S É R I E I R M Introduction à l’imagerie par résonance magnétique (1) : magnétisme, résonance, excitation et relaxation ● B. Kastler1, 2 et C. Clair1, 2, D. Vetter3, B. Favreau4, A. Allal2, A. Pousse2, M. Parmentier2 MAGNÉTISME ET MATIÈRE VIVANTE L’imagerie par résonance magnétique protonique repose avant tout sur les propriétés magnétiques de la matière. Pour comprendre l’origine des propriétés magnétiques de la matière, observons une toupie. Au repos, la toupie est couchée sur le côté. Si on lui applique un mouvement de rotation autour de son axe, la toupie se maintient verticale, sous l’effet d’une force parallèle à son axe de rotation. Cette force est le résultat du moment cinétique (S) engendré par la rotation de la toupie. Si la toupie possède une charge électrique, à la force développée s’ajoute une force d’aimantation engendrée par le moment magnétique µ. Les deux forces sont représentées par des données vectorielles (voir figure 2). Cette relation liant le magnétisme et le déplacement d’une charge électrique avait déjà été découverte au siècle dernier par Œrsted et Faraday (figure 1). Dans la matière vivante, le magnétisme provient des atomes. L’atome est composé d’un noyau et d’électrons qui gravitent selon des trajectoires définies. Le noyau est composé de nucléons répartis en protons et en neutrons. Les protons sont chargés positivement. Un nombre égal de protons et d’électrons assure la neutralité électrique de l’atome. Pour un noyau, quand le nombre de protons est identique au nombre de neutrons, le moment magnétique résultant est nul. Les principaux constituants atomiques de la matière vivante sont le carbone, l’hydrogène, l’oxygène, l’azote et le soufre. Parmi ces atomes, l’hydrogène est le constituant principal des tissus mous constitué de 70 à 90 % d’eau. En fait, le noyau de l’atome d’hydrogène est constitué uniquement par un proton portant une charge positive. Comme il tourne sur lui-même, il possède un moment cinétique appelé spin S. Étant chargé positivement, il possède de plus un moment magnétique µ (en fait lié au spin) que l’on peut représenter comme un dipôle magnétique (assimilé à un petit aimant avec un pôle positif et négatif) et animé d’un mouvement de rotation (figure 2). 1. Radiologie A, CHU de Besançon (B. Kastler) 2. Laboratoire d’image et d’ingénierie pour la santé (LIIS), université de Franche-Comté, Besançon (B. Kastler). 3. Radiologie, CHU de Strasbourg (D. Vetter). 4. Université technique de Compiègne. La Lettre du Neurologue - n° 4 - vol. IV - septembre 2000 A B Figure 1. Réciprocité entre magnétisme et déplacement d’une charge électrique : expérience d’Œrsted et de Faraday. A. Le physicien Œrsted a mis en évidence, en 1820, qu’un courant électrique produit un champ magnétique : si l’on place une boussole à proximité d’un fil où circule un courant électrique, celle-ci s’oriente à 90° par rapport au fil conducteur (dans l’axe du champ magnétique induit par le courant). B. À l’inverse, un aimant peut servir à produire un courant électrique. Le physicien français Michel Faraday l’a prouvé quelques années après, en 1831 : en introduisant un barreau aimanté dans une bobine conductrice. C’est le principe de fonctionnement d’une dynamo. 219 S É R I E I ➛ µ N ➛ S P S Figure 2. Moment cinétique et magnétique du proton - Les protons (noyaux d'hydrogène) sont animés d’un mouvement de rotation et portent une charge positive. Une particule qui tourne induit autour d'elle un moment cinétique ou “spin” aligné sur son axe de rotation représenté par un vecteur S. Une charge qui tourne induit de plus autour d’elle un champ magnétique appelé moment magnétique (lié au spin et également aligné sur son axe de rotation) et représenté par un vecteur d’aimantation “microscopique” noté µ. Ils peuvent donc être assimilés à de petits aimants (dipôles magnétiques) avec un pôle nord et un pôle sud. R M un court instant une onde de radiofréquence (appelée également impulsion transversale), on peut modifier l’orientation du vecteur d’aimantation à condition que la fréquence ωr de l’onde appliquée soit égale à la fréquence de précession du proton, ωo : c’est la résonance. Pour comprendre le phénomène de résonance, on peut prendre l’exemple d’une balançoire. Pour provoquer et pour maintenir le mouvement de balancier, il faut pousser la balançoire à la même fréquence que celle du mouvement pendulaire (fréquence propre). De la même façon, en IRM, l’impulsion de radiofréquence ωr doit être en résonance avec la fréquence de précession (propre) du proton (ωr = ωo). Lorsque cette condition de résonance est satisfaite, il y a une bascule du vecteur Mzo vers le plan xoy et donc disparition de la composante longitudinale Mz de l’aimantation et apparition d’une composante transversale Mxy (figure 4). A Z CHAMP PRINCIPAL STATIQUE Bo Dans la matière vivante, en l’absence de champ magnétique externe, l’orientation de l’aimantation de chaque proton est aléatoire. Dans cet état, l’aimantation de la matière est nulle. Si l’on soumet la matière à un champ magnétique, les protons vont se répartir en deux populations sensiblement égales, parallèles ou antiparallèles à Bo. Les protons de sens parallèle correspondent aux protons de plus bas niveau d’énergie (E1), les protons de sens antiparallèle correspondent aux protons de plus haut niveau d’énergie (E2). En fait, le champ magnétique résultant aura pour origine le très faible excès de protons de sens parallèle situé sur le niveau de basse énergie car les spins de sens opposé vont s’annuler deux à deux. Pour un champ magnétique de 0,5 Telsa, cet excès représente environ 4 protons pour 2 millions (figure 3). Cela paraît faible, mais il faut se souvenir qu’un centimètre cube d’eau contient environ 67 000 milliards de protons : ainsi nos quatre protons en excès représentent tout de même la somme de 135 millions de milliards de protons ! Le champ magnétique résultant, lié à cet excès de protons de sens parallèle, constitue le vecteur d’aimantation macroscopique Mzo, il est parallèle au champ principal Bo et adopte un mouvement de rotation autour de son axe (comme le fait individuellement chacun des protons) : c’est le mouvement de précession. La fréquence de ce mouvement, ou fréquence de précession, ωo est proportionnelle à l’intensité du champ magnétique appliqué. RÉSONANCE ET ONDE RF Le vecteur d’aimantation macroscopique Mzo est très faible par rapport à Bo, on ne peut pas le mesurer directement, il faut donc le basculer à 90° : c’est là qu’intervient l’onde de radiofréquence B1 (ou deuxième champ magnétique dit tournant). En effet, si on applique au vecteur Mzo en précession, pendant 220 Z ∑µ = 0 ∑µ = 0 M=0 M=0 Figure 3A. En l’absence d’un champ magnétique externe, les protons µ d'un échantillon tissulaire sont orientés de façon aléatoire en tous sens : la somme des vecteurs d'aimantation élémentaire microscopique ( µ) est nulle et il n'y a pas de vecteur d'aimantation macroscopique (M = 0). Soumis à un champ magnétique extérieur (régnant dans le tunnel), les protons s'orientent selon la direction de ce dernier (Oz) avec apparition d'un vecteur d'aimantation macroscopique ( µ = Mzo). ➛ Mz0 B E2 E1 1Μ 1Μ 0,5 T Figure 3B. Le champ magnétique résultant, représenté par le vecteur d’aimantation Mzo, a pour origine le faible excès de protons (environ 4 pour 2 millions) de sens parallèle sur le niveau d’énergie le plus faible (E1) car les spins de sens opposé vont s’annuler deux à deux. La Lettre du Neurologue - n° 4 - vol. IV - septembre 2000 z Mz0 Β0 ➛ Mz0 Mz B0 θ x' E1 Mxym B1 Mxy y' Équilibre A Figure 4. La conséquence d'une impulsion RF (de 90°) est une simple bascule ou rotation de M autour de B1 (B) avec diminution de la composante longitudinale Mz (ou M L, L pour longitudinal) de l'aimantation (Mzo en début d'impulsion) et augmentation de la composante transversale M xy (ou M T, T pour transversal) de l'aimantation (M xym en fin d'impulsion). ➛ Mz0 B0 E2 ➛ Mxym Pour mieux comprendre cet effet, il est utile d’analyser collectivement les mécanismes induits par l’onde de radiofréquence au niveau de la population excédentaire de protons (vecteur M) afin d’individualiser deux phénomènes, l’un concernant l’aimantation longitudinale et l’autre l’aimantation transversale . - L’onde de radiofréquence, en fournissant de l’énergie au système, favorise le passage (transition) des spins parallèles de basse énergie à l’état de spins antiparallèles de haute énergie. Il résulte de ce phénomène une diminution de l’aimantation longitudinale. - Par ailleurs, les protons de la matière vivante soumis au seul champ principal Bo adoptent un mouvement de précession de manière aléatoire, c’est-à-dire que la composante transversale résultante est nulle. L’onde de radiofréquence a pour conséquence de mettre en phase les protons matière. Ce faisant, elle induit l’apparition d’une composante transversale à l’aimantation. Au total, l'impulsion RF, par deux mécanismes bien distincts mais simultanés, transition sur le niveau de haute énergie (E1 ➔ E2) et mise en phase des protons, va jouer sur la composante longitudinale et la composante transversale de M (figure 5 ). Cet état est instable, et dès la fin de l’excitation, il va y avoir retour à l'état d'équilibre (stable) au cours duquel les phénomènes inverses vont avoir lieu. D’une part, progressivement transitions inverses du niveau E2 vers le niveau E1 (E2 ➔ E1 ; antiparallèles ➔ parallèles), l’aimantation longitudinale repousse et, d’autre part, par déphasage des spins, l’aimantation transversale disparaît rapidement. La figure 6 résume ce que nous venons d’apprendre jusqu’à présent sur : 1- l’état d’équilibre engendré par Bo avec apparition d’une composante de longitudinale de l’aimantation Mzo ; 2- l’excitation due à l’application de l’onde RF (disparition de la composante longitudinale Mzo et apparition d’une composante transversale Mxy ; La Lettre du Neurologue - n° 4 - vol. IV - septembre 2000 E1 B Impulsion de 90° Figure 5. Approche schématique des phénomènes de transition et de rephasage des spins, pour une impulsion de 90°. A. Avant l'impulsion RF, il y a 4 protons parallèles en surnombre qui vont être à l'origine de l'apparition d'un vecteur d'aimantation macroscopique M aligné sur Bo, sans composante transversale car les protons sont déphasés : M est aligné sur Oz, M = Mzo (M xy = o). B. L'impulsion RF provoque des transitions : E1 -> E2 (parallèles -> antiparallèles) et un rephasage des protons (Mz diminue et Mxy croît). Deux des protons en “surnombre” sont passés du niveau E1 au niveau E2 par égalisation des populations sur les deux niveaux d'énergie. Il n'y a plus de composante longitudinale de M (Mz = o) et Mxy est maximal (Mxym) : impulsion de 90°. 3- le retour à l’état d’équilibre par les phénomènes de relaxation T1 et T2. Il apparaît ainsi clairement deux “types” d'aimantation tissulaire : l'aimantation longitudinale Mz (ou ML parallèle à Bo qui concerne le T1) et l'aimantation transversale Mxy (ou MT perpendiculaire à Bo qui concerne le T2) (figure 7), dont l'apparition et la disparition font intervenir des mécanismes très différents respectivement : transitions des protons entre les niveaux d'E1 : parallèles ➔ E2 : antiparallèles (et inversement), et mise en phase (et déphasage) des spins. LA RELAXATION Lorsque cesse l’impulsion de radiofréquence, les phénomènes inverses concernant l’aimantation longitudinale et l’aimantation transversale vont se produire, les spins retournent à leur état d’équilibre, c’est la relaxation. 221 S É R I E I R M A B0 Mzo 1. État d'équilibre transfert E1 E2 RF 90¡ Mxym 2. Excitation mise en phase des spins Transfert d'énergie de E2 sur E1 Repousse en T1 Mz Mxy T1 3. Retour à l'état d'équilibre T1 : transfert E2 E1 T2 Relaxation T2 : déphasage rapide des spins ➛ ➛ MZ MZ = 0 Figure 6. Interactions entre l'onde de radiofréquence et les protons placés dans le champ Bo. 1) Soumis au champ magnétique Bo, un état d'équilibre apparaît avec une composante longitudinale Mzo de l’aimantation tissulaire ; 2) Un apport d'énergie (excitation) par une impulsion RF de 90° entraîne, par égalisation des protons sur les deux niveaux d'énergie et mise en phase des spins, avec respectivement une disparition de la composante longitudinale et apparition d’une composante transversale ; 3) Cet état est instable, et dès la fin de l'excitation il va y avoir retour à l'état d'équilibre (stable) au cours duquel les phénomènes inverses vont avoir lieu. D'une part progressivement transitions inverses E2 vers E1 (antiparallèles ➔ parallèles), l'aimantation longitudinale repousse et d’autre part, par déphasage des spins, l’aimantation transversale disparaît rapidement. B (Mz0) 100 % 95 % 87 % 63 % Mz T1 2T1 3T1 temps Figure 8. A. L'excitation par l'impulsion RF DE 90° (apport d'énergie : transfert de E1 sur E2) a pour conséquence de faire disparaître la composante longitudinale Mz0 ➔ 0. Dès l'arrêt de l'impulsion RF, il va y avoir retour à l'état d'équilibre (stable) au cours duquel les phénomènes inverses vont avoir lieu, il y a progressivement transitions inverses du niveau E2 sur E1 : l'aimantation longitudinale repousse Mz ➔ Mz0. B. Courbe exponentielle de repousse l'aimantation longitudinale Mz en fonction du T1. Le T1 est caractéristique d'un tissu donné, il correspond à 63 % de repousse. En 2 T1 la repousse est de 87 %, en 3 T1 la repousse est presque totale : 95 % (en 4 T1 repousse = 98 %). Longitudinale (T1) Transversale (T2) Figure 7. Illustration des deux “types” d'aimantation tissulaire : l'aimantation longitudinale Mz parallèle à Bo (concerne le T1) et l'aimantation transversale Mxy perpendiculaire à Bo (concerne le T2), dont l'apparition et la disparition font intervenir des mécanismes bien distincts, respectivement : transitions des protons entre les niveaux d'E1 : parallèles ➔ E2 : antiparallèles (et inversement), et mise en phase (et déphasage) des spins. 222 D’une part, les spins qui s’étaient inversés retournent à leur état de spins parallèles sur le niveau de basse énergie. Cela conduit à une repousse de l’aimantation longitudinale : c’est la relaxation transversale. Le temps nécessaire à la récupération des deux tiers de l’aimantation longitudinale est le T1 (figure 8). D’autre part, les spins qui avaient été mis en phase pendant l’impulsion de radiofréquence vont se déphaser. La composante transversale va alors disparaître rapidement : c’est la relaxation La Lettre du Neurologue - n° 4 - vol. IV - septembre 2000 B A (Mxym) 100 % Mxy 37 % 13 % Déphasage des spins Décroissance en T2* ➛ Mxy 5% ➛ T2 2T2 3T2 temps Mxy = 0 Figure 9. A. L'excitation par l'impulsion RF DE 90° a pour conséquence par rephasage des spins, de faire apparaître une composante transversale (Mxy). Dès l'arrêt de l'impulsion RF, il va y avoir un rapide déphasage des protons : l'aimantation transversale décroît (Mxy ➔ 0). B. Courbe exponentielle de disparition de l'aimantation transversale en fonction du T2 : le T2 caractéristique d'un tissu donné correspond à 63 % de décroissance (il persiste 37 % de l'aimantation transversale Mxy). En 2 T2 la disparition est de 87 %, en 3 T2 la disparition est presque totale : 95 %, Mxy = 5 % (4T2 disparition = 98 %, Mxy = 2 %). transversale. Le temps nécessaire à la disparition des deux tiers de l’aimantation transversale est appelé T2 (figure 9). Issus de phénomènes distincts, l’un concernant l’aimantation longitudinale, l’autre concernant l’aimantation transversale, T1 et T2 sont indépendants. T1 est toujours supérieur à T2 (environ dix fois). L’analyse (mesure) de la relaxation T1 et T2 conduira à la formation d’image exprimant respectivement les propriétés T1 et T2 des protons. Pour mesurer la valeur de T1 et T2, il faut accéder à la mesure des vecteurs d’aimantation longitudinale et transversale. Cela se fait à l’aide d’antennes qui vont transformer l’aimantation tissulaire (en rotation) en signal électrique (comme le fait une dynamo). Seul le déphasage de l’aimantation transversale est mesurable La Lettre du Neurologue - n° 4 - vol. IV - septembre 2000 directement, la repousse de l’aimantation longitudinale, parallèle au champ principal, n’est accessible qu’indirectement (en la “rebasculant” à 90° et en la mesurant immédiatement !). ■ POUR EN SAVOIR PLUS ➞ B. Kastler et al. Comprendre l’IRM. Edition Masson, Collection Imagerie médicale, 1994, 1997 et 2000. e-mail : [email protected] ➞ Films vidéo IRM : Du proton à l’image ; Histoire de proton ; Le signal ; L’accès au signal ; Le contraste. B. Kastler, B. Favreau. Université Technique de Compiègne, 1995. e.mail : [email protected] 223