T. Ferry
142 | La Lettre de l’Infectiologue Tome XXVIII - no 4 - juillet-août 2013
DOSSIER THÉMATIQUE
Carbapénémases
Traitement systémique
des infections à bacilles Gram
négatif producteurs
de carbapénémases
Treatment of carbapenemase-producing Gram negative
infections
T. Ferry1, 2, 3, J.C. Richard2, 4
1
Service des maladies infectieuses et
tropicales, hôpital de la Croix-Rousse,
Lyon.
2 Université Claude-Bernard Lyon 1,
Lyon.
3 Centre international de recherche
en infectiologie (CIRI), Inserm U1111,
CNRS UMR5308, ENS de Lyon, UCBL1,
Lyon.
4
Service de réanimation médicale et
d’assistance respiratoire, hôpital de la
Croix-Rousse, Lyon.
D
u fait de la diffusion à l’échelle mondiale
des bacilles à Gram négatifs (BGN) produc-
teurs de carbapénémases, l’incidence des
infections graves à ces bactéries est en augmenta-
tion et risque de se poursuivre dans les prochaines
années. Le profil d’hydrolyse des carbapénémases
est variable selon le type de carbapénémase produite
(KPC, OXA-48, IMP, VIM ou NDM) [1]. Toutes les
carbapénémases hydrolysent les carbapénèmes, mais
les BGN producteurs de carbapénémases peuvent
tout de même conserver une susceptibilité à l’imi-
pénem in vitro, c’est-à-dire être rendus sensibles
et avoir une concentration minimale inhibitrice
(CMI) à l’imipénem ≤ 1 mg/l (2). La présence d’une
carbapénémase est habituellement associée à une
résistance à toutes les bêtalactamines, mais aussi
à de multiples autres résistances, notamment aux
aminosides et aux fluoroquinolones, ce qui limite
considérablement les différentes options thérapeu-
tiques. Dans cette mise au point, un focus particulier
est proposé sur les antibiotiques de dernier recours
utilisables chez des patients présentant une infection
à BGN producteurs de carbapénémases, souvent
en dehors de l’autorisation de mise sur le marché
(AMM) dans cette indication.
Devant chacune des situations cliniques il faut :
déterminer s’il existe une indication d’anti-
biothérapie systémique en évaluant la gravité de
l’infection ;
distinguer le type de bactérie en cause et
connaître ses résistances naturelles (Pseudomonas
aeruginosa est naturellement résistant à la tigécy-
cline et Acinetobacter baumannii est naturellement
résistant à la fosfomycine) ;
distinguer les molécules utilisables qui restent
sensibles in vitro de celles qui sont résistantes mais
peuvent tout de même être utilisées en association.
Situations cliniques
Les situations cliniques au cours desquelles il est
nécessaire de recourir à une antibiothérapie systé-
mique concernent essentiellement les infections
graves, potentiellement bactériémiques et asso-
ciées à une lourde morbidité. Il paraît illégitime
et dangereux de traiter des infections superfi-
cielles ou une colonisation digestive ou urinaire à
bactérie productrice de carbapénémases, du fait du
risque d’émergence de résistances additionnelles
pouvant compromettre tout traitement médical
en cas de survenue ultérieure d’infection grave.
En conséquence, avant d’instaurer tout traite-
ment antibiotique ciblant la bactérie productrice
de carbapénémases, il est essentiel de s’assurer de
l’implication de cette bactérie et de ne traiter que
les infections “cliniquement significatives”, comme
les pneumopathies acquises sous ventilation méca-
nique (PAVM), les infections urinaires parenchyma-
teuses, les infections du système nerveux central,
les infections de cathéter compliquées et les sepsis
à hémocultures positives. En cas d’abcédation ou
La Lettre de l’Infectiologue Tome XXVIII - no 4 - juillet-août 2013 | 143
Points forts
»Le traitement optimal des infections graves à BGN producteurs de carbapénémases n’est pas connu.
»
Au cours des infections graves à BGN producteurs de carbapénémases, il semble nécessaire de privilégier
une association d’antibiotiques, si possible synergiques et bactéricides.
»
Au cours des infections graves à BGN producteurs de carbapénémases, il semble important d’utiliser
le méropénem à forte dose, en perfusion lente, lorsque la concentration minimale inhibitrice (CMI) de ce
dernier est ≤ 4 mg/l (
cut-off
de sensibilité à 1mg/l), en association, en premier lieu, avec la colimycine.
»
Les différentes associations possibles dépendent de la bactérie impliquée (
P. aeruginosa
est naturellement
résistant à la tigécycline ;
A. baumannii
est naturellement résistant à la fosfomycine) et des différentes
molécules restant actives.
Mots-clés
Carbapénémases
Pneumopathie
acquise sous
ventilation mécanique
(PAVM)
Sepsis
Association
d’antibiotiques
Summary
Patients with severe infec-
tion due to carbapenemase-
producing gram negative
rods have to receive, as early
as possible, optimal antimi-
crobial therapy. These strains
may be still susceptible to
imipenem and meropenem in
vitro (i.e. with an imipenem and
meropenem minimal inhibi-
tory concentration ≤2 mg/l),
but usually exhibit multi-drug
resistance. Synergic bacteri-
cidal combination has to be
proposed, depending on the
type of pathogen, and on
the susceptibility testing. In
patients with carbapenemase-
producing
Enterobacteriaceae
,
high doses of meropenem may
be combined with colistin,
fosfomycin, or with tigecycline.
In patients with carbapene-
mase-producing
P.aeruginosa
,
high doses of meropenem may
be combined with colistin and
fosfomycin. In patients with
carbapenemase-producing
A.baumannii
, high doses of
meropenem may be combined
with colistin, or colistin may be
combined with tigecycline.
Keywords
Carbapenemases
Ventilator-associated
pneumonia
Sepsis
Antibiotic combination
d’infection postopératoire, il faudra s’assurer d’une
prise en charge chirurgicale optimale, afin de réduire
le plus possible l’inoculum bactérien, avant même
d’instaurer une antibiothérapie souvent de dernier
recours.
Molécules efficaces in vitro
et utilisables
Aminoglycosides
Les BGN producteurs de carbapénémases demeurent,
dans un petit nombre de cas, sensibles aux amino-
glycosides (notamment les BGN producteurs de
KPC et de VIM, les producteurs de NDM étant le
plus souvent résistants aux aminoglycosides), en
particulier l’amikacine ou la gentamicine. En cas de
sensibilité, les aminoglycosides doivent être utilisés
dans les infections à BGN producteurs de carbapé-
némases, surtout s’il s’agit d’une infection associée
à des hémocultures positives ou à une PAVM. Ils
doivent alors être prescrits en association avec une
autre molécule et suivre la mise au point française
récemment publiée, qui recommande :
d’évaluer le risque rénal ;
d’utiliser une dose unique journalière de
30 minutes ;
de prescrire pour une durée maximale de 5 jours ;
d’utiliser une posologie élevée, surtout au début
du traitement, notamment en cas de choc septique ;
de réaliser un dosage du pic pour adapter la poso-
logie, du fait du volume de distribution parfois consi-
dérablement élevé chez les patients de réanimation.
L’amikacine (15 à 30 mg/kg/j) ou la gentamicine
(3 à 8 mg/kg/j) sont équivalentes sur des entéro-
bactéries sensibles. Pour P. aeruginosa, la tobramy-
cine (3 à 8 mg/kg/j) est l’aminoglycoside le plus
bactéricide, mais les résistances de haut niveau en
limitent l’utilisation. L’amikacine, souvent associée
à une résistance de bas niveau, peut être utilisée
à forte posologie (30 mg/kg/j). L’amikacine et la
tobramycine restent les aminosides les plus actifs
sur A. baumannii (3).
Les aminosides doivent être utilisés en association.
Les aminoglycosides ont une activité synergique
avec les bêtalactamines et avec la fosfomycine.
En revanche, aucune synergie ne doit être attendue
avec la colistine. Enfin, une étude récente rapporte
une plus grande efficacité de l’isépamycine sur des
souches de P. aeruginosa et A. baumannii multirésis-
tants, en comparaison des autres aminoglycosides,
mais cet antibiotique n’est plus disponible sur le
marché français depuis 2008 (4).
Colimycine
La colimycine (polymyxine B ou colistine) est un
antibiotique ancien dont l’utilisation était devenue
rare du fait du développement des bêtalactamines
à large spectre, et notamment des carbapénèmes.
Alors que les doses usuelles étaient de 50 000 UI/kg/j
en 2 à 3 injections/j, le libellé d’AMM a été récem-
ment modifié, et ce sont des posologies de 75 000
à 150 000 UI/kg/j qui sont maintenant recomman-
dées, en 2 à 3 injections journalières, sans dépasser
12 millions d’UI/j. Dans une étude rétrospective
récente incluant des patients traités par colistine
pour une infection grave à BGN multirésistants, une
dose de colistine inférieure à 6 millions d’UI/j était
un facteur de risque d’échec (4, 5). Il est important
de noter que les doses de polymyxine E utilisée aux
États-Unis, et qui apparaissent donc dans les publi-
cations américaines, ne sont pas équivalentes aux
doses de polymyxine B, utilisée en Europe (exprimée
en colistine base : 1 mg/kg/j de colistine base de
polymyxine E correspond à seulement 0,5-0,6 mg/
kg/j de colistine base de polymyxine B).
L’utilisation de colistine doit se limiter aux infec-
tions documentées à BGN définis comme sensibles,
notamment chez les patients hospitalisés en réani-
mation, lorsque aucune autre solution satisfaisante
n’est possible. Les seules contre-indications sont
l’hypersensibilité connue à la colistine et la myas-
thénie. La colistine a un effet bactéricide rapide
en augmentant la perméabilité de la membrane
externe des bactéries quiescentes ou en phase de
croissance rapide. Son spectre concerne surtout les
BGN multirésistants, et notamment P. aeruginosa
et A. baumannii. La concentration critique de
l’EUCAST (2013.02.11, v.3.1) est de 2 mg/l pour les
entérobactéries et A. baumannii et de 4 mg/l pour
P. aeruginosa (2). Son principal effet indésirable
144 | La Lettre de l’Infectiologue Tome XXVIII - no 4 - juillet-août 2013
Traitement systémique des infections à bacilles Gram négatif
producteurs de carbapénémases
DOSSIER THÉMATIQUE
Carbapénémases
est la néphrotoxicité (tubulopathie), surtout si des
aminoglycosides sont utilisés en association. La
néphrotoxicité peut survenir dès les premiers jours
du traitement ; elle est dose-dépendante, et limite
le plus souvent la durée d’utilisation de colistine à
15 jours. L’insuffisance rénale n’est pas une contre-
indication, mais il faut adapter la posologie à la
clairance de la créatinine. L’autre toxicité poten-
tielle est neurologique (paresthésie, confusion et,
exceptionnellement, blocage neuromusculaire avec
apnée). Du fait d’une hétérorésistance (sous-popu-
lation résistante au sein d’une population sensible)
et de l’acquisition rapide de résistance, la colistine
par voie i.v. doit être utilisée en association. Son
activité est synergique in vitro avec celle des bêta-
lactamines, de la fosfomycine et de la tigécycline.
En revanche, aucune synergie n’est attendue avec
les aminoglycosides.
En cas de PAVM à P. aeruginosa ou à A. baumannii
chez des patients intubés, il est possible d’associer
la colimycine i.v. et la colimycine par voie inhalée. Il
est important de noter que la forme spécifique pour
l’inhalation doit être utilisée avec des nébulisateurs
spécifiques, et la distribution intrapulmonaire de
l’antibiotique peut être nettement améliorée en
optimisant les réglages du respirateur (6). La poso-
logie est de 3 à 6 M UI/j, en 2 à 3 prises. L’inhalation
peut provoquer un bronchospasme, et la première
dose doit impérativement être administrée sous
surveillance médicale, après désencombrement
bronchique. Des hémoptysies ont également été
rapportées. Le bénéfice de la colimycine inhalée en
complément de la colimycine utilisée par voie i.v.
n’a pas été définitivement établi dans les études
prospectives chez les patients présentant une PAVM.
Une étude rétrospective récente ne retrouve pas de
bénéfice à utiliser la colimycine par voie inhalée en
complément de la voie i.v. (7).
Fosfomycine
La fosfomycine utilisée par voie i.v. est un antibio-
tique bactéricide (blocage de la synthèse de la paroi
bactérienne) à large spectre, de faible poids molé-
culaire, à bonne diffusion dans les tissus et dans les
liquides biologiques. A. Baumannii est naturellement
résistant à la fosfomycine. La concentration critique
de l’EUCAST a été fixée à 32 mg/l (2). Son activité
antibiotique est temps-dépendante. La posologie
habituelle dans les infections graves est de 12 à
16 g/j, en 3 à 4 administrations de 4 g en 4 heures.
La fosfomycine est éliminée par voie urinaire, et la
dose s’adapte à la clairance de la créatinine. La fosfo-
mycine induit très souvent des hypokaliémies qu’il
est nécessaire de compenser, et une posologie élevée
peut causer des neutropénies. La fosfomycine doit
être utilisée en association, du fait de l’acquisition
rapide de résistance. Elle est synergique in vitro avec
les bêtalactamines, les aminosides, la colimycine et
la tigécycline (tableau).
Tigécycline
La tigécycline appartient à la classe des glycylcy-
clines (antibiotiques semi-synthétiques proches de
la tétracycline). Elle est utilisée par voie parentérale
à la dose de 100 mg lors de la première injection
puis de 50 mg/12 h. La tigécycline inhibe la synthèse
protéique en ciblant le ribosome et est bactériosta-
tique, notamment sur Staphylococcus aureus, Ente-
rococcus faecalis, Escherichia coli et A. baumannii. La
tigécycline est habituellement active in vitro sur les
BGN (y compris les multirésistants), à l’exception
de P. aeruginosa, ainsi que les Proteus, Morganella et
Providencia spp. (8). La tigécycline est synergique in
vitro avec la colistine et la fosfomycine (tableau).
F. Sbrana et al. rapportent une série de 26 patients
de réanimation chirurgicale avec des infections à
Klebsiella pneumoniae producteurs de carbapéné-
mases (PAVM, bactériémie, péritonite, infection
urinaire parenchymateuse) traités par tigécycline,
majoritairement en association avec la gentamicine,
la fosfomycine ou la colistine. La mortalité à J30
était seulement de 12 %, en sachant que ces patients
n’avaient pas de comorbidités majeures et que peu
d’entre eux étaient en choc septique (3/26) [9].
En septembre 2010, la Food and Drug Administration
(FDA) a procédé à une communication concernant
une analyse poolée de 13 essais cliniques qui compa-
raient la tigécycline à d’autres molécules. Cette
analyse a mis en évidence un surrisque de décès chez
Tableau. Synergie in vitro entre les molécules efficaces in vitro sur des entérobactéries produc-
trices de carbapénémases (12).
Amino-
glycosides Colistine Fosfomycine Tigé cycline Carbapénème
efficace invitro
Aminoglycosides Non Oui ND Oui
Colistine Non Oui Oui Oui
Fosfomycine Oui Oui Oui Oui
Tigécycline ND Oui Oui Non
Carbapénème
efficace invitro Oui Oui Oui Non
ND: données non disponibles.
La Lettre de l’Infectiologue Tome XXVIII - no 4 - juillet-août 2013 | 145
DOSSIER THÉMATIQUE
les patients traités par cette molécule, particulière-
ment dans le sous-groupe de ceux qui présentaient
une PAVM. Ce surrisque était probablement lié à une
progression de l’infection, par manque d’efficacité de
la tigécycline. En conséquence, la FDA recommande
d’éviter de prescrire la tigécycline dans les infections
sévères (sepsis, PAVM) en monothérapie. Plusieurs
séries récentes rapportent des bactériémies persis-
tantes et une inefficacité de la tigécycline lorsque
l’isolat a une CMI ≥ 1 mg/l (10). Cela pourrait être
expliqué par les propriétés bactériostatiques de la
tigécycline et par un pic sérique insuffisant aux doses
habituellement recommandées. Des doses 2 fois
plus importantes de tygécycline (200 mg, suivis
de 100 mg/12 h) pourraient être utilisées dans ces
infections graves, mais les données disponibles de
tolérance et d’efficacité sont limitées (11).
Molécules généralement
inefficaces in vitro
mais pouvant quand même
être utilisées à forte dose
ou à dose conventionnelle
Carbapénèmes
Par définition, les carbapénèmes sont hydrolysés par
les carbapénémases, et leur utilisation est compro-
mise dans les infections graves à BGN producteurs
de ces enzymes. La concentration critique définis-
sant les souches sensibles a été fixée à 2 mg/l pour
l’imipénem et le méropénem, et à 1 mg/l pour le
doripénem. En fait, il existe une grande variabilité
dans les CMI aux carbapénèmes au sein des isolats
producteurs de carbapénémases. À titre d’exemple,
dans une étude grecque portant sur des isolats de
K. pneumoniae producteurs d’enzymes de type
VIM (12), les CMI aux carbapénèmes variaient de
0,125 à 32 mg/l, et 79 % des isolats avaient une CMI
≤ 4 mg/l à au moins 1 carbapénème.
Lorsqu’une entérobactérie productrice de carba-
pénémases reste sensible aux carbapénèmes, les
associations carbapénème-aminoglycoside, carba-
pénème-colistine et carbapénème-fosfomycine sont
synergiques in vitro (tableau) [12-14].
Lorsqu’une entérobactérie productrice de carbapéné-
mases présente des CMI élevées aux carbapénèmes,
les associations carbapénème-aminoglycoside,
carbapénème-colistine (y compris lorsque l’isolat
est résistant à la colistine) et carbapénème-fosfo-
mycine restent synergiques in vitro (12-14).
Dans un modèle pharmacodynamique in vitro simu-
lant les concentrations d’antibiotiques à l’équilibre
dans le liquide interstitiel pulmonaire, l’association
du méropénem (à forte dose avec perfusions prolon-
gées) et de la tigécycline était efficace sur les souches
de K. pneumoniae productrices de carbapénémases
jusqu’à une CMI au méropénem de 16 mg/l (15).
Dans un modèle de pneumonie à P. aeruginosa,
S. Bellais et al. ont montré que l’imipénem (CMI à
128 mg/l, utilisé à une dose équivalente à 1 g/8 h
chez l’homme) réduisait l’inoculum bactérien, mais
sans améliorer la survie (16). D’autres modèles
animaux ont montré que les carbapénèmes à forte
dose (doripénem à une équivalence de de 2 g/8 h,
administré en perfusion d’au moins 3 h) restaient
bactéricides (i.e. avec 40 à 50 % du temps passé
au-dessus de la CMI) et permettaient une réduc-
tion de l’inoculum bactérien de K. pneumoniae
producteurs de KPC ayant une CMI au doripénem
comprise entre 4 et 16 mg/l (17). Des simulations
de Monte-Carlo révèlent qu’avec le méropénem une
administration de 2 g/8 h en perfusion d’au moins
3 heures est la plus adaptée pour obtenir un temps
avec des concentrations sériques au-dessus des CMI
d’au moins 50 % lorsque la CMI au méropénem est
à 8 mg/l.
Z.A. Qureshi et al. ont rapporté une série de
41 patients présentant une infection avec hémo-
cultures positives à K. pneumoniae producteurs de
carbapénémases (KPC) [18]. La mortalité globale
était de 39 % à J30. L’utilisation d’une combinaison
d’antibiotiques, majoritairement l’association colis-
tine et carbapénème, était indépendamment associée
à une meilleure survie en analyse multivariée. Il est
important de noter que la majorité des isolats avaient
une CMI à l’imipénem à 4 mg/l, donc rendus comme
résistants sur la base des critères de l’EUCAST (18).
Du fait de sa haute affinité pour les carbapéné-
mases, notamment pour les KPC, l’ertapénem à
1 g/j pourrait être utilisé comme “substrat suicide”
de la carbapénémase (qui se trouve ainsi inhibée,
au moins en partie) en association avec l’injection
de méropénem ou de doripénem. Cette stratégie
a été utilisée avec succès chez 3 patients ayant un
sepsis urinaire (dont 2 avec hémocultures positives)
à K. pneumoniae producteurs de carbapénémases
totorésistante (KPC-2) [19].
Dans une revue récente des données cliniques dispo-
nibles dans la littérature concernant les infections
à K. pneumoniae producteurs de carbapénémases,
alors que l’utilisation de colistine ou de tigécycline
en monothérapie semblait peu efficace, avec un
taux de succès comparable à celui d’une antibio-
146 | La Lettre de l’Infectiologue Tome XXVIII - no 4 - juillet-août 2013
Traitement systémique des infections à bacilles Gram négatif
producteurs de carbapénémases
DOSSIER THÉMATIQUE
Carbapénémases
thérapie inadaptée, toutes les combinaisons actives
semblaient associées à un meilleur taux de survie,
surtout lorsque ces combinaisons contenaient un
carbapénème (12).
En conséquence, les carbapénèmes à fortes doses
et en perfusions prolongées (en particulier le méro-
pénem et le doripénem, à l’exclusion de l’imipénem
qui, non stable à température ambiante, n’est donc
pas utilisable en perfusion longue et qui est mal
toléré à forte dose) pourraient être utilisés en cas
d’infection à BGN producteurs de carbapénémases,
surtout si la CMI est ≤ 4 ou égale à 8 mg/l pour ces
molécules, et s’il n’y a pas d’autres recours théra-
peutiques (20).
Aztréonam
L’aztréonam appartient à la famille des monobac-
tames. Il est habituellement utilisé par voie paren-
térale, à la posologie de 3 à 6 g/j en 3 à 4 injections
journalières. Pour certaines infections graves (bacté-
riémie, PAVM) à germes multirésistants, des posolo-
gies plus élevées (jusqu’à 8 g/j) sont proposées. La
demi-vie est de 1,7 heure. Il faut adapter les doses
en cas d’insuffisance rénale. Le spectre ne concerne
que les BGN, puisque l’aztréonam n’a aucune acti-
vité pour les PLP des bactéries à Gram positif et les
anaérobies. L’aztréonam affecte la synthèse de la
paroi bactérienne en inhibant plusieurs protéines de
liaison à la pénicilline (PLP), et particulièrement la
PLP3, provoquant une forme filamenteuse chez les
bactéries à Gram négatif (sauf sur A. baumannii qui
est naturellement résistant). L’aztréonam confère une
bactéricidie concentration-dépendante, sans effet
postantibiotique. Lorsque l’isolat est rendu sensible
(par exemple CMI ≤ 1 mg/l pour les entérobactéries et
P. aeruginosa), un traitement par aztréonam à la dose
de 2 g/6 h permet d’obtenir des taux sériques satisfai-
sants, notamment chez les patients de réanimation,
avec un haut volume de distribution (21). La tolérance
de l’aztréonam est particulièrement bonne. Les prin-
cipaux événements indésirables pouvant survenir
sous traitement sont une neutropénie, une cytolyse
hépatique, une douleur avec ou sans thrombophlé-
bite au site d’injection, et des troubles digestifs. Les
carbapénémases hydrolysent l’aztréonam, sauf les
métallo-bêtalactamases. L’aztréonam pourrait donc
avoir un intérêt dans le traitement des infections à
BGN producteurs de métallo-bêtalactamases. Dans
un modèle animal de pneumonie chez le rat à P. aeru-
ginosa producteur de métallo-bêtalactamase VIM-2
sensible à l’aztréonam (CMI à 0,25 mg/l), l’utilisation
d’aztréonam à forte dose (équivalente aux fortes doses
utilisées chez l’homme, 2 g/6 h) était associée à une
moindre mortalité, par rapport aux autres bêtalacta-
mines (16). Toutefois, il faut être prudent car les BGN
producteurs de métallo-bêtalactamase coproduisent
souvent une bêtalactamase à spectre étendu qui, elle,
hydrolyse l’aztréonam et le rend inactif.
Ceftazidime
La ceftazidime est une céphalosporine de troisième
génération (C3G) au spectre élargi sur P. aeruginosa,
mais moins efficace que les autres C3G sur les enté-
robactéries. La posologie dans les infections graves
est de 6 g/j. L’activité catalytique des carbapéné-
mases touche toutes les bêtalactamines. Toutefois, les
carbapénémases de classe A (notamment la KPC-6)
touchent respectivement 36 et 82 fois moins la
ceftazidime que l’aztréonam ou les C3G (22). Dans
un modèle animal de péritonite chez la souris, la
ceftazidime semblait plus efficace que les autres
bêtalactamines (imipénem, ertapénem, pipéracilline-
tazobactam) sur une souche OXA-48 encore sensible
à l’imipénem et à la ceftazidime selon l’EUCAST (CMI
à 0,5 mg/l et 0,25 mg/l, respectivement) [23]. Dans le
modèle de pneumonie à P. aeruginosa de S. Bellais et
al., la ceftazidime (CMI à 256 mg/l, utilisée à une dose
équivalente à 2 g/8 h chez l’homme) réduisait l’ino-
culum bactérien, mais sans améliorer la survie (16).
Rifampicine
La rifampicine est un antibiotique actif sur les cocci
à Gram positif, les bactéries intracellulaires, et n’est
pas active sur les Gram négatifs en dehors des Neis-
seria spp. et d’Haemophilus influenzae. La rifampi-
cine est bactéricide en inhibant la transcription de
l’ADN bactérien en se fixant sur l’ARN polymérase.
La rifampicine est métabolisée au niveau hépatique
et a une demi-vie d’environ 3 h. La rifampicine en
monothérapie conduit très rapidement à l’émergence
de souches résistantes. Elle doit toujours être utilisée
en association. La posologie est de 10 mg/kg/j en
1 injection dans la tuberculose, et peut atteindre
20 mg/kg/j en 2 injections dans les infections graves
à Gram positif comme les endocardites infectieuses
sur valve prothétique.
Certaines données in vitro montrent que la rifam-
picine est bactéricide en association sur des isolats
d’A. baumannii ou de P. aeruginosa résistants aux
carbapénèmes. En effet, l’association colistine-
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