LES COMPOSITEURS MESSINS PAR M. DELAUNAY Membre titulaire M e t z , dont toute l'histoire est un hymne à l'indépendance, n ' a p a s toujours é*té, rien qu'une cité militaire ou un centre d e transactions commerciales et b a n caires. Les préoccupations légitimes d e la défense de ses libertés et d e ses intérêts ne lui firent point négliger les beaux-arts. E l l e sut, en tous temps, s'y intéresser. Ses monuments en attestent, suffisants en quantité comme en valeur pour lui mériter le titre d e ville d ' A r t , Les artistes nés sur son sol ou dans le voisinage d e ses remparts sont peut-être moins nombreux que les savants, les magistrats, les généraux ou les politiciens ; cependant, parmi les Messins ayant quelque célébrité on trouve des architectes, des sculpteurs, des peintres, des graveurs, des poètes et des musiciens qui ont été et qui sont encore l'honneur d e la pensée française. O n peut même assurer q u ' a u point d e vue d e l'art musical (et les documents sont là pour le p r o u v e r ) , M e t z fut la première ville d e F r a n c e a y a n t eu une vie musicale active et organisée. A u s o n e relate que les populations mosellanes avaient u n gout m a r q u é pour le chant. Plus- t a r d , au V I I siècle, F o r t u n a t , évêque d e Poitiers, raconte q u ' a u cours d ' u n voyage qu'il fit sur la Moselle en se rendant à T r ê v e s , il entendit sur les bords du fleuve chanter les laboureurs en accomplissant leurs travaux et, dit-il, - <( les voix, p a r leurs douceurs, réunissaient les rives séparées (1) » . C o m m e n t en effet, auraient-elles résisté, ces populations, a u plaisir d e mêler leurs voix à la douce et sereine symphonie d ' u n e nature si parfaitement harmonieuse ? e M a i s c'est surtout lorsque le christianisme se fut r é p a n d u en G a u l e q u e M e t z devint rapidement un centre d'études d u chant grégorien. A u V I I I siècle, l'évêque C h r o d e g a n d avait adjoint à la cathédrale une « scola » , véritable petit conservatoire où l'on enseignait le chant romain et aussi, disent les chroniqueurs, le jeu des instruments qui ne pouvaient être que la lyre, la flûte, la trompe et peut-être l'orgue, dont l'invention relativement récente était déjà assez commercialisée si l'on peut dire, pour être entrée dans le domaine pratique. e (i) A. Gaston! ! S 7 668 LES COMPOSITEURS MESSINS Cette première école de musique fut très florissante. C e p e n d a n t le chant romain n'y était pas enseigné dans toute sa pureté originelle. Les bonnes traditions s'étaient altérées p a r la transmission orale. Charlemagne s'émut de cet état de chose. A y a n t constaté, p e n d a n t un séjour à R o m e , que le chant des R o m a i n s différait d e celui des Gaulois et jugeant que « l'eau était plus pure à sa source que dans les ruisseaux » , il obtint du p a p e la délégation en G a u l e de deux chantres savants et expérimentés. Il en plaça un, T h é o d o r e , à M e t z , l'autre à Soissons, avec mission d e réprimer les abus et d e veiller au maintien de la tradition grégorienne. Sous l'énergique impulsion du chantre T h é o d o r e , l'école officielle de M e t z acquit bien vite une grande renommée. D e tous les points d e la G a u l e du N o r d , on y venait chercher l'enseignement du chant et aussi de la théorie, tout particulièrement de la notation, cette notation spéciale à l'Ecole de M e t z , q u ' o n désigne encore sous le nom d e notation messine. P a r m i les meilleurs disciples de T h é o d o r e , on cite A m a l a i r e , clerc d e la cathédrale, qui devint par la suite évêque et ambassadeur de l'empereur à Constantinople. A m a l a i r e a travaillé à la composition d e « l'Antiphonier. » Il mourut au I X siècle et fut inhumé d a n s l'abbatiale de S a i n t - A r n o u l d . O n cite encore le nom d ' u n évêque de Liège, Etienne, ancien élève d e l ' E c o l e Messine, qui contribua à l'enrichissement du répertoire de liturgie. A u X siècle, un autre chantre, R o l a n d , eut une certaine notoriété. A u X I siècle, la réputation de notre premier conservatoire national français s'étendait bien au delà d u R h i n . T h e o t g e r , l'un des professeurs d'alors, était un savant théoricien; il a laissé un traité sur la musique. Sijebert, écolâtre d e l ' A b b a y e de Saint-Vincent, est cité par G e r b e r t comme un très bon compositeur. D e u x siècles plus t a r d , un Messin, Cassamus, sorti de l ' E c o l e de la C a t h é drale, devient poète et compositeur d e Charles d e Bohême. Il mourut à M e t z en 1 3 9 6 . Il y eut certainement b e a u c o u p d'autres clercs, chantres et compositeurs formés à l ' E c o l e Messine. L'histoire n ' a pas g a r d é les noms d e ces grands travailleurs désintéressés qui collaborèrent à l'immense répertoire du chant liturgique, sans se préoccuper d ' u n e renommée posthume. e e e e V e r s la fin d u X I I I siècle, l'art musical se transforme. J u s q u ' a l o r s homophone, il devient polyphone. Q u e l l e d u t être la surprisé d e ceux qui entendirent pour la première fois deux, trois, quatre voix chanter simultanément des mélodies différentes. E t que serait-elle, si s'échappant pour quelques heures d e leurs tombes séculaires, ils pouvaient assister dans nos modernes salles de concerts à l'une des plus récentes productions d e la jeune E c o l e . C'est cependant d e cette audacieuse tentative qu'est née la musique symphonique et chorale. Cette réforme profonde ne pouvait atteindre la musique liturgique q u i , p a r LES COMPOSITEURS MESSINS 66 9 définition et p a r tradition, doit être homophonique, mais elle contribua à la constitution d ' u n répertoire d e musique religieuse qui pouvait servir, avec l'autre, d a n s les cérémonies d u culte. E l l e favorisa également l'évqlution d e la musique profane en élargissant le chant d'action de la chanson et d e la danse populaire. e e L e X V et le XVI siècle ont accumulé un nombre considérable d e compositions vocales : messes, motets, m a d r i g a u x ou chansons. P a r m i les maîtres français de la fin d u X V siècle, on trouve u n compositeur originaire d e la région messine: J e h a n M o u t o n . J e h a n M o u t o n est né à H o l l i n g , vers le milieu d u X V siècle. Il commença son instruction musicale à la S c o l a d e la c a t h é d r a l e , puis il la poursuivit avec le g r a n d Josquin dès P r è s , le m a î t r e d e l ' E c o l e flamande. 8 e O n connaît d e lui neuf messes, environ q u a r a n t e motets et un g r a n d nombre d e madrigaux, des chansons comiques ou sentimentales. L ' u n e d e ses messes, dont le thème musical est celui d e la chanson « Dites-moi toutes vos pensées » , comme c'était l'usage d e cette époque, est la plus célèbre. L a chanson polyphonique intitulée « L a . . . l a . . . la... l'Oysillon d u bois » est remarquable aussi p a r l'esprit malicieux d e sa mélodie. J e h a n M o u t o n est l'un des meilleurs compositeurs du X V I siècle, il fut le m a î t r e d e W i l l a è r t qui devint à son tour le fondateur d e l'école vénitienne d u m a d r i g a l . e e r Mouton fit partie d e la chapelle d e Louis X I I et d e celle d e François I . Q u o i q u e sa carrière se soit écoulée en dehors d e la région messine, il n'en reste p a s moins p a r sa naissance et sa formation artistique, un compositeur mosellan, il mourut à Saint-Quentin en 1 5 5 2 . e A u X V I siècle, Sebastiani, organiste d e la cathédrale, est cité comme un musicien de v a l e u r : il a publié en 1 5 6 3 un livre satirique où il traite d u conflit entre les modes grégoriens et les modes nouveaux de la musique mesurée. V e r s la fin d u X V I siècle et le d é b u t d u XVII siècle, l'art musical subit une nouvelle transformation aussi importante q u e celle qui s'était produite trois siècles a u p a r a v a n t . L'habileté des luthiers avait perfectionné les instruments d e musique et rendu le jeu plus aisé. Ils pouvaient désormais se substituer à la voix ou l'accompagner, A p p a r a î t alors la musique symphonique qui s'ajoute à la musique vocale et c'est l'éclosion des œuvres lyriques, le ballet, d ' a b o r d , puis la tragédie lyrique. M a i s cette formule d ' a r t très aristocratique ne s'exerçait q u e dans les cours princières. L a province, longtemps encore, devra se contenter d e spectacles populaires. e e A M e t z , en 1 6 2 4 , pour la réception d e Gabrielle de B o u r b o n , on j o u a (( une pastorale avec chœurs et instruments » intitulée « Phillis retrouvée » . L a composition d e cette pastorale est attribuée à u n musicien messin d o n t le nom n'est p a s désigné. D a n s la deuxième moitié d u X V I I siècle, il y eut d a n s la ville des violonistes réputés. D ' a b o r d François Creneteau qui était l e « R o i des violons » d e la ville et le président d e la corporation des « M a î t r e s ès instruments tant h a u l t q u e e 670 LES COMPOSITEURS MESSINS bas » . P u i s Nicolas 1 6 9 5 , François Claudon, Delange, réputé comme m a î t r e à danser, auquel succéda en nommé par le corps municipal à la fonction d e m a î t r e à danser, fonction devenue officielle. Les œuvres de ces violonistes ne sont pas connues. e L e X V I I I siècle fournit plusieurs compositeurs messins. A n t o i n e Millet, n é à Plappeville vers 1 7 5 0 , est un compositeur apprécié d e ses contemporains. Il partit en Russie en 1 7 9 2 et y trouva la gloire et la fortune. L ' a n n é e 1 7 5 3 voit n a î t r e à M e t z Louis-Victor Simon, compositeur estimé. Ses œuvres, oubliées aujourd'hui, eurent de son vivant une certaine vogue. Il a écrit d e la musique symphonique pour les concerts qu'il donnait à M e t z , aussi d e la musique religieuse. A l'office célébré en 1 7 8 8 aux Petits C a r m e s , pour l ' A c a d é m i e R o y a l e , on a chanté une messe d e sa composition qui fut appréciée. Les succès messins ne lui suffisant plus, Simon partit à P a r i s pour tenter sa chance. Il fit jouer quelques ouvrages sur la scène de l'Opéra-comique et devint le collaborateur de F a b r e d ' E g l a n t i n e . L a musique encore si fraîche dans sa naïve simplicité de « Il pleut bergère » est d e lui. C'est probablement la seule œuvre qui lui a u r a survécu. Cette mélodie eut un g r a n d succès et G r é t r y , qui avait parfois la parole caustique, dit à son sujet qu'il n'était « si médiocre musicien qui ne fasse un air agréable au moins une fois dans sa vie ». Simon mourut à P a r i s en 1 8 1 8 . Q u a n d l'évêque d e M o n t m o r e n c y - L a v a l vint à M e t z , il amena avec lui un organiste méridional, Loiseau de Persuis, compositeur de musique religieuse. Celui-ci eut un fils, Louis, qui naquit sur la paroisse Saint-Victor, le 21 mai 1 7 6 9 . Instruit p a r son père, le jeune Louis devint très rapidement un bon musicien. Q u a n d il eut ses vingt ans, il partit à P a r i s et ne t a r d a p a s à faire appré-j cier son talent. Les Concerts spirituels ont joué de lui un oratorio intitulé « passage de la M e r rouge ». Il donna au théâtre parisien b e a u c o u p d'opérascomiques ou d'opéras. E n 1 7 9 5 , très jeune encore, il est nommé professeur de chant au Conservatoire; puis à l'opéra, il occupe la fonction de m a î t r e de chant et enfin celle de directeur. Loiseau eut des succès de son vivant. Ses œuvres s o n ^ a u j o u r d ' h u i totalement oubliées. e A v e c le XIX siècle, l'art musical va prendre à M e t z un développement considérable et ce siècle verra n a î t r e le plus g r a n d nombre des compositeurs messins et les plus illustres. L'enseignement de la musique, jusqu'alors, n'était donné que dans les maîtrises ou dans les théâtres. Bientôt, il allait devenir, partout, un enseignement officiel. e L a fin d u X V I I I siècle avait vu, en 1 7 8 9 , le Conservatoire N a t i o n a l de M u s i q u e remplacer l ' E c o l e R o y a l e de C h a n t . A l'enseignement empirique existant, on avait substitué des programmes étudiés, établis p a r une commission des meilleurs musiciens d u temps. Bientôt, à l'imitation de la C a p i t a l e , des écoles se fondèrent dans toutes les LES COMPOSITEURS MESSINS 671 grandes villes. N é e s d ' a b o r d d e l'initiative privée, elles furent peu à p e u prises en charge p a r les municipalités et devinrent les Conservatoires actuels. L a première école qui ouvrit à M e t z en 1 8 1 0 était due à l'initiative d e M . Jean-Baptiste Thomast professeur d e violon, et d e sa femme, professeur d e piano. L e prospectus qui annonçait au public, l'ouverture d e cette école, disait : « M . et M m e T h o m a s ont l'honneur d'annoncer qu'ils viennent d'ouvrir u n e E c o l e d'enseignement mutuel pour la musique, à l'instar de celle d e P a r i s et d e plusieurs autres grandes villes, pour l'un et l'autre sexe » et M . T h o m a s signait « Correspondant de l ' E c o l e R o y a l e ( ? ) d e musique » . Cette école était installée rue de la Pierre-Hardie. M . et M m e T h o m a s eurent deux fils : le plus jeune A m b r o i s e , né en 1 8 1 1 , allait être au cours d u siècle un des plus célèbres musiciens français. A 4 ans, le petit Ambroise, commença l'étude du solfège et d u piano dans l'école de ses parents. T r è s bien organisé et travailleur, il avança rapidement dans ses études. II n'avait que 14 ans q u a n d son père mourut, vers 1 8 2 5 ; sa mère alors a b a n d o n n a l'école et partit à P a r i s avec ses enfants. A m b r o i s e entra au Conservatoire N a t i o n a l pour compléter son instruction musicale si bien commencée et, à vîngt-et-un ans, l'Institut lui décernait le Premier P r i x d e R o m e . A p r è s le séjour réglementaire à la villa Médicis, A m b r o i s e T h o m a s se consacra exclusivement a u théâtre et, depuis son premier opéra-comique « L a double échelle » joué en 1 8 3 7 , j u s q u ' à sa dernière œuvre le ballet « L a T e m p ê t e » en 1 8 8 9 , il a écrit pour l'opéra ou l'opéra-comique, 2 3 ouvrages lyriques, dont plusieurs sont encore au répertoire d e nos théâtres. L a valeur d e l'œuvre d e T h o m a s a été assez discutée de son vivant. S a muse n'avait point la gaieté primesautière de celle d ' A u b e r , elle ne pouvait pas s'élever aussi h a u t q u e celle de G o u n o d , mais à mi-côte, elle tenait, p a r sa sincérité et sa distinction, une place très respectable. Peut-être T h o m a s , eut-il tort de ne pas persévérer dans la voie de l'opéra-bouffe, dont il avait fourni un b e a u spécimen avec le « C a ï d » , il semble que son inspiration, qui n'avait pas toute la puissance nécessaire pour se hausser sans un certain conventionalisme aux situations dramatiques, eût évolué beaucoup plus aisément dans le genre léger. O n sait le succès prodigieux d e son opéra-comique « Mignon » , d û autant au sujet q u ' à la musique. Cette œuvre a fait le tour d u monde et, p a r elle, T h o m a s fut un des meilleurs ambassadeurs d e la pensée française. M e t z peut, à juste titre, être fière d'avoir vu n a î t r e ce g r a n d musicien. Concurremment à l'école privée des T h o m a s , une école de chant avait été fondée en 1 8 1 5 p a r un Italien nommé P a v a n i . E l l e n'eut pas un succès durable et disparut quelques années plus t a r d . M a i s l'enseignement de la musique et d u chant donné p a r ces deux établissements privés, avait contribué à la propagation du goût musical dans la société messine. C'est alors que Victor Desvignes, le fondateur du Conservatoire actuel s'éta- 672 LES COMPOSITEURS MESSINS blit à M e t z . Son activité inlassable va faire d e la ville un des premiers centres musicaux d e F r a n c e . L e h a s a r d des déplacements de ses parents, qui étaient comédiens, l'avait fait n a î t r e à T r ê v e s , le 5 juin 1 8 0 5 , mais il vint à M e t z à l ' â g e d e trois mois. Son père venait d'être engagé comme régisseur du théâtre. T o u t e son enfance se passa dans la ville où il fit ses premières études d e musique. V e r s sa vingtième année, il partit comme chef d'orchestre dans plusieurs villes, puis il s'arrêta un an à P a r i s pour compléter ses études d'harmonie et d e composition avec R è i c h a et enfin, en 1 8 5 2 , pourvu de connaissances solides et d ' u n brillant talent de violoniste, il rentre à M e t z , s'y marie et s'y installe définitivement. S a vie se partage alors entre ]a direction de l'orchestre du théâtre, l'enseignement et la composition. U n e loi votée en 1 8 3 3 , rendait obligatoire l'enseignement d e la musique dans les écoles. Desvignes fut désigné comme professeur. Il aimait l'enseignement. Aussi, les résultats qu'il obtint avec ses jeunes élèves furent si encourageants qu'il conçut l'idée de faire des cours supérieurs pour permettre aux mieux doués des enfants de se perfectionner dans l'art qu'ils aimaient. A v e c l'appui d e M . B o u chotte, il amena le corps municipal à partager ses vues et à adopter ses propositions et a u mois d'octobre 1 8 3 5 , la ville de M e t z ouvrait une E c o l e municipale de Musique dont il était nommé directeur. A son origine, cette E c o l e n'avait q u e quelques classes d e solfège et d'instruments que se partageaient avec Desvignes, M . D a l m o n t et deux autres professeurs. A v e c ces excellents maîtres les élèves progressèrent rapidement. D i x ans après la fondation de l ' E c o l e , un inspecteur des beaux-arts chargé de l'inspection des Ecoles de M u s i q u e d e F r a n c e déclara que celle d e M e t z pouvait être rattachée au Conservatoire R o y a l de P a r i s et porter le titre de succursale. Il n'y avait alors q u e quatre succursales en F r a n c e : à Marseille, à Lille, à T o u l o u s e et à M e t z , et celle de M e t z se classait, dit cet inspecteur, au premier rang des quatre. L e Conservatoire, ce fut l'œuvre de toute la vie de Desvignes. Il dépensa pour lui sans les ménager, son ardeur et sa santé. P o u r lui, pour les concerts, pour les élèves, pour l'enseignement, il composa sans arrêt, et si l'on considère que sa vie fut prématurément interrompue à 4 8 ans, on juge, en lisant le catalogue de ses œuvres, combien il fut laborieux. L ' œ u v r e de Desvignes comprend un^ opéra intitulé « Lequel des T r o i s » et un opéra-comique « L a Belle au bois dormant » , un grand S t a b a t M a t e r exécuté à l'église Saint-Vincent en 1 8 3 3 , une symphonie, un concerto pour cor, un quatuor à cordes, une quinzaine d'ouvertures et près d ' u n e centaine d'autres pièces instrumentales ou vocales d e moindre importance: mélodies, motets, œuvres de piano, de violon » transcriptions ou chœurs. T o u t e s ces œuvres n'ont pas la même valeur. Certaines se ressentent de la hâte mise à leur composition. M a i s d'autres, la symphonie en ré, le quatuor, sont des œuvres fouillées, travaillées, où se révèle une inspiration qu'il serait LES COMPOSITEURS MESSINS 6 3 7 excessif d e qualifier d e géniale, mais qui est très pure, très distinguée, parfois même très élevée. L e style réfléchit son é p o q u e : il est correct avec une originalité de conception rythmique évidente. Desvignes, nourri à la source des classiques, était un excellent musicien dont la réputation s'étendait au delà de la ville : plusieurs de ses compositions ont eu leur première audition dans les concerts parisiens; la g r a n d e critique les loua sans réserves. L'ouverture des « B o h é miens » particulièrement, eut un succès qui lui valut d e demeurer longtemps a u répertoire des Concerts. Desvignes, ainsi q u e le dit son biographe, ne mesurait point son activité à ses forces, mais seulement à ses devoirs. U n travail aussi intense mené 1 8 années durant eut raison de sa santé. N i les soins dévoués, ni la chaleur méridionale qu'il était allé chercher à H y è r e s ne purent lui rendre ses forces qui déclinaient d e jour en jour. Il ne se faisait point d'illusion sur l'échéance fatale. S a seule inquiétude était d e savoir quel serait, après lui, le sort de son école. D a n s son testament, il adresse une prière à ses amis, particulièrement à M a r é c h a l , qu'il appelle son frère d'adoption et leur d e m a n d e de « s'unir pour que son école ne finisse p a s avec lui, et qu'elle réalise un jour les progrès qu'il a prévus et espérés. » Q u e l q u e temps avant sa fin, il avait désigné M o u z i n , un d e ses élèves préférés, pour lui succéder. E t q u a n d il eut l'assurance que son désir serait exaucé, il attendit patiemment la mort qui vint cueillir sa belle âme le 3 0 d é c e m b r e 1 8 5 3 . Il disparut trop tôt pour sa famille, pour ses amis, pour l'art et l'enseignement qu'il avait si bien servis. Il n'emportait point dans la t o m b e la « grande renommée » , mais, ce qui est mieux, l'estime d e toute une ville qui avait su apprécier* sa bonté, son dévouement et son talent. S a mort laissa un g r a n d vide à l ' A c a d é m i e , où il ne comptait que des sympathies. D a n s u n sentiment de pieuse reconnaissance, ses disciples et ses amis ont élevé un monument sur sa tombe au Cimetière d e l ' E s t pour perpétuer son souvenir. Picrre-Nkolas-Edouard Mouzin, son élève, lui succéda ainsi qu'il l'avait désiré. Edouard Mouzin est n é à M e t z , le 13 juillet 1 8 2 2 . A p r è s avoir fait d e solides études primaires, il entra chez un avoué afin de s'initier au droit. M a i s il n ' a v a i t q u ' u n goût très modéré pour la procédure. L a musique l'intéressait bien plus. E n 1 8 3 8 , il a b a n d o n n e l'étude d u droit et va suivre à l ' E c o l e d e musique les leçons de Desvignes, dont il devint un des très bons élèves. D e u x ans après, en 1 8 4 0 (il n'avait encore que 18 a n s ) , on lui confie u n emploi de professeur adjoint au Conservatoire; quelques années plus t a r d , il était titularisé d a n s sa fonction. Enfin, après le décès de Desvignes, il en devenait le directeur. L e Conservatoire de M e t z avait alors une très grande notoriété. Les grands artistes venaient le visiter. Ils s'arrêtaient dans notre ville pour y donner des concerts. D u commerce qu'il eut avec les plus célèbres musiciens de cette époque, 674 LES COMPOSITEURS MESSINS M o u z i n ne tira que des profits pour son instruction personnelle et des rensei gnements utiles pour perfectionner les méthodes d'enseignement. C o m m e la création du Conservatoire avait été l'œuvre de Desvignes, la fondation d e la Société C h o r a l e « l ' O r p h é o n de M e t z » fut l'œuvre de M o u z i n . Cette société débuta en 1 8 5 4 et sous l'énergique direction de son fondateur, ne t a r d a pas à se classer dans les premières des sociétés chorales de F r a n c e . Elle comptait 9 0 chanteurs, artisans, ouvriers, employés, amateurs et professeurs, tous anciens élèves des cours d e musique, des Ecoles ou du Conservatoire. C e t O r p h é o n était un complément nécessaire de l ' E c o l e . Il collaborait à l'exécution des œuvres lyriques que donnaient les concerts d u Conservatoire dont M o u z i n était également le chef. C e fut encore M o u z i n qui posa en 1 8 6 7 les bases d ' u n e fédération des Sociétés musicales et chorales d u département dont le but était de donner à M e t z d e grandes auditions musicales. M a i s le local suffisamment spacieux pour contenir les exécutants et les auditeurs manquait encore. Il proposa la constitution d ' u n e société pour construire une vaste salle de Concerts et de Conférences sur le terrain d u J a r d i n d ' A m o u r , étant entendu q u ' o n respecterait le plus possible les beaux arbres qui faisaient l'ornement de cette promenade. L e projet n'eut pas d e suite. T o u t ceci montre d u moins l'importance du mouvement musical à M e t z à cette époque. P a r l'enseignement élémentaire du chant donné à la jeunesse, soit dans les maîtrises, soit à l'école, par l'enseignement supérieur du Conservatoire, le goût d e la musique avait pénétré dans toutes les classes de la population messine. D e plus, les concerts d e l ' O r p h é o n , ceux de la chorale Sainte-Cécile sa sœur cadette, d e l ' H a r m o n i e municipale, des concerts du Conservatoire et les représentations des théâtres fournissaient a u x nombreux dilettantes des occasions fréquentes d'entendre les chefs-d'œuvre de l'art. T o u t comme à P a r i s , on exécutait les grandes œuvres classiques. Les amateurs donnaient régulièrement chez eux des séances de musique d e c h a m b r e . Il y avait le salon d e D u r u t t e et celui du pasteur Cuvier. M a d a m e Cuvier, qui avait été l'élève de Liszt, était une très brillante virtuose d e piano. Ces multiples manifestations absorbaient l'activité de M o u z i n et lui laissaient peu de loisir pour composer. Aussi, son œuvre est-elle assez restreinte. E l l e comprend pour le théâtre deux opéras-comiques « M i c h e l - A n g e » et les « D e u x valises » , ce dernier joué sur notre scène en 1 8 6 6 , pour le concert : sept cantates, la principale « S p a r t a c u s » en collaboration avec M o ï s e A l c a n , douze mélodies, dix motets, 2 6 chœurs pour voix d'hommes écrits pour l'Orphéon et plusieurs œuvres instrumentales. T o u t e s ces œuvres indiquent que M o u z i n avait une connaissance approfondie de l ' h a r m o n i e ; en outre, la pensée mélodique est généreuse, le style est châtié, il ne s'effarouche point, cependant, d e certaines hardiesses. L a plupart de ces œuvres restées manuscrites furent exécutées dans les concerts messins et les LES COMPOSITEURS MESSINS 6 5 7 critiques en dirent le plus g r a n d bien. L e succès de son opéra-comique en 1 8 6 6 , lui valut un hommage de ses amis et élèves sous la forme tangible d ' u n bâton d'honneur ciselé p a r Ernest V e v e r . M o u z i n écrivain n'était pas moins apprécié que M o u z i n compositeur. Il communiqua à l ' A c a d é m i e qui l'avait admis en 1 8 5 0 au fauteuil de son prédécesseur Desvignes, plusieurs mémoires très intéressants sur des questions d ' a r t ou d'enseignement. Q u a n d la d a t e néfaste d e 1 8 7 1 sépara la Lorraine d e la F r a n c e , M o u z i n partit à P a r i s . L'administration des beaux arts connaissait et estimait sa valeur : elle lui confia une classe de solfège et d'harmonie au Conservatoire d e P a r i s , et lui fit attribuer la croix de chevalier de la Légion d'honneur. L ' â g e de la retraite ayant sonné, il voulut revenir près de son p a y s . Il s'installa dans les environs de M e t z , resté sur le territoire français, et c'est là qu'il mourut en 1 8 9 4 , le regard tourné vers sa ville natale. Il n'est pas possible de séparer des noms d e Desvignes et de M o u z i n celui d e leur contemporain Camille D u r u t t e . Bien qu'il ne soit pas né à M e t z et qu'il n ' y ait occupé aucune fonction publique, son influence fut si g r a n d e et si utile au développement d e l'art musical dans cette ville qu'il habita la plus g r a n d e partie de sa vie, qu'il a le droit d'être considéré comme un musicien messin. François-Camille Durutte est né à Y p r e s Je 15 octobre 1 8 0 3 , où ^on père, le général D u r u t t e , qui avait servi N a p o l é o n et avait été créé baron d e l ' E m p i r e après W a g r a m , s'était retiré pour y jouir d ' u n repos bien gagné. Camille Durutte, après ses études à S a i n t e - B a r b e et à Louis-le-Grand, fut admis en 1 8 2 3 à l ' E c o l e polytechnique. Il en sortit en 1 8 2 5 avec le g r a d e de sous-lieutenant et fut affecté à l ' E c o l e d'application de M e t z . A u milieu d e ses études scientifiques, la musique, qu'il cultivait déjà pendant son séjour à P o l y technique, était un dérivatif reposant. Il était attiré p a r elle, invinciblement. Q u a n d son père mourut en 1 8 2 2 , il a b a n d o n n a la carrière des armes, se maria à M e t z et s'y établit définitivement pour cultiver l'art qu'il chérissait passionnément. L ' œ u v r e d e D u r u t t e se présente sous deux aspects: celui du savant-musicien dans ses ouvrages de technique, celui du musicien-savant dans ses compositions. Ses connaissances étendues en physique firent qu'il s'attacha aux spéculations scientifiques. U n ouvrage auquel il travailla toute sa vie « L a T e c h n i e musicale » est à la fois un traité d'acoustique, un traité d'esthétique, et un traité d e la théorie des accords. L e philosophe W r o m s k i , avec lequel il s'était lié d'amitié, a pour une g r a n d e part inspiré la partie traitant de l'esthétique. D a n s la partie consacrée à la science des accords, D u r u t t e se livre à des calculs très ingénieux, mais fort abstraits. E n faisant intervenir tout l'appareil d'une m a t h é matique transcendante, il arriva à expliquer « scientifiquement » tous les accords connus et tous ceux encore inconnus qu'il soupçonne possibles en fait. S a théorie se soutient du point de vue purement scientifique. Contestée p a r certains sa- LES COMPOSITEURS MESSINS vants, admirée p a r d ' a u t r e s , elle laissa les musiciens indifférents, car elle ne pouvait en aucun cas être d'usage pratique. C e p e n d a n t , quelques-uns furent heureux d e l'invoquer comme argument d e défense. C'est le cas de Meyerbeer. Meyerbeer avait osé écrire dans le « P r o p h è t e » des accords défiant toutes les règles; pour ce délit, il s'était fait critiquer p a r les grammairiens, mais il trouva, d a n s la théorie d e D u r u t t e toutes les justifications de ses audaces, et put confondre ses détracteurs. L e mathématicien D u r u t t e se doublait d ' u n compositeur et cet autre aspect de sa nature n'est p a s le moins intéressant. Il avait fait d e solides études d'harmonie avec C h o r o n et avec B a r b e r e a u . Esprit très réfléchi, très cultivé, a y a n t des aspirations élevées, il pouvait s'attaquer à des œuvres d'envergure. Il a écrit une symphonie, sept scènes lyriques, un opéra comique joué à M e t z en 1 8 6 7 , un septuor, d e u x messes, de nombreux chœurs, des trios, sonates, un quatuor et des mélodies. Q u i songerait à retrouver dans cette musique d'inspiration si aisée, d e mélodie si coulante, d e facture si élégante, le savant mathématicien qu'il était 1 O n est tenté de supposer que lorsqu'il écrivait ces œuvres charmantes, il mettaU volontiers de côté tous les calculs abstraits et complexes et que s'abandonnant sans réticences à la muse qui l'inspirait, il laissait sa plume tracer en points musicaux les pensées généreuses de son âme ardente et sincère, se réservant, le moment d'exaltation passé, de vérifier par les x, les r, les r 2 la solidité acoustique d'accords empiriquement construits. Les sciences et la musique occupèrent toute la vie de D u r u t t e ; il toucha même à l'astronomie. P o u r mieux étudier les célestes mathématiques, il s'était fait construire un petit observatoire dans sa maison d e c a m p a g n e . Il fut aussi un excellent écrivain. L ' A c a d é m i e qui l'avait admis dans son sein comme membre associé en 1 8 3 6 , prit intérêt à ses communications, notamment celle d e 1 8 4 4 , sur les expériences de téléphonie p a r le rythme et le son qu'avait faites à M e t z l'ingénieur S u d r e . A partir de 1 8 5 5 , il allait très souvent à P a r i s pour propager et défendre a u besoin sa théorie d e l'harmonie. Ses séjours à M e t z furent d e plus en plus rares. M a i s pendant les trente années qu'il y habita, il avait p a r l'exemple et p a r la théorie, aussi p a r l'enseignement bénévole qu'il donnait autour de lui, admirablement servi la cause d e la bonne musique à M e t z . A p r è s 1 8 7 1 , il se fixa à P a r i s , où il mourut le 2 4 septembre 1 8 8 1 . Desvignes, M o u z i n et D u r u t t e ont été les trois animateurs d u mouvement musical à M e t z , au milieu d u siècle dernier. Ils ne furent pas les seuls, d'autres compositeurs dont l'action a été moins importante que les leurs ne doivent p a s être omis dans le florilège des musiciens messins ou mosellans. Citons-les : Théodore Gouvy, né à Gaffontaine en 1 8 2 2 , a écrit d e la musique sympho- nique très appréciée en son temps. LES COMPOSITEURS MESSINS «77 L'Abbé Pierre, compositeur d e musique sacrée est aussi l'auteur d ' u n ouvrage traitant d e « l'harmonie d a n s ses rapports avec le culte religieux. » Dalmont, auteur d'ouvrages techniques et excellent professeur. Frédéric Barbier, né à M e t z en 1 8 2 9 , composa des opérettes et d e la musique légère. Nicolas Colet, né à Beuvange-sous-Justement en 1 8 1 6 , s'occupa particulièrement de la technique musicale et fut professeur au collège S a i n t e - B a r b e , à Paris. Mlle Kessler, née à M e t z en 1 8 3 7 , mourut à 2 0 ans, laissant quelques œuvres qui permettaient, assurent ses contemporains, d'espérer beaucoup d e son talent. Th. Callyot, professeur au Conservatoire, est l'auteur d ' u n opéra-comique « L ' a m o u r mannequin » qui fut joué à P a r i s aux Bouffes parisiens. Baudot, professeur d e piano et d'harmonie a u Conservatoire, a laissé d e la musique d e c h a m b r e et des chœurs écrits pour la Société C h o r a l e Sainte-Cécile qu'il avait fondée. Raphaël Maréchal, fils d u peintre-verrier, était u n musicien distingué. Il a fait exécuter, dans les Concerts d e l ' U n i o n des A r t s , en 1 8 5 1 , plusieurs œuvres qui furent très chaudement accueillies. Freyberger n'était p a s natif de M e t z , mais il y passa son existence, il y fît une carrière honorable d e professeur et se livrait surtout à la composition d e musique légère. Schneider, Peiras, Davis, Bacquart, Vechot, Berger, élèves d u Conservatoire devinrent des professeurs, des chefs d e musique, des compositeurs. Enfin Eugène Pierné, professeur d e chant au Conservatoire, auteur d e vocalises fort bien écrites pour la voix, et son cousin germain Charles Pierné, o r g a niste et compositeur, dont le plus b e a u titre d e gloire est d'avoir fonde, a u lendemain de l'annexion, le Cercle Musical messin, cette vaillante société qui s'était donné pour but d e maintenir la musique française dans la ville captive et qui a réussi. C h e z les P i e r n é , le goût d e ta musique était héréditaire, leurs descendants Gabriel Pierné et son cousin Paul Pierné, n'ont point failli à la tradition familliale. M . Gabriel Pierné est né à M e t z en 1 8 6 3 . D è s son jeune â g e , il montra des dispositions surprenantes pour la musique. H é r é d i t é , ambiance, tout contribuait à sa formation artistique. A l'âge d e 12 ans, il composa sa première œ u v r e , cette « sérénade » charmante qui a tant contribué à populariser son nom. A p r è s l'année terrible, son père lui aussi, quitta M e t z , pour aller s'installer d a n s la Capitale. L e jeune G a b r i e l entra au Conservatoire national, pour y continuer ses études. A 1 9 ans, il sortait d e cet établissement le front ceint d e tous les lauriers q u ' o n peut y conquérir, y compris le g r a n d prix d e R o m e . Il s'engagea alors sur le chemin d e la gloire et il put, grâce à «on talent, «ravir sans trébu- 68 LES COMPOSITEURS MESSINS 7 cher la côte d u succès. O n sait quelle est aujourd'hui sa renommée. E n F r a n c e comme à l'étranger, il est considéré comme l'un des plus remarquables parmi les compositeurs français vivants. C'est que son œuvre est immense. Son catalogue à ce jour accuse plus d e 1 2 0 numéros : neuf ouvrages lyriques, opéras ou opéras-comiques, plusieurs poèmes symphoniques, un quintette, une sonate pour violon, un concerto pour piano, des chœurs en g r a n d nombre, plus de 5 0 mélodies et au moins autant de pièces pour piano ou pour divers instruments. Bref, M . Pierné, contrairement à son compatriote A m b r o i s e T h o m a s , qui s'était spécialisé dans le théâtre, a touché à tous les genres et a réussi dans tous, avec un égal bonheur. Il est le rénovateur zélé du poème lyrique avec chœurs. D a n s ce genre, qui est comme une modernisation de l'oratorio • classique, il a donné de véritables chefs-d'œuvre : « L a Croisade des enfants », « Les enfants à Bethléem » , « L a nuit de N o ë l » , « L ' A n M i l » et un « Saint François d'Assises » . L e talent d e M . Gabriel Pierné se caractérise surtout p a r une grande délicatesse. S a mélodie est toujours gracieuse, élégante, charmeuse. Elle sait aussi, q u a n d cela est nécessaire à l'expression, être riche, ardente, passionnée ou puissante. L e rythme, il le cisèle avec la plus grande ingéniosité, les couleurs sonores, il les mélange d'une manière si spéciale que sa palette orchestrale est tout à fait à lui. Son talent enfin, sous tous ses aspects, est très souple et très varié. L e compositeur Gabriel Pierné est également un excellent pianiste, un excellent organiste et un admirable chef d'orchestre. C'est lui qui en 1 8 9 0 succéda à César Franck à la tribune de Sainte-Clotilde et q u a n d le célèbre chef d'orcheste Colonne disparut, les musiciens de l'Association desdits concerts le désignèrent pour le remplacer. Depuis près de vingt ans qu'il conduit cette admirable phalange, il a servi l'art et les compositeurs avec conscience, dévouement et désintéressement. S o n cousin M . Paul Pierné, fils de Charles Pierné, appartient à la jeune école. N é à M e t z en 1 8 7 4 , il a de peu dépassé la cinquantaine. C'est dire qu'il est très jeune, puisqu'il est avéré que la jeunesse d ' u n artiste va j u s q u ' a u x environs d e la soixantaine et quelquefois plus. C'est un des principaux avantages de la carrière. Néanmoins il a déjà beaucoup composé et son nom est très répandu dans les milieux musicaux. Son opéra-comique « L e diable galant » a été joué à P a r i s en 1 9 1 3 . Les Concerts Colonne ont donné de lui une symphonie et un poème intitulé « H e u r e s H é r o ï q u e s », il a écrit des sonoates, un quatuor, des poèmes symphoniques, des mélodies et des pièces d e piano. D a n s ses œuvres, une pensée vigoureuse s'inscrit dans une facture parfaitement équilibrée. L e style est châtié et le vocabulaire emprunte volontiers les néologismes sonores qui bravent la syntaxe consacrée et que D u r u t t e avait prédits jadis,.. A mesure que M . P a u l Pierné vieillira en âge, sa musique, p a r ses réelles q u a lités, retiendra de plus en plus l'attention d u public. M . Paul Pierné continue la réputation brillante d u nom famillial. Quand 679 LES COMPOSITEURS MESSINS l'histoire aura franchi quelques étapes d e plus sur la route du temps, on se souviendra encore d e cette g r a n d e famille de musiciens et l'on dira, parlant d'elles: « les P i e r n é » , comme nous disons des grandes familles d e musiciens du X V I I siècle, les Couperin ou les B a c h . , .*. A v e c M . P a u l P i e r n é s'arrête la liste des compositeurs originaires de M e t z ou du pays messin. E l l e s'arrête, elle ne se termine point. N u l doute, en effet, que dans cette ville où le goût dé la musique a toujours existé et où le mouvement musical fut si intense dans le siècle écoulé, notre siècle ne voit naître un ou plusieurs messins qui deviendront aussi des compositeurs de valeur. Souhaitons, q u ' à leur tour, ils sachent traduire leur p a y s d a n s cette langue admirable d u sentiment, cette « douce langue d u cœur » , comme l'a dit Musset, et qu'ils s'expriment « à la française ». P a r suite d u désarroi intellectuel de l'après-guerre, certains jeunes musiciens, comme d'autres manieurs d e pensée d'ailleurs, marchent en titubant sur le chemin d u bon sens et au lieu d e puiser au plus près d ' e u x dans l'esprit d e la tradition nationale, ils prennent semble-t-il, un malin plaisir à vouloir l'ignorer et préfèrent aller chercher leurs directives dans des formules étrangères difficilement assimilables pour nous. Certes les voyages forment la jeunesse et les voyages autour du monde de la pensée ne peuvent être qu'utiles et profitables, à la condition toutefois q u ' a u lieu de désagréger l'esprit national, ils ne servent q u ' à l'enrichir et le renforcer. Souhaitons donc q u e ces futurs compositeurs messins suivent l'exemple de leurs illustres aînés et qu'ils s'alimentent d ' a b o r d a u x sources de cette tradition nationale restée si généreuse dans le folklore d u p a y s . Ainsi, et sans leur contester le droit bien légitime à une évolution constance de la pensée et de la forme, ils s'exprimeront dans cette langue musicale, claire, faite de poésie concentrée, où l'enthousiasme, comme l'émotion n'o>nt point besoin pour s'affirmer, d'exaspérations inutiles, cette langue qui se reconnaît à ses qualités d ' o r d r e , de mesure, de précision, de logique enfin, qualités spécifiques de l'esprit français en général et de l'esprit lorrain particulièrement. e René DELAUNAY. BIBLIOGRAPHIE Les Célébrités de M e t z . — I n - 3 2 ° , 1 8 4 9 , Bibliothèque d e M e t z . Dictionnaire biographique de Bégin. Dictionnaire biographique d e Q u é p a t ( P a q u e t d ' H a u t e r o c h e ) . Mémoires d e l ' A c a d é m i e , A n n é e 1 8 5 3 , N o t i c e Desvignes ; années 1 8 4 2 4 3 - 4 6 , R a p p o r t s d e Desvignes; année 1 8 9 4 , Notice sur M o u z i n ; année 1 8 8 1 , Notice sur D u r u t t e . Notice sur le Conservatoire de M e t z , p a r M o u z i n . 68o LES COMPOSITEURS MESSINS Mémoires d u Congrès Scientifique de M e t z en 1 8 3 7 page 5 1 0 - 5 2 0 . Courrier d e la Moselle du 3 juin 1 8 3 7 . T e c h n i e musicale d e D u r u t t e . L ' A r t i s t e messin, année 1 8 6 5 . ; article de D u r u t t e , L ' U n i o n des A r t s , années 1 8 5 1 - 5 2 , Histoire de la Musique religieuse et divers. Encyclopédie de la M u s i q u e , L a v i g n a c . Musiciens d u X I X siècle, p a r A . P o u g i n (art. T h o m a s ) . T r a i t é de composition de d ' I n d y (art. D u r u t t e , p . 1 3 8 ) . Histoire de la musique d'Eglise d e G a s t o u é . Conférence de G a s t o u é . — R e v u e S a i n t - C h r o d e g a n d , A o û t e 1920.