pratique thérapeutique Surveiller un traitement par AVK, une nouvelle mission pour le pharmacien Le suivi des patients sous anticoagulants est une des nouvelles missions que le pharmacien pourra dorénavant effectuer dans son officine, inaugurant par là même un nouveau mode de rémunération, issu de la nouvelle convention pharmaceutique. Yves MICHIELS François PILLON © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Monitoring VKA therapy, a new mission for the pharmacist. Monitoring patients on anticoagulants is one of the new tasks that the retail pharmacist can now perform in their pharmacy thanks to the new pharmaceutical agreement, thereby initiating a new compensation method. © 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved Mots clés • Antivitamine K • Entretien pharmaceutique • Interaction médicamenteuse • International normalized ratio (INR) L a prise en charge du patient sous anticoagulants oraux (antivitamines K ou AVK) est définie par l’article 28 de la convention nationale organisant les rapports entre les pharmaciens titulaires d’officine et l’Assurance maladie [1]. Les organismes sociaux, en échange d’une rémunération (40 €), souhaitent « un retour sur investissement » concrétisé par un meilleur encadrement des patients sous anticoagulant et une diminution de la iatrogénie correspondante. En effet, la prise des AVK représente la première cause des hospitalisations dues aux effets indésirables des médicaments. Cette mission, pour être réussie, Keywords • Drug interactions • International normalized ratio (INR) • Pharmaceutical Care • Vitamin K antagonist devra s’effectuer avec une réelle et effective coopération entre les professionnels de santé au premier rang desquels le médecin traitant. Une nouvelle prise en charge aux objectifs multiples Les objectifs de cette nouvelle prise en charge sont multiples mais répondent tous aux besoins de santé publique. La pharmacie française n’est pas la première à s’impliquer plus avant dans ce domaine. Déjà, nos confrères Québécois, depuis 2006, participent à un tel programme. Depuis plus de 5 ans au Québec, cette anticoagulothérapie en milieu ambulatoire est tout d’abord une réussite dans le domaine de l’interprofessionnalité [2]. Le Collège des médecins du Québec et l’Ordre des pharmaciens du Québec ont créé conjointement un outil commun performant sous forme d’un livret, accessible, avec des objectifs et actions clairs afin de cadrer très précisément cette nouvelle démarche. Le pharmacien est ainsi capable : • de suivre un patient sous AVK (observance, iatrogénie, gestion du traitement) ; • de modifier si nécessaire la posologie concernée ; • de concevoir un relais héparines/ AVK, ainsi qu’un arrêt temporaire (chirurgie) ou définitif des anticoagulants ; • de programmer un prochain INR (International normalized ratio) dans le cadre de l’entretien pharmaceutique. Auteur correspondant Yves MICHIELS © BSIP L’architecture de l’entretien pharmaceutique [email protected] L’entretien pharmaceutique permet au pharmacien de jouer pleinement son rôle éducatif. 42 © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés http://dx.doi.org/10.1016/j.actpha.2012.11.008 © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 16/05/2013 par michiels yves (458508) L’entretien pharmaceutique “face to face” est défini dans l’article 10.2 de la nouvelle convention [1]. Afin de garantir la confidentialité, il doit se dérouler dans une partie adaptée à cet exercice dans l’officine. La durée, la fréquence et le contenu spécifique de l’entretien pharmaceutique sont définis, en fonction Actualités pharmaceutiques • n° 522 • janvier 2013 • pratique thérapeutique Encadré 1. Recueil des informations complémentaires F Informations générales : • âge et poids du patient ; • allergies et intolérances médicamenteuses ; • habitudes de vie (alimentation, alcool, tabac, activités physiques) ; • médicaments prescrits et produits en vente libre consommés par le patient ; • coordonnées d’une personne de soutien éventuellement ; • lieu des prélèvements sanguins ; • historique des doses d’anticoagulants oraux ; • graphique historique des International normalized ratio ou INR (plusieurs mois) ; • détermination des dates prochaines d’INR. F Évaluation de problèmes potentiels avec le traitement : • interactions médicamenteuses, observance, alimentation ; • pathologies connues pouvant induire des variations de l’INR. F Enseignement au patient : • évaluation des connaissances et des acquis préalables concernant le traitement anticoagulant ; • remise de brochures informatives ; • remise du carnet de surveillance des anticoagulants oraux. Encadré 2. Informations à transmettre au patient F Notions générales sur le traitement à rappeler : • rôle des anticoagulants ; • but de l’anticoagulation, INR (International normalized ratio) visé ; • durée prévue du traitement ; • rôle et importance des prélèvements sanguins pour établir les INR ; • posologie et horaire d’administration des médicaments anticoagulants ; • utilisation du carnet de surveillance des antivitamines K (AVK) ; • conduite à tenir en cas d’oubli. F Précautions à formuler : • effets indésirables ; des programmes d’actions que les parties signataires entendent mener, par le comité mentionné à l’article 50 de la convention [1]. L’entretien pharmaceutique a pour buts de : • renforcer les rôles de conseil, d’éducation et de prévention du pharmacien auprès des patients ; • valoriser l’expertise du pharmacien sur le médicament ; • évaluer la connaissance par le patient de son traitement ; • rechercher l’adhésion thérapeutique du patient et l’aider à s’approprier son traitement ; • évaluer, à terme, l’appropriation par le patient de son traitement. • reconnaissance des signes de saignement ; • conduite à tenir en cas de saignements ; • recommandations par rapport aux habitudes de vie : alcool, changements dans l’alimentation (arrêt-début, etc.), travaux manuels dangereux, sports de contact, rasoir, brosse à dents, etc. ; • interactions avec les médicaments prescrits ou en vente libre, les aliments et les compléments alimentaires ; • importance d’aviser tous les professionnels de la santé de la prise d’un anticoagulant ; Avant tout suivi de patient sous anticoagulant, le pharmacien doit recueillir les informations médicales connues et non connues par lui-même afin de disposer d’un maximum d’éléments nécessaires (encadré 1). Le rôle éducatif du pharmacien Le pharmacien doit jouer un rôle éducatif lors de l’entretien pharmaceutique. Il ne s’agit pas d’un programme d’éducation thérapeutique complet à proprement parlé, mais d’une approche simplifiée portant sur quelques notions élémentaires indispensables au patient pour lui assurer une meilleure connaissance Actualités pharmaceutiques • n° 522 • janvier 2013 • © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 16/05/2013 par michiels yves (458508) • importance de porter sur soi une carte précisant la prise d’un anticoagulant ; • conservation des médicaments ; • comment et quand contacter son médecin. F Documents à remettre au patient : • brochure informative sur les traitements anticoagulants. Idéalement, cette brochure devrait être parcourue avec le patient et commentée ; • carnet de surveillance des anticoagulants. et autonomie, donc nécessaires au bon déroulement de son traitement. Les informations délivrées (encadré 2), à la fois nombreuses et scientifiques, ne peuvent être acquises au cours d’un seul entretien. Il convient donc de prévoir plusieurs séances. Le pharmacien doit s’assurer de l’acquisition des connaissances par son patient par une mini-évaluation. Le pharmacien face aux différentes situations en pratique F Les objectifs thérapeutiques des patients sous AVK sont toujours définis par un intervalle 43 pratique thérapeutique Note 1 Les tableaux complets des interactions médicamenteuses peuvent être consultés sur le site de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). http://ansm.sante.fr/var/ ansm_site/storage/original/app lication/98c755303b2878b3c8 ea7b27519796f2.pdf. Tableau 1. Exemples d’intervalle d’INR (International ratio). normalized Pathologie Intervalle Thrombose veineuse ou embolie pulmonaire 2- 3 Thrombose idiopathique Idem 6 mois Facteurs persistant (déficit protéine C, S…) Idem 12 mois ou plus Récidive de thrombose ou d’embolie Idem 12 mois ou plus Fibrillation auriculaire 2-3 Chronique Accident cardio-embolique 2-3 Chronique Valve mécanique 3-4,5 Chronique d’INR, en fonction de la pathologie ou du risque. Ces intervalles sont généralement situés entre les valeurs 2-3 et 3-4 (tableau 1). L’objectif est de viser le milieu de l’intervalle afin que de minimes variations ne fassent sortir le patient de l’intervalle thérapeutique, entraînant une modification de posologie. Plusieurs situations peuvent se présenter à la fois : un indice INR sousthérapeutique inférieur à l’intervalle considéré et supra-thérapeutique supérieur à l’intervalle défini. Durée Lors des différentes dispensations, le pharmacien devra, dans le cadre du suivi, demander à son patient les résultats récents des INR. De plus en plus de laboratoires d’analyses présentent un graphique de plusieurs mois afin qu’il soit possible de visualiser plus facilement l’intervalle thérapeutique et les valeurs d’INR. En cas de franchissement à la hausse ou à la baisse de cet intervalle, des questions précises permettent d’identifier les causes potentielles (problème d’observance, modification de l’hygiène de vie…) (encadré 3). F En cas de saignements, le pharmacien doit être capable d’orienter son patient vers les autres professionnels de santé (médecin traitant, urgences) en fonction de la gravité des symptômes (figure 1). F Les interactions médicamenteuses sont nombreuses avec les anticoagulants, à l’origine d’accidents iatrogènes récurrents (17 000 hospitalisations par an). Une attention toute particulière doit être portée par le pharmacien et son équipe lors de l’introduction d’un nouveau médicament ou d’un complément alimentaire (ex : compléments alimentaires à base de canneberge, oméga 3), ainsi qu’à l’occasion de toute modification de posologie, de dosage ou l’arrêt d’un médicament. La prise d’anticoagulants doit être notifiée sur la fiche patient afin de repérer les patients à risques. Les directives de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)1 sont précises : en cas de doute ou de risque, il convient d’effectuer un nouvel INR 3 à 4 jours après l’introduction d’un Encadré 3. INR sous-thérapeutique et INR supra-thérapeutique, quelles questions poser ? INR (International normalized ratio) sous-thérapeutique Comment avez-vous pris votre anticoagulant au cours des deux dernières s e m a i n e s ( c o u l e u r, n o m b r e d e comprimés, nombre de fois par jour) ? Quel(s) moyen(s) utilisez-vous pour assurer l’observance quotidienne de la dose ? Avez-vous oublié des doses ? Avez-vous augmenté de façon importante votre niveau d’activité physique ? Avez-vous augmenté votre consommation de légumes verts ? Votre traitement a-t-il été modifié (addition, retrait de médicament, changement de dose) ? Avez-vous pris des médicaments en vente libre, des produits naturels ou des suppléments alimentaires ? Avez-vous débuté une consommation régulière d’alcool ? INR supra-thérapeutique Quel(s) moyen(s) utilisez-vous pour assurer l’observance quotidienne de la dose ? Votre traitement a-t-il été modifié (addition, retrait de médicament, changement de dose) ? Avez-vous pris des médicaments en vente libre ou des produits naturels ? Avez-vous eu des problèmes de santé récemment ? Avez-vous consommé plus d’alcool qu’habituellement ? Avez-vous cessé récemment une consommation régulière d’alcool ? Avez-vous diminué votre consommation de légumes verts ? Comment avez-vous pris votre anticoagulant au cours des deux dernières s e m a i n e s ( c o u l e u r, n o m b r e d e comprimés, nombre de fois par jour, formulation générique) ? (Procéder à la vérification du carnet si possible.) Avez-vous diminué de façon importante votre niveau d’activité physique ? Avez-vous cessé de fumer ? Recommandations Vérifier la présence de saignement 44 © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 16/05/2013 par michiels yves (458508) Actualités pharmaceutiques • n° 522 • janvier 2013 • pratique thérapeutique Étendre cette nouvelle mission aux nouveaux anticoagulants oraux Les nouvelles missions du pharmacien doivent également être élargies aux nouveaux anticoagulants par voie orale. Ces molécules présentent, comme toute molécule anticoagulante, un potentiel hémorragique. Par un interrogatoire précis de son patient, le pharmacien est à même de détecter une éventuelle iatrogénie et de relayer de tels effets au centre de pharmacovigilance. F Le rivaroxaban (Xarelto®). Chez les patients atteints d’insuffisance rénale sévère (clairance de la créatinine de 15 à 29 mL/min.), les données cliniques sont limitées mais montrent une augmentation significative des concentrations plasmatiques du rivaroxaban. Xarelto® doit donc être utilisé avec prudence. L’usage de ce médicament n’est pas recommandée chez Références Saignements mineurs Saignements moyen Saignements majeurs -Épistaxis -Ecchymose -Saignement des gencives -Hémoptysie en filets, non soutenue sans dyspnée -Hématurie Symptômes de saignements intra-abdominaux -Douleurs abdominales inexpliquées -Signes de saignements gastro-intestinaux -Sang rouge dans les selles -Selles noires -Vomissements brunâtres (allure grains de café) Orientation du patient vers le médecin si saignement persistant Orientation du patient vers le médecin dans la journée -Signes et symptômes de saignements intracérébraux -Nausée et vomissements -Céphalée soudaine et intense -Confusion -Diaphorèse -Évanouissements Orientation immédiate vers le médecin ou vers l’urgence © DR nouveau médicament interférant potentiellement, ou après un changement de posologie ou de dosage d’un médicament préexistant interférant. F Tout traitement chronique est sujet à inobservance (près de 50 % des patients). Le pharmacien, grâce à son logiciel officinal et au dossier pharmaceutique (DP), en consultant les dates de renouvellement ou par un questionnement indirect, peut mettre en évidence de tels comportements et éduquer sur l’importance du respect des prescriptions médicamenteuses ou des dosages d’INR. Les principaux facteurs d’inobservance connus sont : • la communication insuffisante ou non satisfaisante avec les professionnels de santé ; • la méconnaissance du traitement médicamenteux et de la pathologie (symptômes, complications) ; • les déficits cognitifs et mentaux ; • la mauvaise gestion du traitement médicamenteux (oublis, ruptures…). Figure 1. Comment orienter son patient en cas de saignements ? les patients dont la clairance de la créatinine est < 15 mL/min. Une méta-analyse réalisée par la Food and Drug Administration (FDA) à partir d’essais cliniques suggère un surcroît significatif majeur. De même, en comparaison à l’énoxaparine, pour la prévention de la maladie veineuse thrombo-embolique, un surcroît d’hémorragie majeure a été mis en évidence [3]. Le rivaroxaban, n’ayant pas d’antidote et n’étant pas dialysable, il convient au pharmacien de déceler le moindre saignement mineur et d’en informer le médecin traitant. F Le dabigatran (Pradaxa®). Le dabigatran est le seul médicament anti-IIa commercialisé par voie orale. Il ne nécessite pas d’adapter la dose en fonction du poids et du sexe, mais une dose plus faible doit être administrée chez le sujet d’âge supérieur à 75 ans et l’insuffisant rénal (réduction de la posologie de 220 mg/jour à 150 mg/jour). Le dabigatran ne s’associe pas à un surrisque hémorragique par rapport aux autres anticoagulants [4]. En revanche, les nombreux essais cliniques ont montré que le dabigatran est susceptible d’exposer à des hémorragies majeures chez des Actualités pharmaceutiques • n° 522 • janvier 2013 • © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 16/05/2013 par michiels yves (458508) sujets standard. Tout comme le rivaroxaban, il n’existe pas d’antidote. En cas de surdosage, la prise en charge est complexe et hospitalière : charbon activé et dialyse de la molécule. Il convient donc au pharmacien de déceler le moindre saignement mineur et d’en informer le médecin traitant. Conclusion L’accompagnement des patients chroniques est aujourd’hui au cœur des préoccupations des organismes de santé, à la fois en termes de santé publique et de coûts pour la collectivité. Les patients sous anticoagulant doivent bénéficier d’une approche multidisciplinaire afin que le rapport bénéfice/risque soit optimisé. Grâce à son implication dans ce domaine, le pharmacien pourra pleinement faire preuve de ses compétences et de sa volonté de s’inscrire dans une coopération avec les autres professionnels de santé. Les anticoagulants sont en pleine évolution et représentent une chance pour la profession qui doit s’inspirer des expériences internationales. Cette nouvelle mission s’apparente à un défi auquel il est indispensable de se préparer. w [1] Arrêté du 4 mai 2012 portant approbation de la convention nationale organisant les rapports entre les pharmaciens titulaires d’officine et l’Assurance maladie. JORF n° 0107 du 6 mai 2012:8112. http:// www.legifrance.gouv.fr/ affichTexte.do?cidTexte=JOR FTEXT000025804248 [2] Collège des médecins du Québec, Ordre des pharmaciens du Québec. Protocole d’anticoagulothérapie. Décembre 2006. http://www. cmq.org/MedecinsMembres/ profil/commun/AProposOrdre/ Publications/~/media/ C96C61EC17D24E96AEB3F DE515BBEEF8.ashx [3] Cohen A. Rivaroxaban compared with enoxaparin for the prevention of venous thromboembolism in acutely ill madical patients (abstract). Congrès de l’American College of Cardiology 2011. http://my.americanheart. org/idc/groups/ahamahpublic/@wcm/@sop/@scon/ documents/downloadable/ ucm_425442.pdf. [4] Schulman S, Kearon C, Kakkar AK and al. Dabigatran versus warfarin in the treatment of acute venous thromboembolism. N Engl J Med. 2009;361:1139-51. Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Les auteurs Yves MICHIELS Maître de conférences associé en pharmacie clinique, Faculté de pharmacie, 7 bd Jeanned’Arc, 21000 Dijon, France [email protected] François PILLON Service de pharmacologie clinique, Faculté de médecine Laennec, 8 rue GuillaumeParadin, 69008 Lyon, France [email protected] 45