326
1. LE PRIMAT DE L’IMAGE SUR LE SONORE…
Le primat de l’image sur le son n’est pas le simple fait des nouvelles technologies, du
marketing et de la publicité. Bien avant la consécration de notre société « de l’image », ce
primat du visuel sur le sonore s’explique par la perception de l’homme et son rapport au
monde. A l’inverse de la peinture ou de la sculpture qui offrent une stabilité spatio-
temporelle, la musique est mouvante, ne laissant que peu de prise à celui qui l’approche.
(Hennion, 1993, p.11). Alors qu’une œuvre plastique se donne à voir sans efforts de mémoire,
la musique au contraire nécessite un travail beaucoup plus complexe dans les processus
d’appropriation mis en oeuvre. Car l’image est le reflet d’une réalité, la musique n’en est
qu’une évocation toujours approximative. Sans nous étendre davantage sur ces distinctions
primaires, notons que c’est parce que l’image est une représentation directement préhensible
et figée, sans besoin d’explications ni d’éducation préalable, qu’elle est a pris le pas sur le
sonore et dominé la recherche.
Toutefois, cette particularité des formes artistiques a aussi conduit à des échanges
complémentaires. L’un apportant à l’autre ce qu’il ne possédait pas. C’est ainsi que l’histoire
de l’art oscille sans cesse entre la représentation visuelle de la musique que de l’expression
sonore de l’image. Prenons quelques exemples.
Dans « 40000 ans de musique », le musicologue Chailley (2000) nous montre l’existence de
représentations musicales dans les peintures rupestres attestant ainsi de la présence de
musique dans les temps les plus reculés de l’histoire de l’homme. Du violon d’Ingres aux
installations sonore en passant par la « colorisation musicale » de Kandinsky (ou ce qu’il
appelle l’art monumental), les rapports entre image et musique sont aujourd’hui comme le
rappelle Yves Bosseur (1998) l’objet de réflexion artistique commune.
Coté musique, on se rappellera des velléités des musiciens à imiter la nature et de faire
de leur création des représentations imagées. La mort qui frappe à la porte dans la 9ème de
Beethoven, les mythiques symphonies wagnériennes ou encore les associations faites entre
des gammes et des émotions ressenties2 sont autant d’exemples de cette représentation
visuelle du musical. Autre lieu et autre temps, ces liens étroits se redessinent aussi dans des
projets environnementaux comme celui du musicien canadien Murray Schafer : le paysage
sonore (1979). Outre le caractère visuel contenu dans l’expression elle-même, il souligne
l’importance de considérer la musique et le visuel dans leur milieu d’existence. Après avoir
posé la nécessité de se mettre à l’écoute du quotidien, il invite à des réflexions
interdisciplinaires sur notre environnement sonore quotidien. Ce qui donnera lieu dans les
années 80 à des groupes de recherches mêlant urbanistes, architectes et musiciens3.. L’image
est donc au cœur de la musique et la musique au cœur de l’image chacune compensant les
désirs irréalisables, les manques de l’autre.
2. L’IMAGE ESTHETISEE
Pourtant, si ces exemples retracent les liens entre la musique et l’image, ils ne doivent
pas faire oublier les distinctions et cloisonnements que l’analyse et les concepts concourent à
recréer (Denizeau, 1998). Le besoin de transcender le temps et l’espace a en effet conduit
l’image a dompter la musique, à l’apprivoiser au travers d’un système d’écriture normé : la
2 Outre les ouvrages d’apprentissage, ces correspondances, établies par exemple par Rameau dans son Traité de
l’harmonie, ont fait l’objet de nombreuses recherches. Voir par exemples Hevner Kate, The Affective Character
of the Major and Minor Modes in Music. American Journal of Psychology, 47, 1935, pp. 103-118 ou plus
récemment Frances Robert, La perception de la musique, Ed. Vrin, Paris, 1958
3 C’est le cas en particulier du W.S.P (World Sound Project) dirigé par Schafer à partir des 70 puis du WFAE3
(World Forum for Acoustic Ecology), né en 1993. Ce dernier invite à la création d’une écologie acoustique
articulant les données sonores existantes avec le milieu dans lequel elles s’insèrent