent. Ils retiennent trois axes essentiels de coopération multilatérale : le développement en général, les industries de la culture et de la communication, ainsi que le développement technologique couplé à la recherche et à l’information scientifique. En 2000, au Mali, la Francophonie adopte la « Déclaration de Bamako », texte contraignant pour les membres qui ne respectent pas les valeurs démocratiques qu’elle promeut. A la culture et à l’éducation, domaines originels de la coopération francophone, se sont ajoutés, au fil des Sommets, le champ politique (paix, démocratie et droits de l’Homme), le développement durable, l’économie et les technologies numériques. Par ailleurs, le nombre de membres de l’O.I.F. n’a cessé d’augmenter pour atteindre en 2013 soixante dix-sept Etats et gouvernements membres, dont trente d’Afrique subsaharienne. La place de la France sur la scène internationale s’en trouve donc progressivement renforcée, au risque d'une certaine dilution dans un vaste espace géographique et géopolitique jusque-là étranger à sa sphère d'influence traditionnelle. Ainsi, pour développer les domaines de coopération traditionnels en Afrique (économie, défense...), la France a su se servir de sa langue pour y maintenir, voire y renforcer son influence en Afrique. 5. Les sommets France - Afrique La création des sommets franco-africains est de l’initiative des Etats africains francophones. Le président nigérien Diori Hamani en est véritablement l’inventeur. En 1970, lors d’un entretien avec Jacques Foccart alors secrétaire général de l'Élysée aux affaires africaines et malgaches, il lui confie ceci : « nos relations ne sont plus les mêmes qu’il y a dix ans. Vous ne nous consultez plus. (...) Il y a bien des réunions interministérielles, mais les 16 ministres ne traitent que de problèmes techniques. Il faut que nous ayons une réunion francoafricaine au sommet autour du président Pompidou pour faire un point politique sérieux.»1 En 1973, les présidents Senghor (Sénégal) et Houphouët-Boigny (Côte d’Ivoire), appuyés par la suite par les Présidents Bongo (Gabon), Eyadema (Togo), Lamizana (Burkina Fasso) et Bokassa (République centrafricaine) souhaitent regrouper leurs doléances face à la France plutôt que de voir de façon anarchique tous les chefs d’Etat africains venir tous les ans en France. La première conférence a lieu à Paris le 13 novembre 1973 autour du Président Pompidou, au cours de laquelle le Président du Niger en demande la pérennisation à un rythme annuel. Cette sollicitation africaine de la France montre que si les ex possessions françaises sont officiellement devenues indépendantes, elles restent en pratique dépendantes de la France. a) Les deux grands thèmes : l’économie et la sécurité. Les enjeux économiques discutés se rapportent aussi bien à l’accroissement de l’aide financière et technique pour développer l’intégration régionale qu’au réajustement de la dette africaine, ou encore à la revalorisation des matières premières. L’amélioration des conventions de Yaoundé, puis de Lomé et de Cotonou entre nombre de pays africains et la Communauté Economique Européenne est aussi évoquée. La France est donc sollicitée comme interlocuteur pour plaider pour l’Afrique au niveau régional et mondial. Les questions débattues autour de la sécurité concernent les crises faisant l’actualité au moment de chacun des sommets et pour lesquelles les africains sollicitent l’aide de la France en vue de les résoudre. A titre d’exemple sont évoqués les problèmes relatifs au Sahara occidental, à l’Afrique du Sud, à la Namibie, mais surtout au conflit Tchad-Libye, qui est l’un de ceux qui alimente le plus les débats des sommets franco-africains. Il est abordé sans interruption du sommet de Nice (1980) à celui de Casablanca (1988). Certains belligérants n’apprécient pas l’intervention de la France dans leurs affaires, à l’instar du Colonel Kadhafi qui déclare lors de la douzième conférence franco-africaine de Paris (1985) que ces sommets sont « une forme d’aliénation, de subordination, une honte pour l’Afrique, une contradiction flagrante avec l’indépendance des pays qui y participent. (...) Cette forme de réunion doit 1 Cité par POKAM Hilaire de Prince, Le Multilatéralisme franco-africain à l’épreuve des puissances, Défense Stratégie & Relations Internationales, L’Harmattan, Paris, 2013, p.112 17 disparaître complètement. » 1 . Néanmoins, la France reste le principal arbitre garant de la sécurité régionale. Le principal enjeu pour les représentants français est à chaque fois de faire la preuve de l’aptitude de la France à contrôler les relations entre tous les Etats membres et ainsi à montrer qu’il est de l’intérêt de tous à rester groupé sous sa direction. b) L’élargissement de la zone d’influence initiale C’est à travers la mobilisation progressive des Etats africains aux sommets francoafricains que les dirigeants français parviennent à consolider et à élargir leur zone d’influence initiale. Au premier sommet de 1973, les onze pays africains représentés sont tous d’anciennes colonies françaises, membres de la zone Franc et francophones. En s’appuyant sur les conférences franco-africaines, les dirigeants français se rapprochent d’Etats qui ne se rattachaient pas à sa zone d’influence traditionnelle. Cette initiative trouve son fondement tant dans les textes des accords passés que dans la pratique institutionnelle. Selon le rapport Gorse (1971), le redéploiement doit concerner d’abord l’Afrique noire anglophone, tandis que le rapport Abelin (1975) rappelle de privilégier les relations avec les pays francophones. Selon ce dernier, l’élargissement doit s’appliquer d’abord aux anciennes colonies belges et à ceux qui déclarent vouloir faire du français la langue principale dans leurs relations internationales. Dans la pratique, les sommets amorcent leurs élargissements en 1975 en accueillant les dirigeants d’anciennes colonies belges (Zaïre, Burundi et Rwanda), puis portugaises (CapVert, Guinée-Bissau, Sao- Tomé et Principe), et à partir de 1979 des pays anglophones tels que le Libéria. Quarante-cinq pays seront représentés au sommet d’Ouagadougou en 1996. Ainsi, après avoir accordé l’indépendance à toutes ses ex colonies d’Afrique subsaharienne, la France met en place un large dispositif de coopération couvrant de nombreux aspects : dialogue politique lors les sommets France-Afrique, accords de défense et de coopération militaire, coopération monétaire, aide au développement, coopération culturelle. Mais, ce faisant, la France est accusée par ceux qui voudraient s’implanter dans son « pré carré » africain de vouloir poursuivre la colonisation par d’autres moyens afin de 1 Cité par Le Monde du 13 décembre 1985 18 préserver ses propres intérêts économiques et stratégiques sur le continent, quitte à soutenir des régimes autoritaires et corrompus. Les critiques de plus en plus vives stigmatisant cette dérive de type néocoloniale et antidémocratique poussent la France à rénover sa politique de coopération, afin de l’adapter au contexte diplomatique des années 1990 qui cherche (au moins officiellement) à débarrasser l’Afrique des effets du néocolonialisme et de la Guerre froide. II. L’inflexion des années 1990 : « ni ingérence, ni indifférence » Cinq éléments semblent révélateurs de la réforme de la politique française en Afrique : le conditionnement de l’aide à la mise en place de la démocratie, la mise en place du programme RECAMP, le discours de Cotonou, les nouvelles orientations de la politique de sécurité et de défense et enfin l’évolution de l’aide au développement. 1. Le sommet de La Baule : la mise en place de la démocratie contre une aide majorée Le contexte international des années 1990 joue un rôle indéniable dans le vent qui souffle en faveur de la démocratie sur le continent africain. La chute des régimes autoritaires et de l’idéologie communiste en ex-U.R.S.S. et en Europe de l’Est est à l’origine d’un ample mouvement de démocratisation. En Amérique latine, en Europe centrale et orientale comme en Afrique, la démocratie s’impose progressivement comme le cadre de référence politique incontournable, d’autant plus qu’elle est considérée comme indispensable au développement économique. Elle est promue partout, tant au sein de l’ONU que dans le cadre d’organisations régionales.1 Lors du sommet franco-africain de La Baule en 1990, le Président Mitterrand déclare que « la France liera tout son effort de contribution aux efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de liberté ; Il y aura une aide normale de la France à l’égard des pays africains, mais il est évident que cette aide sera plus tiède envers ceux qui se comporteraient de façon autoritaire, et plus enthousiaste envers ceux qui franchiront, avec courage, ce pas vers la démocratisation... ». Et de préciser : « s'agissant de démocratie, un schéma est tout 1 POKAM Hilaire de Prince, Communauté Internationale et gouvernance démocratique en Afrique, collection Affaires Stratégiques, L’Harmattan, Paris, 2012, p.7 19 prêt : système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure…. ». Le paradoxe du discours en faveur de la démocratie réside dans le fait que la chute du Mur de Berlin et la disparition du Rideau de fer en 1990 en Europe de l’Est font perdre au continent africain son statut de terrain d’affrontement idéologique, politique, économique et militaire entre les blocs capitaliste et socialiste, ce dernier disparaissant. Ainsi, une des motivations essentielles de l’aide publique au développement disparaissait, et soudain l’Est se substitue au Sud dans les priorités des Etats occidentaux. De fait, entre 1990 et 2001, les montants alloués à l’aide au développement pour l’Afrique subsaharienne passaient de trentequatre à vingt-et-un dollars par habitant et par an (avec il est vrai une démographie en hausse sur la période considérée). Les retombées promises de la démocratie ne sont donc pas au rendez-vous1, et cela est perçu par les africains comme un « lâchage » de la part de l’ancienne métropole. De plus, l’Europe cherche à diffuser son propre modèle d’organisation politique et sociétal en semblant oublier qu’il est issu de sa propre culture, et donc qu’il n’est pas susceptible de s’implanter facilement dans n’importe quel contexte. Le Représentant des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest, Saïd Djinnit, explique bien la difficulté de la situation : « L’Afrique est confrontée à de nombreux dilemmes. Elle veut la paix, elle veut le développement, elle veut aussi la démocratie et la justice. Parfois ces principes sont contradictoires. Si à un moment donné il y a un choix à faire, l’Afrique se rangera toujours du côté de la paix. La paix et la stabilité priment toujours sur le reste. Non pas parce que le reste ne compte pas, mais parce qu’il n’y a pas d’autre solution. »2. La France accorde donc une prime à la démocratisation des régimes africains. Cependant, un préalable indispensable à la démocratisation est l’établissement de la paix. C’est pourquoi la France met en œuvre un programme de Renforcement des Capacités Africaines de Maintien de la Paix (RECAMP). 1 SENAT, Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur la politique africaine de la France, par M. Josselin de Rohan, 28 février 2011, p.18 2 DJINNIT Saïd, cité par le Rapport d’information du SENAT, ibid., p.11 20 2. RECAMP : un programme pour l’autonomisation de l’Afrique en matière de défense En 1997, Lionel Jospin, alors Premier ministre, définit la nouvelle politique africaine de la France avec la formule « ni ingérence, ni indifférence ». La France marque ainsi sa volonté de diminuer ses interventions directes et unilatérales en Afrique, sans pour autant laisser les africains livrés à eux-mêmes en matière de sécurité. Dorénavant, ses interventions s’inscrivent dans un contexte multilatéral, dans la mesure où elles s’appuient sur des décisions prises dans un cadre européen et onusien (cf. infra). Par ailleurs, consciente de la faiblesse opérationnelle des armées africaines et de la nécessité de rendre l’Afrique autonome en matière de défense, la France met en place en 1997 un programme de Renforcement des Capacités Africaines de Maintien de la Paix (RECAMP). Celui-ci vise à aider les Etats africains à assurer eux-mêmes la sécurité du continent dans un cadre régional, et cela en coordination avec l'Organisation des Nations unies (O.N.U.), dans les domaines de la prévention et de la gestion des conflits. Les principaux axes du programme sont la formation, l'entraînement et l'équipement de militaires ayant vocation à intervenir dans un pays de leur région. En conséquence, ce programme œuvre résolument au renforcement des organisations régionales africaines, avec l’objectif de voir les interventions françaises se réduire progressivement à un rôle de soutien plutôt qu'à des actions directes et solitaires. Une autre finalité est que la France ne se limite plus à son seul ancien "pré carré" africain. Certains voient dans ce programme une nette rupture avec le colonialisme qui était jusqu’alors stigmatisé, puisque cette politique encourage les Africains à prendre leur destin en main. D’autres dénoncent au contraire l’hypocrisie de cette solution motivée par des considérations budgétaires, puisque « faire faire » est moins couteux que « faire ». Parallèlement, il faut noter que les Britanniques et les Américains ont mis en place des dispositifs comparables : un « Fonds commun pour la prévention des conflits en Afrique » (Africa Conflict Prevention Pool, A.C.P.P.) pour les premiers et un programme d'aide et d'entraînement aux opérations de crises africaines (African Contingency Operations Training Assistance, A.C.O.T.A.) pour les seconds. 21 3. Le discours de Cotonou : deux idées nouvelles Le discours de Cotonou (Bénin), prononcé par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur en 2006, comporte deux idées nouvelles. Il introduit la notion « d'immigration choisie », c'est-à-dire « régulée, organisée, négociée entre les pays d'origine et les pays de destination ». Il affirme également que la relation entre l'Afrique et la France n'est pas une relation d'exclusivité. Si la relation avec le continent africain constitue une priorité de l'action diplomatique de la France « il n'y a pas de chasse gardée». Par ailleurs, la nécessité de maintenir des bases militaires françaises en Afrique est réaffirmée, afin de permettre la prévention des crises et d’œuvrer au renforcement des capacités africaines de maintien de la paix. « [les bases militaires ont pour mission] d'aider l'Union africaine à construire une architecture de paix et de sécurité régionale qui permettra au continent de disposer d'un outil pour mieux assurer, solidairement, sa sécurité et sa stabilité » déclare N.Sarkozy. 4. Les nouvelles orientations de la politique de sécurité et de défense de la France en Afrique à partir de 2008. En 2008, les nouvelles orientations de la politique africaine de la France sont données lors du discours du Président Sarkozy au Cap (Afrique du Sud), mais aussi dans le rapport d’information de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée Nationale sur la politique de la France en Afrique. a) Renégociation des accords de Défense : transparence et multilatéralisme C’est lors du discours du Cap que le Président français annonce sa volonté de renégocier les accords de Défense avec ses partenaires africains, afin que ceux-ci deviennent totalement transparents. Alors que les accords précédents accords contenaient des clauses secrètes permettant à l'armée française d'intervenir en cas de troubles intérieurs, le texte des nouveaux accords l’interdit de manière explicite. De plus, le Parlement français est maintenant étroitement associé aux grandes orientations de la politique de la France en Afrique, qui, ainsi, ne fait plus partie du « domaine réservé » du Chef de l’Etat, comme c’était l’usage depuis le début de la Cinquième République. 22 La renégociation de ces accords controversés a effectivement eu lieu en 2009 pour le Cameroun et le Togo, puis les mois suivants pour le Gabon, la Centrafrique, les Comores, Djibouti, la Côte d'Ivoire, et enfin, en 2012, le Sénégal. L'objectif prioritaire de la présence militaire française en Afrique est désormais orienté vers l'aide apportée à bâtir le dispositif de sécurité collective, en particulier avec la mise en place des « forces en attente » de l'Union africaine. La référence au respect de la souveraineté, de l'indépendance et de l'intégrité territoriale des partenaires vise à manifester la volonté de non-ingérence dans les affaires intérieures de chacun des Etats concernés. Enfin, ces accords comportent une dimension multilatérale prévoyant l'association au partenariat de défense d'autres pays africains ou européens, ainsi que les institutions de l'Union européenne et de l'Union africaine et les ensembles sous régionaux de cette dernière. Les systèmes de sécurité collective de l'ONU et de l'Union africaine sont pris en compte ainsi que le partenariat stratégique Afrique-Union européenne défini à Lisbonne en 2007 (cf. infra) Cette nouvelle donne juridique s'inscrit dans un projet plus vaste de réorganisation du dispositif militaire français sur le continent. Définie par le Livre blanc sur la sécurité et la défense publié en juin 2008, elle est dictée autant par des considérations budgétaires - la présence française en Afrique pesait 800 millions d'euros par an en 2008 - que par des visées géopolitiques et géostratégiques autres. La France souhaitait alors réorienter ses efforts et sa présence au Moyen-Orient (plus précisément dans le Golfe, avec une présence aérienne et navale, et au-delà, avec une participation à la guerre en Afghanistan). On observe que les changements de priorités en politique internationale décrits ci-dessus s'inscrivent à la suite du choix fait par la France, à cette époque, de ré-intégrer la structure militaire intégrée de l'OTAN, que le Général de Gaulle lui avait fait quitter quatre décennies plus tôt, en 1967. b) 2008 : vers un recul de la France en Afrique Les effectifs des forces françaises en Afrique subsaharienne ont été divisés par deux entre 1960 et 1980, passant de trente mille à quinze mille hommes. Cette décrue s’accentue entre 1995 et 2011 en suivant l'évolution de la professionnalisation des armées françaises. Elles atteignent aujourd’hui, toutes forces confondues, moins de dix mille hommes. 23 La diminution des effectifs implique une concentration des moyens français, et par conséquent une diminution du nombre de bases militaires. Le Livre blanc sur la sécurité et la défense de 2008 expose clairement que : « notre dispositif devra comprendre, à terme, une présence sur la façade atlantique du continent africain, une sur sa façade orientale(...) » Ainsi, une cérémonie de restitution symbolique des emprises occupées par les forces françaises au Sénégal a eu lieu au camp Bel Air le 9 juin 2010, et la France prévoit de ne conserver à Dakar qu'un simple « pôle opérationnel de coopération à vocation régionale », fort d'environ 300 militaires. c) 2013 : le retour de la France en Afrique suite à l’opération Serval au Mali En janvier 2013, la France lance l’opération Serval au Mali dans le en vue de contrer l’offensive victorieuse des forces djihadistes en direction de Bamako, afin de les empêcher d’y prendre le pouvoir alors qu’elles avaient déjà atteint le fleuve Niger et occupé Tombouctou. L’opération, menée dans le cadre de la résolution 2085 du Conseil de sécurité de l’O.N.U., est entièrement française, contrairement à ce qui avait été envisagé initialement. On observe que ni l’Union européenne, ni l’Union africaine n’ont participé à l’intervention, parce que d’une part il fallait intervenir sans délai, et d’autre part par manque de moyens disponibles et par excès de prudence. Les Etats européens ne portent pas tous le même intérêt à l’Afrique et tous connaissent des restrictions budgétaires qui affectent leurs forces armées. C’est pour ces raisons que l’Union européenne est heureuse de laisser la France intervenir seule sur le terrain dans son ancienne « chasse gardée » africaine, au risque de paraître renouer avec son passé et de se faire accuser de néo-colonialisme. L’Union européenne se contentera de déployer une mission (quatre cent cinquante militaires, dont deux cent instructeurs) destinée à former et à réorganiser l'armée malienne, à partir de la mi-février 2013. Pour ce qui est de la participation de l’Afrique, la France obtient un soutien de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) qui crée une Mission internationale de soutien au Mali (MISMA). Notons que lors de cette opération, la France n’hésite pas à s’allier avec les soldats tchadiens envoyés par le dictateur Idriss Deby, ce qui remet en cause la politique française de promotion de la démocratie. Quatre mois après le début de cette intervention est publié un nouveau Livre blanc sur la Défense et la Sécurité. Celui-ci porte la marque de l’opération Serval au Mali : alors que 24 Bercy comptait diminuer le budget militaire dans le cadre des réductions des dépenses publiques, le nouveau Livre blanc préconise pour l’essentiel le maintien du niveau global de crédits militaires pour la période à venir. En outre, non seulement il ne préconise plus le désengagement du continent, mais il rappelle l’importance stratégique et l’utilité pratique des prépositionnements et des bases militaires. En effet, la France n’aurait pas pu intervenir si rapidement au Mali si elle n’avait pas disposé de forces prépositionnées au Tchad et en Côte d’Ivoire. C’est dans cet esprit que le 22 avril 2013, la France vote la permanence d’une force d’appui au Mali. En octobre 2013, la France songe à intervenir militairement en République Centrafricaine, mise à feu et à sang par des groupes armés terroristes islamiques partis à la conquête du pays et déjà installés à Bangui, la capitale. S’il est probable qu’elle agisse de concert avec les contingents de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (MISCA), la France sera probablement le principal protagoniste de l’intervention, étant donné que les troupes africaines sont mal équipées, peu entrainées, pas toujours disciplinées et moins rapides à se mettre en place. L’opération Serval marque donc l’incapacité des organisations sous-régionales africaines de prendre en charge, seules, la sécurité du continent. Cette lacune implique que la France devra continuer à intervenir directement. Cela explique la récente inversion de la tendance de la politique de présence militaire française en Afrique, qui ne cherche plus à diminuer ses forces prépositionnées sur le continent. Pour autant, le temps de l’unilatéralisme est révolu. C’est désormais dans un cadre multilatéral que la France intervient en Afrique, avec l’accord juridique de l’O.N.U. et des organisations africaines, et avec sur le terrain, la collaboration plus ou moins significative d’autres armées, européennes ou africaines. En effet, l’O.N.U. constitue une source de légitimité indispensable et de protection contre toute accusation d’arbitraire qui pourrait être adressée à une opération décidée sans mandat international. 5. Les nouvelles orientations de la politique d’aide au développement de la France en Afrique à partir de 2008 L’aide française au développement devient multilatérale et se tourne vers le soutien à l’initiative privée pour favoriser la croissance et le développement. 25 a) Une aide de plus en plus multilatérale Comme de nombreuses autres politiques publiques, la politique d’aide au développement a été modifiée du fait la montée en puissance des engagements multilatéraux, notamment européens. En effet, le Fonds européen de développement (F.E.D.) occupe une place croissante dans l’aide française, dont il représente en 2008 près de 8 % du total. Si l’on y ajoute la contribution de la France au budget de l’Union européenne, on constate qu’environ 15 % de l’A.P.D. française (soit un montant de 1.885 millions de dollars en 2006) empruntent aujourd’hui le canal communautaire. Cette montée en puissance du volet multilatéral de l’aide française (de l’ordre de 7 % de progression annuelle pour la décennie 1997 à 2007) s’est accompagnée d’une diversification des objectifs. 1 En effet, la France agit aussi dans des domaines couverts par les Objectifs du millénaire en matière de santé (fonds SIDATuberculose-Paludisme) ou d’éducation, mais également pour la préservation des biens publics mondiaux. Toutefois, il convient de noter que l’aide publique bilatérale continue de représenter la majorité de l’aide de la France en Afrique. b) Discours du Cap en 2008 : les débuts d’un soutien à l’initiative privée pour favoriser le développement La nouveauté apportée à la politique d’aide au développement lors du sommet du Cap en 2008 est l’annonce du soutien à l’entreprise privée pour favoriser la croissance économique et la création d’emplois en Afrique. En effet, dans les pays en développement, les Très Petites Entreprises (T.P.E.) et les Petites et Moyennes Entreprises (P.M.E.) concentrent l’essentiel des emplois, hors agriculture. Le principal dispositif de cette initiative réside dans la création d’un fonds d’investissement pour faciliter l’accès des T.P.E. et des P.M.E. africaines aux crédits bancaires et au capital. Le Fonds d’Investissement et de Soutien aux Entreprises en Afrique (F.I.S.E.A) voit effectivement le jour le 20 avril 2009. Il est détenu par l’Agence française de Développement (A.F.D.) et géré par PROPARCO, la filiale de l’A.F.D. dédiée au financement du secteur privé dans les pays en développement et émergents. Il prend des 1 Assemblée Nationale, Rapport d’information déposé par la commission des Affaires étrangères, « La politique de la France en Afrique », 17 décembre 2008, consulté le 25 octobre 2013, disponible à l’adresse : http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i1332.asp#P482_131255 26 participations dans des entreprises, des banques, des institutions de microfinance et dans des fonds d’investissement déployant leur activité en Afrique subsaharienne. L’objectif affiché du F.I.S.E.A. est d’investir cinquante millions d’euros par an pour financer en cinq ans le développement d’une soixantaine d’entreprises et créer cent mille emplois.1 c) Sommet Afrique-France de 2010 : mise en valeur du rôle de l’entreprise privée dans le développement économique en Afrique Comme l’a souligné le Président de la République française lors de son discours au Cap en février 2008, la croissance économique de l’Afrique et la lutte contre la pauvreté dépendent de l’aide publique au développement mais aussi de l’accroissement du volume des investissements privés sur le continent. Cette nouvelle orientation de l’aide française au développement vers le soutien au secteur privé s'affirme dans la tendance donnée au vingt-cinquième sommet Afrique-France qui s'est tenu à Nice du 31 mai au 2 juin 2010. Cinq sujets économiques y ont été abordés : l’environnement des affaires ; le financement des entreprises en Afrique ; la formation professionnelle ; la responsabilité sociale et environnementale des entreprises ; et les sources d’énergie de demain. Cette ouverture au monde économique et social est une première dans l’histoire des sommets Afrique-France, à tel point que pour marquer l’évènement, le discours de clôture du sommet a été prononcé par Laurence Parisot, alors présidente du Mouvement des Entreprises de France (MEDEF). Ainsi, la politique de la France en Afrique connait une inflexion dans les années 1990, afin de ne plus laisser place à l’accusation de néocolonialisme, d’ingérence et de soutien envers des régimes autoritaires en vue d’y préserver les intérêts de l’ancienne métropole. 1 Agence Française de Développement, « Fonds d’Investissement et de Soutien aux Entreprises en Afrique : s’impliquer et investir aux côtés des entreprises africaines » [en ligne], Décembre 2009, Disponible à cette adresse : http://www.afd.fr/webdav/shared/PORTAILS/PUBLICATIONS/PLAQUETTES/AFD_FISEA_FR.pdf 27 Il en résulte une mise sous condition de l’aide accordée à la mise en place d’une gouvernance laissant toute sa place à la démocratie et au respect des Droits de l’Homme. Dans le même esprit, les accords de Défense sont renégociés afin d’en supprimer les clauses secrètes et de leur donner une dimension multilatérale, et d’y intégrer la mise en place du programme RECAMP afin d’aider l’Afrique à devenir autonome en matière de défense régionale. Toutefois, si le Libre blanc sur la sécurité et la défense de 2008 semblait s’orienter vers un retrait militaire progressif de la France en Afrique avec la diminution du nombre de bases militaires, l’opération Serval lancée au Mali en 2013 en inversera la tendance. Cette intervention met en exergue l’utilité des prépositionnements français en Afrique et l’ampleur du travail qu’il reste à accomplir pour rendre l’Afrique autonome en matière de Défense. Dans le domaine de l’aide au développement, on observe une multilatéralisation croissante de la contribution française avec toutefois le maintien d’une part importante d’aide bilatérale, qui s’oriente depuis 2008 vers le développement du secteur privé pour soutenir la croissance. Il convient maintenant de se pencher sur l’européanisation de la politique française en Afrique, concernant tant le commerce que l’aide au développement, ou encore la sécurité et la défense. 28 PARTIE 2 : Européanisation de la politique de la France en Afrique Il convient d’étudier ici la coopération en matière de commerce et l’aide au développement, la tentative d’élaboration d’un partenariat continental avec les sommets Union européenne-Union africaine, et enfin la stratégie européenne en matière de sécurité et de défense. I. La coopération européenne en matière de commerce et d’aide au développement La coopération entre l’Europe et les pays de d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (pays A.C.P., donc l’écrasante majorité se situe en Afrique) débute en 1957, avec la signature du Traité de Rome donnant naissance à la Communauté Economique Européenne (C.E.E.). La troisième partie du Traité envisage un régime d’association avec les Etats et des territoires d’outre-mer (le processus de décolonisation étant à peine amorcé), reposant sur les principes de libre commerce et d’aide au développement. La quatrième partie prévoit quant à elle la création d'un Fonds européen pour le développement (F.E.D.) financé par les Etats membres. Son objectif est de subvenir à tout programme contribuant au développement économique, social ou culturel des pays A.C.P. ainsi que des pays et territoires d'outre-mer (P.T.O.M.), afin d’éviter que ces pays ne tombent dans la zone d’influence de l’U.R.S.S. Chaque F.E.D. est conclu pour une période d'environ cinq ans et est renouvelé lors des Conventions de Yaoundé, de Lomé, de Cotonou et de leurs révisions. 1. Les Conventions de Yaoundé (1963 – 1975) : prolongement de la spécialisation et de la préférence coloniale. La première Convention de Yaoundé (Cameroun) est signée le 20 juillet 1963 entre l’Europe des Six et dix-huit « États africains et Madagascar Associés » (E.A.M.A.), désormais 29 indépendants. Elle octroie des avantages commerciaux et une aide financière aux anciennes colonies africaines en renouvelant le F.E.D. Sur le plan commercial, la Convention prolonge la spécialisation et la préférence coloniales. Elle permet aux produits tropicaux de conserver un débouché européen à de meilleures conditions de prix que celles offertes sur le marché mondial. Cela marque le début des « préférences commerciales » qui accordent un meilleur accès au marché européen pour les produits de base des nouveaux pays indépendants. Elle permet aussi aux anciennes métropoles coloniales de sécuriser leur approvisionnement et aux pays exportateurs de productions agricoles, souvent très spécialisés, de s’affranchir des fluctuations des cours sur les marchés mondiaux des matières premières. Il est à noter que dans bien des cas, les entreprises d’exportation des produits tropicaux africains sont à capitaux et sous management européen (dans le cadre de l’Europe des Six de l’époque), français pour l’essentiel. La deuxième Convention de Yaoundé n’introduit pas d’innovation majeure mais prévoit un troisième F.E.D. en 1970. 2. Les Conventions de Lomé (1975 – 2000) : innovations commerciales et conditionnement de l’aide Signée en 1975 et correspondant au quatrième FED, la première convention de Lomé (Togo) vise à intégrer certains pays du Commonwealth dans le programme de coopération, après l'adhésion du Royaume-Uni à la Communauté européenne en 1972. Trois innovations majeures figurent dans le domaine commercial : l’abandon de la réciprocité de la préférence commerciale, la création du fonds de stabilisation des recettes d’exportation (STABEX) et du système de développement du potentiel minier (SYSMIN). Désormais, les préférences accordées aux pays A.C.P. sont unilatérales et ces derniers ne sont pas tenus d’ouvrir leurs marchés aux exportations européennes. Le STABEX vise à corriger les fluctuations des cours des matières premières pour vingt-neuf, puis trente-trois produits. Il fonctionne comme une assurance garantissant un minimum de recettes d’exportation aux pays bénéficiaires, pour les produits représentant une part importante des recettes à l’exportation, et si la chute desdites recettes est significative. Le SYSMIN permet à un pays fortement dépendant d'un minerai particulier et 30 confronté à un recul de ses exportations d’accéder à des prêts. Il est conçu pour atténuer les conséquences de la dépendance d'un Etat à l'exportation de ses ressources minières. Pour ce qui est de l’aide financière, Lomé I donne la priorité aux infrastructures (construction de routes, de ponts, d’hôpitaux et d’écoles), ainsi qu’à l'agriculture vivrière. Ces priorités sont maintenues avec Lomé II (1980). La Convention de Lomé III (1985) continue de financer les infrastructures, mais donne la priorité aux projets de développement rural afin de promouvoir la sécurité alimentaire et de combattre la désertification et la sécheresse. La principale innovation de Lomé IV (1990) est introduite lors de sa révision en 1995, après la chute du Rideau de Fer et la démocratisation de l’Europe de l’Est. Elle donne une place centrale au respect des droits de l'Homme, des principes démocratiques et de l'État de droit. De plus, elle conditionne l’allocation des fonds au respect de ces principes. En cela, elle s’inspire de la conférence franco-africaine de la Baule (1990) et du Traité de Maastricht (1992), qui avait redéfini les priorités européennes de développement comme suit : « promotion de la démocratie, de la lutte contre la pauvreté ; amélioration de la compétitivité et de l'efficacité de l'aide. »1 Au total, si les Conventions de Lomé ont contribué à améliorer un tant soit peu les conditions de vie, le niveau d'éducation et la situation sanitaire dans de nombreux pays d’Afrique, force est de constater que pendant la période de leurs mises en œuvre, le poids de l’Afrique dans le commerce international a diminué et globalement la situation économique de la plupart des pays africains s'est dégradée. En effet, la mondialisation des échanges a davantage profité aux autres aires continentales dont le commerce ne repose pas, pour l'essentiel, sur des matières premières peu ou pas transformées. Le "système Lomé", considéré comme un cadre exemplaire de la coopération NordSud, n'a pas atteint l’objectif qui lui avait été assigné, à savoir assurer le décollage économique des pays aidés. La faiblesse du développement économique est allée de pair avec des conflits internationaux et des guerres civiles où ont été constatées de nombreuses violations des droits de l'Homme. 1 Commission européenne, Développement et Coopération, Europeaid, http://ec.europa.eu/europeaid/where/acp/overview/lome-convention/lomeitoiv_fr.htm consulté le 19 octobre 2013 31 En outre, comme nous l’avons vu précédemment, un nouveau contexte international apparaît dans les années 1990. L’effondrement du bloc soviétique et le processus d'élargissement de l'Union européenne réoriente l’aide du Sud en direction de l’Est, tandis que les chefs d’Etat africains sont accusés de détourner l'aide publique au développement (alors qu’auparavant on fermait les yeux sur ce sujet). C’est aussi la période où se mettent en place de nouvelles règles du commerce international avec la mondialisation des échanges. 3. L’Accord de Cotonou (2000) : banalisation des relations entre la France et les pays A.C.P. Ce nouveau contexte conduit à la signature de l'Accord de Cotonou (Bénin) le 23 juin 2000. Celui-ci renouvelle profondément le contenu du partenariat entre les pays A.C.P. et l'Union européenne. Le pilier politique, déjà présent dans la Convention de Lomé, est renforcé afin que l’U.E. puisse suspendre immédiatement l'aide en cas de violation grave des droits de l'Homme, des principes démocratiques et de l'Etat de droit. Le principe de « bonne gestion des affaires publiques » est ajouté par le nouvel Accord comme élément fondamental du partenariat. De plus, il introduit pour la première fois une dimension de contrôle des flux migratoires entre l'Union européenne et les pays A.C.P., avec la création d’une clause standard de réadmission dans le pays d’origine des ressortissants présents illégalement sur le territoire d’un Etat membre de l’U.E. 1 Par ailleurs, l’égalité hommes-femmes, la gestion durable de l'environnement et l’exploitation rationnelle des ressources naturelles font aussi partie des principes directeurs de l’Accord. La dimension commerciale est placée dans la perspective d'intégration des pays A.C.P. dans l'économie mondiale et de la mise en conformité des règles issues de Lomé avec celles de l’Organisation mondiale du commerce (O.M.C.). 1 La Documentation Française, « L’Accord de Cotonou : un modèle original de coopération », consulté le 20 octobre 2013 à cette adresse : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/d000116-union-europeenne-laide-au-developpement-des-pays-acp-afrique-caraibes-pacifique/l-accord-de-cotonou-un-modele-original-decooperation 32 Par ailleurs, la lutte contre la pauvreté est fixée comme objectif central de la coopération. Le STABEX et le SYSMIN sont supprimés et le F.E.D. est réformé et simplifié. Mais le maintien de l’aide cache difficilement la perte progressive de sens qui affecte ce partenariat. Les deux régions partagent surtout un passé commun, celui de l’ère coloniale, et finalement assez peu d’ambitions communes, et de projets tournés vers l’avenir. D’un côté, on retrouve des Etats africains divisés sur le plan de leurs intérêts. Une majorité de gouvernements sont peu ou pas démocratiques et largement corrompus. Les sociétés civiles y sont peu organisées, faute de classes moyennes suffisamment nombreuses, et les opposants maltraités. De l’autre, l’Europe promeut des concepts de coopération sophistiqués, mais n’a pas les moyens ni les capacités suffisantes pour les mettre en œuvre. En conséquence, l’aide reste pour l’essentiel du ressort des Etats. Enfin, l’U.E. prend de plus en plus au sérieux les enjeux économiques avec les autres régions en développement, plus dynamiques et donc potentiellement plus importatrices. Elle multiplie les accords commerciaux régionaux fondés sur le principe du libre-échange, plus ou moins abouti ; par exemple avec le Mexique, les pays du Mercosur, etc. La plupart sont des pays en développement dont une partie des exportations repose sur les mêmes produits que les ACP. L’U.E. facilite donc l’accès de son marché intérieur à leurs concurrents. Ici réside la principale source d’érosion des préférences commerciales qui sont accordées aux A.C.P. Globalement, l’accord de Cotonou est perçu comme une volonté de banaliser les relations entre la France et les pays A.C.P. De ce point de vue, l’Accord semble vouloir signer la fin d’une relation particulière et privilégiée où se mêlent paternalisme et mauvaise conscience.1 Ainsi, les échanges commerciaux entre la France et l’Afrique subsaharienne après les indépendances sont essentiellement régis par des conventions signées au niveau européen, qui comportent aussi une dimension d’aide publique au développement. En parallèle de cet accord, l’U.E. organise des sommets avec l’U.A. représentant exclusivement les Etats d’Afrique membres de l’U.A. et non plus l’ensemble des anciennes colonies et possessions européennes regroupées sous l’expression « A.C.P. ». 1 BLEIN Roger, Des Conventions de Yaoundé à l’Accord de Cotonou : 40 ans de « je t’aime, moi non plus ! », in Grain de sel, N°39, Juin-août 2007, pp. 4-5. 33 II. Les sommets Union africaine – Union européenne : une tentative de coopération en difficulté. Afin de favoriser une approche plus continentale, des sommets Union européenne – Union africaine sont organisés. Tous les pays d’Afrique sont membres de l’U.A., à l’exception du Maroc et des pays suspendus à cause d’un coup d’Etat. L’Union européenne comportait quinze membres en 2000 et vingt-sept lors des sommets de 2007 et de 2010. Le premier sommet s’est déroulé au Caire en 2000. Il n’a abouti à aucune décision majeure, mais il a marqué un coup d’envoi au partenariat intercontinental. Le second sommet de 2007 a débouché sur l’adoption de la Stratégie Commune U.E.Afrique (S.C.U.A.), comportant quatre axes : la promotion de la paix et la sécurité comme conditions préalables au développement politique, économique et social ; le respect de la gouvernance démocratique et des droits de l’Homme ; le développement du commerce et l’intégration régionale ; et les réponses aux questions primordiales en matière de développement. 1 La S.C.U.A. marque donc une volonté d’établir un partenariat global Afrique-Europe. Cependant, le troisième sommet à Tripoli en 2010 qui devait relancer le dialogue entre les deux continents et approfondir la Stratégie a pris une autre tournure. Le Colonel Kadhafi, alors chef de l’Etat libyen, a provoqué de vives discussions autour de la colonisation, pourtant hors sujet. En conséquence, les discussions se sont enflammées et se sont détournées des axes de travail attendus.2 Au total, le sabotage de la conférence de Tripoli par la Libye a causé un échec sérieux du partenariat qui rend problématique la coopération Europe-Afrique dans un futur proche. Quoi qu’il en soit, la prochaine réunion entre l’U.E. et l’U.A. risque très probablement de ne pas être sereine et la reprise du partenariat global semble compromise. En outre, suite à l’émergence et à l’irruption de nouvelles puissances économiques, l’Europe n’est plus le partenaire exclusif de l’Afrique ; ce qui à priori devrait laisser une plus grande marge de négociation aux Etats africains. 1 Conseil de l’Union Européenne, Le partenariat stratégique Afrique-U.E. : une stratégie commune Afrique-U.E., 9 décembre 2007, consultée en ligne le 20 septembre 2013 à l’adresse : http://ec.europa.eu/development/icenter/repository/EAS2007_joint_strategy_fr.pdf 2 Institut des Relations Internationales et Stratégiques, Les relations entre l’Union européenne et le continent africain, compte-rendu de conférence, Maison de l’Europe, 1 er février 2011 34 Ainsi, depuis le début des années 1960, les relations entre les Etats européens et l’Afrique sont essentiellement fondées sur le commerce et l’aide au développement. La France organisera progressivement et de plus en plus exclusivement ses échanges commerciaux avec l’Afrique uniquement dans le cadre de conventions signées au niveau communautaire. La dimension sécuritaire n’est pas abordée au niveau européen, parce que l’Europe d’alors n’est pas encore structurée et se limite à la Communauté Economique Européenne (C.E.E.). Cependant, la multiplication des conflits depuis les indépendances africaines est un facteur de réduction de l’efficacité de la coopération économique entre l’Afrique et l’Europe. Le relatif échec de l’aide au développement amène les deux continents à reconnaitre la nécessité d’établir des corrélations entre la sécurité, la stabilité et le développement. III. La stratégie européenne en matière de sécurité et de défense La France a impulsé la création d’une politique européenne de matière de sécurité afin de multilatéraliser ses interventions militaires en Afrique, mais elle garde un rôle central dans les opérations européennes de maintien de la paix, et ce malgré les approfondissements de cette politique européenne. 1. La France, leader des opérations menées dans le cadre de la P.E.S.D. Il faut attendre 1992 et le traité de Maastricht instituant l’Union européenne (article V) pour que la Politique de Sécurité Commune (P.E.S.C.) voie le jour. Le volet défensif n'y est intégré qu'après le sommet franco-britannique de Saint-Malo de 1998 qui transforme la P.E.S.C. en Politique de Sécurité et de Défense (P.E.S.D.), effective en 1999 après à l’entrée en vigueur du Traité d’Amsterdam.Le cadre d’action de l’U.E. est alors défini par les « missions de Petersberg », qui regroupent les missions humanitaires et d’évacuation, de maintien de la paix et de force de combat, et de rétablissement de la paix. Sur les cinq opérations militaires de l’Union européenne achevées, trois concernent l’Afrique subsaharienne1. 1 Les opérations militaires de l’U.E. sont menées conformément aux résolutions du Conseil de Sécurité des Nations unies. 35 La première opération de rétablissement de la paix réalisée par l’Union européenne hors d’Europe 1 (Artemis), ayant pour objet la sécurisation d’une ville de République Démocratique du Congo en 2003, est largement encadrée par la France. En 2006, l’UE approuve l’envoi d’un contingent de mille cinq cent hommes pour surveiller les élections de ce même pays. La mission est coordonnée par deux généraux, dont un français. L’opération E.U.F.O.R. Tchad/R.C.A., lancée en 2008 pour protéger les camps de réfugiés et de déplacés internes, est une initiative du Président français. C’est un général français qui commande la force européenne, et l’Hexagone est le premier contributeur avec mille huit cent militaires engagés.2 2. De la P.E.S.D. à la P.S.D.C., la France leader malgré tout Le traité de Lisbonne, rédigé en grande partie par la France, constitue une avancée supplémentaire dans l’approfondissement de la politique de Défense de l’U.E. Entré en vigueur le 1er décembre 2009, il transforme la P.E.S.D. en « politique de sécurité et de défense commune » (P.S.D.C.). Concrètement, il élargit le champ d’action de l’U.E. « aux actions conjointes en matière de désarmement, aux missions de conseil et d’assistance en matière militaire, aux missions de prévention des conflits et de maintien de la paix et aux opérations de stabilisation post-conflit, à la lutte contre le terrorisme »3. De plus, la coordination au sein des institutions européennes est facilitée via la création du poste de Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Cependant, depuis la mise en œuvre de ce Traité, aucune opération militaire nouvelle n’a été lancée. Seules trois opérations militaires sont en cours, dont une seule est véritablement importante : l’opération Atalante de lutte contre la piraterie maritime au large de la Somalie. Elle a été lancée en 2008, pendant la présidence française de l’Union. Atalante sécurise une des artères économiques les plus vitales au monde (30 % des approvisionnements 1 Représentation permanente de la France auprès de l’Union Européenne, « Les opérations de politique de sécurité et de défense commune dans le monde », http://rpfrance.eu/Les-operations-PSDC-dans-le-monde.html, consulté le 2 octobre 2 Ministère de la Défense, Opérations, http://www.defense.gouv.fr/operations/autres-operations/operationsachevees/2008-eufor-tchad-rca/dossier/l-operation-eufor-tchad-rca, consulté le 30 septembre 2013 3 Représentation Permanente de la France auprès de l’Union Européenne, http://www.rpfrance.eu/Qu-est-ce-quela-PSDC.html, consulté le 29 septembre 2013 36 en pétrole de l’Union européenne et 70 % de son flux de conteneurs y passent). Elle contribue aussi à la protection des navires du Programme Alimentaire Mondial (P.A.M.) et œuvre à la prévention et à la répression des actes de piraterie au large de ces côtes. La France est militairement parlant la première contributrice de cette mission.1 En 2013, l’Union européenne laisse la France s’engager seule au Mali pour stopper l’avancée des groupes djihadistes. Elle ne participe qu’à l’entrainement de bataillons maliens avec la mission E.U.T.M. Mali (European Union Training Mission), et nomme au poste de commandant un général français. Ainsi, la place centrale de la France dans les opérations européennes de Défense s’explique par ses moyens militaires importants en comparaison avec ceux de la plupart des pays de l’Union. Elle est une puissance nucléaire, comme le Royaume-Uni, et dispose sur le papier de la plus grande armée de l’Europe de l’Ouest, sachant le taux important d’indisponibilité du matériel (un quart des Véhicules de l’Avant Blindés (V.A.B)). De plus, peu de pays en Europe ont des liens historiques avec l’Afrique aussi forts que la France, et certains Etats craignent d’être associés à une tentative de reconquête de l’Afrique par l’Europe. Tous ces éléments, ainsi que les restrictions budgétaires de plus en plus fortes permettent de comprendre la difficile élaboration d’une synergie européenne de défense. Cependant, l’Union a réussi à se mettre d’accord sur la nécessité de structurer des forces africaines pour sécuriser leur propre continent. Dans ce but, la Facilité européenne pour la paix a été mise en place afin de financer les organisations régionales africaines. 3. La Facilité européenne pour la paix en Afrique La volonté de sécuriser le continent africain pour favoriser le développement ne passe pas seulement par l’intervention directe, mais aussi par la responsabilisation des organisations régionales africaines - au premier rang desquelles l'Union Africaine (U.A.) - en matière de sécurité. Cet objectif a pour contrepartie un soutien financier de la part de l'Union européenne, matérialisée par la création en 2003 d’un nouvel instrument : la Facilité européenne pour la paix en Afrique. 1 VEDRINE Hubert, Rapport pour le Président de la République française sur les conséquences du retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, sur l’avenir de la relation transatlantique et les perspectives de l’Europe de la Défense, 14 Novembre 2012, p.15 37 En 2007, celle-ci attribue cent millions d’euros au renforcement des capacités de l’Architecture Africaine de Paix et de Sécurité des organisations régionales, afin de les aider à créer un mécanisme d’alerte rapide et de définir une politique de prévention et de gestion des conflits. Les Opérations de Soutien à la Paix se sont vu allouer six cents millions d’euros. A titre d’exemple, le Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) et la Mission de consolidation de la paix en République démocratique du Congo (MICOPAX) ont bénéficié de ces financements. Enfin, quinze millions d’euros sont destinés à l’« Early Response Mechanism », qui travaille aux phases préparatoires des opérations de soutien à la paix et aux étapes préliminaires des processus de médiations.1 Ce partenariat est l’objet d’une critique réciproque d’instrumentalisation. Les opérateurs dénoncent les intentions manipulatrices de leurs financeurs qui, en quelque sorte, leur feraient faire le « sale boulot » et auraient des agendas cachés. Quant aux financeurs, ils dénoncent le double jeu des opérateurs qui monnaient cher leur volonté de faire régner la paix sur le continent et ne sont guère efficients. Décrite comme un lâchage par certains et une responsabilisation de l’Afrique par d’autres, l’africanisation de la gestion des conflits africains souffre de plusieurs handicaps. Des organisations régionales restent des coquilles vides du fait d’un manque d’engagement à la fois financier, technique et politique des Etats membres. De plus, la coordination entre les organisations est déficiente, tant avec l’organisation mère qu’entre les structures régionales. Ainsi, les relations de travail entre l’Union africaine, la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (C.E.E.A.C.) et la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (C.E.M.A.C.) sont de qualité moyenne, ce qui ne facilite pas la mise en œuvre des programmes de sécurisation et de développement.2 Ainsi, la France œuvre pour la création d’organes de sécurité et de défense au sein de l’Union européenne afin de multilatéraliser ses interventions et ne plus être accusée de 1 Commission européenne, Développement et Coopération – Europeaid, http://ec.europa.eu/europeaid/where/acp/regional-cooperation/peace/index_fr.htm, consulté le 9 octobre 2013 2 VIRCOULON Thierry, L’africanisation de la gestion des conflits africains : le long chemin d’une idée courte, in Ramses 2011, publication de l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI) 38 néocolonialisme. Cependant, on observe que la construction d’une Europe de sécurité et de défense n’est pas aisée, en raison de l’asymétrie des capacités défensives des pays européens, des budgets restrictifs et des priorités nationales. Malgré l’étiquette européenne, la France conserve un rôle prépondérant dans les interventions armées en Afrique. Par ailleurs, le financement des organisations africaines en vue de leur responsabilisation en matière de sécurité est d’une efficacité relative à cause de la faiblesse desdites structures. Après avoir étudié la politique de la France en Afrique, puis l’inscription de cette politique dans le cadre européen, il convient maintenant de se pencher sur les puissances qui remettent en cause la présence de la France en Afrique. 39 PARTIE 3 : La politique de la France en Afrique, bousculée par l’arrivée de nouveaux acteurs. L’Afrique, terrain d’affrontement entre les deux blocs pendant la Guerre Froide, n’est pas délaissée après la chute du mur de Berlin. Après la fin d’un monde bipolaire, le continent africain continue de susciter l’intérêt des Etats-Unis, et comme on l’a vu de la France, mais aussi celui de puissances émergentes : le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine (les « B.R.I.C. »). En déployant des stratégies de présence sur le continent, ces puissances engagent une compétition qui crée des situations d’affrontements réciproques et qui, ce faisant, bousculent la présence française. Il en résulte une nouvelle donne dont il est indispensable de rendre compte. I. « La Chine est un géant au berceau et quand la Chine s’éveillera... Le monde tremblera » (Napoléon Bonaparte) En 2001, un tournant majeur pour l’économie mondiale a lieu lorsque la Chine devient membre de l’Organisation Mondiale du Commerce. Pendant la décennie qui suit, le taux de croissance de son économie oscille autour de 10% par an, ce qui est considérable. Si bien qu’en 2010, elle devient la seconde puissance économique au monde, devant le Japon. Son taux de croissance remarquable implique des besoins en matières premières et en énergie en conséquence. En effet, depuis 2003, la Chine est le deuxième consommateur de produits pétroliers après les Etats-Unis. Il est donc vital pour elle de s’assurer et de sécuriser des approvisionnements énergétiques et en matières premières. Ceci est la raison majeure pour laquelle « l’Empire du Milieu » se tourne vers l’Afrique, regorgeant des ressources convoitées. Par ailleurs, la Chine recherche de nouveaux débouchés commerciaux et la diversification de ses investissements à l’étranger. Dès 2004, le volume des échanges entre la Chine et l’Afrique dépasse les dix-huit milliards de dollars américains, et ce chiffre est 40 multiplié par trois en 2008. Alors qu’en 1980, les échanges commerciaux sino-africains étaient quasi inexistants, Pékin devient à partir de 2005 le troisième partenaire commercial de l’Afrique après les Etats-Unis et la France et désormais avant le Royaume-Uni et l’Italie. Notons que la Chine choisit de s’installer là où les opportunités se présentent, notamment en comblant les vides laissés par le retrait des occidentaux des zones d’instabilité ou à risque (Soudan, Liberia...). Cela dit, elle privilégie certains pays, soit parce qu’ils constituent des positions stratégiques, soit parce qu’ils sont de grands producteurs et exportateurs de pétrole, tels que le Gabon, l’Angola, le Nigeria ; ou bien disposant de réserves à exploiter, tel le Sud-Soudan, mais aussi en République Démocratique du Congo, pour ses richesses minières et son potentiel agricole. En effet, comme d'autres puissances extraeuropéennes, la Chine n'hésite pas à se porter acquéreur de très grandes surfaces de terres agricoles en Afrique tropicale humide. Quant aux concessions minières, les firmes chinoises les négocient avec des baux de très longue durée, de l'ordre du siècle, voire davantage. Enfin, isolée sur la scène internationale jusqu’il y a peu, après un siècle d’humiliation (régime des concessions et des zones d'influence la démembrant de facto à la fin du XIXème siècle, puis conquête et présence japonaise, suivi par un demi siècle de collectivisme désastreux), l'Empire du Milieux veut renouer avec la fierté du prestige de sa civilisation millénaire et s'imposer progressivement sur la scène mondiale, au niveau de sa nouvelle puissance économique et de son rôle éminent de membre permanent du Conseil de Sécurité de l'O.N.U. Pour gagner l’Afrique, elle utilise la plupart des méthodes utilisées par la France : organisation de forums, multiplication de partenariats économiques, mise en place d’une aide au développement, mais aussi utilisation du « soft power » culturel. Dès octobre 2000, Pékin lance un Forum de Coopération Chine-Afrique (« Forum on China-Africa Coopération », F.O.C.A.C.) triennal afin de travailler au rapprochement économique et politique du continent noir et de l’Empire du milieu, à l’image des sommets France-Afrique. 41 1. Le FOCAC, un outil pour l’établissement d’un partenariat global qui bouscule la présence française en Afrique a) La première édition du F.O.C.A.C. : le lancement d’un partenariat multisectoriel. La première édition ayant eu lieu en 2000 réunit déjà quarante-quatre pays africains autour de la Chine, alors que le premier sommet France-Afrique en 1973 en avait réuni onze. Ce premier forum aboutit à la déclaration de Pékin et au Programme de coopération sinoafricaine sur le développement économique et social, qui institutionnalisent les relations sinoafricaines. Le F.O.C.A.C. est officiellement censé contribuer à l’instauration d’un nouvel ordre politique et économique international pour le XXIème siècle, relever les défis de la mondialisation économique, renforcer la coopération entre la Chine et l’Afrique et promouvoir le développement commun. b) La deuxième édition du F.O.C.A.C. : l’élargissement et l’approfondissement du partenariat. La deuxième édition du forum, en 2003 en Ethiopie, mettait en place le « Plan d’action triennal d’Addis Abeba » (de 2004 à 2006). Celui-ci crée entre autres une mesure d’aide au développement en accordant le tarif zéro droits de douanes à l’importation de certains produits en provenance des pays africains les moins avancés. Conjointement à ce forum se tenait la première conférence des Entrepreneurs chinois et africains, à l’issue de laquelle vingt-et-un accords ont été signés pour un montant total d’un milliard de dollars. c) La troisième édition du F.O.C.A.C. : une étape majeure La troisième édition qui se tient en 2006 à Pékin est une étape majeure dans l’approfondissement des échanges. Elle réunit quarante-huit Etats africains sur cinquante-trois, un nombre record. (Les sommets France-Afrique rassemblent en moyenne entre trente-cinq et quarante Etats, loin du record de participation atteint en 2001 à Yaoundé, avec cinquantedeux pays représentés.) Des centaines d’accords de coopération (économiques, politiques, 42 militaires, culturels, touristiques, sur la santé ou la recherche) sont signés ainsi que des contrats dont le montant total est estimé à un milliard neuf cent millions de dollars américains. L’objectif d’élever le niveau des échanges à cent milliards de dollars en 2010 sera atteint avec deux ans d’avance. En outre, la Chine approfondit en 2006 sa politique d’aide au développement. En effet, elle annule la dette africaine pour un milliard trois cent millions de dollars, annonce la création d’un fonds de développement sino-africain doté de cinq milliards de dollars et encourage les importations de produits africains par la baisse des droits de douane. Enfin, la Chine s’engage en 2006 à construire trente hôpitaux, à octroyer trente millions de dollars pour la lutte contre le paludisme et à fonder cent écoles d’agriculture sur le continent. Avec ces mesures, la Chine initie une aide bilatérale au développement, à l’image de celles mises en place par la France et par le Royaume-Uni à la suite des indépendances africaines. Par cette politique, la Chine cherche à revaloriser son image auprès des Etats africains, mais aussi à accroître son influence sur le continent et à y concurrencer la présence des puissances occidentales. d) Les quatrième et cinquième éditions du F.O.C.A.C. : la poursuite du partenariat engagé. Les forums de 2009 et de 2012 continuent de renforcer la coopération sino-africaine dans de nombreux domaines, avec notamment la création de forums spéciaux : le forum de la culture, de l’éducation, de l’agriculture, des médias, du droit ou de l’industrie. Notons que lors du F.O.C.A.C. de 2012, le nombre record de cinquante pays africains était atteint. Cela manifeste l’intérêt et l’engouement du « continent noir » pour la Chine. 2. L’utilisation du « soft power » à travers les F.O.C.A.C. En 2006, le Président Hu Jintao déclare que « le renforcement de la Chine et de son influence internationale doit être reflétée à la fois dans un « hard power » incluant l’économie, les sciences et la technologie, et la défense nationale, et dans un « soft power » comme la culture ». Cette déclaration explique la création, suite au F.O.C.A.C. de 2000, de la Fondation Chinoise pour le Développement des Ressources Humaines Africaines. Celle-ci organise l’accueil dans les universités chinoises de milliers d’étudiants africains bénéficiant 43 de bourses du gouvernement chinois (dix mille en 2008), ainsi que l’envoi de professionnels chinois en Afrique en vue de former des africains, à l’instar de la France qui forme chaque année des milliers d’étudiants africains dans ses universités et qui envoie des coopérants civils en Afrique. La deuxième édition du F.O.C.A.C. en 2003 approfondit les échanges culturels par l’élargissement de la coopération touristique (qui comporte aussi un volet économique) et surtout par l’organisation d’un premier Festival des jeunesses africaine et chinoise en 2004 à Beijing. Cette initiative pour multiplier les échanges entre les peuples fait ressortir la volonté chinoise de mettre sur pied des échanges culturels similaires à ceux qui interviennent dans le cadre de l’Agence française de coopération culturelle et technique en Afrique. (cf. supra). L’Offensive culturelle se fait aussi à travers le développement d’instituts Confucius en Afrique sur le modèle des Alliances françaises, afin de diffuser la langue et la civilisation chinoise. Sur le plan médiatique, la Chine crée sa première structure de diffusion FM en Afrique en 2006. L’agence de presse Xinhua (Chine nouvelle) étend son réseau sur le continent, où elle compte déjà une vingtaine de bureaux. La volonté chinoise de répandre et de diffuser sa culture en suivant le modèle français est donc très nette. Toutefois, il faudra beaucoup de temps pour que la culture chinoise puisse concurrencer significativement la culture française, dans la mesure où la langue chinoise est totalement étrangère aux élites africaines, alors que celles-ci sont déjà anglophones ou bien francophones. Quant à l'apprentissage de la langue chinoise, elle ne saurait concerner que quelques individus motivés qui ne formeront pas avant longtemps des groupes de locuteurs chinois. Rappelons à cet effet, que les cursus pour étrangers des universités chinoises sont en langue anglaise ; ce qui assurément ne joue pas à l'avantage de la diffusion, voire du maintient de la langue chinoise ! Ainsi, le F.O.C.A.C. est un véritable succès. Il a permis de créer des échanges sinoafricains sans précédents en seulement une décennie. 44 3. Une remise en cause des partenaires économiques traditionnels. Dès 2009, la Chine remplace les grands pays européens ou les Etats-Unis en tant que premier partenaire commercial de l’Afrique. Les échanges dans les deux sens ont quadruplé en sept ans. Entre l’année 2010 et l’année 2011, ils ont bondi de cent vingt-sept milliards de dollars à cent soixante-six, soit autant que le montant du commerce Chine-Allemagne. Par ailleurs, la Chine remet en question les modèles de coopération proposés jusque là par les partenaires traditionnels des Etats africains et crée des rivalités entre les puissances présentes en Afrique. Les grandes entreprises françaises telles que Bolloré ou Bouygues sont concurrencées par des compagnies chinoises telles que « China Road and Bridge Corporation » pour prendre en charge la réalisation des grandes infrastructures. En outre, la France et la Chine sont concurrences et rivales pour l’uranium du Niger. La Chine, qui a investi cinq milliards de dollars dans le pétrole et l’uranium en Afrique a contraint Areva, le géant du nucléaire français, à modifier ses contrats tout en obtenant des concessions importantes pour un investissement d’un milliard sept millions de dollars. 4. Les avantages de la Chine sur la France. L’importance du nombre d’Etats africains représentés aux F.O.C.A.C. révèle l’intérêt de l’Afrique pour la Chine, qui bénéficie d’une meilleure image étant donné qu’elle n’est pas une ancienne puissance colonisatrice. De plus, elle permet aux africains lassés de la présence française et européenne de diversifier et renouveler leurs partenaires, même si la France garde un avantage incontestable sur le plan militaire, d'où la Chine est quasiment absente. Une explication du succès de l’image de la Chine en Afrique réside dans le fait que contrairement aux puissances occidentales, la Chine ne conditionne pas son aide au développement à la mise en place d’institutions démocratiques et au respect des Droits de l’Homme. L’Empire du Milieu accuse même la politique occidentale d’ingérence en Afrique « sous prétexte de problèmes concernant les Droits de l’Homme » et va jusqu’à présenter la démocratie occidentale comme la cause de l’exacerbation des tensions à l’intérieur des pays africains. A titre d’exemple, contrairement à l’Union européenne, la Chine n’a pas condamné 45 le référendum du 4 août 2009 au Niger qui permettait à Mamadou Tandja de rester Président à vie1. Cette stratégie semble avoir un succès certain en Afrique, à tel point que le Président du Nigéria déclarait en 2006 : « nous souhaiterions que la Chine dirige le monde et quand nous ne voulons pas être laissés derrière, nous voulons être avec vous. ». Et le Président zimbabwéen Mugabe d’enchérir lors du vingt-cinquième anniversaire de l’indépendance de son pays : « Il nous faut nous tourner vers l’Est, là où le soleil se lève. » Cependant, les relations que la Chine entretient avec l’Afrique ne sont pas aussi « gagnant-gagnant » qu’elle ne le dit. En important des matières premières et en exportant des produits finis, la Chine reproduit un schéma d’exploitation coloniale. Elle accentue la spécialisation des économies africaines, comme le faisaient les métropoles coloniales qui n’avaient pas encouragé la transformation sur place des matières premières. De plus, quand les Chinois recourent à la main d’œuvre locale, ils leur imposent des conditions de travail très dures, violant le droit. Enfin, la Chine ne se soucie pas des normes environnementales et provoque parfois des désastres écologiques, comme au Cameroun ou au Congo-Brazzaville. En conséquence, des sentiments anti-chinois commencent déjà à se développer sur le continent noir. II. L’offensive politique, économique et diplomatique américaine en Afrique. 1. L’offensive économique Un des objectifs permanents de la politique étrangère américaine en Afrique est le libre accès aux matières premières. Un préalable indispensable à leur exploitation réside dans la pacification et dans la résolution des conflits armés, dont l’éradication du terrorisme, dans les zones aux sous-sols riches. Mais cette politique de pénétration volontariste implique, mais aussi de rivaliser avec d’autres puissances déjà présentes sur le terrain et en particulier avec la France, depuis longtemps « chez elle ». 1 Il a été renversé par un coup d’Etat en février 2010 46 Les intérêts pétroliers français et américains sont en concurrence directe, par exemple au Congo-Brazzaville, où l’Occidental Petroleum a réussi à prendre pied ; ainsi qu’au Tchad, au Gabon, ou en Angola où l’enjeu est l’enclave du Cabinda où la compagnie Chevron doit peu à peu céder du terrain à Elf (source : La lettre du continent n°181, 11 février 1993) Par ailleurs, Washington a mené campagne contre la zone franc, jusque là gage de stabilité la monétaire d’un certain nombre de pays d’Afrique francophone. 2. L’offensive politique Le gouvernement américain s’affirme de plus en plus en partenaire de rechange dans les pays d’Afrique centrale et occidentale où la France a joui longtemps d’une rente de situation. Dès le début des années 1990, ses ambassadeurs s’engagent dans la bataille des Droits de l’Homme, en se comportant en véritables parrains naturels de nouveaux régimes à visage démocratique. Ils n’hésitent pas non plus à jouer la carte des opposants contre les pouvoirs en place, laissant entendre que la France pérennise des dictatures corrompues et à bout de souffle, dans le but de perpétuer son influence en Afrique1. Parfois, il arrive même que des élections africaines prennent le visage de luttes francoaméricaines par le biais des partis soutenus par l’un ou l’autre des deux pays. Au Cameroun, par exemple, le retour au multipartisme a tourné en une opposition entre la France et les EtatsUnis, ces derniers soutenant l’opposition anglophone issue de la partie occidentale du pays (l’ex protectorat britannique du Kamroon, qui avait succédé au lendemain de la Première Guerre Mondiale à une partie de la colonie allemande éponyme.). Enfin, Washington a créé des institutions économiques et militaires qui concurrencent plus ou moins directement les institutions françaises. Comme déjà évoqué plus haut, l’African Crisis Response Initiative (A.C.R.I.) mise en place par l’administration Clinton, transformée par l’administration Bush en African Contingent Operation Training Assistance (A.C.O.T.A.) a pour but de moderniser les armées africaines et former les soldats aux opérations de maintien de la paix. L’African Growth Opportunity Act (A.G.O.A.), ouvre le marché américain aux exportations africaines et concurrence l’Accord de Cotonou entre l’Union européenne et les pays ACP. 1 Decreane Jean-Pierre, Le Monde diplomatique, juillet 1993, P.17 47 3. L’offensive diplomatique En 1996, le Secrétaire d’Etat Warren Christopher se rend en Afrique et déclare que « le temps est révolu où des puissances extérieures pouvaient considérer des groupes entiers de pays comme leur domaine privé. » Et un diplomate américain à Bamako de surenchérir : « La France est comme la première épouse, celle qu’on n’a pas choisie. Nous sommes la deuxième femme, souvent la préférée »1. La décennie 2000 a vu un regain d’intérêt américain pour l’Afrique avec l’augmentation sensible du nombre de visites officielles sur ce continent, y compris celles de présidents des Etats-Unis. Les tournées de Bill Clinton (en 1998 et en 2000), l’organisation de la première conférence interministérielle Etats-Unis/ Afrique (en 1999), les déplacements du général Colin Powell, chef d’état major et de G.W. Bush (en 2003) et enfin la visite de Barack Obama en 2009 témoignent d’une volonté de reconsidérer la place de l’Afrique dans le dispositif global de projection mondiale de la puissance américaine. Cependant, comme la France, les Etats-Unis doivent désormais affronter la concurrence Chinoise, surtout dans le domaine de l’accès aux ressources en matières premières et au premier rang desquelles le pétrole. III. L’intérêt croissant d’autres puissances pour l’Afrique Le début des années 1990, marqué par l’éclatement de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques et la perte d’influence des deux grandes puissances en Afrique, ouvre des brèches dans lesquelles des pays émergents comme l’Inde, le Japon et le Brésil tentent de s’immiscer. La présence récente de ces Etats en Afrique s’explique par leurs besoins croissants en matières premières et en énergie, ainsi que par la recherche de nouveaux débouchés commerciaux, mais aussi par la recherche d’influence internationale en vue d’un soutien pour obtenir un siège de membre permanent au Conseil de Sécurité de l’O.N.U. En contrepartie, ils permettent aux dirigeants africains de multiplier et de diversifier leurs interlocuteurs et leurs partenaires et, ce faisant, d’échapper à la pression occidentale concernant les Droits de l’Homme et la démocratie. Enfin, la coopération Sud-Sud est 1 Le monde diplomatique, décembre 1996, p.5 48 davantage appréciée, parce qu’à priori jugée plus rassurante qu’un partenariat Nord-Sud encore vu comme une relation dominant-dominé. A l’instar de la France, la stratégie de ces puissances s’organise autour de sommets réguliers avec les pays africains. 1. Le Japon Le Japon, longtemps seconde puissance économique mondiale, a été l’un des plus importants fournisseurs d’aide publique au développement en Afrique. Après l’effondrement du bloc soviétique, il développe l’ambition de peser politiquement sur la scène mondiale et plus seulement asiatique. Dans ce but, il a besoin d’alliés extérieurs. Par ailleurs, il est absolument dépourvu de matières premières. Pour ces différentes raisons, il se tourne vers l’Afrique et crée en 1991 la Tokyo International Conference on African Development (T.I.C.A.D.) qui se réunit tous les cinq ans, pour « promouvoir un dialogue de haut niveau entre les leaders africains et leurs partenaires du développement ». La politique africaine du Japon est basée sur trois piliers : contribuer à la paix et à la stabilité, augmenter l’aide, le commerce et les investissements, et enfin prendre en compte les questions de dimension planétaire. Notons que le Japon récolte les fruits de sa politique africaine lors des conférences internationales ayant trait à la protection du domaine maritime international de la surpêche, pendant lesquelles il est soutenu par beaucoup d’Etats du Tiers-Monde, dont un nombre important de ceux d’Afrique. 2. La Russie La Russie n’est plus présente en Afrique comme au temps de l’Union Soviétique avec des conseillers répartis dans plus de quarante pays. A la différence d’autres États concurrents, elle n’est pas énergétiquement dépendante, mais elle souhaite diversifier ses approvisionnements, sachant que ses abondantes ressources minières ne couvrent pas toute la gamme des métaux rares. Elle voudrait aussi retrouver au moins en partie son influence perdue depuis déjà un quart de siècle sur le continent africain. En juin 2010, à l’occasion du cinquantième anniversaire des indépendances africaines, la 49 Russie organise une conférence intitulée « Russie-Afrique : les perspectives de la coopération », sans qu'on en mesure quel qu’effet significatif à ce jour. 3. L’Union Indienne Autre puissance émergente, l’Union Indienne organise un premier forum Inde-Afrique en 2008 pour montrer à la communauté internationale qu’elle a des ambitions en Afrique. La faible participation des africains (14 Etats) n’empêche pas l’adoption de la Déclaration de Delhi et du cadre Afrique-Inde pour la coopération posant les bases d’un partenariat indoafricain. Un deuxième sommet en 2011 renforce le partenariat initial. De plus, l’Inde dispose comme la Chine d’un réseau d’entrepreneurs bien implanté en Afrique et commercialement actifs. Cependant, la stratégie indienne se différencie de celle de la Chine parce qu’elle est moins contrôlée par l’État, mais impulsée plutôt par le secteur privé. Elle se concentre sur l’aide à l’agriculture et aux industries connexes, sur le transfert de technologies et le renforcement des ressources humaines sur le terrain. 4. Le Brésil Le Brésil est autosuffisant en hydrocarbure et en production d'énergie, contrairement à la Chine, à l’Inde et au Japon. Il est aussi riche en ressources minières et en terres arables. Il ne perçoit donc pas l’Afrique comme un réservoir de ressources naturelles mais plutôt comme un partenaire et un débouché commercial pour ses produits manufacturés. En ce sens, il initie les sommets Amérique du Sud-Afrique de 2006 et 2009, afin de nouer des relations avec tous les pays africains et de signer des accords de coopération. Ceux-ci ont fait passer le commerce bilatéral de 4 à 25 milliards de dollars entre 1999 et 2009. Par ailleurs, le Brésil cherche aussi des appuis pour accéder au statut de membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU. Par ailleurs, comme les anciennes colonies portugaise d'Afrique, le Brésil est lusophone. C'est aussi le seul pays parmi les puissances émergentes nouvellement présentes en Afrique, à parler une langue européenne y ayant des locuteurs, et qui plus est, dans des espaces à fort potentiel économique. 50 L’arrivée et l’expansion de l’influence de ces pays en Afrique font politiquement et économiquement concurrence à la France. C’est pourquoi celle-ci cherche à protéger malgré tout ses positions contre des concurrents qui s’efforcent d’étendre leurs zones d’influence. Si le Rwanda et la République Démocratique du Congo semblent se détourner de la France pour s’orienter vers les Etats-Unis, la France garde un avantage stratégique en Côte d’Ivoire. IV. Les luttes d’influence en Afrique : les cas du Rwanda, de la République Démocratique du Congo et de la Côte d’Ivoire. L’Afrique est un terrain d’affrontement des Puissances. Les territoires de confrontation sont nombreux mais nous nous limiterons ici à la région des Grands Lacs, à la cuvette congolaise et à la Côte d’Ivoire. Alors que l’influence de la France recule face à celle des Etats-Unis au Rwanda et en République Démocratique du Congo (R.D.C.), elle reprend la main en Côte d’Ivoire qu’elle était sur le point de perdre face à plusieurs autres grandes puissances. 1. La perte d’influence française au Rwanda et en R.D.C. au profit des Etats-Unis Alors que pendant la Guerre Froide, Washington appréciait que Paris soit le « Gendarme de l’Afrique », la France et les Etats-Unis se retrouvent maintenant en situation de concurrence. Le Rwanda se tourne vers la France dès son indépendance en 1962, date à laquelle son Président vient à Paris pour demander de l’aide. La coopération se développe particulièrement sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, qui signe avec le Rwanda des accords d’assistance militaire en juillet 1975. La France met aussi en œuvre des chantiers de travaux publics, contribue au développement rural, ouvre un lycée français et un centre culturel à Kigali et choisit ce pays pour organiser le sixième Sommet franco-africain en 1979. L’ambassade de France déclare en 1979 que « le Rwanda est membre à part entière de la famille franco-africaine ».1 1 Chrétien Jean-Pierre, « France et Rwanda : le cercle vicieux », dans Politique Africaine n°113, 2009, p.122 51 Cependant, la France se compromet dans le génocide rwandais de 1994 et se discrédite comme arbitre dans l’ensemble de la région des Grands Lacs. Elle est accusée de soutenir le régime responsable du massacre. Kigali rompt ses relations diplomatiques avec la France en novembre 2006, à la suite de l’enquête sur la responsabilité de Paris dans le génocide 1. Sa perte d’influence au profit des Etats-Unis est réelle. La réconciliation franco-rwandaise est officialisée lors de la visite du Président Sarkozy en 2010. Mais celle-ci intervient trop tard, puisque un an plus tôt le Rwanda devenait membre du Commonwealth et l’anglais était obligatoire à tous les niveaux d’enseignement dès 2008. Pays voisin du Rwanda, la République Démocratique du Congo est aussi le théâtre de rivalités franco-américaines. Lors du renversement du régime de Mobutu soutenu par la France et la prise de pouvoir de L.Kabila en 1997, le quotidien Le Monde du 19 mail 1997 publie qu’ « avec le départ du maréchal Mobutu, la France perd un de ses protégés africains et enregistre une défaite diplomatique à la mesure de l’attachement qu’elle pouvait porter à l’un des plus grands pays francophones dans le monde. Son influence s’y estomperait au profit de celle des Etats-Unis, qui verront bientôt s’installer à Kinshasa leur protégé à eux, en la personne de Laurent-Désiré Kabila, qu’entoure une escouade de jeunes collaborateurs formés dans les universités américaines. Bilan : Paris perd, Washington gagne.2 » Si le Rwanda et la République Démocratique du Congo illustrent le recul de l’influence française en Afrique au profit des Etats-Unis, le cas de la Côte d’Ivoire montre que la France ne recule pas partout. 1 Abderrahmane M’Zali (op.cit.)note à propos du Rwanda que « Paul Kagame trompe bien son peuple et la communauté internationale en accusant la France de tous les maux qui ont conduit au génocide de 1994. Il élude sa responsabilité personnelle, se donne bonne conscience en évoquant celle de la France et de la Belgique, pays accusés de complicité de génocide. (...) Or, même si la France coopérait dans le domaine de la Défense et de la sécurité avec le régime de Juvénal Habyarimana (5 juillet 1973/6 avril 1994), le Rwanda avait déjà connu sur son sol nombre de tragédies humaines, qualifiées de génocides, pogromes, guerres ethniques... En effet, il est impossible d’oublier que 1959, 1963, 1965, 1967, 1973, 1991, 1992 et 1993 sont des années marquées par des hécatombes résultant de guerres qui ont fait des millliers de morts au Rwanda. La France n’y est pas responsable. S’agissant du génocide de 1994, Charles Josselin, ministre socialiste français de la coopération de 1997 à 2002, avait déclaré : « Ce ne sont tout de même pas les Français qui tenaient les machettes mais les Rwandais » ». 2 Le Monde, 19 mail 1997, p.3 , cité par POKAM Hilaire de Prince, Communauté Internationale et gouvernance démocratique en Afrique, collection Affaires Stratégiques, L’Harmattan, Paris, 2012 52 2. Le maintien de la Côte d’Ivoire dans la zone d’influence française. La Côte d’Ivoire est une ancienne colonie française. Sa position géostratégique en Afrique de l’Ouest et ses considérables réserves pétrolières, gazeuses et minières (or, diamant) en font un pays convoité par les puissances traditionnelles et émergentes. Lors de son arrivée au pouvoir en 1999, le Président Laurent Gbagbo prône un approfondissement de l’indépendance ivoirienne et appelle à une plus grande ouverture du marché ivoirien, surtout vers les Etats-Unis. Ainsi, la part des exportations ivoiriennes vers la France passe de 73% en 1960 à 7,3% en 2008 et celle des importations passe sur la même période de 52% à 16,7%. Cependant, si la France perd du terrain au niveau commercial, elle reste militairement présente en Côte d’Ivoire.1 La force Licorne y est déployée lors d’une tentative de coup d’Etat en 2002 afin de protéger les ressortissants étrangers et de ramener la paix dans le pays. Puis elle est chargée de soutenir le déploiement d’une mission de paix décidée par la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) fin 2002, à laquelle succède rapidement une mission de l’Organisation des Nations Unies (MINUCI) en 2003. L’année suivante, la résolution 1528 de l’ONU crée l’opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) qui remplace la MINUCI et désigne Licorne comme force de soutien pour contribuer à maintenir la paix. Depuis 2007, leur principale mission est de veiller au respect des accords de Cotonou signés pour résoudre la crise politique entre le Président et le chef des Forces Nouvelles réunissant les mouvements rebelles. En 2010, Licorne intervient pour faire respecter le résultat des élections contestées par L.Gbagbo qui donnent Ouattara vainqueur. Cette opération est vue par certains observateurs ivoiriens comme une manœuvre française pour mettre à la tête du pays un Président qui sert les intérêts de la France. Dans le cadre de la « rénovation de la relation entre la France et l’Afrique », le Président ivoirien Ouattara et son homologue français Nicolas Sarkozy renégocient en 2012 le traité instituant un partenariat de défense signé après l’indépendance ivoirienne. L’exposé des motifs précise que « cette signature fait partie de la mise à jour [des relations françaises] avec les huit États avec lesquels [la France est liée] par des accords de défense signés pour 1 Ministère de la Défense, http://www.defense.gouv.fr/operations/cote-d-ivoire/dossier/cote-d-ivoirechronologie-et-reperes-historiques, consulté en sept 2013 53 la plupart au lendemain de leur indépendance »1.(*le 24 avril 1961 pour la Côte d’Ivoire) Même si ce traité précise que « L’un des principaux objectifs de notre coopération militaire en Afrique est en effet de contribuer au renforcement du système de sécurité collective en Afrique, notamment à la réalisation de la « Force africaine en attente » (projet initié dans le cadre de l’Union africaine) », il est vu par ses détracteurs comme la continuité de la mainmise française sur le pays, notamment à cause de son annexe relative aux facilités accordées aux forces françaises stationnées ou en transit sur le territoire de la République de Côte d’Ivoire. Ainsi, l’Afrique est de plus en plus courtisée. Les raisons majeures au renouvellement de l’intérêt porté à l’Afrique sont l’approvisionnement en ressources naturelles, la conquête de nouveaux marchés, la quête de la puissance et du soutien africain pour l’obtention d’un siège permanent au Conseil de sécurité de l’O.N.U. Ces pays, émergents pour la plupart, présentent leurs partenariats comme plus légitimes que ceux de la France parce qu’ils sont basés sur une solidarité Sud-Sud et non plus Nord-Sud. Le principe de non-ingérence est la base de leur diplomatie et ils ne conditionnent pas leur aide à la mise en place d’institutions démocratiques ou au respect des Droits de l’Homme. Toutefois, l’exemple de la Côte d’Ivoire montre que malgré l’arrivée de ces nouveaux acteurs en Afrique, la France ne recule pas partout. 1 Rumeurs d’Abidjian, http://www.rumeursdabidjan.net/?parcours=actualite_ci&article=17293#onglet_article, consulté le 27 septembre 2013 54 CONCLUSION Ainsi, après avoir accordé l’indépendance à toutes ses ex colonies d’Afrique subsaharienne, la France met en place un large dispositif de coopération bilatérale couvrant de nombreux aspects : des interventions politiques lors les sommets France-Afrique, des accords de défense et de coopération militaire, une coopération monétaire, une aide au développement, une coopération culturelle et une coopération économique où progressivement la place et le rôle de l’Europe montent en puissance. Ces différents niveaux de partenariat ont permis à la France de maintenir son influence en Afrique et de l’étendre hors de son « pré carré » originel. Cependant, la France a été suspectée d’avoir voulu « poursuivre la colonisation par d’autres moyens » en Afrique, afin d’y préserver ses propres intérêts économiques et stratégiques sur le continent, quitte à devoir soutenir des régimes autoritaires et corrompus. Les critiques de plus en plus vives stigmatisant la politique française en Afrique et la fin de la guerre froide poussent la France à rénover sa politique de coopération dans les années 1990, afin de l’adapter au nouveau contexte diplomatique international qui promeut les Droits de l’Homme, la démocratie, le principe de non-ingérence et le multilatéralisme. Il en résulte une mise sous condition de l’aide accordée à la mise en place d’une gouvernance laissant toute sa place à la démocratie et au respect des Droits de l’Homme. Dans le même esprit, les accords de Défense sont renégociés afin d’en supprimer les clauses secrètes, de leur donner une dimension multilatérale, et d’y intégrer la mise en place du programme RECAMP afin d’aider l’Afrique à devenir autonome en matière de défense régionale. Toutefois, si le Livre blanc sur la sécurité et la défense de 2008 semblait s’orienter vers un retrait militaire progressif de la France en Afrique avec la diminution du nombre de bases militaires, l’opération Serval lancée au Mali en 2013 en inversera la tendance. Cette intervention met en exergue l’utilité des prépositionnements français en Afrique et la nécessité des interventions directes de la France tant que l’Afrique n’est pas autonome en matière de Défense. Pour autant, le temps de l’unilatéralisme est révolu. C’est désormais dans un cadre multilatéral que la France intervient militairement en Afrique, sous mandat du Conseil de Sécurité de l’O.N.U. et avec l’accord des organisations régionales africaines, et sur le terrain, avec la collaboration plus ou moins significative d’autres forces armées, européennes ou africaines. En effet, les mandats de l’O.N.U. ont l’avantage d’offrir une 55 légitimité internationale, indispensable pour couper court à toute velléité d’accusation d’arbitraire qui pourrait stigmatiser une opération décidée sans son aval. Dans le domaine de l’aide au développement, on observe qu’une part croissante de la contribution française empruntent des canaux qui la mutualise au sein d’organismes régionaux et d’institutions supranationales ; avec toutefois le maintien d’une part importante de l’aide bilatérale, qui s’oriente davantage depuis 2008 vers le développement du secteur privé pour soutenir la croissance des économies du continent. Au niveau européen, la coopération en matière de commerce et d’aide au développement se développe avec les conventions de Yaoundé (1967), de Lomé (1975) et de Cotonou (2000), ainsi que lors de leurs révisions. Les adaptations des partenariats commerciaux et des modalités d’attribution des Fonds européens de développement suivent les grandes tendances mondiales : dans les années 1990, l’aide devient conditionnée au respect de la démocratie et des Droits de l’Homme ; et en 2000, la dimension commerciale est placée dans une perspective d’intégration de l’Afrique dans l’économie mondiale. D’autre part, les sommets Union africaine – Union européenne, lancés en 2000 afin de favoriser une approche plus continentale, semblent être dans une impasse. Si le second sommet de 2007 a débouché sur l’adoption de la Stratégie Commune U.E.-Afrique (S.C.U.A.), le troisième sommet de 2010 a été un véritable échec diplomatique, qui compromet l’avenir de ce partenariat inter-continental dans l’immédiat. Par ailleurs, depuis la signature du traité de Maastricht (1992) instituant l’Union européenne, la France a oeuvré pour la création d’une politique européenne de sécurité et de défense afin d’intervenir dans un contexte multilatéral. Malgré le récent approfondissement de cette politique en 2007 avec le traité de Lisbonne, on observe que la France garde une place prépondérante lors des opérations menées dans le cadre de l’Union européenne. Cela s’explique par ses moyens militaires relativement plus importants que ceux de la plupart des autres pays de l’Union, mais aussi par l’existence de liens historiques avec l’Afrique que n’ont pas la plupart des Etats membres de l’Union européenne. D’autre part, avec la création de la Facilité européenne pour la paix, l’Union européenne travaille aussi à la responsabilisation des organisations régionales africaines en matière de sécurité. Mais dans ce domaine, un long chemin reste encore à parcourir, en raison de la faiblesse desdites organisations. 56 Enfin, l’arrivée de nouveaux acteurs en Afrique subsaharienne tels que la Chine, les Etats-Unis, mais aussi l’Inde, le Japon ou le Brésil bousculent la place de la France sur le continent. Les raisons majeures au renouvellement de l’intérêt porté à l’Afrique par ces Etats sont la recherche d’approvisionnement en ressources naturelles, la conquête de nouveaux marchés, la quête de la puissance et du soutien des Etats africains pour l’obtention, par exemple, d’un siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’O.N.U. Ces pays, émergents pour la plupart, présentent leurs partenariats comme plus légitimes que ceux de la France parce qu’ils sont basés sur une solidarité Sud-Sud et non plus Nord-Sud. Le principe de non-ingérence est le socle de leur diplomatie et ils ne conditionnent pas leur aide à la mise en place d’institutions démocratiques ou au respect des Droits de l’Homme. Toutefois, les relations que ces nouveaux acteurs entretiennent avec l’Afrique ne sont pas aussi « gagnantgagnant » qu’ils ne le laissent penser. En effet, ne reproduisent-elles pas un schéma de type colonial, où les échanges se limitent le plus souvent à une économie de prélèvement de matières premières échangées contre des produits manufacturés? Au terme de ce travail, force est de conclure que les relations qu’entretiennent ces nouveaux acteurs présents en Afrique ne sont en rien comparables à la relation franco-africaine, fruit d’une longue connivence linguistique, culturelle, politique, militaire, économique, financière, et dont l'exemple reste unique à ce jour dans les relations internationales. En effet, si ces nouveaux acteurs, et surtout la Chine, ont bien effectué une percée économique et politique sur le continent, leur influence militaire et culturelle n’a rien de comparable à celle de la France. En définitive, la France n’est plus seule en Afrique subsaharienne, où elle est concurrencée surtout d’un point de vue économique. Néanmoins, elle y garde une position dominante, notamment dans son ancien « pré carré » où elle possède un avantage linguistique, culturel et financier sur les nouveaux acteurs. Enfin, l’Afrique a encore besoin de la France pour assurer sa sécurité et lutter contre le terrorisme. 57 BIBLIOGRAPHIE Ouvrages : EMERY BAKONG Patrice, La politique militaire africaine de la France : forces sociales et changements récents, Paris, ed. L’Harmattan, 2012, 267 p. GOUNIN Yves, La France en Afrique : le combat des Anciens et des Modernes, collection Le point sur... Politique, ed. de Boeck, Bruxelles, 2009, 179 p. 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