La politique de la France en Afrique subsaharienne après les

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I.E.P. de Toulouse
La politique de la France en Afrique
subsaharienne après les indépendances.
Mémoire préparé sous la direction du Général Raffenne.
Par Priscille Guinant.
Année universitaire 2012/2013
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier sincèrement et particulièrement le Général Raffenne, qui, en tant
que Directeur de mémoire, s’est montré réactif à mes diverses sollicitations. Les échanges ont
été rapides, efficaces et constructifs. Les recherches que j’ai pu effectuer pour bâtir ce
mémoire mon été très profitables et je sors enrichie de ce travail qui n’aurait pu être possible
sans le concours de mon tuteur. Je l’en remercie à nouveau.
Je voudrais également remercier l’I.E.P. de Toulouse qui m’a fourni un cadre pour la
rédaction de ce mémoire
J’exprime aussi toute ma reconnaissance à mes relecteurs pour le temps qu’ils m’ont consacré.
2
SOMMAIRE
REMERCIEMENTS .................................................................................................................. 2
SOMMAIRE .............................................................................................................................. 3
INTRODUCTION ...................................................................................................................... 5
PARTIE 1 : La politique de la France en Afrique ...................................................................... 7
I.
Des indépendances aux années 1990 : le maintien de la tutelle
française ................. 9
1.
Les accords de défense et de coopération militaire .................................................... 9
2.
Les accords de coopération monétaire ..................................................................... 11
3.
L’aide bilatérale au développement ......................................................................... 12
4.
La langue française, lien entre la France et l’Afrique .............................................. 15
5.
Les sommets France - Afrique ................................................................................. 16
L’inflexion des années 1990 : « ni ingérence, ni indifférence » ................................. 19
II.
1.
Le sommet de La Baule : la mise en place de la démocratie contre une aide majorée
19
2.
RECAMP : un programme pour l’autonomisation de l’Afrique en matière de
défense .............................................................................................................................. 21
3.
Le discours de Cotonou : deux idées nouvelles ....................................................... 22
4.
Les nouvelles orientations de la politique de sécurité et de défense de la France en
Afrique à partir de 2008. .................................................................................................. 22
5.
Les nouvelles orientations de la politique d’aide au développement de la France en
Afrique à partir de 2008 ................................................................................................... 25
PARTIE 2 : Européanisation de la politique de la France en Afrique ..................................... 29
La coopération européenne en matière de commerce et d’aide au développement ..... 29
I.
1.
Les Conventions de Yaoundé (1963 – 1975) : prolongement de la spécialisation et
de la préférence coloniale. ................................................................................................ 29
2.
Les Conventions de Lomé (1975 – 2000) : innovations commerciales et
conditionnement de l’aide ................................................................................................ 30
3.
L’Accord de Cotonou (2000) : banalisation des relations entre la France et les pays
A.C.P. ............................................................................................................................... 32
II.
Les sommets Union africaine – Union européenne : une tentative de coopération en
difficulté. .............................................................................................................................. 34
III.
La stratégie européenne en matière de sécurité et de défense .................................. 35
3
1.
La France, leader des opérations menées dans le cadre de la P.E.S.D. .................... 35
2.
De la P.E.S.D. à la P.S.D.C., la France leader malgré tout ...................................... 36
3.
La Facilité européenne pour la paix en Afrique ....................................................... 37
PARTIE 3 : La politique de la France en Afrique, bousculée par l’arrivée de nouveaux acteurs.
.................................................................................................................................................. 40
« La Chine est un géant au berceau et quand la Chine s’éveillera... Le monde
I.
tremblera » (Napoléon Bonaparte) ....................................................................................... 40
1.
Le FOCAC, un outil pour l’établissement d’un partenariat global qui bouscule la
présence française en Afrique .......................................................................................... 42
2.
L’utilisation du « soft power » à travers les F.O.C.A.C. .......................................... 43
3.
Une remise en cause des partenaires économiques traditionnels. ............................ 45
4.
Les avantages de la Chine sur la France. ................................................................. 45
L’offensive politique, économique et diplomatique américaine en Afrique. ............... 46
II.
1.
L’offensive économique ........................................................................................... 46
2.
L’offensive politique ................................................................................................ 47
3.
L’offensive diplomatique ......................................................................................... 48
III.
L’intérêt croissant d’autres puissances pour l’Afrique............................................. 48
1.
Le Japon ................................................................................................................... 49
2.
La Russie .................................................................................................................. 49
3.
L’Union Indienne ..................................................................................................... 50
4.
Le Brésil ................................................................................................................... 50
IV.
Les luttes d’influence en Afrique : les cas du Rwanda, de la République
Démocratique du Congo et de la Côte d’Ivoire. ................................................................... 51
1.
La perte d’influence française au Rwanda et en R.D.C. au profit des Etats-Unis ... 51
2.
Le maintien de la Côte d’Ivoire dans la zone d’influence française. ....................... 53
CONCLUSION ........................................................................................................................ 55
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................... 58
4
INTRODUCTION
L’objet de ce mémoire est de tenter une étude globale de la place et du rôle de la
France en Afrique depuis les indépendances. De nombreux travaux traitent soit de l’Afrique,
soit de la France. D’autres s’intéressent à la politique de la France en Afrique, mais
généralement de manière partielle, en se cantonnant à l’un ou à l’autre de ses grands axes
(politique, économique, sécuritaire, culturel...). Il nous paraît donc intéressant d’appréhender
la politique de la France en Afrique dans son ensemble, afin d’en situer les différents enjeux.
Nous essaierons autant que possible de nous garder de verser dans des considérations d’ordre
idéologique, afin de ne pas susciter de vaines polémiques et d’éviter tant la diabolisation que
la langue de bois.
Dans un souci de cohérence, le cadre géographique de ce travail écartera d’emblée les
Etats d’Afrique du Nord, dont la prise en compte aurait exigé de s’intéresser à des
problématiques méditerranéennes et moyen-orientales, étrangères à l’Afrique subsaharienne à
laquelle nous limiterons notre réflexion.
D’aucun pourraient se demander pourquoi la France met en œuvre une politique
africaine alors qu’elle n’a pas spécialement de politique asiatique, malgré un présence
ancienne, certes révolue, en Indochine et aux Indes avec d’ex comptoirs. La réponse tient de
l’évidence : la France qui avait colonisé une grande partie du continent africain y avait établi
une présence et tissé des liens qui ne peuvent se comparer à ce qu’elle a pu entreprendre
ailleurs.
La politique africaine de la France ne procède ni d’une tactique accidentelle, ni d’une
improvisation, mais au contraire d’une stratégie réfléchie pour tenter de combler le vide créé
par l’accession à l’indépendance de ses anciennes colonies sur le « continent noir ». Notons
qu’au sein de la Communauté Française, certains des futurs chefs d’Etats africains ne
voulaient pas de l’indépendance, à l’instar de l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny ou encore du
gabonais Léon M’Ba. Ceux-ci reprochaient au Général de Gaulle de « couper le cordon
ombilical » liant leur pays à la « mère patrie ». Cependant, la France ne pouvait pas ignorer le
contexte international de l’époque qui faisait la promotion du « droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes » (droit issu de la Révolution Française de 1789) et donc de la décolonisation.
Vue d’Afrique, la France fait l’objet d’un double discours. Elle est admirée, aimée et
enviée pour son niveau de vie et sa protection sociale, pour la liberté d’opinion, y compris
politique, qui y règne, ou encore pour le rayonnement de sa culture. Mais parallèlement, la
5
France y est aussi critiquée. Un demi-siècle après les indépendances, il lui est encore reproché
d’être à l’origine des maux qui affligent l’Afrique, et la tentation de chercher dans le passé
colonial la cause de tous les problèmes contemporains rencontrés par celle-ci existe toujours.
En outre, un procès d’intention paradoxal est instruit contre la politique française en Afrique,
que le Président Sarkozy résumait bien lors de son discours du Cap en 2008 : « Nous nous
trouvons dans une situation où notre engagement politique, militaire ou économique aux
côtés de l'Afrique est perçu par beaucoup non comme une aide sincère, mais comme une
ingérence coloniale ; mais où, dans le même temps, une indifférence, un retrait ou une
absence d'engagement nous sont reprochés comme un abandon ou une ingratitude ». Ce
double procès d’intention démontre que si la France a bien eu des motifs et des raisons
personnelles à s’engager en Afrique, même si parfois sa politique a connu des dérives
largement contestables, l’Afrique est aussi demandeuse d’une certaine présence de la France
sur le continent.
Quelle politique africaine la France met-elle en œuvre après avoir accordé
l’indépendance aux Etats de son ex-empire colonial d’Afrique subsaharienne ? Comment cette
politique évolue-t-elle et s’adapte-t-elle face aux bouleversements que connaîtra le contexte
international depuis les années 1960 ? La France a-t-elle encore un rôle à jouer en Afrique, et
si oui, lequel et selon quelles modalités ?
Répondre à ces questions nécessite d’abord de s’intéresser aux modalités du maintien
de l’influence française dans les divers registres où celle-ci s’exprime sur ses ex-colonies,
ainsi qu’à la tentative d’élargissement du « pré carré » traditionnel français juste après les
indépendances. Puis les réformes de cette politique à la suite de critiques dont elle a pu faire
l’objet et aux bouleversements internationaux des années 1990 seront examinées.
Une deuxième partie sera consacrée à l’européanisation de la politique française en
Afrique, aussi bien dans les domaines économique, politique, d’aide au développement ou
encore la sécurité et la défense.
Enfin, une troisième partie s’attachera à considérer la nouvelle donne introduite en
Afrique par la venue de nouveaux acteurs, et dans quelle mesure ceux-ci y bousculent la
politique de la France.
6
PARTIE 1 : La politique de la France en Afrique
Les relations entre la France et l’Afrique sub-saharienne sont anciennes. Dès le
XVIIème siècle, des comptoirs sont fondés sur les côtes de Guinée et du Sénégal pour
intensifier la traite des esclaves, et une présence est établie sur les îles Bourbon (future île de
la Réunion) et de France (future île Maurice), ainsi qu’à Madagascar. Mais c’est au XIXème
siècle, dans le cadre des rivalités impériales des grandes nations européennes, que celles-ci se
partageront l’Afrique. Pour la France, le phénomène s’accentue à partir de 1871 en vue de
compenser la défaite contre la Prusse avec la perte de l’ « Alsace-Lorraine », afin de recouvrer
une position dominante dans le concert des nations européennes. Les empires coloniaux
atteindront leurs étendues maximales pendant l’entre deux guerres et leur apogée sera
consacrée en France par l’Exposition coloniale internationale de Paris, au Bois de Vincennes
en 19311.
Les deux principales puissances coloniales en Afrique sont le Royaume-Uni et la
France. La majeure partie de l’Afrique de l’Ouest, du Sénégal (Afrique Occidentale Française
ou A.O.F.) à l’Oubangui-Chari (Afrique Equatoriale Française ou A.E.F.) ainsi que
Madagascar, la Réunion, les Comores et la Côte française des Somalis (actuel Djibouti) sont
sous influence française. Les possessions et mandats britanniques, bien que présents à l’Ouest
(la Gambie, le Sierra Leone, la Golden Coast, la Nigeria et le West Kamroon) se situent
surtout à l’Est et au Sud du continent, de l’Egypte à l’Union Sud Africaine. Les autres Etats
européens présents de façon plus limitée en Afrique sont la Belgique, le Portugal, l’Espagne
et l’Italie. Seules l’Abyssinie (actuelle Ethiopie) et le Libéria échapperont à la colonisation,
malgré une courte présence italienne de cinq ans pour la première.
1
Encyclopédie Larousse en ligne, http://www.larousse.fr/encyclopedie/autreregion/Empire_colonial_fran%C3%A7ais/120109, consultée le 11 octobre 2013.
7
Figure 1 : Les domaines coloniaux en Afrique en 19251
La Seconde Guerre Mondiale détruit définitivement le prestige de l’Europe, déjà
gravement entamé au lendemain de la Première Guerre Mondiale.
Les puissances européennes en déclin et ruinées ne peuvent pas ignorer le nouveau contexte
international marqué par la promotion du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, principe
issu de la Révolution française de 1789, et de son corollaire : la décolonisation.
L’indépendance est donc accordée successivement et de façon plus ou moins pacifique à
toutes les possessions européennes entre 1957 (Ghana, ex-Golden Coast) et 1975 (domaine
colonial portugais).
Toutefois, la France n’est pas prête à renoncer à aux avantages stratégiques et
économiques qu’elle détenait en Afrique. De plus, le contexte de la Guerre froide pousse les
occidentaux à garder leur zone d’influence en Afrique pour contrer l’expansion soviétique.
1
Atlas Historique, http://www.atlas-historique.net/1914-1945/cartes_popups/Afrique1925GF.html, consulté le
11 octobre 2013
8
A ce titre, le message que le Président de Gaulle adresse à son homologue gabonais
Léon M’Ba le 5 juillet 1960 est assez évocateur : « On donne l’indépendance à condition que
l’Etat, une fois indépendant, s’engage à respecter les accords de coopération conclus. Il y a
deux systèmes qui entrent en vigueur simultanément : indépendance et accords de
coopération. L’un ne va pas sans l’autre. »1
La France signe donc avec la plupart de ses anciennes colonies des dispositifs de
coopération, dans des domaines aussi variés que la sécurité, la monnaie, l’aide au
développement ou encore la culture. Les nouveaux Etats indépendants se trouvent inscrits, de
fait, dans une forme de continuité avec la situation de subordination de l’époque coloniale.
I. Des indépendances aux années 1990 : le maintien de la
tutelle française
1. Les accords de défense et de coopération militaire
Des accords de défense et des accords de coopération militaire sont signés entre la
France et la plupart de ses anciennes colonies. Ceux-ci sont nécessaires dans la mesure où les
armées nationales africaines sont souvent déstructurées et incompétentes, et donc inaptes à
assurer la Défense de leur pays contre des mouvements rebelles ou des attaques extérieures.
Le but des accords de Défense est de permettre une intervention militaire française
quand l’Etat partie à l’accord subit une agression extérieure. Cela implique l’autorisation de
stationnement de troupes françaises dans le pays signataire. Juridiquement, l’accord de
Défense ne permet pas d’intervenir contre un mouvement d’insurrection nationale, mais
seulement en cas d’attaque de pays tiers et de bandes armées. En cas de conflit interne, le
Droit international n’autorise donc pas la France à prendre part aux hostilités en invoquant des
accords de Défense conclus.
Mais une confusion est entretenue pour que la distinction entre agression extérieure et
insurrection soit floue. De plus, ces accords comportent de nombreuses clauses secrètes que
même le Parlement français ignore, alors qu’il est normalement compétent en la matière.
1
M’Zali Abderrahmane, La Coopération franco-africaine en matière de Défense, Etudes africaines,
l’Harmattan, Paris, 2011, p. 26
9
Cette opacité masque les clauses les plus controversées qui protègent certains chefs d’Etats
africains « amis » de la France (mais pas forcément démocratiques), afin que les intérêts
français perdurent en Afrique.
Avec ces accords de Défense, la France dispose en Afrique d’une présence militaire
unique, dont ne dispose aucun autre Etat occidental en Afrique. Certains voient ces accords
comme la prolongation de la colonisation par d’autres moyens qui rendent les indépendances
des Etats parties plus théorique que réelle.
Si les accords de Défense autorisent une intervention militaire française sur le
territoire de l’Etat africain partie au traité, les accords de coopération militaire permettent la
formation, l’équipement et l’encadrement de l’armée de l’Etat partenaire par la France. Même
si en Droit les accords de coopération militaire sont moins controversés, ils ne sont pas
exempts de polémiques. A ce sujet, la plus évocatrice est celle du Rwanda en 1994, lorsque la
France a été accusée d’avoir équipé et encadré l’Armée rwandaise, responsable d’une partie
du génocide.
Les Etats africains qui coopèrent le plus avec la France sont pour l’essentiel des
anciennes colonies françaises : Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo-Brazzaville, Côted’Ivoire, Djibouti, Gabon, Sénégal, Tchad et Zaïre (depuis 1997, République Démocratique
du Congo). Celles-ci concluent des accords de Défense qu’elles associent à des accords de
coopération militaire. Les autres Etats se limitent à la coopération militaire. Certains Etats qui
n’avaient pas signé d’accords de coopération militaire dès la décolonisation ont dû s‘y
résoudre plus tard, parce que les indépendances en Afrique se sont accompagnées de la
prolifération de conflits internes ou régionaux.
Notons que si les Etats du Maghreb ont des relations importantes avec la France, ils
ne font pas partie du « pré carré » français. Les conditions difficiles de leur décolonisation,
surtout pour l’Algérie, les poussent toujours à adopter une attitude méfiante envers la France.
La France est ainsi la puissance étrangère la mieux intégrée en Afrique. Elle est la
seule grande puissance qui a su négocier des accords qui lui confèrent une influence sur le
continent - au détriment de la souveraineté des Etats – à tel point qu’elle est appelée « le
gendarme de l’Occident en Afrique ». Elle peut assurer le maintien de la paix sur des
territoires de régimes politiques « amis », diriger des opérations militaires et humanitaires et
sauver des régimes politiques alliés. Cette place stratégique privilégiée n’est pas due au
hasard mais a une politique volontariste française qui, contrairement aux autres anciens
empires coloniaux européens, a cherché à maintenir son influence en Afrique après la vague
10
des indépendances. Même le Commonwealth britannique a instauré des relations beaucoup
moins intenses et moins étendues avec ses ex colonies que ne l’a fait la France.
2. Les accords de coopération monétaire
L'émergence de la zone franc est liée à la crise de 1929 et à la nécessité, dans un
monde qui se fragmente en différentes zones monétaires, de garantir une stabilité monétaire
autour du maintien de la convertibilité avec le franc français. Formellement créée en
septembre 1939 par un décret instaurant une législation des changes commune pour tous les
territoires de l'empire colonial français, la zone franc est maintenue après les indépendances.
En effet, la France et ses anciennes colonies signent des accords bilatéraux de coopération
monétaire. Celles-ci demeurent néanmoins libres d’émettre leur propre monnaie, et de quitter
ainsi la Zone franc, tout en maintenant une coopération monétaire avec la France
La Zone franc regroupe deux zones monétaires en Afrique :
- les États membres de l'Union monétaire Ouest africaine (UMOA) - Bénin, Burkina-Faso,
Côte-d'Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo, ainsi que la Guinée Bissau
(ancienne colonie portugaise lusophone) - qui se sont constitués en union monétaire par le
traité du 14 novembre 1973 ;
- les États membres de l'Union monétaire d'Afrique centrale (UMAC) - Cameroun, Tchad,
Centrafrique, Congo, Gabon et Guinée équatoriale depuis 1985 (elle aussi ancienne colonie
portugaise lusophone) - qui se sont constitués en union monétaire par le traité du 23 novembre
1972.
La monnaie commune, le Franc-C.F.A (anciennement Franc des Colonies Françaises
d’Afrique, aujourd’hui franc de la Communauté Financière africaine) et l’harmonisation des
législations bancaires en zone franc favorisent l’implantation des banques françaises et
l’intensification des échanges économiques entre la France et les pays de la zone, parce que
les mouvements de capitaux et les transactions commerciales et financières sont libres (1990)
Ces unions monétaires sont complétées par des unions économiques, lors de l’adoption
du Traité constitutif de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (U.E.M.O.A.) et du
Traité instituant la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (C.E.M.A.C.).
Ils sont signés respectivement le 10 janvier 1994 à Dakar et le 16 mars 1994 à N’Djamena au
11
Tchad entre les États membres de chacune des deux unions monétaires, héritage des ancienne
A.O.F. et A.E.F. Les partenariats régionaux en sont ainsi renforcés.1
Ainsi, la zone Franc est un legs de l’époque coloniale qui contribue à donner à la
France un avantage stratégique en Afrique sur les autres pays. Toutefois, la zone C.F.A. qui
fut longtemps un vecteur de pénétration des marchés pour les firmes françaises l’est de moins
en moins. D’une part, la France est passé à l’Euro, comme nombre d’Etat européens. De
l’autre, dans un marché mondialisé, l’essentiel des échanges est désormais libellé en dollar.
3. L’aide bilatérale au développement
L’aide bilatérale au développement apparaît au tournant des années soixante, dans le
contexte de la bipolarisation du monde issue de la Guerre froide et de la décolonisation. Elle
est principalement mise en œuvre par les deux principales anciennes puissances colonisatrices
européennes : la France et le Royaume-Uni. Fondée sur des accords de coopération, l’aide
bilatérale est l’un des moyens qui permet aux anciennes métropoles d’entretenir une relation
de tutelle sur ses ex colonies et de se réapproprier un espace géopolitique majeur au sud du
Sahara.2
L’aide bilatérale au développement ne se limite pas à la mobilisation de financements
conséquents. La France influence la manière dont ces programmes sont conçus et mis en
œuvre. Pour ce faire, les accords bilatéraux lui permettent d’être matériellement présente sur
le terrain de la mise en œuvre des actions de développement, dans les pays bénéficiaires. Etant
donné l’ancrage français de longue date en Afrique subsaharienne, celle-ci dispose d’une
expérience sur le terrain qui facilite la mise en place des programmes d’aide.
a) L’aide liée
De plus, paradoxalement, la France gagne économiquement à aider financièrement les
pays en développement. En effet, jusqu’au début des années 2000, l’aide est liée. Cela
1
Ministère de l’Economie et des Finances et Ministère du Commerce extérieur, Direction générale du Trésor,
https://www.tresor.economie.gouv.fr/cooperation-monetaire-la-zone-franc/DocumentsReference, consulté le 17
octobre 2013
2
SIMON Thierry, « Permanences bilatérales dans l’aide au développement en Afrique subsaharienne »,
EchoGéo [en ligne], n°14, septembre 2010/novembre 2010, consulté le 22 octobre 2013.
12
implique que les Etats africains ont l’obligation de confier aux seules entreprises françaises
les projets financés par la Caisse Centrale de coopération économique (l’actuelle Agence
française de développement). Les aides apportées par la France en Afrique ont donc des effets
bénéfiques sur l’économie française. Le rapport d’Yves Berthelot et de Jacques de Brandt1
demandé par le gouvernement Rocard (1980) mesure l’impact de l’aide publique française sur
les exportations et les emplois en France. Il constate que le taux de retour moyen est d’environ
70%, ce qui est loin d’être négligeable. Ces retours directs correspondent à des sommes
dépensées en France : montant des contrats obtenus par les entreprises françaises, achats de
produits français, transferts au profit d’une personne physique ou morale française. La
coopération économique entre la France et les pays africains favorise aussi la création
d’emplois allant à des citoyens français dans plusieurs Etats africains. En conséquence, on
voit qu'en aidant les pays africains, la France s'y retrouve largement.
b) Une volonté d’élargissement de la zone d’influence française initiale
En 1960, l’espace où la France octroie une aide bilatérale au développement
correspond aux Etats nouvellement indépendants de l’Afrique Occidentale Française (A.O.F.)
et de l’Afrique Equatoriale Française (A.E.F.), plus Madagascar. Cet espace concorde avec
l’ancien « pré carré » de la présence française presque séculaire dans cette partie du monde.
Mais la France, en quête d’une influence de plus en plus étendue, cherche à multiplier les
accords bilatéraux d’aide au développement.
Dès 1963, un premier élargissement a lieu avec l’entrée de trois pays qui sont des
anciennes possessions belges : le Burundi, le Rwanda (ex protectorat du Ruanda-Urundi) et
surtout l’immense Congo Léopoldville, qui deviendra le Zaïre en 1971, puis la République
Démocratique du Congo en 1997.
En 1976, une nouvelle extension vient battre en brèche une règle implicite qui
consistait à cantonner l’aide bilatérale à des territoires francophones. Trois Etats lusophones,
anciennes colonies portugaises tout justes devenues indépendantes à la suite de la "Révolution
des œillets", à Lisbonne (1974), sont intégrés au « pré carré » de la coopération française :
l’archipel du Cap Vert, la Guinée-Bissau et Sao Tomé et Principe.
1
BERTHELOT Yves et de BRANDT Jacques, Impact des relations avec le Tiers monde sur l’économie
française, Paris, La documentation française, 1982, pp. 198 - 199
13
Djibouti intègre le champ dès son indépendance acquise en 1977 seulement, suivi par les
Comores en 1978, la Guinée Equatoriale (ex-colonie espagnole) et la Guinée Conakry en
1984.
L’élargissement prend une autre dimension en 1995 dans la mesure où pas moins de
dix-huit nouveaux pays africains sont intégrés dans cet espace de coopération entièrement
redessiné. Ces pays africains sont pour la plupart d’anciennes colonies britanniques, et
certains ont un poids démographique et économique considérables. Il s’agit par exemple de
l’Afrique du Sud, véritable puissance régionale et continentale ; de la Nigéria, « géant » à
l’angle du Golfe de Guinée, à la croisée de frontières culturelles capitales pour le continent ;
ou encore du Soudan (pas encore amputé du Sud Soudan), Etat en grande instabilité
récurrente, mais future puissance pétrolière majeure et clef géopolitique à l'Est du Sahel.
La France s’est ainsi évertuée à inscrire prioritairement son action d’aide au
développement dans un champ africain afin de maintenir des liens avec ce continent. Une
continuité des appuis financiers existe de longue date dans cette région. En effet, l’Afrique
subsaharienne demeure toujours la destination majoritaire de ces aides. Elle en a reçu plus de
90 % dans les années soixante, 80 % dans les années soixante dix, 63 % en 1995, 58 % en
2005, 55 % en 20111. Même si au cours du temps la part de l’aide à destination de l’Afrique
diminue, l’Afrique reste la priorité géographique de la coopération française.
En outre, la France n’abandonne pas l’aide bilatérale malgré sa contribution croissante
aux budgets d’aide au développement de différentes organisations mondiales (Banque
mondiale) et régionales (U.E.) qui veulent associer et coordonner les efforts des Etats
contributeurs. Cela s’explique par sa volonté de rester ancré sur le terrain afin de garder son
influence, alors que les fonds multilatéraux sont mobilisés de façon indifférenciée dans les
pays bénéficiaires et y restreignent d’autant les marges de manœuvre géopolitique,
économique, et en conséquence l’influence culturelle des Etats contributeurs.
1
Ministère des Affaires étrangères, l’Aide publique au Développement,
http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/aide-au-developpement-et/dispositifs-etenjeux-de-l-aide-au/l-aide-publique-au-developpement/ , consulté le 10 octobre 2013
14
4. La langue française, lien entre la France et l’Afrique
"Dans les décombres du colonialisme, nous avons trouvé cet outil merveilleux, la langue
française", disait le poète Léopold Sédar Senghor, premier président du Sénégal indépendant.
Cette formule reflète la volonté des pères fondateurs de la Francophonie institutionnelle
(Senghor et ses homologues : le tunisien Habib Bourguiba et le nigérien Hamani Diori) de
mettre à profit la langue française au service de la solidarité, du développement et du
rapprochement des peuples par le dialogue permanent des cultures et des civilisations.1
a) L’A.C.C.T.
Ce projet aboutissait le 20 mars 1970 à la signature de la Convention créant l’Agence
de coopération culturelle et technique (A.C.C.T.) par les représentants de vingt-et-un Etats et
gouvernements, dont treize d’Afrique subsaharienne, à Niamey (Niger). Cette nouvelle
organisation intergouvernementale était fondée sur le partage de la langue française, en vue de
promouvoir, de diffuser et d’intensifier la coopération technique et les échanges culturels.
Notons que les Alliances françaises diffusaient déjà la langue française et les cultures
francophones, mais cela semblait ne pas suffire. En effet, il s’agissait désormais, sur une base
de réciprocité, de favoriser des échanges multiculturels utilisant la langue française et ne plus
se contenter du seul enseignement de la langue.
A titre d’exemple, l’A.C.C.T. met en place à partir de 1986 des Centres de lecture et
d’animation culturelle (C.L.A.C.) qui offrent aux populations des zones rurales et des
quartiers défavorisés un accès aux livres et à la culture. On en dénombre aujourd’hui deux
cent quatre vingt quinze, répartis dans vingt-et-un pays. Par ailleurs, le premier Marché des
arts du spectacle africain (M.A.S.A.) est organisé à Abidjan (Côte d’Ivoire) en 1993.
Parallèlement, un programme d’appui à la circulation des artistes et de leurs œuvres est lancé,
ouvrant les frontières aux créations d’arts vivants : art du conte, théâtre, danse, musique.
Le projet francophone évolue régulièrement. L’A.C.C.T. devient en 1998 l’Agence
intergouvernementale de la Francophonie et, en 2005, l’Organisation internationale de la
Francophonie (O.I.F.).
1
Organisation Internationale de la Francophonie, http://www.francophonie.org/L-Organisation-internationalede-42707.html, consulté le 8 octobre 2013
15
b) Les sommets de la Francophonie
Dès 1986, à l’initiative du Président de la République française, le premier Sommet de
la Francophonie réunit les chefs d’État et de gouvernement des pays francophones à
Versailles. Trente-trois Etats, dont dix-huit d’Afrique subsaharienne y participent. Ils
retiennent trois axes essentiels de coopération multilatérale : le développement en général, les
industries de la culture et de la communication, ainsi que le développement technologique
couplé à la recherche et à l’information scientifique.
En 2000, au Mali, la Francophonie adopte la « Déclaration de Bamako », texte
contraignant pour les membres qui ne respectent pas les valeurs démocratiques qu’elle
promeut.
A la culture et à l’éducation, domaines originels de la coopération francophone, se sont
ajoutés, au fil des Sommets, le champ politique (paix, démocratie et droits de l’Homme), le
développement durable, l’économie et les technologies numériques. Par ailleurs, le nombre de
membres de l’O.I.F. n’a cessé d’augmenter pour atteindre en 2013 soixante dix-sept Etats et
gouvernements membres, dont trente d’Afrique subsaharienne.
La place de la France sur la scène internationale s’en trouve donc progressivement renforcée,
au risque d'une certaine dilution dans un vaste espace géographique et géopolitique jusque-là
étranger à sa sphère d'influence traditionnelle.
Ainsi, pour développer les domaines de coopération traditionnels en Afrique
(économie, défense...), la France a su se servir de sa langue pour y maintenir, voire y
renforcer son influence en Afrique.
5. Les sommets France - Afrique
La création des sommets franco-africains est de l’initiative des Etats africains
francophones. Le président nigérien Diori Hamani en est véritablement l’inventeur. En 1970,
lors d’un entretien avec Jacques Foccart alors secrétaire général de l'Élysée aux affaires
africaines et malgaches, il lui confie ceci : « nos relations ne sont plus les mêmes qu’il y a dix
ans. Vous ne nous consultez plus. (...) Il y a bien des réunions interministérielles, mais les
16
ministres ne traitent que de problèmes techniques. Il faut que nous ayons une réunion francoafricaine au sommet autour du président Pompidou pour faire un point politique sérieux.»1
En 1973, les présidents Senghor (Sénégal) et Houphouët-Boigny (Côte d’Ivoire),
appuyés par la suite par les Présidents Bongo (Gabon), Eyadema (Togo), Lamizana (Burkina
Fasso) et Bokassa (République centrafricaine) souhaitent regrouper leurs doléances face à la
France plutôt que de voir de façon anarchique tous les chefs d’Etat africains venir tous les ans
en France. La première conférence a lieu à Paris le 13 novembre 1973 autour du Président
Pompidou, au cours de laquelle le Président du Niger en demande la pérennisation à un
rythme annuel.
Cette sollicitation africaine de la France montre que si les ex possessions françaises
sont officiellement devenues indépendantes, elles restent en pratique dépendantes de la France.
a) Les deux grands thèmes : l’économie et la sécurité.
Les enjeux économiques discutés se rapportent aussi bien à l’accroissement de l’aide
financière et technique pour développer l’intégration régionale qu’au réajustement de la dette
africaine, ou encore à la revalorisation des matières premières. L’amélioration des
conventions de Yaoundé, puis de Lomé et de Cotonou entre nombre de pays africains et la
Communauté Economique Européenne est aussi évoquée. La France est donc sollicitée
comme interlocuteur pour plaider pour l’Afrique au niveau régional et mondial.
Les questions débattues autour de la sécurité concernent les crises faisant l’actualité au
moment de chacun des sommets et pour lesquelles les africains sollicitent l’aide de la France
en vue de les résoudre. A titre d’exemple sont évoqués les problèmes relatifs au Sahara
occidental, à l’Afrique du Sud, à la Namibie, mais surtout au conflit Tchad-Libye, qui est l’un
de ceux qui alimente le plus les débats des sommets franco-africains. Il est abordé sans
interruption du sommet de Nice (1980) à celui de Casablanca (1988). Certains belligérants
n’apprécient pas l’intervention de la France dans leurs affaires, à l’instar du Colonel Kadhafi
qui déclare lors de la douzième conférence franco-africaine de Paris (1985) que ces sommets
sont « une forme d’aliénation, de subordination, une honte pour l’Afrique, une contradiction
flagrante avec l’indépendance des pays qui y participent. (...) Cette forme de réunion doit
1
Cité par POKAM Hilaire de Prince, Le Multilatéralisme franco-africain à l’épreuve des puissances, Défense
Stratégie & Relations Internationales, L’Harmattan, Paris, 2013, p.112
17
disparaître complètement. » 1 . Néanmoins, la France reste le principal arbitre garant de la
sécurité régionale.
Le principal enjeu pour les représentants français est à chaque fois de faire la preuve
de l’aptitude de la France à contrôler les relations entre tous les Etats membres et ainsi à
montrer qu’il est de l’intérêt de tous à rester groupé sous sa direction.
b) L’élargissement de la zone d’influence initiale
C’est à travers la mobilisation progressive des Etats africains aux sommets francoafricains que les dirigeants français parviennent à consolider et à élargir leur zone d’influence
initiale.
Au premier sommet de 1973, les onze pays africains représentés sont tous d’anciennes
colonies françaises, membres de la zone Franc et francophones. En s’appuyant sur les
conférences franco-africaines, les dirigeants français se rapprochent d’Etats qui ne se
rattachaient pas à sa zone d’influence traditionnelle.
Cette initiative trouve son fondement tant dans les textes des accords passés que dans la
pratique institutionnelle. Selon le rapport Gorse (1971), le redéploiement doit concerner
d’abord l’Afrique noire anglophone, tandis que le rapport Abelin (1975) rappelle de
privilégier les relations avec les pays francophones. Selon ce dernier, l’élargissement doit
s’appliquer d’abord aux anciennes colonies belges et à ceux qui déclarent vouloir faire du
français la langue principale dans leurs relations internationales.
Dans la pratique, les sommets amorcent leurs élargissements en 1975 en accueillant les
dirigeants d’anciennes colonies belges (Zaïre, Burundi et Rwanda), puis portugaises (CapVert, Guinée-Bissau, Sao- Tomé et Principe), et à partir de 1979 des pays anglophones tels
que le Libéria. Quarante-cinq pays seront représentés au sommet d’Ouagadougou en 1996.
Ainsi, après avoir accordé l’indépendance à toutes ses ex colonies d’Afrique
subsaharienne, la France met en place un large dispositif de coopération couvrant de
nombreux aspects : dialogue politique lors les sommets France-Afrique, accords de défense et
de coopération militaire, coopération monétaire, aide au développement, coopération
culturelle. Mais, ce faisant, la France est accusée par ceux qui voudraient s’implanter dans son
« pré carré » africain de vouloir poursuivre la colonisation par d’autres moyens afin de
1
Cité par Le Monde du 13 décembre 1985
18
préserver ses propres intérêts économiques et stratégiques sur le continent, quitte à soutenir
des régimes autoritaires et corrompus.
Les critiques de plus en plus vives stigmatisant cette dérive de type néocoloniale et
antidémocratique poussent la France à rénover sa politique de coopération, afin de l’adapter
au contexte diplomatique des années 1990 qui cherche (au moins officiellement) à débarrasser
l’Afrique des effets du néocolonialisme et de la Guerre froide.
II. L’inflexion des années 1990 : « ni ingérence, ni
indifférence »
Cinq éléments semblent révélateurs de la réforme de la politique française en Afrique :
le conditionnement de l’aide à la mise en place de la démocratie, la mise en place du
programme RECAMP, le discours de Cotonou, les nouvelles orientations de la politique de
sécurité et de défense et enfin l’évolution de l’aide au développement.
1. Le sommet de La Baule : la mise en place de la démocratie contre une
aide majorée
Le contexte international des années 1990 joue un rôle indéniable dans le vent qui
souffle en faveur de la démocratie sur le continent africain. La chute des régimes autoritaires
et de l’idéologie communiste en ex-U.R.S.S. et en Europe de l’Est est à l’origine d’un ample
mouvement de démocratisation. En Amérique latine, en Europe centrale et orientale comme
en Afrique, la démocratie s’impose progressivement comme le cadre de référence politique
incontournable, d’autant plus qu’elle est considérée comme indispensable au développement
économique. Elle est promue partout, tant au sein de l’ONU que dans le cadre d’organisations
régionales.1
Lors du sommet franco-africain de La Baule en 1990, le Président Mitterrand déclare
que « la France liera tout son effort de contribution aux efforts qui seront accomplis pour
aller vers plus de liberté ; Il y aura une aide normale de la France à l’égard des pays
africains, mais il est évident que cette aide sera plus tiède envers ceux qui se comporteraient
de façon autoritaire, et plus enthousiaste envers ceux qui franchiront, avec courage, ce pas
vers la démocratisation... ». Et de préciser : « s'agissant de démocratie, un schéma est tout
1
POKAM Hilaire de Prince, Communauté Internationale et gouvernance démocratique en Afrique, collection
Affaires Stratégiques, L’Harmattan, Paris, 2012, p.7
19
prêt : système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de la presse, indépendance
de la magistrature, refus de la censure…. ».
Le paradoxe du discours en faveur de la démocratie réside dans le fait que la chute du
Mur de Berlin et la disparition du Rideau de fer en 1990 en Europe de l’Est font perdre au
continent africain son statut de terrain d’affrontement idéologique, politique, économique et
militaire entre les blocs capitaliste et socialiste, ce dernier disparaissant. Ainsi, une des
motivations essentielles de l’aide publique au développement disparaissait, et soudain l’Est se
substitue au Sud dans les priorités des Etats occidentaux. De fait, entre 1990 et 2001, les
montants alloués à l’aide au développement pour l’Afrique subsaharienne passaient de trentequatre à vingt-et-un dollars par habitant et par an (avec il est vrai une démographie en hausse
sur la période considérée). Les retombées promises de la démocratie ne sont donc pas au
rendez-vous1, et cela est perçu par les africains comme un « lâchage » de la part de l’ancienne
métropole.
De plus, l’Europe cherche à diffuser son propre modèle d’organisation politique et
sociétal en semblant oublier qu’il est issu de sa propre culture, et donc qu’il n’est pas
susceptible de s’implanter facilement dans n’importe quel contexte. Le Représentant des
Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest, Saïd Djinnit, explique bien la difficulté de la
situation :
« L’Afrique est confrontée à de nombreux dilemmes. Elle veut la paix, elle veut le
développement, elle veut aussi la démocratie et la justice. Parfois ces principes sont
contradictoires. Si à un moment donné il y a un choix à faire, l’Afrique se rangera toujours
du côté de la paix. La paix et la stabilité priment toujours sur le reste. Non pas parce que le
reste ne compte pas, mais parce qu’il n’y a pas d’autre solution. »2.
La France accorde donc une prime à la démocratisation des régimes africains.
Cependant, un préalable indispensable à la démocratisation est l’établissement de la paix.
C’est pourquoi la France met en œuvre un programme de Renforcement des Capacités
Africaines de Maintien de la Paix (RECAMP).
1
SENAT, Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées sur la politique africaine de la France, par M. Josselin de Rohan, 28 février 2011, p.18
2
DJINNIT Saïd, cité par le Rapport d’information du SENAT, ibid., p.11
20
2. RECAMP : un programme pour l’autonomisation de l’Afrique en
matière de défense
En 1997, Lionel Jospin, alors Premier ministre, définit la nouvelle politique africaine de la
France avec la formule « ni ingérence, ni indifférence ». La France marque ainsi sa volonté de
diminuer ses interventions directes et unilatérales en Afrique, sans pour autant laisser les
africains livrés à eux-mêmes en matière de sécurité. Dorénavant, ses interventions s’inscrivent
dans un contexte multilatéral, dans la mesure où elles s’appuient sur des décisions prises dans
un cadre européen et onusien (cf. infra).
Par ailleurs, consciente de la faiblesse opérationnelle des armées africaines et de la
nécessité de rendre l’Afrique autonome en matière de défense, la France met en place en 1997
un programme de Renforcement des Capacités Africaines de Maintien de la Paix (RECAMP).
Celui-ci vise à aider les Etats africains à assurer eux-mêmes la sécurité du continent dans un
cadre régional, et cela en coordination avec l'Organisation des Nations unies (O.N.U.), dans
les domaines de la prévention et de la gestion des conflits. Les principaux axes du programme
sont la formation, l'entraînement et l'équipement de militaires ayant vocation à intervenir dans
un pays de leur région. En conséquence, ce programme œuvre résolument au renforcement
des organisations régionales africaines, avec l’objectif de voir les interventions françaises se
réduire progressivement à un rôle de soutien plutôt qu'à des actions directes et solitaires. Une
autre finalité est que la France ne se limite plus à son seul ancien "pré carré" africain.
Certains voient dans ce programme une nette rupture avec le colonialisme qui était
jusqu’alors stigmatisé, puisque cette politique encourage les Africains à prendre leur destin en
main. D’autres dénoncent au contraire l’hypocrisie de cette solution motivée par des
considérations budgétaires, puisque « faire faire » est moins couteux que « faire ».
Parallèlement, il faut noter que les Britanniques et les Américains ont mis en place des
dispositifs comparables : un « Fonds commun pour la prévention des conflits en Afrique »
(Africa Conflict Prevention Pool, A.C.P.P.) pour les premiers et un programme d'aide et
d'entraînement aux opérations de crises africaines (African Contingency Operations Training
Assistance, A.C.O.T.A.) pour les seconds.
21
3. Le discours de Cotonou : deux idées nouvelles
Le discours de Cotonou (Bénin), prononcé par Nicolas Sarkozy, alors ministre de
l’Intérieur en 2006, comporte deux idées nouvelles. Il introduit la notion « d'immigration
choisie », c'est-à-dire « régulée, organisée, négociée entre les pays d'origine et les pays de
destination ». Il affirme également que la relation entre l'Afrique et la France n'est pas une
relation d'exclusivité. Si la relation avec le continent africain constitue une priorité de l'action
diplomatique de la France « il n'y a pas de chasse gardée».
Par ailleurs, la nécessité de maintenir des bases militaires françaises en Afrique est
réaffirmée, afin de permettre la prévention des crises et d’œuvrer au renforcement des
capacités africaines de maintien de la paix. « [les bases militaires ont pour mission] d'aider
l'Union africaine à construire une architecture de paix et de sécurité régionale qui permettra
au continent de disposer d'un outil pour mieux assurer, solidairement, sa sécurité et sa
stabilité » déclare N.Sarkozy.
4. Les nouvelles orientations de la politique de sécurité et de défense de la
France en Afrique à partir de 2008.
En 2008, les nouvelles orientations de la politique africaine de la France sont données lors
du discours du Président Sarkozy au Cap (Afrique du Sud), mais aussi dans le rapport
d’information de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée Nationale sur la
politique de la France en Afrique.
a) Renégociation des accords de Défense : transparence et multilatéralisme
C’est lors du discours du Cap que le Président français annonce sa volonté de renégocier
les accords de Défense avec ses partenaires africains, afin que ceux-ci deviennent totalement
transparents. Alors que les accords précédents accords contenaient des clauses secrètes
permettant à l'armée française d'intervenir en cas de troubles intérieurs, le texte des nouveaux
accords l’interdit de manière explicite. De plus, le Parlement français est maintenant
étroitement associé aux grandes orientations de la politique de la France en Afrique, qui, ainsi,
ne fait plus partie du « domaine réservé » du Chef de l’Etat, comme c’était l’usage depuis le
début de la Cinquième République.
22
La renégociation de ces accords controversés a effectivement eu lieu en 2009 pour le
Cameroun et le Togo, puis les mois suivants pour le Gabon, la Centrafrique, les Comores,
Djibouti, la Côte d'Ivoire, et enfin, en 2012, le Sénégal.
L'objectif prioritaire de la présence militaire française en Afrique est désormais orienté
vers l'aide apportée à bâtir le dispositif de sécurité collective, en particulier avec la mise en
place des « forces en attente » de l'Union africaine.
La référence au respect de la souveraineté, de l'indépendance et de l'intégrité territoriale
des partenaires vise à manifester la volonté de non-ingérence dans les affaires intérieures de
chacun des Etats concernés.
Enfin, ces accords comportent une dimension multilatérale prévoyant l'association au
partenariat de défense d'autres pays africains ou européens, ainsi que les institutions de
l'Union européenne et de l'Union africaine et les ensembles sous régionaux de cette dernière.
Les systèmes de sécurité collective de l'ONU et de l'Union africaine sont pris en compte ainsi
que le partenariat stratégique Afrique-Union européenne défini à Lisbonne en 2007 (cf. infra)
Cette nouvelle donne juridique s'inscrit dans un projet plus vaste de réorganisation du
dispositif militaire français sur le continent. Définie par le Livre blanc sur la sécurité et la
défense publié en juin 2008, elle est dictée autant par des considérations budgétaires - la
présence française en Afrique pesait 800 millions d'euros par an en 2008 - que par des visées
géopolitiques et géostratégiques autres. La France souhaitait alors réorienter ses efforts et sa
présence au Moyen-Orient (plus précisément dans le Golfe, avec une présence aérienne et
navale, et au-delà, avec une participation à la guerre en Afghanistan). On observe que les
changements de priorités en politique internationale décrits ci-dessus s'inscrivent à la suite du
choix fait par la France, à cette époque, de ré-intégrer la structure militaire intégrée de
l'OTAN, que le Général de Gaulle lui avait fait quitter quatre décennies plus tôt, en 1967.
b) 2008 : vers un recul de la France en Afrique
Les effectifs des forces françaises en Afrique subsaharienne ont été divisés par deux
entre 1960 et 1980, passant de trente mille à quinze mille hommes. Cette décrue s’accentue
entre 1995 et 2011 en suivant l'évolution de la professionnalisation des armées françaises.
Elles atteignent aujourd’hui, toutes forces confondues, moins de dix mille hommes.
23
La diminution des effectifs implique une concentration des moyens français, et par
conséquent une diminution du nombre de bases militaires. Le Livre blanc sur la sécurité et la
défense de 2008 expose clairement que : « notre dispositif devra comprendre, à terme, une
présence sur la façade atlantique du continent africain, une sur sa façade orientale(...) »
Ainsi, une cérémonie de restitution symbolique des emprises occupées par les forces
françaises au Sénégal a eu lieu au camp Bel Air le 9 juin 2010, et la France prévoit de ne
conserver à Dakar qu'un simple « pôle opérationnel de coopération à vocation régionale »,
fort d'environ 300 militaires.
c) 2013 : le retour de la France en Afrique suite à l’opération Serval au Mali
En janvier 2013, la France lance l’opération Serval au Mali dans le en vue de contrer
l’offensive victorieuse des forces djihadistes en direction de Bamako, afin de les empêcher
d’y prendre le pouvoir alors qu’elles avaient déjà atteint le fleuve Niger et occupé
Tombouctou. L’opération, menée dans le cadre de la résolution 2085 du Conseil de sécurité
de l’O.N.U., est entièrement française, contrairement à ce qui avait été envisagé initialement.
On observe que ni l’Union européenne, ni l’Union africaine n’ont participé à l’intervention,
parce que d’une part il fallait intervenir sans délai, et d’autre part par manque de moyens
disponibles et par excès de prudence.
Les Etats européens ne portent pas tous le même intérêt à l’Afrique et tous connaissent
des restrictions budgétaires qui affectent leurs forces armées. C’est pour ces raisons que
l’Union européenne est heureuse de laisser la France intervenir seule sur le terrain dans son
ancienne « chasse gardée » africaine, au risque de paraître renouer avec son passé et de se
faire accuser de néo-colonialisme. L’Union européenne se contentera de déployer une mission
(quatre cent cinquante militaires, dont deux cent instructeurs) destinée à former et à
réorganiser l'armée malienne, à partir de la mi-février 2013. Pour ce qui est de la participation
de l’Afrique, la France obtient un soutien de la Communauté économique des Etats de
l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) qui crée une Mission internationale de soutien au Mali
(MISMA). Notons que lors de cette opération, la France n’hésite pas à s’allier avec les soldats
tchadiens envoyés par le dictateur Idriss Deby, ce qui remet en cause la politique française de
promotion de la démocratie.
Quatre mois après le début de cette intervention est publié un nouveau Livre blanc sur
la Défense et la Sécurité. Celui-ci porte la marque de l’opération Serval au Mali : alors que
24
Bercy comptait diminuer le budget militaire dans le cadre des réductions des dépenses
publiques, le nouveau Livre blanc préconise pour l’essentiel le maintien du niveau global de
crédits militaires pour la période à venir. En outre, non seulement il ne préconise plus le
désengagement du continent, mais il rappelle l’importance stratégique et l’utilité pratique des
prépositionnements et des bases militaires. En effet, la France n’aurait pas pu intervenir si
rapidement au Mali si elle n’avait pas disposé de forces prépositionnées au Tchad et en Côte
d’Ivoire. C’est dans cet esprit que le 22 avril 2013, la France vote la permanence d’une force
d’appui au Mali.
En octobre 2013, la France songe à intervenir militairement en République
Centrafricaine, mise à feu et à sang par des groupes armés terroristes islamiques partis à la
conquête du pays et déjà installés à Bangui, la capitale. S’il est probable qu’elle agisse de
concert avec les contingents de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique
(MISCA), la France sera probablement le principal protagoniste de l’intervention, étant donné
que les troupes africaines sont mal équipées, peu entrainées, pas toujours disciplinées et moins
rapides à se mettre en place.
L’opération Serval marque donc l’incapacité des organisations sous-régionales
africaines de prendre en charge, seules, la sécurité du continent. Cette lacune implique que la
France devra continuer à intervenir directement. Cela explique la récente inversion de la
tendance de la politique de présence militaire française en Afrique, qui ne cherche plus à
diminuer ses forces prépositionnées sur le continent. Pour autant, le temps de l’unilatéralisme
est révolu. C’est désormais dans un cadre multilatéral que la France intervient en Afrique,
avec l’accord juridique de l’O.N.U. et des organisations africaines, et avec sur le terrain, la
collaboration plus ou moins significative d’autres armées, européennes ou africaines. En effet,
l’O.N.U. constitue une source de légitimité indispensable et de protection contre toute
accusation d’arbitraire qui pourrait être adressée à une opération décidée sans mandat
international.
5. Les nouvelles orientations de la politique d’aide au développement de la
France en Afrique à partir de 2008
L’aide française au développement devient multilatérale et se tourne vers le soutien à
l’initiative privée pour favoriser la croissance et le développement.
25
a) Une aide de plus en plus multilatérale
Comme de nombreuses autres politiques publiques, la politique d’aide au
développement a été modifiée du fait la montée en puissance des engagements multilatéraux,
notamment européens. En effet, le Fonds européen de développement (F.E.D.) occupe une
place croissante dans l’aide française, dont il représente en 2008 près de 8 % du total. Si l’on
y ajoute la contribution de la France au budget de l’Union européenne, on constate qu’environ
15 % de l’A.P.D. française (soit un montant de 1.885 millions de dollars en 2006) empruntent
aujourd’hui le canal communautaire. Cette montée en puissance du volet multilatéral de l’aide
française (de l’ordre de 7 % de progression annuelle pour la décennie 1997 à 2007) s’est
accompagnée d’une diversification des objectifs. 1 En effet, la France agit aussi dans des
domaines couverts par les Objectifs du millénaire en matière de santé (fonds SIDATuberculose-Paludisme) ou d’éducation, mais également pour la préservation des biens
publics mondiaux.
Toutefois, il convient de noter que l’aide publique bilatérale continue de représenter la
majorité de l’aide de la France en Afrique.
b) Discours du Cap en 2008 : les débuts d’un soutien à l’initiative privée pour
favoriser le développement
La nouveauté apportée à la politique d’aide au développement lors du sommet du Cap
en 2008 est l’annonce du soutien à l’entreprise privée pour favoriser la croissance économique
et la création d’emplois en Afrique. En effet, dans les pays en développement, les Très Petites
Entreprises (T.P.E.) et les Petites et Moyennes Entreprises (P.M.E.) concentrent l’essentiel
des emplois, hors agriculture.
Le principal dispositif de cette initiative réside dans la création d’un fonds
d’investissement pour faciliter l’accès des T.P.E. et des P.M.E. africaines aux crédits
bancaires et au capital. Le Fonds d’Investissement et de Soutien aux Entreprises en Afrique
(F.I.S.E.A) voit effectivement le jour le 20 avril 2009. Il est détenu par l’Agence française de
Développement (A.F.D.) et géré par PROPARCO, la filiale de l’A.F.D. dédiée au
financement du secteur privé dans les pays en développement et émergents. Il prend des
1
Assemblée Nationale, Rapport d’information déposé par la commission des Affaires étrangères, « La politique
de la France en Afrique », 17 décembre 2008, consulté le 25 octobre 2013, disponible à l’adresse :
http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i1332.asp#P482_131255
26
participations dans des entreprises, des banques, des institutions de microfinance et dans des
fonds d’investissement déployant leur activité en Afrique subsaharienne.
L’objectif affiché du F.I.S.E.A. est d’investir cinquante millions d’euros par an pour
financer en cinq ans le développement d’une soixantaine d’entreprises et créer cent mille
emplois.1
c) Sommet Afrique-France de 2010 : mise en valeur du rôle de l’entreprise privée
dans le développement économique en Afrique
Comme l’a souligné le Président de la République française lors de son discours au
Cap en février 2008, la croissance économique de l’Afrique et la lutte contre la pauvreté
dépendent de l’aide publique au développement mais aussi de l’accroissement du volume des
investissements privés sur le continent.
Cette nouvelle orientation de l’aide française au développement vers le soutien au
secteur privé s'affirme dans la tendance donnée au vingt-cinquième sommet Afrique-France
qui s'est tenu à Nice du 31 mai au 2 juin 2010. Cinq sujets économiques y ont été abordés :
l’environnement des affaires ; le financement des entreprises en Afrique ; la formation
professionnelle ; la responsabilité sociale et environnementale des entreprises ; et les sources
d’énergie de demain.
Cette ouverture au monde économique et social est une première dans l’histoire des
sommets Afrique-France, à tel point que pour marquer l’évènement, le discours de clôture du
sommet a été prononcé par Laurence Parisot, alors présidente du Mouvement des Entreprises
de France (MEDEF).
Ainsi, la politique de la France en Afrique connait une inflexion dans les années 1990,
afin de ne plus laisser place à l’accusation de néocolonialisme, d’ingérence et de soutien
envers des régimes autoritaires en vue d’y préserver les intérêts de l’ancienne métropole.
1
Agence Française de Développement, « Fonds d’Investissement et de Soutien aux Entreprises en Afrique :
s’impliquer et investir aux côtés des entreprises africaines » [en ligne], Décembre 2009,
Disponible à cette adresse :
http://www.afd.fr/webdav/shared/PORTAILS/PUBLICATIONS/PLAQUETTES/AFD_FISEA_FR.pdf
27
Il en résulte une mise sous condition de l’aide accordée à la mise en place d’une
gouvernance laissant toute sa place à la démocratie et au respect des Droits de l’Homme.
Dans le même esprit, les accords de Défense sont renégociés afin d’en supprimer les clauses
secrètes et de leur donner une dimension multilatérale, et d’y intégrer la mise en place du
programme RECAMP afin d’aider l’Afrique à devenir autonome en matière de défense
régionale.
Toutefois, si le Libre blanc sur la sécurité et la défense de 2008 semblait s’orienter
vers un retrait militaire progressif de la France en Afrique avec la diminution du nombre de
bases militaires, l’opération Serval lancée au Mali en 2013 en inversera la tendance. Cette
intervention met en exergue l’utilité des prépositionnements français en Afrique et l’ampleur
du travail qu’il reste à accomplir pour rendre l’Afrique autonome en matière de Défense.
Dans le domaine de l’aide au développement, on observe une multilatéralisation
croissante de la contribution française avec toutefois le maintien d’une part importante d’aide
bilatérale, qui s’oriente depuis 2008 vers le développement du secteur privé pour soutenir la
croissance.
Il convient maintenant de se pencher sur l’européanisation de la politique française en
Afrique, concernant tant le commerce que l’aide au développement, ou encore la sécurité et la
défense.
28
PARTIE 2 : Européanisation de la politique de la
France en Afrique
Il convient d’étudier ici la coopération en matière de commerce et l’aide au
développement, la tentative d’élaboration d’un partenariat continental avec les sommets
Union européenne-Union africaine, et enfin la stratégie européenne en matière de sécurité et
de défense.
I.
La coopération européenne en matière de commerce et
d’aide au développement
La coopération entre l’Europe et les pays de d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique
(pays A.C.P., donc l’écrasante majorité se situe en Afrique) débute en 1957, avec la signature
du Traité de Rome donnant naissance à la Communauté Economique Européenne (C.E.E.).
La troisième partie du Traité envisage un régime d’association avec les Etats et des territoires
d’outre-mer (le processus de décolonisation étant à peine amorcé), reposant sur les principes
de libre commerce et d’aide au développement.
La quatrième partie prévoit quant à elle la création d'un Fonds européen pour le
développement (F.E.D.) financé par les Etats membres. Son objectif est de subvenir à tout
programme contribuant au développement économique, social ou culturel des pays A.C.P.
ainsi que des pays et territoires d'outre-mer (P.T.O.M.), afin d’éviter que ces pays ne tombent
dans la zone d’influence de l’U.R.S.S.
Chaque F.E.D. est conclu pour une période d'environ cinq ans et est renouvelé lors des
Conventions de Yaoundé, de Lomé, de Cotonou et de leurs révisions.
1. Les Conventions de Yaoundé (1963 – 1975) : prolongement de la
spécialisation et de la préférence coloniale.
La première Convention de Yaoundé (Cameroun) est signée le 20 juillet 1963 entre
l’Europe des Six et dix-huit « États africains et Madagascar Associés » (E.A.M.A.), désormais
29
indépendants. Elle octroie des avantages commerciaux et une aide financière aux anciennes
colonies africaines en renouvelant le F.E.D.
Sur le plan commercial, la Convention prolonge la spécialisation et la préférence
coloniales. Elle permet aux produits tropicaux de conserver un débouché européen à de
meilleures conditions de prix que celles offertes sur le marché mondial. Cela marque le début
des « préférences commerciales » qui accordent un meilleur accès au marché européen pour
les produits de base des nouveaux pays indépendants. Elle permet aussi aux anciennes
métropoles coloniales de sécuriser leur approvisionnement et aux pays exportateurs de
productions agricoles, souvent très spécialisés, de s’affranchir des fluctuations des cours sur
les marchés mondiaux des matières premières. Il est à noter que dans bien des cas, les
entreprises d’exportation des produits tropicaux africains sont à capitaux et sous management
européen (dans le cadre de l’Europe des Six de l’époque), français pour l’essentiel.
La deuxième Convention de Yaoundé n’introduit pas d’innovation majeure mais prévoit un
troisième F.E.D. en 1970.
2. Les Conventions de Lomé (1975 – 2000) : innovations commerciales et
conditionnement de l’aide
Signée en 1975 et correspondant au quatrième FED, la première convention de Lomé
(Togo) vise à intégrer certains pays du Commonwealth dans le programme de coopération,
après l'adhésion du Royaume-Uni à la Communauté européenne en 1972.
Trois innovations majeures figurent dans le domaine commercial : l’abandon de la
réciprocité de la préférence commerciale, la création du fonds de stabilisation des recettes
d’exportation (STABEX) et du système de développement du potentiel minier (SYSMIN).
Désormais, les préférences accordées aux pays A.C.P. sont unilatérales et ces derniers ne sont
pas
tenus
d’ouvrir
leurs
marchés
aux
exportations
européennes.
Le STABEX vise à corriger les fluctuations des cours des matières premières pour
vingt-neuf, puis trente-trois produits. Il fonctionne comme une assurance garantissant un
minimum de recettes d’exportation aux pays bénéficiaires, pour les produits représentant une
part importante des recettes à l’exportation, et si la chute desdites recettes est significative.
Le SYSMIN permet à un pays fortement dépendant d'un minerai particulier et
30
confronté à un recul de ses exportations d’accéder à des prêts. Il est conçu pour atténuer les
conséquences de la dépendance d'un Etat à l'exportation de ses ressources minières.
Pour ce qui est de l’aide financière, Lomé I donne la priorité aux infrastructures
(construction de routes, de ponts, d’hôpitaux et d’écoles), ainsi qu’à l'agriculture vivrière. Ces
priorités sont maintenues avec Lomé II (1980). La Convention de Lomé III (1985) continue
de financer les infrastructures, mais donne la priorité aux projets de développement rural afin
de promouvoir la sécurité alimentaire et de combattre la désertification et la sécheresse.
La principale innovation de Lomé IV (1990) est introduite lors de sa révision en 1995,
après la chute du Rideau de Fer et la démocratisation de l’Europe de l’Est. Elle donne une
place centrale au respect des droits de l'Homme, des principes démocratiques et de l'État de
droit. De plus, elle conditionne l’allocation des fonds au respect de ces principes. En cela, elle
s’inspire de la conférence franco-africaine de la Baule (1990) et du Traité de Maastricht
(1992), qui avait redéfini les priorités européennes de développement comme suit :
« promotion de la démocratie, de la lutte contre la pauvreté ; amélioration de la compétitivité
et de l'efficacité de l'aide. »1
Au total, si les Conventions de Lomé ont contribué à améliorer un tant soit peu les
conditions de vie, le niveau d'éducation et la situation sanitaire dans de nombreux pays
d’Afrique, force est de constater que pendant la période de leurs mises en œuvre, le poids de
l’Afrique dans le commerce international a diminué et globalement la situation économique
de la plupart des pays africains s'est dégradée. En effet, la mondialisation des échanges a
davantage profité aux autres aires continentales dont le commerce ne repose pas, pour
l'essentiel, sur des matières premières peu ou pas transformées.
Le "système Lomé", considéré comme un cadre exemplaire de la coopération NordSud, n'a pas atteint l’objectif qui lui avait été assigné, à savoir assurer le décollage
économique des pays aidés. La faiblesse du développement économique est allée de pair avec
des conflits internationaux et des guerres civiles où ont été constatées de nombreuses
violations des droits de l'Homme.
1
Commission européenne, Développement et Coopération, Europeaid,
http://ec.europa.eu/europeaid/where/acp/overview/lome-convention/lomeitoiv_fr.htm consulté le 19 octobre
2013
31
En outre, comme nous l’avons vu précédemment, un nouveau contexte international
apparaît dans les années 1990. L’effondrement du bloc soviétique et le processus
d'élargissement de l'Union européenne réoriente l’aide du Sud en direction de l’Est, tandis que
les chefs d’Etat africains sont accusés de détourner l'aide publique au développement (alors
qu’auparavant on fermait les yeux sur ce sujet). C’est aussi la période où se mettent en place
de nouvelles règles du commerce international avec la mondialisation des échanges.
3. L’Accord de Cotonou (2000) : banalisation des relations entre la France
et les pays A.C.P.
Ce nouveau contexte conduit à la signature de l'Accord de Cotonou (Bénin) le 23 juin
2000. Celui-ci renouvelle profondément le contenu du partenariat entre les pays A.C.P. et
l'Union européenne.
Le pilier politique, déjà présent dans la Convention de Lomé, est renforcé afin que
l’U.E. puisse suspendre immédiatement l'aide en cas de violation grave des droits de l'Homme,
des principes démocratiques et de l'Etat de droit. Le principe de « bonne gestion des affaires
publiques » est ajouté par le nouvel Accord comme élément fondamental du partenariat. De
plus, il introduit pour la première fois une dimension de contrôle des flux migratoires entre
l'Union européenne et les pays A.C.P., avec la création d’une clause standard de réadmission
dans le pays d’origine des ressortissants présents illégalement sur le territoire d’un Etat
membre de l’U.E.
1
Par ailleurs, l’égalité hommes-femmes, la gestion durable de
l'environnement et l’exploitation rationnelle des ressources naturelles font aussi partie des
principes directeurs de l’Accord.
La dimension commerciale est placée dans la perspective d'intégration des pays A.C.P.
dans l'économie mondiale et de la mise en conformité des règles issues de Lomé avec celles
de l’Organisation mondiale du commerce (O.M.C.).
1 La Documentation Française, « L’Accord de Cotonou : un modèle original de coopération », consulté le 20
octobre 2013 à cette adresse : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/d000116-union-europeenne-laide-au-developpement-des-pays-acp-afrique-caraibes-pacifique/l-accord-de-cotonou-un-modele-original-decooperation
32
Par ailleurs, la lutte contre la pauvreté est fixée comme objectif central de la
coopération. Le STABEX et le SYSMIN sont supprimés et le F.E.D. est réformé et simplifié.
Mais le maintien de l’aide cache difficilement la perte progressive de sens qui affecte ce
partenariat. Les deux régions partagent surtout un passé commun, celui de l’ère coloniale, et
finalement assez peu d’ambitions communes, et de projets tournés vers l’avenir. D’un côté, on
retrouve des Etats africains divisés sur le plan de leurs intérêts. Une majorité de
gouvernements sont peu ou pas démocratiques et largement corrompus. Les sociétés civiles y
sont peu organisées, faute de classes moyennes suffisamment nombreuses, et les opposants
maltraités. De l’autre, l’Europe promeut des concepts de coopération sophistiqués, mais n’a
pas les moyens ni les capacités suffisantes pour les mettre en œuvre. En conséquence, l’aide
reste pour l’essentiel du ressort des Etats.
Enfin, l’U.E. prend de plus en plus au sérieux les enjeux économiques avec les autres
régions en développement, plus dynamiques et donc potentiellement plus importatrices. Elle
multiplie les accords commerciaux régionaux fondés sur le principe du libre-échange, plus ou
moins abouti ; par exemple avec le Mexique, les pays du Mercosur, etc. La plupart sont des
pays en développement dont une partie des exportations repose sur les mêmes produits que les
ACP. L’U.E. facilite donc l’accès de son marché intérieur à leurs concurrents. Ici réside la
principale source d’érosion des préférences commerciales qui sont accordées aux A.C.P.
Globalement, l’accord de Cotonou est perçu comme une volonté de banaliser les
relations entre la France et les pays A.C.P. De ce point de vue, l’Accord semble vouloir signer
la fin d’une relation particulière et privilégiée où se mêlent paternalisme et mauvaise
conscience.1
Ainsi, les échanges commerciaux entre la France et l’Afrique subsaharienne après les
indépendances sont essentiellement régis par des conventions signées au niveau européen, qui
comportent aussi une dimension d’aide publique au développement.
En parallèle de cet accord, l’U.E. organise des sommets avec l’U.A. représentant
exclusivement les Etats d’Afrique membres de l’U.A. et non plus l’ensemble des anciennes
colonies et possessions européennes regroupées sous l’expression « A.C.P. ».
1
BLEIN Roger, Des Conventions de Yaoundé à l’Accord de Cotonou : 40 ans de « je t’aime, moi non plus ! », in
Grain de sel, N°39, Juin-août 2007, pp. 4-5.
33
II. Les sommets Union africaine – Union européenne : une
tentative de coopération en difficulté.
Afin de favoriser une approche plus continentale, des sommets Union européenne –
Union africaine sont organisés. Tous les pays d’Afrique sont membres de l’U.A., à
l’exception du Maroc et des pays suspendus à cause d’un coup d’Etat. L’Union européenne
comportait quinze membres en 2000 et vingt-sept lors des sommets de 2007 et de 2010.
Le premier sommet s’est déroulé au Caire en 2000. Il n’a abouti à aucune décision
majeure, mais il a marqué un coup d’envoi au partenariat intercontinental.
Le second sommet de 2007 a débouché sur l’adoption de la Stratégie Commune U.E.Afrique (S.C.U.A.), comportant quatre axes : la promotion de la paix et la sécurité comme
conditions préalables au développement politique, économique et social ; le respect de la
gouvernance démocratique et des droits de l’Homme ; le développement du commerce et
l’intégration régionale ; et les réponses aux questions primordiales en matière de
développement. 1 La S.C.U.A. marque donc une volonté d’établir un partenariat global
Afrique-Europe.
Cependant, le troisième sommet à Tripoli en 2010 qui devait relancer le dialogue entre
les deux continents et approfondir la Stratégie a pris une autre tournure. Le Colonel Kadhafi,
alors chef de l’Etat libyen, a provoqué de vives discussions autour de la colonisation, pourtant
hors sujet. En conséquence, les discussions se sont enflammées et se sont détournées des axes
de travail attendus.2
Au total, le sabotage de la conférence de Tripoli par la Libye a causé un échec sérieux
du partenariat qui rend problématique la coopération Europe-Afrique dans un futur proche.
Quoi qu’il en soit, la prochaine réunion entre l’U.E. et l’U.A. risque très probablement de ne
pas être sereine et la reprise du partenariat global semble compromise. En outre, suite à
l’émergence et à l’irruption de nouvelles puissances économiques, l’Europe n’est plus le
partenaire exclusif de l’Afrique ; ce qui à priori devrait laisser une plus grande marge de
négociation aux Etats africains.
1
Conseil de l’Union Européenne, Le partenariat stratégique Afrique-U.E. : une stratégie commune Afrique-U.E.,
9 décembre 2007, consultée en ligne le 20 septembre 2013 à l’adresse :
http://ec.europa.eu/development/icenter/repository/EAS2007_joint_strategy_fr.pdf
2
Institut des Relations Internationales et Stratégiques, Les relations entre l’Union européenne et le continent
africain, compte-rendu de conférence, Maison de l’Europe, 1 er février 2011
34
Ainsi, depuis le début des années 1960, les relations entre les Etats européens et
l’Afrique sont essentiellement fondées sur le commerce et l’aide au développement. La
France organisera progressivement et de plus en plus exclusivement ses échanges
commerciaux avec l’Afrique uniquement dans le cadre de conventions signées au niveau
communautaire. La dimension sécuritaire n’est pas abordée au niveau européen, parce que
l’Europe d’alors n’est pas encore structurée et se limite à la Communauté Economique
Européenne (C.E.E.).
Cependant, la multiplication des conflits depuis les indépendances africaines est un
facteur de réduction de l’efficacité de la coopération économique entre l’Afrique et l’Europe.
Le relatif échec de l’aide au développement amène les deux continents à reconnaitre la
nécessité d’établir des corrélations entre la sécurité, la stabilité et le développement.
III. La stratégie européenne en matière de sécurité et de défense
La France a impulsé la création d’une politique européenne de matière de sécurité afin
de multilatéraliser ses interventions militaires en Afrique, mais elle garde un rôle central
dans les opérations européennes de maintien de la paix, et ce malgré les
approfondissements de cette politique européenne.
1. La France, leader des opérations menées dans le cadre de la P.E.S.D.
Il faut attendre 1992 et le traité de Maastricht instituant l’Union européenne (article V)
pour que la Politique de Sécurité Commune (P.E.S.C.) voie le jour. Le volet défensif n'y est
intégré qu'après le sommet franco-britannique de Saint-Malo de 1998 qui transforme la
P.E.S.C. en Politique de Sécurité et de Défense (P.E.S.D.), effective en 1999 après à l’entrée
en vigueur du Traité d’Amsterdam.Le cadre d’action de l’U.E. est alors défini par les
« missions de Petersberg », qui regroupent les missions humanitaires et d’évacuation, de
maintien de la paix et de force de combat, et de rétablissement de la paix.
Sur les cinq opérations militaires de l’Union européenne achevées, trois concernent
l’Afrique subsaharienne1.
1
Les opérations militaires de l’U.E. sont menées conformément aux résolutions du Conseil de Sécurité des
Nations unies.
35
La première opération de rétablissement de la paix réalisée par l’Union européenne
hors d’Europe 1 (Artemis), ayant pour objet la sécurisation d’une ville de République
Démocratique du Congo en 2003, est largement encadrée par la France. En 2006, l’UE
approuve l’envoi d’un contingent de mille cinq cent hommes pour surveiller les élections de
ce même pays. La mission est coordonnée par deux généraux, dont un français.
L’opération E.U.F.O.R. Tchad/R.C.A., lancée en 2008 pour protéger les camps de
réfugiés et de déplacés internes, est une initiative du Président français. C’est un général
français qui commande la force européenne, et l’Hexagone est le premier contributeur avec
mille huit cent militaires engagés.2
2. De la P.E.S.D. à la P.S.D.C., la France leader malgré tout
Le traité de Lisbonne, rédigé en grande partie par la France, constitue une avancée
supplémentaire dans l’approfondissement de la politique de Défense de l’U.E. Entré en
vigueur le 1er décembre 2009, il transforme la P.E.S.D. en « politique de sécurité et de défense
commune » (P.S.D.C.). Concrètement, il élargit le champ d’action de l’U.E. « aux actions
conjointes en matière de désarmement, aux missions de conseil et d’assistance en matière
militaire, aux missions de prévention des conflits et de maintien de la paix et aux opérations
de stabilisation post-conflit, à la lutte contre le terrorisme »3. De plus, la coordination au sein
des institutions européennes est facilitée via la création du poste de Haut Représentant pour
les affaires étrangères et la politique de sécurité.
Cependant, depuis la mise en œuvre de ce Traité, aucune opération militaire nouvelle
n’a été lancée. Seules trois opérations militaires sont en cours, dont une seule est
véritablement importante : l’opération Atalante de lutte contre la piraterie maritime au large
de la Somalie. Elle a été lancée en 2008, pendant la présidence française de l’Union. Atalante
sécurise une des artères économiques les plus vitales au monde (30 % des approvisionnements
1
Représentation permanente de la France auprès de l’Union Européenne, « Les opérations de politique de
sécurité et de défense commune dans le monde », http://rpfrance.eu/Les-operations-PSDC-dans-le-monde.html,
consulté le 2 octobre
2
Ministère de la Défense, Opérations, http://www.defense.gouv.fr/operations/autres-operations/operationsachevees/2008-eufor-tchad-rca/dossier/l-operation-eufor-tchad-rca, consulté le 30 septembre 2013
3
Représentation Permanente de la France auprès de l’Union Européenne, http://www.rpfrance.eu/Qu-est-ce-quela-PSDC.html, consulté le 29 septembre 2013
36
en pétrole de l’Union européenne et 70 % de son flux de conteneurs y passent). Elle contribue
aussi à la protection des navires du Programme Alimentaire Mondial (P.A.M.) et œuvre à la
prévention et à la répression des actes de piraterie au large de ces côtes. La France est
militairement parlant la première contributrice de cette mission.1
En 2013, l’Union européenne laisse la France s’engager seule au Mali pour stopper
l’avancée des groupes djihadistes. Elle ne participe qu’à l’entrainement de bataillons maliens
avec la mission E.U.T.M. Mali (European Union Training Mission), et nomme au poste de
commandant un général français.
Ainsi, la place centrale de la France dans les opérations européennes de Défense
s’explique par ses moyens militaires importants en comparaison avec ceux de la plupart des
pays de l’Union. Elle est une puissance nucléaire, comme le Royaume-Uni, et dispose sur le
papier de la plus grande armée de l’Europe de l’Ouest, sachant le taux important
d’indisponibilité du matériel (un quart des Véhicules de l’Avant Blindés (V.A.B)).
De plus, peu de pays en Europe ont des liens historiques avec l’Afrique aussi forts que la
France, et certains Etats craignent d’être associés à une tentative de reconquête de l’Afrique
par l’Europe. Tous ces éléments, ainsi que les restrictions budgétaires de plus en plus fortes
permettent de comprendre la difficile élaboration d’une synergie européenne de défense.
Cependant, l’Union a réussi à se mettre d’accord sur la nécessité de structurer des
forces africaines pour sécuriser leur propre continent. Dans ce but, la Facilité européenne pour
la paix a été mise en place afin de financer les organisations régionales africaines.
3. La Facilité européenne pour la paix en Afrique
La volonté de sécuriser le continent africain pour favoriser le développement ne passe
pas seulement par l’intervention directe, mais aussi par la responsabilisation des organisations
régionales africaines - au premier rang desquelles l'Union Africaine (U.A.) - en matière de
sécurité. Cet objectif a pour contrepartie un soutien financier de la part de l'Union européenne,
matérialisée par la création en 2003 d’un nouvel instrument : la Facilité européenne pour la
paix en Afrique.
1
VEDRINE Hubert, Rapport pour le Président de la République française sur les conséquences du retour de la
France dans le commandement intégré de l’OTAN, sur l’avenir de la relation transatlantique et les perspectives
de l’Europe de la Défense, 14 Novembre 2012, p.15
37
En 2007, celle-ci attribue cent millions d’euros au renforcement des capacités de
l’Architecture Africaine de Paix et de Sécurité des organisations régionales, afin de les aider à
créer un mécanisme d’alerte rapide et de définir une politique de prévention et de gestion des
conflits. Les Opérations de Soutien à la Paix se sont vu allouer six cents millions d’euros. A
titre d’exemple, le Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) et la Mission de
consolidation de la paix en République démocratique du Congo (MICOPAX) ont bénéficié de
ces financements. Enfin, quinze millions d’euros sont destinés à l’« Early Response
Mechanism », qui travaille aux phases préparatoires des opérations de soutien à la paix et aux
étapes préliminaires des processus de médiations.1
Ce partenariat est l’objet d’une critique réciproque d’instrumentalisation. Les
opérateurs dénoncent les intentions manipulatrices de leurs financeurs qui, en quelque sorte,
leur feraient faire le « sale boulot » et auraient des agendas cachés. Quant aux financeurs, ils
dénoncent le double jeu des opérateurs qui monnaient cher leur volonté de faire régner la paix
sur le continent et ne sont guère efficients.
Décrite comme un lâchage par certains et une responsabilisation de l’Afrique par
d’autres, l’africanisation de la gestion des conflits africains souffre de plusieurs handicaps.
Des organisations régionales restent des coquilles vides du fait d’un manque d’engagement à
la fois financier, technique et politique des Etats membres. De plus, la coordination entre les
organisations est déficiente, tant avec l’organisation mère qu’entre les structures régionales.
Ainsi, les relations de travail entre l’Union africaine, la Communauté économique des Etats
de l’Afrique centrale (C.E.E.A.C.) et la Communauté économique et monétaire de l’Afrique
centrale (C.E.M.A.C.) sont de qualité moyenne, ce qui ne facilite pas la mise en œuvre des
programmes de sécurisation et de développement.2
Ainsi, la France œuvre pour la création d’organes de sécurité et de défense au sein de
l’Union européenne afin de multilatéraliser ses interventions et ne plus être accusée de
1
Commission européenne, Développement et Coopération – Europeaid,
http://ec.europa.eu/europeaid/where/acp/regional-cooperation/peace/index_fr.htm, consulté le 9 octobre 2013
2
VIRCOULON Thierry, L’africanisation de la gestion des conflits africains : le long chemin d’une idée courte,
in Ramses 2011, publication de l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI)
38
néocolonialisme. Cependant, on observe que la construction d’une Europe de sécurité et de
défense n’est pas aisée, en raison de l’asymétrie des capacités défensives des pays européens,
des budgets restrictifs et des priorités nationales. Malgré l’étiquette européenne, la France
conserve un rôle prépondérant dans les interventions armées en Afrique. Par ailleurs, le
financement des organisations africaines en vue de leur responsabilisation en matière de
sécurité est d’une efficacité relative à cause de la faiblesse desdites structures.
Après avoir étudié la politique de la France en Afrique, puis l’inscription de cette
politique dans le cadre européen, il convient maintenant de se pencher sur les puissances qui
remettent en cause la présence de la France en Afrique.
39
PARTIE 3 : La politique de la France en Afrique,
bousculée par l’arrivée de nouveaux acteurs.
L’Afrique, terrain d’affrontement entre les deux blocs pendant la Guerre Froide, n’est
pas délaissée après la chute du mur de Berlin. Après la fin d’un monde bipolaire, le continent
africain continue de susciter l’intérêt des Etats-Unis, et comme on l’a vu de la France, mais
aussi celui de puissances émergentes : le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine (les « B.R.I.C. »).
En déployant des stratégies de présence sur le continent, ces puissances engagent une
compétition qui crée des situations d’affrontements réciproques et qui, ce faisant, bousculent
la présence française. Il en résulte une nouvelle donne dont il est indispensable de rendre
compte.
I. « La Chine est un géant au berceau et quand la Chine
s’éveillera... Le monde tremblera » (Napoléon Bonaparte)
En 2001, un tournant majeur pour l’économie mondiale a lieu lorsque la Chine devient
membre de l’Organisation Mondiale du Commerce. Pendant la décennie qui suit, le taux de
croissance de son économie oscille autour de 10% par an, ce qui est considérable. Si bien
qu’en 2010, elle devient la seconde puissance économique au monde, devant le Japon. Son
taux de croissance remarquable implique des besoins en matières premières et en énergie en
conséquence. En effet, depuis 2003, la Chine est le deuxième consommateur de produits
pétroliers après les Etats-Unis. Il est donc vital pour elle de s’assurer et de sécuriser des
approvisionnements énergétiques et en matières premières. Ceci est la raison majeure pour
laquelle « l’Empire du Milieu » se tourne vers l’Afrique, regorgeant des ressources convoitées.
Par ailleurs, la Chine recherche de nouveaux débouchés commerciaux et la
diversification de ses investissements à l’étranger. Dès 2004, le volume des échanges entre la
Chine et l’Afrique dépasse les dix-huit milliards de dollars américains, et ce chiffre est
40
multiplié par trois en 2008. Alors qu’en 1980, les échanges commerciaux sino-africains
étaient quasi inexistants, Pékin devient à partir de 2005 le troisième partenaire commercial de
l’Afrique après les Etats-Unis et la France et désormais avant le Royaume-Uni et l’Italie.
Notons que la Chine choisit de s’installer là où les opportunités se présentent,
notamment en comblant les vides laissés par le retrait des occidentaux des zones d’instabilité
ou à risque (Soudan, Liberia...). Cela dit, elle privilégie certains pays, soit parce qu’ils
constituent des positions stratégiques, soit parce qu’ils sont de grands producteurs et
exportateurs de pétrole, tels que le Gabon, l’Angola, le Nigeria ; ou bien disposant de réserves
à exploiter, tel le Sud-Soudan, mais aussi en République Démocratique du Congo, pour ses
richesses minières et son potentiel agricole. En effet, comme d'autres puissances extraeuropéennes, la Chine n'hésite pas à se porter acquéreur de très grandes surfaces de terres
agricoles en Afrique tropicale humide. Quant aux concessions minières, les firmes chinoises
les négocient avec des baux de très longue durée, de l'ordre du siècle, voire davantage.
Enfin, isolée sur la scène internationale jusqu’il y a peu, après un siècle d’humiliation
(régime des concessions et des zones d'influence la démembrant de facto à la fin du XIXème
siècle, puis conquête et présence japonaise, suivi par un demi siècle de collectivisme
désastreux), l'Empire du Milieux veut renouer avec la fierté du prestige de sa civilisation
millénaire et s'imposer progressivement sur la scène mondiale, au niveau de sa nouvelle
puissance économique et de son rôle éminent de membre permanent du Conseil de Sécurité de
l'O.N.U. Pour gagner l’Afrique, elle utilise la plupart des méthodes utilisées par la France :
organisation de forums, multiplication de partenariats économiques, mise en place d’une aide
au développement, mais aussi utilisation du « soft power » culturel.
Dès octobre 2000, Pékin lance un Forum de Coopération Chine-Afrique (« Forum on
China-Africa Coopération », F.O.C.A.C.) triennal afin de travailler au rapprochement
économique et politique du continent noir et de l’Empire du milieu, à l’image des sommets
France-Afrique.
41
1. Le FOCAC, un outil pour l’établissement d’un partenariat global qui
bouscule la présence française en Afrique
a) La première édition du F.O.C.A.C. : le lancement d’un partenariat multisectoriel.
La première édition ayant eu lieu en 2000 réunit déjà quarante-quatre pays africains
autour de la Chine, alors que le premier sommet France-Afrique en 1973 en avait réuni onze.
Ce premier forum aboutit à la déclaration de Pékin et au Programme de coopération sinoafricaine sur le développement économique et social, qui institutionnalisent les relations sinoafricaines. Le F.O.C.A.C. est officiellement censé contribuer à l’instauration d’un nouvel
ordre politique et économique international pour le XXIème siècle, relever les défis de la
mondialisation économique, renforcer la coopération entre la Chine et l’Afrique et
promouvoir le développement commun.
b) La deuxième édition du F.O.C.A.C. : l’élargissement et l’approfondissement du
partenariat.
La deuxième édition du forum, en 2003 en Ethiopie, mettait en place le « Plan
d’action triennal d’Addis Abeba » (de 2004 à 2006). Celui-ci crée entre autres une mesure
d’aide au développement en accordant le tarif zéro droits de douanes à l’importation de
certains produits en provenance des pays africains les moins avancés.
Conjointement à ce forum se tenait la première conférence des Entrepreneurs chinois
et africains, à l’issue de laquelle vingt-et-un accords ont été signés pour un montant total d’un
milliard de dollars.
c) La troisième édition du F.O.C.A.C. : une étape majeure
La troisième édition qui se tient en 2006 à Pékin est une étape majeure dans
l’approfondissement des échanges. Elle réunit quarante-huit Etats africains sur cinquante-trois,
un nombre record. (Les sommets France-Afrique rassemblent en moyenne entre trente-cinq et
quarante Etats, loin du record de participation atteint en 2001 à Yaoundé, avec cinquantedeux pays représentés.) Des centaines d’accords de coopération (économiques, politiques,
42
militaires, culturels, touristiques, sur la santé ou la recherche) sont signés ainsi que des
contrats dont le montant total est estimé à un milliard neuf cent millions de dollars américains.
L’objectif d’élever le niveau des échanges à cent milliards de dollars en 2010 sera atteint avec
deux ans d’avance.
En outre, la Chine approfondit en 2006 sa politique d’aide au développement. En effet,
elle annule la dette africaine pour un milliard trois cent millions de dollars, annonce la
création d’un fonds de développement sino-africain doté de cinq milliards de dollars et
encourage les importations de produits africains par la baisse des droits de douane. Enfin, la
Chine s’engage en 2006 à construire trente hôpitaux, à octroyer trente millions de dollars pour
la lutte contre le paludisme et à fonder cent écoles d’agriculture sur le continent.
Avec ces mesures, la Chine initie une aide bilatérale au développement, à l’image de
celles mises en place par la France et par le Royaume-Uni à la suite des indépendances
africaines. Par cette politique, la Chine cherche à revaloriser son image auprès des Etats
africains, mais aussi à accroître son influence sur le continent et à y concurrencer la présence
des puissances occidentales.
d) Les quatrième et cinquième éditions du F.O.C.A.C. : la poursuite du partenariat
engagé.
Les forums de 2009 et de 2012 continuent de renforcer la coopération sino-africaine
dans de nombreux domaines, avec notamment la création de forums spéciaux : le forum de la
culture, de l’éducation, de l’agriculture, des médias, du droit ou de l’industrie. Notons que lors
du F.O.C.A.C. de 2012, le nombre record de cinquante pays africains était atteint. Cela
manifeste l’intérêt et l’engouement du « continent noir » pour la Chine.
2.
L’utilisation du « soft power » à travers les F.O.C.A.C.
En 2006, le Président Hu Jintao déclare que « le renforcement de la Chine et de son
influence internationale doit être reflétée à la fois dans un « hard power » incluant
l’économie, les sciences et la technologie, et la défense nationale, et dans un « soft power »
comme la culture ». Cette déclaration explique la création, suite au F.O.C.A.C. de 2000, de la
Fondation Chinoise pour le Développement des Ressources Humaines Africaines. Celle-ci
organise l’accueil dans les universités chinoises de milliers d’étudiants africains bénéficiant
43
de bourses du gouvernement chinois (dix mille en 2008), ainsi que l’envoi de professionnels
chinois en Afrique en vue de former des africains, à l’instar de la France qui forme chaque
année des milliers d’étudiants africains dans ses universités et qui envoie des coopérants civils
en Afrique.
La deuxième édition du F.O.C.A.C. en 2003 approfondit les échanges culturels par
l’élargissement de la coopération touristique (qui comporte aussi un volet économique) et
surtout par l’organisation d’un premier Festival des jeunesses africaine et chinoise en 2004 à
Beijing. Cette initiative pour multiplier les échanges entre les peuples fait ressortir la volonté
chinoise de mettre sur pied des échanges culturels similaires à ceux qui interviennent dans le
cadre de l’Agence française de coopération culturelle et technique en Afrique. (cf. supra).
L’Offensive culturelle se fait aussi à travers le développement d’instituts Confucius en
Afrique sur le modèle des Alliances françaises, afin de diffuser la langue et la civilisation
chinoise. Sur le plan médiatique, la Chine crée sa première structure de diffusion FM en
Afrique en 2006. L’agence de presse Xinhua (Chine nouvelle) étend son réseau sur le
continent, où elle compte déjà une vingtaine de bureaux.
La volonté chinoise de répandre et de diffuser sa culture en suivant le modèle français
est donc très nette. Toutefois, il faudra beaucoup de temps pour que la culture chinoise puisse
concurrencer significativement la culture française, dans la mesure où la langue chinoise est
totalement étrangère aux élites africaines, alors que celles-ci sont déjà anglophones ou bien
francophones. Quant à l'apprentissage de la langue chinoise, elle ne saurait concerner que
quelques individus motivés qui ne formeront pas avant longtemps des groupes de locuteurs
chinois. Rappelons à cet effet, que les cursus pour étrangers des universités chinoises sont en
langue anglaise ; ce qui assurément ne joue pas à l'avantage de la diffusion, voire du maintient
de la langue chinoise !
Ainsi, le F.O.C.A.C. est un véritable succès. Il a permis de créer des échanges sinoafricains sans précédents en seulement une décennie.
44
3. Une remise en cause des partenaires économiques traditionnels.
Dès 2009, la Chine remplace les grands pays européens ou les Etats-Unis en tant que
premier partenaire commercial de l’Afrique. Les échanges dans les deux sens ont quadruplé
en sept ans. Entre l’année 2010 et l’année 2011, ils ont bondi de cent vingt-sept milliards de
dollars à cent soixante-six, soit autant que le montant du commerce Chine-Allemagne.
Par ailleurs, la Chine remet en question les modèles de coopération proposés jusque là
par les partenaires traditionnels des Etats africains et crée des rivalités entre les puissances
présentes en Afrique. Les grandes entreprises françaises telles que Bolloré ou Bouygues sont
concurrencées par des compagnies chinoises telles que « China Road and Bridge
Corporation » pour prendre en charge la réalisation des grandes infrastructures. En outre, la
France et la Chine sont concurrences et rivales pour l’uranium du Niger. La Chine, qui a
investi cinq milliards de dollars dans le pétrole et l’uranium en Afrique a contraint Areva, le
géant du nucléaire français, à modifier ses contrats tout en obtenant des concessions
importantes pour un investissement d’un milliard sept millions de dollars.
4. Les avantages de la Chine sur la France.
L’importance du nombre d’Etats africains représentés aux F.O.C.A.C. révèle l’intérêt
de l’Afrique pour la Chine, qui bénéficie d’une meilleure image étant donné qu’elle n’est pas
une ancienne puissance colonisatrice. De plus, elle permet aux africains lassés de la présence
française et européenne de diversifier et renouveler leurs partenaires, même si la France garde
un avantage incontestable sur le plan militaire, d'où la Chine est quasiment absente.
Une explication du succès de l’image de la Chine en Afrique réside dans le fait que
contrairement aux puissances occidentales, la Chine ne conditionne pas son aide au
développement à la mise en place d’institutions démocratiques et au respect des Droits de
l’Homme. L’Empire du Milieu accuse même la politique occidentale d’ingérence en Afrique
« sous prétexte de problèmes concernant les Droits de l’Homme » et va jusqu’à présenter la
démocratie occidentale comme la cause de l’exacerbation des tensions à l’intérieur des pays
africains. A titre d’exemple, contrairement à l’Union européenne, la Chine n’a pas condamné
45
le référendum du 4 août 2009 au Niger qui permettait à Mamadou Tandja de rester Président à
vie1.
Cette stratégie semble avoir un succès certain en Afrique, à tel point que le Président
du Nigéria déclarait en 2006 : « nous souhaiterions que la Chine dirige le monde et quand
nous ne voulons pas être laissés derrière, nous voulons être avec vous. ». Et le Président
zimbabwéen Mugabe d’enchérir lors du vingt-cinquième anniversaire de l’indépendance de
son pays : « Il nous faut nous tourner vers l’Est, là où le soleil se lève. »
Cependant, les relations que la Chine entretient avec l’Afrique ne sont pas aussi
« gagnant-gagnant » qu’elle ne le dit. En important des matières premières et en exportant des
produits finis, la Chine reproduit un schéma d’exploitation coloniale. Elle accentue la
spécialisation des économies africaines, comme le faisaient les métropoles coloniales qui
n’avaient pas encouragé la transformation sur place des matières premières. De plus, quand
les Chinois recourent à la main d’œuvre locale, ils leur imposent des conditions de travail très
dures, violant le droit. Enfin, la Chine ne se soucie pas des normes environnementales et
provoque parfois des désastres écologiques, comme au Cameroun ou au Congo-Brazzaville.
En conséquence, des sentiments anti-chinois commencent déjà à se développer sur le
continent noir.
II. L’offensive politique, économique et diplomatique américaine
en Afrique.
1. L’offensive économique
Un des objectifs permanents de la politique étrangère américaine en Afrique est le
libre accès aux matières premières.
Un préalable indispensable à leur exploitation réside dans la pacification et dans la
résolution des conflits armés, dont l’éradication du terrorisme, dans les zones aux sous-sols
riches. Mais cette politique de pénétration volontariste implique, mais aussi de rivaliser avec
d’autres puissances déjà présentes sur le terrain et en particulier avec la France, depuis
longtemps « chez elle ».
1
Il a été renversé par un coup d’Etat en février 2010
46
Les intérêts pétroliers français et américains sont en concurrence directe, par exemple
au Congo-Brazzaville, où l’Occidental Petroleum a réussi à prendre pied ; ainsi qu’au Tchad,
au Gabon, ou en Angola où l’enjeu est l’enclave du Cabinda où la compagnie Chevron doit
peu à peu céder du terrain à Elf (source : La lettre du continent n°181, 11 février 1993)
Par ailleurs, Washington a mené campagne contre la zone franc, jusque là gage de stabilité la
monétaire d’un certain nombre de pays d’Afrique francophone.
2. L’offensive politique
Le gouvernement américain s’affirme de plus en plus en partenaire de rechange dans
les pays d’Afrique centrale et occidentale où la France a joui longtemps d’une rente de
situation. Dès le début des années 1990, ses ambassadeurs s’engagent dans la bataille des
Droits de l’Homme, en se comportant en véritables parrains naturels de nouveaux régimes à
visage démocratique. Ils n’hésitent pas non plus à jouer la carte des opposants contre les
pouvoirs en place, laissant entendre que la France pérennise des dictatures corrompues et à
bout de souffle, dans le but de perpétuer son influence en Afrique1.
Parfois, il arrive même que des élections africaines prennent le visage de luttes francoaméricaines par le biais des partis soutenus par l’un ou l’autre des deux pays. Au Cameroun,
par exemple, le retour au multipartisme a tourné en une opposition entre la France et les EtatsUnis, ces derniers soutenant l’opposition anglophone issue de la partie occidentale du pays
(l’ex protectorat britannique du Kamroon, qui avait succédé au lendemain de la Première
Guerre Mondiale à une partie de la colonie allemande éponyme.).
Enfin, Washington a créé des institutions économiques et militaires qui concurrencent
plus ou moins directement les institutions françaises. Comme déjà évoqué plus haut, l’African
Crisis Response Initiative (A.C.R.I.) mise en place par l’administration Clinton, transformée
par l’administration Bush en African Contingent Operation Training Assistance (A.C.O.T.A.)
a pour but de moderniser les armées africaines et former les soldats aux opérations de
maintien de la paix.
L’African Growth Opportunity Act (A.G.O.A.), ouvre le marché
américain aux exportations africaines et concurrence l’Accord de Cotonou entre l’Union
européenne et les pays ACP.
1
Decreane Jean-Pierre, Le Monde diplomatique, juillet 1993, P.17
47
3. L’offensive diplomatique
En 1996, le Secrétaire d’Etat Warren Christopher se rend en Afrique et déclare que
« le temps est révolu où des puissances extérieures pouvaient considérer des groupes entiers
de pays comme leur domaine privé. » Et un diplomate américain à Bamako de
surenchérir : « La France est comme la première épouse, celle qu’on n’a pas choisie. Nous
sommes la deuxième femme, souvent la préférée »1.
La décennie 2000 a vu un regain d’intérêt américain pour l’Afrique avec
l’augmentation sensible du nombre de visites officielles sur ce continent, y compris celles de
présidents des Etats-Unis. Les tournées de Bill Clinton (en 1998 et en 2000), l’organisation de
la première conférence interministérielle Etats-Unis/ Afrique (en 1999), les déplacements du
général Colin Powell, chef d’état major et de G.W. Bush (en 2003) et enfin la visite de Barack
Obama en 2009 témoignent d’une volonté de reconsidérer la place de l’Afrique dans le
dispositif global de projection mondiale de la puissance américaine.
Cependant, comme la France, les Etats-Unis doivent désormais affronter la
concurrence Chinoise, surtout dans le domaine de l’accès aux ressources en matières
premières et au premier rang desquelles le pétrole.
III. L’intérêt croissant d’autres puissances pour l’Afrique
Le début des années 1990, marqué par l’éclatement de l’Union des Républiques
Socialistes Soviétiques et la perte d’influence des deux grandes puissances en Afrique, ouvre
des brèches dans lesquelles des pays émergents comme l’Inde, le Japon et le Brésil tentent de
s’immiscer. La présence récente de ces Etats en Afrique s’explique par leurs besoins
croissants en matières premières et en énergie, ainsi que par la recherche de nouveaux
débouchés commerciaux, mais aussi par la recherche d’influence internationale en vue d’un
soutien pour obtenir un siège de membre permanent au Conseil de Sécurité de l’O.N.U. En
contrepartie, ils permettent aux dirigeants africains de multiplier et de diversifier leurs
interlocuteurs et leurs partenaires et, ce faisant, d’échapper à la pression occidentale
concernant les Droits de l’Homme et la démocratie. Enfin, la coopération Sud-Sud est
1
Le monde diplomatique, décembre 1996, p.5
48
davantage appréciée, parce qu’à priori jugée plus rassurante qu’un partenariat Nord-Sud
encore vu comme une relation dominant-dominé.
A l’instar de la France, la stratégie de ces puissances s’organise autour de sommets
réguliers avec les pays africains.
1. Le Japon
Le Japon, longtemps seconde puissance économique mondiale, a été l’un des plus
importants fournisseurs d’aide publique au développement en Afrique. Après l’effondrement
du bloc soviétique, il développe l’ambition de peser politiquement sur la scène mondiale et
plus seulement asiatique. Dans ce but, il a besoin d’alliés extérieurs. Par ailleurs, il est
absolument dépourvu de matières premières. Pour ces différentes raisons, il se tourne vers
l’Afrique et crée en 1991 la Tokyo International Conference on African Development
(T.I.C.A.D.) qui se réunit tous les cinq ans, pour « promouvoir un dialogue de haut niveau
entre les leaders africains et leurs partenaires du développement ». La politique africaine du
Japon est basée sur trois piliers : contribuer à la paix et à la stabilité, augmenter l’aide, le
commerce et les investissements, et enfin prendre en compte les questions de dimension
planétaire.
Notons que le Japon récolte les fruits de sa politique africaine lors des conférences
internationales ayant trait à la protection du domaine maritime international de la surpêche,
pendant lesquelles il est soutenu par beaucoup d’Etats du Tiers-Monde, dont un nombre
important de ceux d’Afrique.
2. La Russie
La Russie n’est plus présente en Afrique comme au temps de l’Union Soviétique avec des
conseillers répartis dans plus de quarante pays.
A la différence d’autres États concurrents, elle n’est pas énergétiquement dépendante,
mais elle souhaite diversifier ses approvisionnements, sachant que ses abondantes ressources
minières ne couvrent pas toute la gamme des métaux rares. Elle voudrait aussi retrouver au
moins en partie son influence perdue depuis déjà un quart de siècle sur le continent africain.
En juin 2010, à l’occasion du cinquantième anniversaire des indépendances africaines, la
49
Russie organise une conférence intitulée « Russie-Afrique : les perspectives de la
coopération », sans qu'on en mesure quel qu’effet significatif à ce jour.
3. L’Union Indienne
Autre puissance émergente, l’Union Indienne organise un premier forum Inde-Afrique
en 2008 pour montrer à la communauté internationale qu’elle a des ambitions en Afrique. La
faible participation des africains (14 Etats) n’empêche pas l’adoption de la Déclaration de
Delhi et du cadre Afrique-Inde pour la coopération posant les bases d’un partenariat indoafricain. Un deuxième sommet en 2011 renforce le partenariat initial. De plus, l’Inde dispose
comme la Chine d’un réseau d’entrepreneurs bien implanté en Afrique et commercialement
actifs.
Cependant, la stratégie indienne se différencie de celle de la Chine parce qu’elle est
moins contrôlée par l’État, mais impulsée plutôt par le secteur privé. Elle se concentre sur
l’aide à l’agriculture et aux industries connexes, sur le transfert de technologies et le
renforcement des ressources humaines sur le terrain.
4. Le Brésil
Le Brésil est autosuffisant en hydrocarbure et en production d'énergie, contrairement à
la Chine, à l’Inde et au Japon. Il est aussi riche en ressources minières et en terres arables. Il
ne perçoit donc pas l’Afrique comme un réservoir de ressources naturelles mais plutôt comme
un partenaire et un débouché commercial pour ses produits manufacturés. En ce sens, il initie
les sommets Amérique du Sud-Afrique de 2006 et 2009, afin de nouer des relations avec tous
les pays africains et de signer des accords de coopération. Ceux-ci ont fait passer le commerce
bilatéral de 4 à 25 milliards de dollars entre 1999 et 2009. Par ailleurs, le Brésil cherche aussi
des appuis pour accéder au statut de membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU.
Par ailleurs, comme les anciennes colonies portugaise d'Afrique, le Brésil est
lusophone. C'est aussi le seul pays parmi les puissances émergentes nouvellement présentes
en Afrique, à parler une langue européenne y ayant des locuteurs, et qui plus est, dans des
espaces à fort potentiel économique.
50
L’arrivée et l’expansion de l’influence de ces pays en Afrique font politiquement et
économiquement concurrence à la France. C’est pourquoi celle-ci cherche à protéger malgré
tout ses positions contre des concurrents qui s’efforcent d’étendre leurs zones d’influence. Si
le Rwanda et la République Démocratique du Congo semblent se détourner de la France pour
s’orienter vers les Etats-Unis, la France garde un avantage stratégique en Côte d’Ivoire.
IV. Les luttes d’influence en Afrique : les cas du Rwanda, de la
République Démocratique du Congo et de la Côte d’Ivoire.
L’Afrique est un terrain d’affrontement des Puissances. Les territoires de confrontation
sont nombreux mais nous nous limiterons ici à la région des Grands Lacs, à la cuvette
congolaise et à la Côte d’Ivoire. Alors que l’influence de la France recule face à celle des
Etats-Unis au Rwanda et en République Démocratique du Congo (R.D.C.), elle reprend la
main en Côte d’Ivoire qu’elle était sur le point de perdre face à plusieurs autres grandes
puissances.
1. La perte d’influence française au Rwanda et en R.D.C. au profit des
Etats-Unis
Alors que pendant la Guerre Froide, Washington appréciait que Paris soit le
« Gendarme de l’Afrique », la France et les Etats-Unis se retrouvent maintenant en situation
de concurrence.
Le Rwanda se tourne vers la France dès son indépendance en 1962, date à laquelle son
Président vient à Paris pour demander de l’aide. La coopération se développe particulièrement
sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, qui signe avec le Rwanda des accords
d’assistance militaire en juillet 1975. La France met aussi en œuvre des chantiers de travaux
publics, contribue au développement rural, ouvre un lycée français et un centre culturel à
Kigali et choisit ce pays pour organiser le sixième Sommet franco-africain en 1979.
L’ambassade de France déclare en 1979 que « le Rwanda est membre à part entière de la
famille franco-africaine ».1
1
Chrétien Jean-Pierre, « France et Rwanda : le cercle vicieux », dans Politique Africaine n°113, 2009, p.122
51
Cependant, la France se compromet dans le génocide rwandais de 1994 et se discrédite
comme arbitre dans l’ensemble de la région des Grands Lacs. Elle est accusée de soutenir le
régime responsable du massacre. Kigali rompt ses relations diplomatiques avec la France en
novembre 2006, à la suite de l’enquête sur la responsabilité de Paris dans le génocide 1. Sa
perte d’influence au profit des Etats-Unis est réelle.
La réconciliation franco-rwandaise est officialisée lors de la visite du Président Sarkozy en
2010. Mais celle-ci intervient trop tard, puisque un an plus tôt le Rwanda devenait membre du
Commonwealth et l’anglais était obligatoire à tous les niveaux d’enseignement dès 2008.
Pays voisin du Rwanda, la République Démocratique du Congo est aussi le théâtre de
rivalités franco-américaines. Lors du renversement du régime de Mobutu soutenu par la
France et la prise de pouvoir de L.Kabila en 1997, le quotidien Le Monde du 19 mail 1997
publie qu’ « avec le départ du maréchal Mobutu, la France perd un de ses protégés africains
et enregistre une défaite diplomatique à la mesure de l’attachement qu’elle pouvait porter à
l’un des plus grands pays francophones dans le monde. Son influence s’y estomperait au profit
de celle des Etats-Unis, qui verront bientôt s’installer à Kinshasa leur protégé à eux, en la
personne de Laurent-Désiré Kabila, qu’entoure une escouade de jeunes collaborateurs formés
dans les universités américaines. Bilan : Paris perd, Washington gagne.2 »
Si le Rwanda et la République Démocratique du Congo illustrent le recul de l’influence
française en Afrique au profit des Etats-Unis, le cas de la Côte d’Ivoire montre que la France
ne recule pas partout.
1
Abderrahmane M’Zali (op.cit.)note à propos du Rwanda que « Paul Kagame trompe bien son peuple et la
communauté internationale en accusant la France de tous les maux qui ont conduit au génocide de 1994. Il
élude sa responsabilité personnelle, se donne bonne conscience en évoquant celle de la France et de la Belgique,
pays accusés de complicité de génocide. (...) Or, même si la France coopérait dans le domaine de la Défense et
de la sécurité avec le régime de Juvénal Habyarimana (5 juillet 1973/6 avril 1994), le Rwanda avait déjà connu
sur son sol nombre de tragédies humaines, qualifiées de génocides, pogromes, guerres ethniques... En effet, il est
impossible d’oublier que 1959, 1963, 1965, 1967, 1973, 1991, 1992 et 1993 sont des années marquées par des
hécatombes résultant de guerres qui ont fait des millliers de morts au Rwanda. La France n’y est pas
responsable. S’agissant du génocide de 1994, Charles Josselin, ministre socialiste français de la coopération de
1997 à 2002, avait déclaré : « Ce ne sont tout de même pas les Français qui tenaient les machettes mais les
Rwandais » ».
2
Le Monde, 19 mail 1997, p.3 , cité par POKAM Hilaire de Prince, Communauté Internationale et gouvernance
démocratique en Afrique, collection Affaires Stratégiques, L’Harmattan, Paris, 2012
52
2. Le maintien de la Côte d’Ivoire dans la zone d’influence française.
La Côte d’Ivoire est une ancienne colonie française. Sa position géostratégique en
Afrique de l’Ouest et ses considérables réserves pétrolières, gazeuses et minières (or, diamant)
en font un pays convoité par les puissances traditionnelles et émergentes. Lors de son arrivée
au pouvoir en 1999, le Président Laurent Gbagbo prône un approfondissement de
l’indépendance ivoirienne et appelle à une plus grande ouverture du marché ivoirien, surtout
vers les Etats-Unis. Ainsi, la part des exportations ivoiriennes vers la France passe de 73% en
1960 à 7,3% en 2008 et celle des importations passe sur la même période de 52% à 16,7%.
Cependant, si la France perd du terrain au niveau commercial, elle reste militairement
présente en Côte d’Ivoire.1 La force Licorne y est déployée lors d’une tentative de coup d’Etat
en 2002 afin de protéger les ressortissants étrangers et de ramener la paix dans le pays. Puis
elle est chargée de soutenir le déploiement d’une mission de paix décidée par la Communauté
Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) fin 2002, à laquelle succède
rapidement une mission de l’Organisation des Nations Unies (MINUCI) en 2003. L’année
suivante, la résolution 1528 de l’ONU crée l’opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire
(ONUCI) qui remplace la MINUCI et désigne Licorne comme force de soutien pour
contribuer à maintenir la paix. Depuis 2007, leur principale mission est de veiller au respect
des accords de Cotonou signés pour résoudre la crise politique entre le Président et le chef des
Forces Nouvelles réunissant les mouvements rebelles.
En 2010, Licorne intervient pour faire respecter le résultat des élections contestées par
L.Gbagbo qui donnent Ouattara vainqueur. Cette opération est vue par certains observateurs
ivoiriens comme une manœuvre française pour mettre à la tête du pays un Président qui sert
les intérêts de la France.
Dans le cadre de la « rénovation de la relation entre la France et l’Afrique », le
Président ivoirien Ouattara et son homologue français Nicolas Sarkozy renégocient en 2012 le
traité instituant un partenariat de défense signé après l’indépendance ivoirienne. L’exposé des
motifs précise que « cette signature fait partie de la mise à jour [des relations françaises]
avec les huit États avec lesquels [la France est liée] par des accords de défense signés pour
1
Ministère de la Défense, http://www.defense.gouv.fr/operations/cote-d-ivoire/dossier/cote-d-ivoirechronologie-et-reperes-historiques, consulté en sept 2013
53
la plupart au lendemain de leur indépendance »1.(*le 24 avril 1961 pour la Côte d’Ivoire)
Même si ce traité précise que « L’un des principaux objectifs de notre coopération militaire
en Afrique est en effet de contribuer au renforcement du système de sécurité collective en
Afrique, notamment à la réalisation de la « Force africaine en attente » (projet initié dans le
cadre de l’Union africaine) », il est vu par ses détracteurs comme la continuité de la mainmise
française sur le pays, notamment à cause de son annexe relative aux facilités accordées aux
forces françaises stationnées ou en transit sur le territoire de la République de Côte d’Ivoire.
Ainsi, l’Afrique est de plus en plus courtisée. Les raisons majeures au renouvellement
de l’intérêt porté à l’Afrique sont l’approvisionnement en ressources naturelles, la conquête de
nouveaux marchés, la quête de la puissance et du soutien africain pour l’obtention d’un siège
permanent au Conseil de sécurité de l’O.N.U.
Ces pays, émergents pour la plupart, présentent leurs partenariats comme plus
légitimes que ceux de la France parce qu’ils sont basés sur une solidarité Sud-Sud et non plus
Nord-Sud. Le principe de non-ingérence est la base de leur diplomatie et ils ne conditionnent
pas leur aide à la mise en place d’institutions démocratiques ou au respect des Droits de
l’Homme.
Toutefois, l’exemple de la Côte d’Ivoire montre que malgré l’arrivée de ces nouveaux
acteurs en Afrique, la France ne recule pas partout.
1
Rumeurs d’Abidjian, http://www.rumeursdabidjan.net/?parcours=actualite_ci&article=17293#onglet_article,
consulté le 27 septembre 2013
54
CONCLUSION
Ainsi, après avoir accordé l’indépendance à toutes ses ex colonies d’Afrique
subsaharienne, la France met en place un large dispositif de coopération bilatérale couvrant de
nombreux aspects : des interventions politiques lors les sommets France-Afrique, des accords
de défense et de coopération militaire, une coopération monétaire, une aide au développement,
une coopération culturelle et une coopération économique où progressivement la place et le
rôle de l’Europe montent en puissance. Ces différents niveaux de partenariat ont permis à la
France de maintenir son influence en Afrique et de l’étendre hors de son « pré carré » originel.
Cependant, la France a été suspectée d’avoir voulu « poursuivre la colonisation par d’autres
moyens » en Afrique, afin d’y préserver ses propres intérêts économiques et stratégiques sur
le continent, quitte à devoir soutenir des régimes autoritaires et corrompus.
Les critiques de plus en plus vives stigmatisant la politique française en Afrique et la
fin de la guerre froide poussent la France à rénover sa politique de coopération dans les
années 1990, afin de l’adapter au nouveau contexte diplomatique international qui promeut les
Droits de l’Homme, la démocratie, le principe de non-ingérence et le multilatéralisme.
Il en résulte une mise sous condition de l’aide accordée à la mise en place d’une
gouvernance laissant toute sa place à la démocratie et au respect des Droits de l’Homme.
Dans le même esprit, les accords de Défense sont renégociés afin d’en supprimer les clauses
secrètes, de leur donner une dimension multilatérale, et d’y intégrer la mise en place du
programme RECAMP afin d’aider l’Afrique à devenir autonome en matière de défense
régionale. Toutefois, si le Livre blanc sur la sécurité et la défense de 2008 semblait s’orienter
vers un retrait militaire progressif de la France en Afrique avec la diminution du nombre de
bases militaires, l’opération Serval lancée au Mali en 2013 en inversera la tendance. Cette
intervention met en exergue l’utilité des prépositionnements français en Afrique et la
nécessité des interventions directes de la France tant que l’Afrique n’est pas autonome en
matière de Défense. Pour autant, le temps de l’unilatéralisme est révolu. C’est désormais dans
un cadre multilatéral que la France intervient militairement en Afrique, sous mandat du
Conseil de Sécurité de l’O.N.U. et avec l’accord des organisations régionales africaines, et sur
le terrain, avec la collaboration plus ou moins significative d’autres forces armées,
européennes ou africaines. En effet, les mandats de l’O.N.U. ont l’avantage d’offrir une
55
légitimité internationale, indispensable pour couper court à toute velléité d’accusation
d’arbitraire qui pourrait stigmatiser une opération décidée sans son aval.
Dans le domaine de l’aide au développement, on observe qu’une part croissante de la
contribution française empruntent des canaux qui la mutualise au sein d’organismes régionaux
et d’institutions supranationales ; avec toutefois le maintien d’une part importante de l’aide
bilatérale, qui s’oriente davantage depuis 2008 vers le développement du secteur privé pour
soutenir la croissance des économies du continent.
Au niveau européen, la coopération en matière de commerce et d’aide au
développement se développe avec les conventions de Yaoundé (1967), de Lomé (1975) et de
Cotonou (2000), ainsi que lors de leurs révisions. Les adaptations des partenariats
commerciaux et des modalités d’attribution des Fonds européens de développement suivent
les grandes tendances mondiales : dans les années 1990, l’aide devient conditionnée au
respect de la démocratie et des Droits de l’Homme ; et en 2000, la dimension commerciale est
placée dans une perspective d’intégration de l’Afrique dans l’économie mondiale.
D’autre part, les sommets Union africaine – Union européenne, lancés en 2000 afin de
favoriser une approche plus continentale, semblent être dans une impasse. Si le second
sommet de 2007 a débouché sur l’adoption de la Stratégie Commune U.E.-Afrique (S.C.U.A.),
le troisième sommet de 2010 a été un véritable échec diplomatique, qui compromet l’avenir
de ce partenariat inter-continental dans l’immédiat.
Par ailleurs, depuis la signature du traité de Maastricht (1992) instituant l’Union
européenne, la France a oeuvré pour la création d’une politique européenne de sécurité et de
défense afin d’intervenir dans un contexte multilatéral. Malgré le récent approfondissement de
cette politique en 2007 avec le traité de Lisbonne, on observe que la France garde une place
prépondérante lors des opérations menées dans le cadre de l’Union européenne. Cela
s’explique par ses moyens militaires relativement plus importants que ceux de la plupart des
autres pays de l’Union, mais aussi par l’existence de liens historiques avec l’Afrique que
n’ont pas la plupart des Etats membres de l’Union européenne. D’autre part, avec la création
de la Facilité européenne pour la paix, l’Union européenne travaille aussi à la
responsabilisation des organisations régionales africaines en matière de sécurité. Mais dans ce
domaine, un long chemin reste encore à parcourir, en raison de la faiblesse desdites
organisations.
56
Enfin, l’arrivée de nouveaux acteurs en Afrique subsaharienne tels que la Chine, les
Etats-Unis, mais aussi l’Inde, le Japon ou le Brésil bousculent la place de la France sur le
continent. Les raisons majeures au renouvellement de l’intérêt porté à l’Afrique par ces Etats
sont la recherche d’approvisionnement en ressources naturelles, la conquête de nouveaux
marchés, la quête de la puissance et du soutien des Etats africains pour l’obtention, par
exemple, d’un siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’O.N.U. Ces pays,
émergents pour la plupart, présentent leurs partenariats comme plus légitimes que ceux de la
France parce qu’ils sont basés sur une solidarité Sud-Sud et non plus Nord-Sud. Le principe
de non-ingérence est le socle de leur diplomatie et ils ne conditionnent pas leur aide à la mise
en place d’institutions démocratiques ou au respect des Droits de l’Homme. Toutefois, les
relations que ces nouveaux acteurs entretiennent avec l’Afrique ne sont pas aussi « gagnantgagnant » qu’ils ne le laissent penser. En effet, ne reproduisent-elles pas un schéma de type
colonial, où les échanges se limitent le plus souvent à une économie de prélèvement de
matières premières échangées contre des produits manufacturés? Au terme de ce travail, force
est de conclure que les relations qu’entretiennent ces nouveaux acteurs présents en Afrique ne
sont en rien comparables à la relation franco-africaine, fruit d’une longue connivence
linguistique, culturelle, politique, militaire, économique, financière, et dont l'exemple reste
unique à ce jour dans les relations internationales. En effet, si ces nouveaux acteurs, et surtout
la Chine, ont bien effectué une percée économique et politique sur le continent, leur influence
militaire et culturelle n’a rien de comparable à celle de la France.
En définitive, la France n’est plus seule en Afrique subsaharienne, où elle est
concurrencée surtout d’un point de vue économique. Néanmoins, elle y garde une position
dominante, notamment dans son ancien « pré carré » où elle possède un avantage linguistique,
culturel et financier sur les nouveaux acteurs. Enfin, l’Afrique a encore besoin de la France
pour assurer sa sécurité et lutter contre le terrorisme.
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