Médicaments et brevets Le Sud se rebiffe Au-delà des conflits d’intérêts économiques Nord / Sud, le récent jugement de la Haute Cour indienne de Chennai contesté par le bâlois Novartis remet en cause le rôle de l’OMC. D epuis le début des années le nom de Glivec®, un traitement ré70, l’Inde a autorisé ses fa- volutionnaire des leucémies myéloïdes bricants de médicaments à chroniques. copier des produits encore En réponse, Novartis obtient en sous brevet à l’étranger, si les proces- 2003 des droits exclusifs de commersus de fabrication sont différents. En cialisation du produit pour une durée 1995, après avoir intégré l’OMC, de cinq ans. Les entreprises indiennes l’Inde a eu un délai de dix ans pour de génériques cessent alors de fabriquer intégrer les accords sur les ADPIC et d’exporter le générique du Glivec®. (voir encadré) dans sa législation. Celui-ci est alors vendu au prix fixé Ainsi, depuis 2005, la législation in- par Novartis, soit 26 000 dollars par dienne sur la propriété intellectuelle patient et par an, contre 2 100 dollars est mise en conformité avec les règles pour son générique indien. En 2005, de l’OMC. Mais elle ne s’applique pas le bureau indien de Chennai des brepour autant aux produits datant vets examine la demande de d’avant 1995. Novartis datant 1998. Les parlementaires indiens définissent stric2006, le tournant tement ce qu’ils entenGagner dent par « invention » En janvier 2006, le pour les médicaments, bureau indien des la bataille en incluant une clause brevets de Chennai du Glivec® particulière dans la rejette la demande loi (l’article 3d), qui de brevet formulée stipule que seuls les par Novartis pour médicaments réellement Glivec®, jugeant que nouveaux et innovants sont le produit n’est pas noubrevetables. En 1998, Novartis déveau. Pour le bureau, la molécule pose une demande de brevet en Inde imatinib a été brevetée en 1993. Or, pour l’imatinib mesylate, vendu sous l’entrée en vigueur de la législation des 78 PHARMACEUTIQUES - OCTOBRE 2007 brevets sur les médicaments date de 1995. Le bureau des brevets fonde sa décision en estimant que Glivec® n’est pas un produit « nouveau », conformément à la définition de la section 3d de la loi indienne sur les brevets (Patent Act), la firme pharmaceutique n’ayant pas apporté la preuve d’une meilleure efficacité. Pour Novartis au contraire, la demande de brevet porte sur une molécule ayant une biodisponibilité supérieure de 30 %. Elle serait donc plus efficace. Pour le laboratoire bâlois, ce gain de biodisponiblité et donc d’efficacité potentielle permet de déposer une demande de brevet, car il s’agit bien d’une innovation, entrant dans le cadre des innovations incrémentales. En mai 2006, Novartis réagit à l’avis négatif du bureau indien des brevets et engage deux actions en justice. La première pour contester la décision du bureau indien des brevets ; la seconde pour contester la constitutionnalité de la section 3d de la loi indienne sur les brevets. International Industrie L’Inde, l’OMC et les accords TRIPS Les accords ADPIC, sur l’Aspect des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ou TRIPS pour agreement on Trade-Related aspects of Intellectual Property rightS), ont été signés en 1994, lors de la création de l’Organisation mondiale du commerce. Ils sont entrés en vigueur le 1er janvier 1995. Ils établissent les normes minimales de protection de la propriété intellectuelle pour tous les membres de l’OMC. L’accord sur les ADPIC prévoit (article 27.1) que les pays sont tenus d’octroyer des brevets dans tous les « domaines technologiques », à condition qu’il s’agisse d’une invention nouvelle, qu’elle implique une activité inventive (ou qu’elle ne soit pas évidente) et qu’elle soit susceptible d’application industrielle (ou utile). Cependant, le texte ne précise pas aux signataires ce qu’est une « invention », ni comment les critères de brevetabilité (la nouveauté, l’activité inventive, la non-évidence, l’utilité ou l’applicabilité industrielle) doivent être interprétés ? Par ailleurs, il est prévu qu’une demande de brevet doit être déposée dans le pays où une firme souhaite commercialiser un nouveau produit, afin d’être examinée par une juridiction spéciale du pays concerné. LA DÉCISION DE CHENNAI PERMET À L’INDE DE CONSERVER SA LOI QUI LIMITE L’ÉTENDUE DES BREVETS Etendue des brevets limitée En août dernier, la Haute Cour de Chennai se déclare incompétente pour juger de la constitutionnalité de la section 3d de la loi indienne, c’està-dire de la conformité de cette section avec les règles de l’OMC. Cette décision permet à l’Inde de conserver sa loi qui limite l’étendue des brevets. Elle met en évidence les intérêts divergents des pays riches inventeurs des médicaments et des pays pauvres qui en ont besoin et qui les copient. Novartis annonce ne pas faire appel de cette décision. Car seul un Etat (et non une firme) peut citer un autre Etat devant l’OMC. Or, la Confédération Helvétique qui souhaite développer son commerce avec l’Inde n’a probablement pas intérêt à recourir à l’OMC. Interrogé cet été par un quotidien britannique sur ce jugement, Daniel Vasella, pdg de Novartis, annonce que son groupe renonce à in- vestir dans la R&D en Inde au profit mais en vain ! Le fossé qui sépare le d’autres pays (notamment la Chine). Nord et le Sud pour les médicaments « Ce n’est pas une punition, mais continue de se creuser. une question de culture d’investissement », déclare t-il. Le point de vue de Novartis La décision de la Cour indienne « Ce procès en Inde a pour seul objet reflète les difficultés d’application des la protection de la propriété intellecrègles relatives aux échanges tuelle. Il ne s’agit aucunecommerciaux de l’OMC, ment d’une problématiqui fait face à la deque d’accès des patients mande d’accès aux aux médicaments. Le médicaments pour “Glivec InternatioUne déclaration tous dans les pays nal Patient Assispauvres. L’enjeu est tance Program (GId’intention planétaire, il a déjà PAP)” est l’un des inapplicable fait l’objet d’un déprogrammes d’aide bat houleux en 2001, aux patients les plus lors du procès intenté à importants jamais mis l’Afrique du Sud par 39 laen œuvre au plan monboratoires au sujet de médicadial. Il permet à toute perments pour le Sida. Suite à ce dernier sonne malade qui n’en aurait pas les procès, les pays en développement, moyens d’accéder gratuitement à notre soutenus par de nombreuses ONG, traitement. Dans les pays développés, ont demandé la révision des accords de nous offrons également des remises et l’ADPIC de 1994. La déclaration dite participons à des programmes d’aide de Doha de 2001 affirme bien « que aux patients dépourvus d’assurance rien ne doit empêcher les membres de médicale. En Inde, 99 % des patients l’OMC de prendre des mesures pour qui reçoivent Glivec®, en bénéficient protéger la santé publique et en par- gratuitement grâce à Novartis – et non ticulier, de promouvoir l’accès de tous pas grâce à des copies génériques ». Acaux médicaments ». Cette déclaration tuellement, en Inde, Novartis fournit de bonne intention demeure inappli- Glivec® gratuitement à plus de 6 600 cable en raison de la complexité de sa patients diagnostiqués. n mise en œuvre pratique. Les pays du Sud continuent à demander la modiEmmanuel Cuzin fication des accords sur les ADPIC, 79 OCTOBRE 2007 - PHARMACEUTIQUES