LES COMPOSITEURS MESSINS
PAR
M. DELAUNAY
Membre titulaire
Metz, dont toute l'histoire est un hymne à l'indépendance, n'a pas toujours
é*té, rien qu'une cité militaire ou un centre de transactions commerciales et ban-
caires.
Les préoccupations légitimes de la défense de ses libertés et de ses intérêts
ne lui firent point négliger les beaux-arts. Elle sut, en tous temps, s'y intéresser.
Ses monuments en attestent, suffisants en quantité comme en valeur pour lui
mériter le titre de ville d'Art, Les artistess sur son sol ou dans le voisinage de
ses remparts sont peut-être moins nombreux que les savants, les magistrats, les
généraux ou les politiciens ; cependant, parmi les Messins ayant quelque célé-
brité on trouve des architectes, des sculpteurs, des peintres, des graveurs, des
poètes et des musiciens qui ont été et qui sont encore l'honneur de la pensée
française.
On peut même assurer qu'au point de vue de l'art musical (et les documents
sont là pour le prouver), Metz fut la première ville de France ayant eu une vie
musicale active et organisée.
Ausone relate que les populations mosellanes avaient un gout marqué pour
le chant. Plus- tard, au
VIIe
siècle, Fortunat, évêque de Poitiers, raconte qu'au
cours d'un voyage qu'il fit sur la Moselle en se rendant à Trêves, il entendit sur
les bords du fleuve chanter les laboureurs en accomplissant leurs travaux et, dit-il,
- <( les voix, par leurs douceurs, réunissaient les rives séparées (1) ». Comment
en effet, auraient-elles résisté, ces populations, au plaisir de mêler leurs voix à
la douce et sereine symphonie d'une nature si parfaitement harmonieuse ?
Mais c'est surtout lorsque le christianisme se fut répandu en Gaule que Metz
devint rapidement un centre d'études du chant grégorien. Au
VIIIe
siècle, l'évêque
Chrodegand avait adjoint à la cathédrale une « scola », véritable petit conser-
vatoire où l'on enseignait le chant romain et aussi, disent les chroniqueurs, le jeu
des instruments qui ne pouvaient être que la lyre, la flûte, la trompe et peut-être
l'orgue, dont l'invention relativement récente était déjà assez commercialisée si
l'on peut dire, pour être entrée dans le domaine pratique.
(i) A. Gaston! ! S 7
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Cette première école de musique fut très florissante. Cependant le chant romain
n'y était pas enseigné dans toute sa pureté originelle. Les bonnes traditions
s'étaient altérées par la transmission orale. Charlemagne s'émut de cet état de
chose. Ayant constaté, pendant un séjour à Rome, que le chant des Romains
différait de celui des Gaulois et jugeant que « l'eau était plus pure à sa source
que dans les ruisseaux », il obtint du pape la délégation en Gaule de deux
chantres savants et expérimentés. Il en plaça un, Théodore, à Metz, l'autre à
Soissons, avec mission de réprimer les abus et de veiller au maintien de la
tradition grégorienne.
Sous l'énergique impulsion du chantre Théodore, l'école officielle de Metz
acquit bien vite une grande renommée. De tous les points de la Gaule du Nord,
on y venait chercher l'enseignement du chant et aussi de la théorie, tout particu-
lièrement de la notation, cette notation spéciale à l'Ecole de Metz, qu'on désigne
encore sous le nom de notation messine.
Parmi les meilleurs disciples de Théodore, on cite Amalaire, clerc de la
cathédrale, qui devint par la suite évêque et ambassadeur de l'empereur à Cons-
tantinople.
Amalaire a travaillé à la composition de « l'Antiphonier. » Il mourut au
IXe
siècle et fut inhumé dans l'abbatiale de Saint-Arnould. On cite encore le
nom d'un évêque de Liège, Etienne, ancien élève de l'Ecole Messine, qui
contribua à l'enrichissement du répertoire de liturgie. Au Xe siècle, un autre
chantre, Roland, eut une certaine notoriété. Au XIe siècle, la réputation de
notre premier conservatoire national français s'étendait bien au delà du Rhin.
Theotger, l'un des professeurs d'alors, était un savant théoricien; il a laissé un
traité sur la musique. Sijebert, écolâtre de l'Abbaye de Saint-Vincent, est cité
par Gerbert comme un très bon compositeur.
Deux siècles plus tard, un Messin, Cassamus, sorti de l'Ecole de la Cathé-
drale, devient poète et compositeur de Charles de Bohême. Il mourut à Metz
en 1396.
Il y eut certainement beaucoup d'autres clercs, chantres et compositeurs formés
à l'Ecole Messine. L'histoire n'a pas gardé les noms de ces grands travailleurs
désintéressés qui collaborèrent à l'immense répertoire du chant liturgique, sans
se préoccuper d'une renommée posthume.
Vers la fin du
XIIIe
siècle, l'art musical se transforme. Jusqu'alors homophone,
il devient polyphone. Quelle dut être la surprisé de ceux qui entendirent pour
la première fois deux, trois, quatre voix chanter simultanément des mélodies
différentes. Et que serait-elle, si s'échappant pour quelques heures de leurs tombes
séculaires, ils pouvaient assister dans nos modernes salles de concerts à l'une des
plus récentes productions de la jeune Ecole.
C'est cependant de cette audacieuse tentative qu'este la musique sympho-
nique et chorale.
Cette réforme profonde ne pouvait atteindre la musique liturgique qui, par
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définition et par tradition, doit être homophonique, mais elle contribua à la consti-
tution d'un répertoire de musique religieuse qui pouvait servir, avec l'autre, dans
les cérémonies du culte. Elle favorisa également l'évqlution de la musique profane
en élargissant le chant d'action de la chanson et de la danse populaire.
Le XVe et le
XVIe
siècle ont accumulé un nombre considérable de composi-
tions vocales : messes, motets, madrigaux ou chansons. Parmi les maîtres fran-
çais de la fin du XV8 siècle, on trouve un compositeur originaire de la région
messine: Jehan Mouton. Jehan Mouton est né à Holling, vers le milieu du
XVe
siècle. Il commença son instruction musicale à la Scola de la cathédrale,
puis il la poursuivit avec le grand Josquins Près, le maître de l'Ecole fla-
mande.
On connaît de lui neuf messes, environ quarante motets et un grand nombre
de madrigaux, des chansons comiques ou sentimentales. L'une de ses messes,
dont le thème musical est celui de la chanson « Dites-moi toutes vos pensées »,
comme c'était l'usage de cette époque, est la plus célèbre. La chanson polypho-
nique intitulée « La... la... la... l'Oysillon du bois » est remarquable aussi par
l'esprit malicieux de sa mélodie. Jehan Mouton est l'un des meilleurs composi-
teurs du
XVIe
siècle, il fut le maître de Willaèrt qui devint à son tour le fonda-
teur de l'école vénitienne du madrigal.
Mouton fit partie de la chapelle de Louis XII et de celle de François Ier.
Quoique sa carrière se soit écoulée en dehors de la région messine, il n'en reste
pas moins par sa naissance et sa formation artistique, un compositeur mosellan,
il mourut à Saint-Quentin en 1552.
Au
XVIe
siècle, Sebastiani, organiste de la cathédrale, est cité comme un
musicien de valeur: il a publié en 1563 un livre satirique où il traite du conflit
entre les modes grégoriens et les modes nouveaux de la musique mesurée.
Vers la fin du
XVIe
siècle et le début du
XVIIe
siècle, l'art musical subit
une nouvelle transformation aussi importante que celle qui s'était produite trois
siècles auparavant. L'habileté des luthiers avait perfectionné les instruments de
musique et rendu le jeu plus aisé. Ils pouvaient désormais se substituer à la voix
ou l'accompagner, Apparaît alors la musique symphonique qui s'ajoute à la
musique vocale et c'est l'éclosion des œuvres lyriques, le ballet, d'abord, puis
la tragédie lyrique. Mais cette formule d'art très aristocratique ne s'exerçait que
dans les cours princières. La province, longtemps encore, devra se contenter de
spectacles populaires.
A Metz, en 1624, pour la réception de Gabrielle de Bourbon, on joua
(( une pastorale avec chœurs et instruments » intitulée « Phillis retrouvée ». La
composition de cette pastorale est attribuée à un musicien messin dont le nom
n'est pas désigné.
Dans la deuxième moitié du
XVIIe
siècle, il y eut dans la ville des violonistes
réputés. D'abord François Creneteau qui était le « Roi des violons » de la ville
et le président de la corporation des « Maîtres ès instruments tant hault que
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bas ». Puis Nicolas Claudon, réputé comme maître à danser, auquel succéda en
1695,
François Delange, nommé par le corps municipal à la fonction de maître
à danser, fonction devenue officielle.
Les œuvres de ces violonistes ne sont pas connues.
Le
XVIIIe
siècle fournit plusieurs compositeurs messins.
Antoine Millet, né à Plappeville vers
1
750, est un compositeur apprécié de
ses contemporains. Il partit en Russie en
1
792 et y trouva la gloire et la fortune.
L'année
1
753 voit naître à Metz Louis-Victor Simon, compositeur estimé. Ses
œuvres,
oubliées aujourd'hui, eurent de son vivant une certaine vogue. Il a écrit
de la musique symphonique pour les concerts qu'il donnait à Metz, aussi de
la musique religieuse. A l'office célébré en 1788 aux Petits Carmes, pour
l'Académie Royale, on a chanté une messe de sa composition qui fut appréciée.
Les succès messins ne lui suffisant plus, Simon partit à Paris pour tenter sa
chance.
Il fit jouer quelques ouvrages sur la scène de l'Opéra-comique et devint
le collaborateur de Fabre d'Eglantine. La musique encore si fraîche dans sa
naïve simplicité de « Il pleut bergère » est de lui. C'est probablement la seule
œuvre qui lui aura survécu. Cette mélodie eut un grand succès et Grétry, qui
avait parfois la parole caustique, dit à son sujet qu'il n'était « si médiocre
musicien qui ne fasse un air agréable au moins une fois dans sa vie ». Simon
mourut à Paris en 1818.
Quand l'évêque de Montmorency-Laval vint à Metz, il amena avec lui un
organiste méridional, Loiseau de Persuis, compositeur de musique religieuse.
Celui-ci eut un fils, Louis, qui naquit sur la paroisse Saint-Victor, le 21 mai
1 769. Instruit par son père, le jeune Louis devint très rapidement un bon musi-
cien. Quand il eut ses vingt ans, il partit à Paris et ne tarda pas à faire appré-j
cier son talent. Les Concerts spirituels ont joué de lui un oratorio intitulé «
passage de la Mer rouge ». Il donna au théâtre parisien beaucoup d'opéras-
comiques ou d'opéras. En 1795, très jeune encore, il est nommé professeur de
chant au Conservatoire; puis à l'opéra, il occupe la fonction de maître de
chant et enfin celle de directeur. Loiseau eut des succès de son vivant. Ses œuvres
son^aujourd'hui totalement oubliées.
Avec le
XIXe
siècle, l'art musical va prendre à Metz un développement consi-
dérable et ce siècle verra naître le plus grand nombre des compositeurs messins
et les plus illustres.
L'enseignement de la musique, jusqu'alors, n'était donné que dans les maîtrises
ou dans les théâtres. Bientôt, il allait devenir, partout, un enseignement officiel.
La fin du
XVIIIe
siècle avait vu, en
1
789, le Conservatoire National de Musique
remplacer l'Ecole Royale de Chant. A l'enseignement empirique existant, on
avait substitué des programmes étudiés, établis par une commission des meilleurs
musiciens du temps.
Bientôt, à l'imitation de la Capitale, des écoles se fondèrent dans toutes les
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grandes villes. Nées d'abord de l'initiative privée, elles furent peu à peu prises
en charge par les municipalités et devinrent les Conservatoires actuels.
La première école qui ouvrit à Metz en 1810 était due à l'initiative de
M. Jean-Baptiste Thomast professeur de violon, et de sa femme, professeur de
piano. Le prospectus qui annonçait au public, l'ouverture de cette école, disait :
« M. et Mme Thomas ont l'honneur d'annoncer qu'ils viennent d'ouvrir une
Ecole d'enseignement mutuel pour la musique, à l'instar de celle de Paris et de
plusieurs autres grandes villes, pour l'un et l'autre sexe » et M. Thomas signait
« Correspondant de l'Ecole Royale (?) de musique ».
Cette école était installée rue de la Pierre-Hardie. M. et Mme Thomas
eurent deux fils : le plus jeune Ambroise, né en 1811, allait être au cours du
siècle un des plus célèbres musiciens français.
A 4 ans, le petit Ambroise, commença l'étude du solfège et du piano dans
l'école de ses parents. Très bien organisé et travailleur, il avança rapidement
dans ses études. II n'avait que 14 ans quand son père mourut, vers 1825; sa
mère alors abandonna l'école et partit à Paris avec ses enfants. Ambroise entra
au Conservatoire National pour compléter son instruction musicale si bien com-
mencée et, à vîngt-et-un ans, l'Institut lui décernait le Premier Prix de Rome.
Après le séjour réglementaire à la villa Médicis, Ambroise Thomas se consacra
exclusivement au théâtre et, depuis son premier opéra-comique « La double
échelle » joué en 1837, jusqu'à sa dernière œuvre le ballet « La Tempête » en
1889,
il a écrit pour l'opéra ou l'opéra-comique, 23 ouvrages lyriques, dont
plusieurs sont encore au répertoire de nos théâtres. La valeur de l'œuvre de
Thomas a été assez discutée de son vivant. Sa muse n'avait point la gaieté
primesautière de celle d'Auber, elle ne pouvait pas s'élever aussi haut que celle
de Gounod, mais à mi-côte, elle tenait, par sa sincérité et sa distinction, une
place très respectable. Peut-être Thomas, eut-il tort de ne pas persévérer dans
la voie de l'opéra-bouffe, dont il avait fourni un beau spécimen avec le « Caïd »,
il semble que son inspiration, qui n'avait pas toute la puissance nécessaire pour
se hausser sans un certain conventionalisme aux situations dramatiques,t évo-
lué beaucoup plus aisément dans le genre léger.
On sait le succès prodigieux de son opéra-comique « Mignon », dû autant
au sujet qu'à la musique. Cette œuvre a fait le tour du monde et, par elle,
Thomas fut un des meilleurs ambassadeurs de la pensée française. Metz peut,
à juste titre, être fière d'avoir vu naître ce grand musicien.
Concurremment à l'école privée des Thomas, une école de chant avait été
fondée en 1815 par un Italien nommé Pavani. Elle n'eut pas un succès durable
et disparut quelques années plus tard.
Mais l'enseignement de la musique et du chant donné par ces deux établisse-
ments privés, avait contribué à la propagation du goût musical dans la société
messine.
C'est alors que Victor Desvignes, le fondateur du Conservatoire actuel
s'éta-
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