Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 22 CHAPITRE 22 POLITIQUE ÉCONOMIQUE 1. DIFFÉRENTES ÉCOLES DE PENSÉE C'est véritablement avec John Maynard Keynes que les économistes se sont intéressés activement à la politique économique. Avant Keynes, la majorité des économistes était favorable au "laisser-faire" et opposée à l'intervention économique de l’État, en pensant que les lois du marché suffiraient à assurer un équilibre efficace. La grande dépression des années ‘30 ébranla cette conviction et l'idée de Keynes selon laquelle une intervention macro-économique de l’État était nécessaire pour relancer la demande, acquit la conviction de la profession des économistes et des décideurs politiques. L'instrument privilégié de la politique keynésienne est la politique fiscale, favorisant un déficit public pour relancer la demande lorsque sa composante privée est insuffisante. Les idées keynésiennes connurent leurs heures de gloire dans les années ‘50 et ‘60, et elles furent appliquées activement par les gouvernements occidentaux. L'âge d'or de la politique économique keynésienne fut sans doute la présidence de John F. Kennedy où une réduction des impôts permit de relancer l'économie. Les conseillers économiques du Président Kennedy étaient tous grands partisans de la théorie keynésienne. Au même moment, un courant de pensée très minoritaire se développa à l'Université de Chicago autour de Milton Friedman. Friedman était opposé à l'intervention économique de l’État et pensait qu'une politique fiscale pouvait souvent faire plus de tort que de bien. En effet, la politique fiscale passe par le budget, décidé en général une fois par an. Il y a des retards dans la collecte des statistiques et il est parfaitement possible qu'un budget destiné à relancer l'économie intervienne à un moment où la relance a déjà lieu, mais où les données statistiques ne sont pas encore disponibles. De même, une politique d'austérité pourrait être décidée à un moment de dépression. La politique fiscale peut donc être nuisible à cause des délais de décision. Le monétarisme met l'accent sur le rôle de la monnaie dans la détermination de l'inflation à long terme et de la production à court terme. Les monétaristes sont opposés à une politique économique discrétionnaire, mais préfèrent une politique économique basée sur des règles, par exemple une règle d'accroissement constant du stock monétaire chaque année. De même, les monétaristes mettent plus l'accent sur la lutte contre l'inflation que sur la lutte contre le chômage. Le succès des idées monétaristes et le discrédit des idées keynésiennes est intervenu au début des années ‘70 lorsque l'inflation commençait à être un phénomène préoccupant dans les économies de l'OCDE. Les politiques de relance menées après le premier choc pétrolier eurent, en général, plus pour effet d'augmenter l'inflation que de relancer la production. 473 Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 22 On assista ainsi au phénomène de stagflation: une hausse du chômage qui va de pair avec une hausse de l'inflation. On se mit à contrôler de beaucoup plus près l'évolution des différents agrégats monétaires: M1, M2, M3,... A la fin des années ‘70, Paul Volker, un monétariste convaincu, fut nommé à la tête du Federal Reserve Board, la Banque Centrale Américaine. Il mena une politique de lutte contre l'inflation, développée au cours de la présidence de Jimmy Carter, en réduisant fortement les agrégats de stock monétaire. A titre d’illustration, le graphique ci-dessous illustre l’évolution des prix pétroliers, de l’inflation et du chômage aux Etats-Unis sur la période 1965-1995. La stagflation aux Etats-Unis 40 35 30 25 20 15 10 1965 3.0 4.1 1.8 1974 9.4 6.6 12.2 1980 37.4 7.4 12.6 5 0 Inflation (CPI) Taux de chômage Prix pétroliers Source OCDE Pendant les années ‘70, se développa un nouveau courant de pensée proche de Friedman en matière de politique économique et qui en même temps révolutionna la science économique et plus particulièrement la macro-économie. Il s'agit de la révolution des anticipations rationnelles, dont le chef de file est Robert Lucas, de l'Université de Chicago. Un autre économiste célèbre de cette tendance est Thomas Sargent, de la Hoover Institution, en Californie. Du point de vue méthodologique, l'introduction des anticipations rationnelles a complètement transformé la macro-économie moderne en mettant beaucoup plus l'accent sur les erreurs d'anticipation, l'information et le caractère intertemporel des problèmes macro-économiques. Du point de vue de la politique économique, les économistes de cette tendance se considèrent comme des "nouveaux classiques". Robert Lucas ou encore Robert Barro, de l'Université de Harvard, revendiquent cette dénomination de "nouveaux classiques". La vision des nouveaux classiques, tout en se raccrochant au libéralisme ancien, apporte une vision tout à fait neuve du cycle économique. Précédemment, les économistes tendaient à considérer les fluctuations économiques comme des ajustements à des déséquilibres, en supposant 474 Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 22 implicitement que l'équilibre macro-économique restait stable. Les "nouveaux classiques", au contraire, considèrent que les fluctuations économiques ne sont rien d'autres qu'une succession d'équilibres en réponse à des chocs de demande et des chocs d'offre. En particulier, les "nouveaux classiques" postulent que tous les marchés sont en équilibre. Si le cycle économique est constitué d'une succession d'équilibres sur tous les marchés, alors il n'y a plus de place pour la politique économique. La seule place que l'on reconnaît à la politique économique est de tromper les anticipations des agents économiques, par exemple par de l'inflation surprise. Mais les effets positifs de l'inflation surprise ne peuvent être que de court terme. La branche la plus "dure" des "nouveaux classiques" est ce qu'on appelle la tendance "Real Business Cycle" regroupée autour d’Edward Prescott, de l'Université du Minnesota. Les partisans des "Real Business Cycle" partagent la vision du cycle de Lucas, mais se limitent à des chocs réels. Pour eux, des chocs nominaux, comme par exemple une augmentation du stock monétaire, ne peuvent véritablement influencer l'économie. C'est comme une bulle de savon qui éclate très rapidement. Ils attachent une grande importance aux chocs sur l'offre, pensant que ceux-ci créent de la persistance économique. Par exemple, une augmentation des coûts, un choc négatif sur l'offre, entraîne une baisse de la production aujourd'hui, mais cette baisse de la production aujourd'hui peut avoir des effets durables demain, notamment à cause de la baisse des investissements. Face à ces différents courants, il existe les nouveaux keynésiens qui continuent à former la majorité de la profession. Les nouveaux keynésiens ont comme chef de file Mankiw, de l'Université de Harvard, Joseph E. Stiglitz, de l'Université de Stanford, G. Akerlof, de l'Université de Berkeley, et d'autres. Les nouveaux keynésiens reconnaissent les innovations méthodologiques apportées par la théorie des anticipations rationnelles. Ils diffèrent néanmoins des nouveaux classiques sur un point très important. Ils sont convaincus des imperfections existantes sur le marché du travail et, en particulier, de la rigidité des salaires à la baisse. Une partie importante de leurs recherches consiste à expliquer cette rigidité des salaires à la baisse, comme par exemple par la théorie des salaires d'efficience développée par Stiglitz. Plutôt que de mettre l'accent sur l'équilibre de concurrence parfaite dans chaque secteur économique, les nouveaux keynésiens mettent l'accent sur l'imperfection des marchés, non seulement le marché du travail, mais également le marché des capitaux où le rationnement du crédit joue un rôle important. Les nouveaux keynésiens accordent une grande importance aux nouvelles idées développées en micro-économie sur les asymétries informationnelles, la sélection adverse et l'aléa moral. Il existe également d'autres courants de pensée beaucoup plus minoritaires comme les économistes radicaux aux USA, les économistes marxistes, les régulationnistes (une école à dominante française influencée par Michel Aglietta et Robert Boyer), les économistes post-keynésiens,... 475 Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 22 2. LA POLITIQUE FISCALE Rappelons brièvement les trois hypothèses fondamentales qui soustendent les résultats suivants : 1) Le pays est une petite économie ouverte 2) Mobilité parfaite des capitaux 3) Absence d’effet d’encaisses réelles Dans cette section, nous allons voir les effets d'une augmentation des dépenses publiques en économie fermée et en économie ouverte, en régime de changes fixes et flottants. L'effet d'une réduction des dépenses publiques peut être analysée de façon symétrique. 2.1. La politique fiscale en économie fermée Nous allons commencer par supposer une économie fermée pour voir l'effet des variations des dépenses publiques sur le taux d'intérêt. Dans une économie ouverte, le taux d'intérêt sera donné par le taux étranger. 476 Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 22 Graphique 22.1: LA POLITIQUE FISCALE EN ÉCONOMIE FERMÉE: UNE AUGMENTATION DES DÉPENSES PUBLIQUES i LM’ E2 i2 LM E1 i1 E0 i0 IS Y0 IS’ Y2 Y1 Y YSLT P YSCT E2 P2 P0=P1 E1 E0 Yd’ Yd Y0 Y2 Y1 Y 477 Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 22 Partons d'un équilibre en E 0 avec un taux d'intérêt i0 et un niveau de production Y0. La hausse des dépenses publiques va déplacer IS vers IS' en E1 . Le taux d'intérêt est passé à i1 et la production à Y1, le point E1 correspondant au déplacement de la demande agrégée de Yd vers Yd’. En ce point, la demande agrégée est supérieure à l'offre agrégée de long terme. Les prix vont donc augmenter jusqu'au moment où on atteint l'équilibre E 2 . Sur le graphique du dessus, on voit que l'augmentation des prix réduit les encaisses réelles et déplace LM vers LM' pour atteindre un équilibre E 2 avec un taux d'intérêt i2 . En conclusion, on voit qu'une augmentation des dépenses publiques entraîne une augmentation de la production, du taux d'intérêt et du niveau des prix. Notons que la hausse des dépenses publiques entraîne également une baisse du salaire réel. Comment peut-on le savoir? Au point E 0 , il y a chômage involontaire sur le marché du travail, à cause de la rigidité des salaires. L'augmentation des prix due à l'augmentation de la demande agrégée va réduire le salaire réel et donc augmenter la demande de travail. L'augmentation de l'emploi à partir d'une situation de sous-emploi signifie qu'il y a eu baisse du salaire réel. 2.2. La politique fiscale en changes fixes Partons d'un équilibre en E 0 . L'augmentation des dépenses publiques entraîne un déplacement de IS vers IS', la demande agrégée cohérente avec l’équilibre sur le marché monétaire passe donc de E 0 à E1 . Contrairement à ce qui se passe en économie fermée, l'effet sur la demande agrégée ne s'arrête pas là. En effet, en E1 le taux d'intérêt se situera à un niveau supérieur au taux d'intérêt i*. Comme nous raisonnons dans le cadre d'une petite économie ouverte avec mobilité parfaite des capitaux, l'augmentation du taux d'intérêt va entraîner une entrée massive de capitaux. Comme nous sommes en changes fixes, la Banque Centrale va devoir acheter ces devises, ce qui signifie une augmentation du stock monétaire et donc un déplacement de LM vers LM'. L'augmentation de la demande agrégée est due à une augmentation des dépenses publiques et le déplacement de LM est dû à un accroissement du stock de monnaie dû à une entrée de capitaux, ce qui représente au total le passage de E 0 à E 2 . Sur le graphique du bas, on voit que cela signifie le déplacement de Yd vers Yd’. 478 Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 22 Graphique 22.2: LA POLITIQUE FISCALE EN ÉCONOMIE OUVERTE (CHANGES FIXES): UNE AUGMENTATION DES DÉPENSES PUBLIQUES i LM E1 i1 LM’’ LM’ E0 i*=i0=i3 E3 E2 IS’ IS’’ IS Y0 Y1 Y3 Y2 Y P YSLT YSCT E3 P3 E0 E2 P0=P2 YSCT Yd’ Yd Y0 Y1 Y3 Y2 Y 479 Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 22 En E 2 néanmoins, la demande agrégée est supérieure à l'offre agrégée. Il y aura donc une hausse des prix. La hausse des prix a deux effets. Premièrement, elle entraîne une appréciation réelle de la monnaie et donc une perte de compétitivité qui réduit les exportations. Cela signifie le passage de IS' à IS". Parallèlement, la hausse des prix entraîne une baisse des encaisses réelles, ce qui signifie le déplacement de LM' vers LM". On a donc un équilibre macro-économique de court terme en E 3 . A l'équilibre, on voit qu'une augmentation des dépenses publiques entraîne une augmentation des prix, une augmentation de la production, une augmentation du stock monétaire dû à l'entrée des capitaux, et une détérioration parallèle de la balance des opérations courantes à cause de l'appréciation réelle de la monnaie. Notons que le taux d'intérêt reste au niveau i*. En économie ouverte, une politique fiscale en changes fixes a donc des effets de relance importants, plus importants même qu'en économie fermée puisqu'un effet de relance monétaire se rajoute à l'effet de relance fiscale. Que se passe-t-il s'il y a dévaluation en changes fixes? L'analyse faite pour les dépenses publiques peut être quasiment reprise ici, à une exception: la dévaluation initiale entraîne une amélioration de la balance des opérations courantes. Par conséquent, une dévaluation entraîne une augmentation de la production, une hausse des prix, une augmentation du stock monétaire et une amélioration de la balance des opérations courantes. Cependant, l'amélioration initiale de la balance des opérations courantes sera atténuée par l'effet de la hausse des prix. Une dévaluation a-t-elle toujours des effets positifs immédiats sur la balance des opérations courantes? Le lendemain d'une dévaluation, il y a une baisse des termes de l'échange. En effet, les prix à l'importation deviennent plus chers et les prix à l'exportation peuvent devenir moins chers, puisque un même prix d'exportation en euros signifiera moins en dollars, par exemple. L'effet immédiat de la baisse des termes de l'échange est de diminuer la valeur des exportations et d'augmenter la valeur des importations, en supposant que les quantités exportées et les quantités importées restent les mêmes. L'effet initial de la dévaluation, au lendemain de la dévaluation, est donc une détérioration de la balance des opérations courantes due à la baisse des termes de l'échange. Néanmoins, à terme (après la dévaluation) les quantités exportées et importées vont changer. Les exportations, devenant moins chères, vont augmenter, et les importations, devenant plus chères, vont diminuer. Si les conditions de Marshall-Lerner sont réunies, la dévaluation finira par avoir un effet positif. 480 Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 22 Graphique 22.3: LA COURBE EN J DE LA DÉVALUATION BOC Solde de la BOC 0 Temps Cette évolution dans le temps des effets d'une dévaluation est appelée la courbe en J de la dévaluation. Elle explique pourquoi au lendemain d'une dévaluation, la balance des opérations courantes peut se détériorer, mais va rapidement s'améliorer. 481 Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 22 2.3. La politique fiscale en changes flottants Graphique 22.4: LA POLITIQUE FISCALE EN ÉCONOMIE OUVERTE (CHANGES FLOTTANTS): UNE AUGMENTATION DES DÉPENSES PUBLIQUES i LM E1 i1 E0=E3 i*=i0=i3 IS’ IS=IS’’ Y0=Y3 Y1 Y Nous raisonnons maintenant en changes flottants. Le taux de change va donc s'ajuster immédiatement face à des déséquilibres dans la balance de paiement. En particulier, nous raisonnons toujours dans le cadre d'une petite économie ouverte où les mouvements des capitaux ont une grande importance. Une augmentation des dépenses publiques va entraîner une augmentation du taux d'intérêt et de la demande. IS va se déplacer vers IS'. L'augmentation du taux d'intérêt va entraîner une entrée de capitaux. Celle-ci aura pour effet d'entraîner une appréciation immédiate de la monnaie. Cette appréciation de la monnaie va entraîner une baisse de compétitivité qui conduira à une baisse des exportations, une hausse des importations et une détérioration du solde courant. La détérioration de la balance des opérations courantes entraînera une baisse du taux d'intérêt et de la production. La baisse du taux d'intérêt va entraîner une sortie de capitaux et donc une dépréciation de la monnaie. 482 Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 22 Résultat: on se retrouve à l'équilibre de départ. Comme on le voit, une augmentation des dépenses publiques n'a aucun effet sur l'équilibre macro-économique. 3. LA POLITIQUE MONÉTAIRE Nous allons répéter le même exercice que dans la section précédente, mais en supposant une augmentation du stock monétaire dans l'économie. 3.1. La politique monétaire en économie fermée Partons d'un équilibre initial en E 0 , qui est un équilibre de sous-emploi. Supposons une augmentation du stock monétaire qui déplace LM vers LM'. L'augmentation du stock monétaire entraîne une baisse du taux d'intérêt et une augmentation de la demande en E1 . Cette augmentation de la demande correspond à un déplacement de la demande agrégée de Yd vers Yd’. En E1 , la demande agrégée est plus importante que l'offre agrégée, il y aura donc une augmentation des prix. L'augmentation des prix va diminuer les encaisses réelles, ce qui entraînera un déplacement de LM' vers LM" jusqu'en E 2 , où l'offre agrégée est égale à la demande agrégée. A l'équilibre, une augmentation du stock monétaire entraîne donc une baisse du taux d'intérêt, une augmentation de la production et une hausse des prix. Notons ici que la différence majeure entre la politique monétaire et la politique fiscale, est qu'une politique de relance par la politique monétaire réduit le taux d'intérêt, alors qu'une politique de relance par les dépenses publiques augmente le taux d'intérêt. Notons également que le passage de l'équilibre E 0 vers E 2 implique une baisse des salaires réels puisque le niveau d'emploi, et donc de la demande de travail, a augmenté. 483 Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 22 Graphique 22.5: LA POLITIQUE MONÉTAIRE EN ÉCONOMIE FERMÉE: UNE AUGMENTATION DU STOCK MONÉTAIRE LM i LM" E0 LM' i0 E2 I2 I1 E1 IS Y0 Y2 P Y1 Y YSLT YSCT E2 P2 P0=P1 E1 E0 Yd’ YSCT Yd Y0 Y2 Y1 Y 484 Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 22 3.2. La politique monétaire en changes fixes Nous avons vu, au chapitre 19, que dans un régime de taux de changes fixes, la Banque Centrale renonce à la souveraineté de sa politique monétaire puisque le respect des changes fixes implique des variations du stock monétaire en réponse aux déséquilibres de la balance des paiements. Nous allons voir maintenant ce raisonnement de façon rigoureuse. Graphique 22.6: LA POLITIQUE MONÉTAIRE EN ÉCONOMIE OUVERTE (CHANGES FIXES): UNE AUGMENTATION DU STOCK MONÉTAIRE i LM=LM’’ LM' E0=E3 i*=i0=i3 E1 i1 IS Y0=Y3 Y1 Y Supposons un équilibre initial en E 0 où le taux d'intérêt est égal au taux d'intérêt étranger i*. Ici à nouveau, l'hypothèse de la petite économie ouverte avec mobilité parfaite des capitaux est cruciale pour le raisonnement. Supposons une augmentation du stock monétaire qui entraîne un déplacement de LM vers LM'. Cette augmentation du stock monétaire entraîne une baisse du taux d'intérêt en-dessous de i*. La baisse du taux d'intérêt va entraîner une sortie de capitaux. La sortie de capitaux va entraîner une baisse du stock monétaire puisque la Banque Centrale va devoir vendre des devises et voir ses 485 Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 22 réserves en devises diminuer. Le produit de la vente de ces devises correspond à la diminution de la masse monétaire dans l'économie. La diminution de la masse monétaire nous ramènera de LM' vers LM. Comme on le voit, la politique monétaire en changes fixes n'a pas d'effet dans une petite économie ouverte au reste du monde. C'est une des raisons pour laquelle les pays européens ont voulu progresser vers l'Union Monétaire c’est-à-dire, établir une monnaie unique et une politique monétaire unique. Les pays européens préfèrent éviter l’influence perverse de la volatilité des taux de change sur le commerce intra-communautaire. 3.3. La politique monétaire en changes flottants Partons d'un équilibre en E 0 , qui est un équilibre de sous-emploi. La hausse du stock monétaire va entraîner un déplacement de LM vers la droite, vers LM'. Au point E1 , la demande agrégée a augmenté et le taux d'intérêt a baissé. La baisse du taux d'intérêt endessous du taux d'intérêt étranger entraîne une dépréciation de la monnaie, puisque nous sommes en régime de changes flottants. La sortie des capitaux représente une augmentation de la demande de devises, donc une augmentation du prix de la devise (c’est-à-dire du taux de change) et, par conséquent, une dépréciation de la monnaie nationale. La dépréciation de la monnaie engendre cependant une amélioration de la compétitivité qui va stimuler les exportations et entraîner un déplacement de IS vers IS'. Ce nouvel accroissement de la demande agrégée a entraîné une augmentation du taux d'intérêt jusqu'au niveau i*, et un nouvel accroissement de la demande. Nous sommes au point E 2 . En E 2 , on voit qu'il y a un déplacement de la demande agrégée de Yd vers Yd’. Tout comme en régime de changes fixes, nous avions vu qu'une politique budgétaire entraînait une augmentation de la demande agrégée plus importante que celle observée en économie fermée, nous pouvons en dire de même pour la politique monétaire en changes flottants. Dans une économie fermée, l'augmentation de la demande agrégée serait arrêtée à E1 . Maintenant, on va jusqu'à E 2 . Néanmoins, en E 2 , la demande agrégée est supérieure à l'offre agrégée; les prix vont donc augmenter. L'augmentation des prix a deux effets. Il diminue les encaisses réelles et entraîne un déplacement de LM' vers LM". De même il entraîne une diminution de la compétitivité suite à l'appréciation réelle de la monnaie. Cette diminution de la compétitivité entraîne un déplacement de IS' vers IS". Le nouvel équilibre se trouve en E3. A l'équilibre, une augmentation du stock monétaire a entraîné une augmentation du produit national, une augmentation du prix, une dépréciation de la monnaie et une amélioration du solde commercial. Comment peut-on savoir qu'il y a une amélioration du solde courant? C'est parce que l'effet global de la politique monétaire consiste en une dépréciation de la monnaie. Comment est-on sûr qu'il y a une dépréciation de la monnaie? C'est parce qu'il y a 486 Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 22 augmentation de la production à taux d'intérêt constant. Cette augmentation de la production signifie qu'il y a simultanément augmentation du stock monétaire, ce qui diminue le taux d'intérêt, et une augmentation de la demande agrégée, ce qui augmente le taux d'intérêt. L'augmentation de la demande agrégée ne peut venir que de la dépréciation. 487 Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 22 Graphique 22.7: LA POLITIQUE MONÉTAIRE EN ÉCONOMIE OUVERTE (CHANGES FLOTTANTS): UNE AUGMENTATION DU STOCK MONÉTAIRE LM i LM" LM' E3 E0 i*=i 0=i 3 E2 IS' E1 i1 IS" IS Y P YSLT YSCT E3 P3 E2 P0=P2 E0 YSCT d Yd’ Y Y0 Y3 Y1 Y2 Y 488 Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 22 Nous avons ici un phénomène intéressant en rapport avec les taux de changes flottants. En effet, une augmentation du stock monétaire entraîne une dépréciation à l'équilibre, mais la dépréciation initiale est suivie d'une appréciation ultérieure lorsque les prix augmentent. Le fait que la dépréciation initiale soit plus forte que la dépréciation finale s'appelle l'overshooting. Graphique 22.8: LE PHÉNOMÈNE D’OVERSHOOTING 1/e 1/e 2 1/e3 1/e 1 t Temps On voit qu'au moment t, lors de l'augmentation du stock monétaire, le taux de change passe de e1 à e2 . On a donc une dépréciation initiale très forte de la monnaie. La hausse consécutive des prix entraîne une appréciation de la monnaie et donc une diminution du taux de change de e2 vers e3 . Une dépréciation initiale liée à un changement de la politique monétaire sera donc plus forte que la dépréciation d'équilibre. Un raisonnement symétrique peut être fait en cas de réduction du stock monétaire. Le phénomène d'overshooting est important car il signifie que toute politique monétaire aura des effets exagérés sur le taux de change dans un régime de changes flottants. Par 489 Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 22 conséquent, les taux de changes flottants auront tendance à être très volatiles. Un bon exemple est la situation des USA à partir de 1979. Sous la présidence de Jimmy Carter, l'inflation avait fortement augmenté après le premier choc pétrolier. Le Dollar qui était flottant, s'était fortement déprécié (en-dessous des 30 FB ou 0,74 euros). Un changement dans la politique monétaire s'est opéré avec l'arrivée du nouveau président de la Banque Centrale Américaine, Paul Volker, qui a décidé d'appliquer une politique d'austérité monétaire. La contraction de la masse monétaire a fortement stimulé les taux d'intérêts nominaux aux USA et le Dollar a commencé à grimper, il s'est apprécié considérablement et est passé de moins de 30 FB (0,74 euros) à ± 70 FB (1,74 euros), dans la première moitié des années ‘80. Ensuite, le Dollar a baissé petit à petit, et la politique monétaire a été relâchée. Le phénomène d'overshooting augmente la volatilité des taux de change, ce qui peut augmenter l'incertitude et avoir un impact négatif sur les flux commerciaux et les flux d'investissement. La volatilité des taux de change est une des raisons essentielles pour laquelle les pays européens ont préféré avoir un régime de changes fixes, donc de progresser vers l'Union Monétaire. 4. LA COURBE DE PHILLIPS Dans les années ‘50, un économiste de la London School of Economics, le professeur Phillips découvrit ce qu'on appelle la courbe de Phillips. A partir de données portant sur un grand nombre de pays et sur une longue période, il établit une relation négative inflation et le chômage. Cette relation est aussi valable sur longue période. A titre d’exemple, le graphique suivant rapporte les taux d’inflation et taux de chômage américain pour les années allant de 1955 à 1969. chômage et inflation, US (1955-1969) 6 5 taux d'inflation 4 3 2 1 0 -1 2 -2 3 4 5 6 7 taux de chômage Source : OCDE 490 Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 22 Ce qui ressort de la courbe de Phillips est que les gouvernements doivent opérer un choix difficile entre inflation et chômage. Considérons deux situations: en A correspond une forte inflation et un faible chômage; au point B, il y a une faible inflation et un chômage élevé. L'idée de la courbe de Phillips est qu'en voulant diminuer l'inflation, on augmente le chômage; il y a donc un arbitrage difficile à exercer entre les deux. Les gouvernements préférant mettre l'accent sur la lutte contre l'inflation choisiront plutôt le point B. Les gouvernements mettant l'accent sur la lutte contre le chômage préféreront le point A. Graphique 22.9: LA COURBE DE PHILLIPS Inflation A B courbe de Phillips Chômage Cette idée d'arbitrage entre inflation et chômage a été très importante tout au long des années ‘60. Cependant, au début des années ‘70, on observa à la fois une augmentation de l'inflation et du chômage. L'analyse de l'équilibre macro-économique va nous permettre de comprendre le pourquoi. 491 Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 22 Graphique 22.10: LA COURBE DE PHILLIPS ET L’ÉQUILIBRE MACROÉCONOMIQUE YSLT P YSCT C à long terme PC PA A B PB YdA YdB Y chômage Le graphique 22.10 retrace l'offre de court et de long terme, ainsi que deux schémas de demande agrégée, YdA et YdB. Une augmentation de la production représente une baisse du chômage. En changeant le sens de l'axe horizontal, on se rend compte que l'offre agrégée de court terme ressemble à la courbe de Phillips. Supposons qu'on est au point B avec une faible inflation et un chômage élevé. A ce moment-là, en passant vers le point A, on aura une baisse du chômage et une hausse de l'inflation. Inversement, le passage du point A vers le point B montrera l'effet contraire. 492 Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 22 Taux de chômage et taux d’inflation US, 1955-2007 14 12 10 8 6 4 2 1956 1958 1960 1962 1964 1966 1968 1970 1972 1974 1976 1978 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 0 inflation (CPI) taux de chômage Source : OCDE L'analyse de l'équilibre macro-économique de long terme va nous permettre de comprendre le pourquoi. Concentrons-nous cependant sur la relation entre le point A et le point C. En effet, on voit qu'en passant de A à C, il y a à la fois augmentation de l'inflation et augmentation du chômage, puisqu'il y a diminution de la production. Le passage du pont A au point C n'est en fait rien d'autre que le passage d'un équilibre macro-économique de court terme vers un équilibre macro-économique de long terme. Rappelons-nous que l'offre agrégée de court terme dépassant le niveau de l'offre agrégée de long terme peut être obtenu en supposant que les agents économiques sont surpris par l'inflation. L'augmentation de l'offre est donc un résultat de l'inflation surprise. Comme nous l'avons vu, l'inflation surprise permet d'augmenter la production pendant un certain temps. Néanmoins, à long terme, on revient nécessairement à l'équilibre macro-économique de long terme, représenté par le passage du point A au point C. Lorsque les agents ne sont plus trompés par l'inflation, ils anticipent correctement l'inflation future et l'offre de travail diminuera en conséquence jusqu'au moment où l'équilibre de long terme est atteint. La baisse de la production ou l'augmentation du chômage a lieu parce que les agents modifient leur offre de travail en fonction de leur perception du niveau des prix et donc, de leur perception du salaire réel. Le taux de chômage correspondant à l'équilibre macro-économique de long terme est souvent appelé le taux de chômage naturel. Lorsque un gouvernement veut, par sa politique économique, dépasser le taux de chômage naturel, il peut le faire à court terme; cependant à long terme, on revient au taux de chômage naturel, mais avec un niveau d'inflation supérieur. En effet, au point C, l'inflation est supérieure à l'intersection de l'offre de long terme et de l'offre de court terme. 493 Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 22 Un élément crucial est le phénomène d’illusion monétaire. Pour bien comprendre ses implications, modélisons la courbe de Phillips à partir de l’équilibre sur le marché du travail (qui détermine la courbe d’offre agrégée). L’optimisation du profit des entreprises implique que les prix courants sont égaux au coût marginal et fonction du taux de marge, . Dans ce modèle où la production ne dépend que du travail, seul facteur flexible, le coût marginal est égal au salaire nominal, W. La demande de travail peut être représentée par P = (1+).W L’offre de travail dépend du salaire nominal, du prix futur anticipé, Pe, et diminue avec le taux de chômage, u. En effet, les travailleurs négocient le salaire qu’ils recevront après avoir travaillé en fonction du niveau des prix futurs. De plus, lorsque le marché du travail est moins tendu, lorsque le chômage est important, les revendications salariales doivent être revues à la baisse. L’offre de travail peut donc être représentée comme suit, avec F(u) une fonction décroissante de u.. W = Pe.F(u) A l’équilibre entre offre et demande de travail, Pe.F(u) (1+).=P En prenant le taux de croissance des prix, c’est-à-dire l’inflation , on a 1+ = (1+e)(1+).F(u) En prenant le logarithme (sachant que log(1+)≈ pour e petit) et en posant log(F(u))=.u, on obtient = e + – .u En cas d’illusion monétaire, les agents n’anticipent pas les variations futures des prix. Autrement dit, e = 0 et la courbe de Phillips indique une relation négative entre taux d’inflation et taux de chômage : = – .u. Si par contre les agents forment des anticipations sur l’évolution future des prix. En particulier suite à une inflation élevée, comme ce fut le cas dans les années 70, on peut s’attendre à ce que l’inflation de l’année suivante sera également élevée. On peut donc modéliser les anticipations d’inflation future comme une fonction de l’inflation courante et passée. Par exemple, e = .t-1 , avec >0 494 Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 22 Si l’inflation est très persistante, les agents s’attendront à ce qu’elle varie peu d’une année à l’autre. Ceci correspond à une valeur de égale à 1. La courbe de Phillips devient alors = e + – .u = .t-1 + – .u = t-1 + – .u → t= - u Les variations de taux d’inflation (et non plus le taux d’inflation) sont une fonction décroissante du chômage). Autrement dit, une diminution du taux de chômage se fait au prix d’une accélération de l’inflation (une augmentation du taux de croissance) et non plus d’une simple hausse de l’inflation. Ceci correspond à la situation postérieure aux années 70. Les graphiques ci-dessous illustrent ce phénomène pour les Etats-Unis. Sur cette période, ce n’est plus la relation entre chômage et inflation qui est négative, mais bien entre chômage et variation d’inflation. chômage et inflation, US (1970-2007) 6 taux d'inflation 5 4 3 2 1 0 3 4 5 6 7 taux de chômage 8 9 10 495 Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 22 taux de chômage et inflation US, 1970-2007 5 inflation 3 1 -1 3 4 5 6 7 8 9 10 -3 -5 taux de chômage 5. LA LUTTE CONTRE L'INFLATION 5.1. Difficulté de casser les anticipations inflationnistes Une des grandes difficultés dans la lutte contre l'inflation est la nécessité de casser les anticipations inflationnistes. En effet, les agents économiques sont habitués à anticiper un certain taux d'inflation. S'il y a un changement de politique, celui-ci est en général, non anticipé et il est important pour le gouvernement de convaincre les agents économiques de sa détermination de lutte contre l'inflation. Autrement dit, il faut rendre crédible le programme de lutte contre l'inflation. Ceci est extrêmement difficile car la lutte contre l'inflation suppose des sacrifices économiques importants dans une première phase, celle justement où on veut casser les anticipations inflationnistes. 496 Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 22 Graphique 22.11: LA DIFFICULTÉ DE CASSER LES ANTICIPATIONS INFLATIONNISTES LS w nominal LS’ E0 w0 w1 E1 w2 E2 Ld Ld’ L1 L0 L2 L Supposons que le gouvernement arrive à baisser les prix. Partons d'une situation avec un équilibre en E 0 à l'intersection entre Ls et Ld . Si le programme du gouvernement est crédible, les agents le croient et adaptent leur offre de travail et leur demande de travail en conséquence. Par conséquent, on passe de E 0 à E 2 , le nouvel équilibre de long terme. Le taux de chômage reste identique, c’est-à-dire qu'il reste au niveau du taux de chômage naturel. Cependant, le niveau des prix a baissé. Supposons cependant que le gouvernement annonce un programme anti-inflationniste et que celui-ci n'est que partiellement crédible. Supposons que les entreprises adaptent leur demande de travail en conséquence. Celle-ci se déplace de Ld vers Ld’. Supposons cependant que les travailleurs, plus susceptibles de commettre des erreurs d'anticipation de l'inflation, ne croient pas en la politique du gouvernement. Au lieu d'adapter leur offre de LS vers LS’, il la maintiennent à LS. Autrement dit, il surestiment l'inflation future et ne croient pas à la volonté du gouvernement de réduire l'inflation. Que se passe-t-il à ce moment-là? L'équilibre qui va s'établir dans le court terme, est l'équilibre en E1 , à l'intersection de LS et de Ld’. On voit que le niveau des prix a baissé, mais moins fort qu'en E 2 , si les agents avaient cru le programme du gouvernement. Par ailleurs, l'emploi a diminué, il y a une augmentation du chômage. Il faut donc passer par une récession temporaire pour convaincre les agents économiques de la crédibilité de la politique anti- 497 Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 22 inflationniste. Si c'est le cas, après une récession initiale, on aura une reprise et un nouvel équilibre en E 2 , avec une diminution de l'inflation et une augmentation de l'emploi. Il est cependant parfaitement possible que les souffrances temporaires impliquées par le programme anti-inflationniste, entraînent l'abandon de celui-ci. Autrement dit, voyant la récession, le gouvernement peut faiblir dans sa volonté de lutte contre l'inflation et décider d'abandonner sa politique. A ce moment-là, on aura un retour vers E 0 . Au total, on sera passé de E 0 à E1 , et ensuite à E 0 . L'échec du programme anti-inflationniste aura convaincu les agents économiques qu'ils avaient raison de ne pas croire en la politique anti-inflationniste du gouvernement. 498