L`infixe nasal et ses valeurs aspectuelles en latin (III)

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東洋大学人間科学総合研究所紀要 第7号(2007)
83-109
L’infixe nasal et ses valeurs aspectuelles en latin (III)
MORITA Shin’ya *
Résumé
5.3
Verbes forts en vieil anglais dont la nasale appartient à la racine
5.4
Notions des racines indo-européennes dont la formation du radical présent est à nasale infixée.
5.5
Schéma des notions de la formation à infixe nasal dans la racine (le type CV+N+C-)
6.
Valeurs aspectuelles de l’infixe nasal
6.1
Qu’est-ce que l’aspect ?
6.2
Définition du terme “aspect”
6.2.1
Analyse de Vendler (1967)
6.2.2
Analyse de Smith (1991)
6.3
Système verbal en indo-européen
6.3.1
Aspect lexical inhérent à une racine
6.3.2
Thèmes indo-européens : élément aspectuel plutôt que temporel
6.3.3
Valeurs de l’infixe nasal en d’autres langues indo-européennes
6.4
Aspect en latin
6.5
Analyse de tous les verbes à infixe nasal du point de vue aspectuel
6.6
Comparaison entre un verbe à infixe nasal et celui sans infixe nasal
6.6.1
Thème verbal - - en face de thème verbal -e-
6.6.1.1 -Cub et -cumb
6.6.1.2 Jug et jung
* A professor in the Faculty of Economics, and member of the Institute of Human Sciences at Toyo University
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6.6.1.3 -Stig et -sting
6.6.1.4 Pac , pac scor, p c et pang
6.6.1.5 Pugn et pung
6.6.2
Thème verbal - - en face de -e-
6.6.2.1 L quor, lique et linqu
6.6.2.2 Pate et pand
6.6.2.3 M ce et mung
(À suivre)
Mots-clés: vieil anglais, verbe fort, nasale, aspect, latin, indo-européen, theme verbal, Vendler, Smith
5.3 Verbes forts en vieil anglais dont la nasale appartient à la racine
Il y a un groupe des verbes forts en vieil anglais dont la formation est CV+N+C-. Ils font partie de la
troisième conjugaison des sept classes de verbes forts en vieil anglais. On trouve, dans Bosworth-Toller (1898,
1980), An Anglo-Saxon Dictionary, les verbes à nasal qui en font partie comme suit :
vieil anglais
ce qu’il signifie en anglais/français
beginnan
“begin” « commencer »
bindan
“bind” « lier »
clingan
“shrink” « (faire) rétrécir »
cinnan
“give birth to” « accoucher »
climban
“climb” « grimper, monter »
crimman
“insert” « insérer »
crincan
“fall” « tomber »
( )cwincan
“vanish” « disparaître »
drincan
“drink” « boire »
findan
“find” « trouver »
gelimpan
“happen” « arriver »
grimman
“rage” « se mettre en furie »
grindan
“grind” « moudre, broyer, écraser »
hlimman
“resound” « retentir »
hrimpan
“twist” « tourner, torsader »
Morita : L’infixe nasal et ses valeurs aspectuelles en latin (III)
hrindan
“push” « pousser »
linnan
“cease from” « cesser de »
rinnan
“run” « courir »
scrimman
“shrink” « (faire) rétrécir »
scrincan
“shrink” « (faire) rétrécir »
sincan
“sink” « couler, (se) plonger, enfoncer »
singan
“sing” « chanter »
sinnan
“meditate” « méditer »
slincan
“creep” « ramper »
slingan
“twist, creep” « se glisser »
spinnan
“spin” « tourner, filer »
springan
“spring” « sauter, naître de, sortir de »
stincan
“stink” « puer »
stingan
“sting” « piquer »
swimman
“swim” « nager, traverser à la nage »
swincan
“labour” « travailler, peiner »
swindan
“vanish, consume” « disparaître, consommer »
swingan
“swing” « se balancer »
indan
“swell” « (se) gonfler »
ringan
“press” « appuyer sur »
rintan
“swell” « (se) gonfler »
windan
“wind, turn” « enrouler, tourner »
winnan
“fight” « lutter, combattre »
wringan
“wring” « tordre, essorer, presser, serrer »
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Parmi les verbes ci-dessus, le vieil anglais bindan provient de *bhendh- « lier », qui donne le latin offendix
« nœud » et le sanskrit bandh- « lier », mais duquel aucun verbe ne dérive en latin. En latin, c’est vinci qui
signifie « lier ». Comme on l’a vu dans le 3.4, nous avons considéré dans cette étude que la nasale de vinci
n’est pas l’infixe. Mais, à tort ou à raison, soit à infixe nasal, soit à suffixe nasal, vinci est à nasale. De même,
*bhendh- « lier » comprend la nasale dans sa racine, dans laquelle elle s’est ancrée au niveau de l’indoeuropéen. Certes, ce n’est qu’une simple coïncidence, mais, le fait de formuler l’hypothèse que, bien avant
l’époque préhistorique, la notion de « lier » et la nasale se rattachaient l’une à l’autre quelque part de manière
subconsciente et que c’est ainsi que la nasale est apparue comme une sorte de “représentation” jouant le rôle
d’une “colle” pour lier, est-il trop chimérique ? Bien sûr, le latin vinci n’est pas apparenté au sanskrit bandh-
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et au vieil anglais bindan, mais cette hypothèse est-elle trop extravagante ?
D’autre part, le vieil anglais grindan « moudre » est apparenté au latin frendere « frotter, broyer ». En
outre, Buck (1988 : 362) constate que, pour le processus plus ancien de broyer et d’écraser, il y a un groupe de
mots apparentés : le latin p ns
et le sanskrit pis- « broyer ». Les premiers proviennent de la racine indo-
européenne *ghrendh- « broyer », où la nasale s’ancre dans la racine, tandis que les derniers proviennent de la
racine indo-européenne *peis- « broyer », où la nasale s’insère dans la racine pour la formation du radical
présent. Ces deux groupes ne sont pas apparentés, néanmoins il semble que l’idée de « broyer » et la nasale se
lient l’un à l’autre quelque part sous l’idée subconsciente. Est-ce que également trop chimérique quand même ?
N’est-ce qu’une simple coïncidence ?
Enfin, le vieil anglais winnan « combattre », dont l’aboutissement est l’anglais win « gagner », provient de
la racine indo-européenne *wen- « désirer, rechercher », tandis que le latin vincere « vaincre » provient de la
racine indo-européenne *weik- « combattre » duquel sont issus le gotique weihan « combattre », le vieil anglais
w gan, l’ancien haut allemand ubar-wehan « vaincre », et le français vaincre. Ainsi, tous les mots se rattachent
à la racine dont le sens général est « combattre ». Parmi eux, le gotique ga-weihan, où le préfixe ga- qui est
apparenté au latin cum, au préverbe latin con-, et à la particule allemande ge-, signifie « vaincre » comme le
latin vincere. Wright (1910 :180-1) constate que le gotique ga-, qui est ajouté à des verbes comme préverbe,
leur donne une valeur perfective. Par exemple, le gotique bindan s’emploie d’ordinaire avec ce préverbe ga-, de
même que taíran ne s’emploie qu’avec les préverbes ga- ou dis- comme ga-taíran ou dis-taíran signifiant
« déchirer en morceaux ». De même que le latin jung est nuancé d’une valeur déterminée, le gotique bindan
est ainsi nuancé par le préverbe ga-. Malgré leurs racines différentes, tous les deux sont parallèles l’un à l’autre
du point de vue du comportement sémantique. Ce phénomène tient à ce que l’idée de « unir » implique le
télique essentiellement potentiel parce que l’événement se compose de l’action visant à unir et de l’état d’être
uni. En d’autres termes, il tient au caractère inhérent à la racine. En allemand, c’est gewinnen qui signifie
« vaincre » en face de l’allemand kämpfen « combattre ». En anglais, d’après Oxford English Dictionary (second
edition, CD-ROM Version 2.0, 1999, Oxford University Press) :
1. intr. To work, labour (OE.); to strive, contend, fight.
Beowulf 506 Eart u se Beorulf, se e wi Brecan wunne? c888 Ælfred Boeth. xxxv. §4 Nis nan esceaft
e tiohhie æt hio scyle winnan wi hire scippendes willan. c900 tr. Baeda’s Hist. iv. iii. (1890) 264 He y ma
mid his hond um wonn & worhte a ing, e nyd earfleco wæron. a1000 in Wr.-Wülcker 202/41 Pugnaui, ic
wan. a1122 O. E. Chron. (Land MS) an. 685 Her ongan Ceadwala winnan æfter rice. c1200 Ormin 3488 Forr
att menn sholldennÏ winnenn swa to cumenn upp till heofennrichess blisse. c1200 Trin. Coll. Hom. 51
Ierusalem and babilonie be two burzes, and flite eure, and winne bitwinen hem. Ibid. 187 IobÏwan wi
e
Morita : L’infixe nasal et ses valeurs aspectuelles en latin (III)
urse. c1220 Bestiary 521 Til it cume
e time
at storm stire al e se,
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anne sumer and winter winnen.
2. trans. To conquer, subdue, overcome, defeat, vanquish, ‘beat’.
1297 R. Glouc. (Roll) 136 Alle es kinges were o, ac bote on nov er nis; Vor e king of westsex alle
e o ere wan iwis. a1300 Cursor M. 14832 He has vs wonnen [c1375 Fairf. MS. wonnin] wit maistri. 13Ï Guy
Warw. (A.) 889 Wel mani kniztes Gij wan at day. 1375 Barbour Bruce xii. 47 He thoucht that he suld weill
lichtly Vyn him, and haf hym at his will. c1375 Sc. Leg. Saints vii. (Facobus Minor) 752 Quhene
at tytus
Ierusalem had wonone. c1400 Ragman Roll 168 in Hazl. E. P. P. I. 76 Or that ye be conqueryd and e-wonne.
c1420 Avow. Arth. xxii, Thus hase he wonum Kay on werre. c1470 Gol. & Gaw. 1198 Wourschipful Wavane
had wonnin him on weir. 1470-85 Malory Arthur vii. xxiii. 250 He wanne me in playne bataille hande for hand.
1513 Life Hen. V. (1911) 108 He deliberated by proces of time to wynn them by hunger and thirst. 1535 Stewart
Cron. Scot. (Rolls) I. 84 How that ReutharÏfa ucht with CecelusÏand wan him. 1577 T. Kendall Flowers Epigr.
38b, Here sensuall pleasure doeth assault to winne me by her might. 1610 Hywood Gold. Age vi. i, Creet thou
hast wonne My thirty thousand Souldiers, and my Son ne. fig. 1567 J. maples Gr. Forest 1 Byt whiles it [sc. the
adamant] is innincible or cna not be woonne that way [sc. by fire]: yetÏwith theÏfreshe bloud of the Goate, it
beakethÏin sunder. 1575 A.F. Virg. Bucol. vii. 22 Phillis loues the Hazils well, ÏThe Myrtle shall them neuer
wynne, nor Phoebus Bay trees tall.
On notera que l’anglais win, signifiant « vaincre » est attesté pour la premiére fois en 1297. Auparavant, ce
sont les formes à préverbe telles que a-win, i-win (< ge-win), et over-win signifiant « vaincre ». L’anglais win
est à over-win ce que l’ancien haut allemand wehan est à ubar-wehan. Ils ne sont pas apparentés, mais leur
forme interne linguistique est la même. De même, la racine *weik- « combattre » est au latin vincere ce que
l’ancien haut allemand wehan est à ubar-wehan. Leur différence réside dans leur aspect. Nous nous proposons
donc d’aborder ce problème dans le chapitre suivant. Le vieil anglais winnan et le latin vincere ne sont pas
apparentés, mais tous les deux sont à nasale. Comme on l’a dit plus haut, il semble que l’idée de « combattre »
et la nasale se rattachent l’une à l’autre quelque part de manière subconsciente.
5.4 Idées et notions des racines indo-européennes dont la formation du radical présent
est à nasale infixée
Nous nous proposons d’examiner les racines indo-européennes dont la formation du radical présent est à
infixe nasal et de les ranger en fonction de leurs idées et notions, en consultant Pokorny (1989)
Indogermanisches etymologisches Wörterbuch et Watkins (1985) The American Heritage Dictionary of Indo-
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European Roots. Certes, Pokorny (1989) donne beaucoup de mots dérivés de façon plus détaillée et
apparemment, il est très pratique, mais il propose des étymologies hasardeuses dans certains cas. Donc, pour
plus de sûreté, il est nécessaire de vérifier si l’étymologie de chaque racine et des mots dérivés est correcte en
consultant Watkins (1985).
L’idée de « contact » :
*keu- « plier » d’où la forme à élargissement -b- *keu-b- : in Anwendung auf Biegungen am Körper, sich im
Gelenk biegen (Pokorny, p.590) « se courber » ; le latin -cumbere « se coucher » tenant à l’idée de la
racine *keu-b- « être allongé de tout de son long »
*tag- : berühren, angreifen (Pokorny, p.1054) « toucher, attaquer » ; le latin tangere
*dheigh- : Lehm kneten > mauern, bestreichen (Pokorny, p.244) « malaxer/pétrir de la terre glaise, maçonner,
enduire/tartiner » ; le latin fingere
*peig- : färben (Pokorny, p.794) « peindre/teindre » et «broder» ; le latin pingere
*pis- : zerstampfen, zermalmen (Pokorny, p.796) « piler, broyer, fracasser » ; le latin p nsere
*streig- : abstreifen, streichen, berühren (Pokorny, p.1028) « enlever, caresser, frotter » ; le latin stringere
« étreindre, presser » ; d’autre part *streig- : steif, straff (Pokorny, p.1036) « serré » d’où straff
anziehen, zusammenziehen, schnüren « tendre fortement, rassembler, lier/serrer avec un cordon »; le
latin strtingere « serrer »
*jeug- : verbinden (Pokorny, p.509) « unir, lier » ; le latin jungere
*lab- : schlürfend, schnalzend, schmatzend (Pokorny, p.651) « lécher » ; le latin lambere
*(s)leigh- : lecken (Pokorny, p.668) « lécher » ; le latin lingere
*ghend- : fassen, anfassen, ergreifen (Pokorny, p.437) « prendre, saisir » ; le latin prehendere
L’idée de « briser, frapper, rompre » :
*bheid- : spalten (Pokorny, p.116) « fendre » ; le latin findere
Morita : L’infixe nasal et ses valeurs aspectuelles en latin (III)
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*bhreg- : brechen, krachen (Pokorny, p.165) « briser, casser, rompre » ; le latin frangere
*reu- : aufreiβen, graben, aufwühlen, ausreiβen (Pokorny, p.868) « ouvrir, creuser, fouiller, arracher » d’où la
forme à élargissement -p-, *reu-p- : ausreiβen, zerreiβen, brechen (Pokorny, p.870) ; « arracher,
déchirer, casser, rompre, briser » ; le latin rumpere
* skei- : schneiden, trennen, scheiden (Pokorny, p.919) « couper, séparer, séparer » d’où la forme à
élargissement -d-, *skei-d- : schlitzen, zerreiβen, spalten (Pokorny, p.920) « fendre (ouvrir), casser,
fendre » ; le latin scindere
*pl g- : schlagen (Pokorny, p.832) « frapper » ; le latin plangere
L’idée de « piquer » :
*peug- : stechen (Pokorny, p.828) « piquer, percer » ; le latin pungere
* (s)teig- : stechen, spitz (Pokorny, p.1016) « piquer, pointu » ; le latin stingu
« éteindre » < vom
Auseinanderstochern der brennenden Scheite. Le sens du mot tient à l’action de « remuer les
bûches qui brûlent en les piquant afin d’éteindre le feu », d’où le latin stinguere signifie
« éteindre ». Il n’y a pas de parenté étymologique entre disting(u) et extingu ; mais la langue
les a rapprochés ; « piquer » et « brûler » sont des mots de sens voisins (cf. all. ersticken
« éteindre » et erstecken « plonger, piquer »). (Ernout et Meillet, p.649)
L’idée de «verser» :
*gheu- : gieβen, (Pokorny, pp.447-8) « verser, arroser », d’où « renverser, répandre » ; le latin fundere
*meigh- : harnen (Pokorny, p.713) « uriner » ; le latin mingere
L’idée de « évacuation » :
*leik- : lassen, übriglassen, zurücklassen (Pokorny, p.669) « laisser » ; le latin linquere
*meigh- : harnen (Pokorny, p.713) « uriner » ; le latin mingere
*meug- : schlüpfen, schlüpfrig, schleimig (Pokorny, p.744) « mouillé, visqueux » ; d’après Ernout et Meillet
(2001 : 421) en latin, plus ancien est le composé -mungere « moucher » et dans la langue argotique
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東洋大学人間科学総合研究所紀要 第7号
« dépouiller, nettoyer »
L’idée de « étendre » :
*pet - : ausbreiten (Pokorny, p.824) « étendre/étaler » ; le latin pandere
Les autres :
*weik- : energisch, feindselig Kraftäuβerung (Pokorny, p.1128) « énergique, hostile » d’où « combattre » ; le
latin vincere
* pag- : festmache (Pokorny, p.787) « fixer, attacher » ; le latin pangere : befestigen, einschlagen,
aneinanderfügen, schriftlich verfassen, festsetzen (Pokorny, p.788) « attacher, enfoncer, joindre, écrire,
arréter » (il y a un point commun entre l’idée de « empêcher » et celle de « bloquer en enfonçant les
pieux.)
Les idées des racines indo-européennes mentionnées ci-dessus se divisent, en gros, en trois groupes :
« contact », « frapper, briser, couper », et « piquer ». Ces idées sont intimement liées à la nasale de manière
subconsciente. En dehors, la racine *leikw- « laisser », qui donne beaucoup de mots dérivés, est notable. Le
français éclipse et ellipse proviennent étymologiquement de cette racine qui dénote, à l’origine, de la notion de
« évacuation ». Ernout et Meillet (2001 : 361) constate qu’en latin, linqu
« laisser » est lui-même rarement
usité, si ce n’est en ancien et classique et que sa forme usuelle est un composé où l’aspect déterminé est
souligné par un préverbe, comme relinqu « laisser en arrière ». D’abord, la racine est soulignée par la nasale
infixée pour exprimer l’aspect déterminé, mais avec le temps, la valeur aspectuelle de la nasale s’affaiblit.
Enfin, le verbe a recours à la préverbation pour maintenir sa valeur aspectuelle. En d’autres termes, l’idée de
cette racine possède une nuance inhérente d’aspect déterminé. Il y a une sorte d’affinité combinatoire entre la
racine et la nasale.
Par opposition à linqu , liqu « clarifier, filtrer, liquéfier », l quor « s’écouler, couler », et lique « être
claire, limpide » sont des formes verbales dérivées sans nasale de même racine. D’après Ernout et Meillet (2001
: 362), le rapprochement avec le persan r xtan « verser » est notable pour le sens parce que ce mot persan est
inséparable de l’avestique ra
ayeiti « il laisse » et qu’il en résulte que lique serait un verbe d’état appartenant
à la racine de linqu . L’idée de « laisser » inclut « abandonner » et « s’en aller » avec sa valeur d’aspect
déterminé à cause de la nasale, tandis que l quor signifie « s’écouler, couler » sans préciser ni le début ni la fin
de l’événement. En outre, le sens de l quor a un point commun avec l’idée de « verser » de la racine *gheud’où provient le latin fund « verser ». En dehors de cela, la racine *wed- « eau, mouillé » fournit, avec infixe
nasal, le verbe sanskrit u-na-t-ti « il mouille » et le substantif latin unda « eau agitée, vague ». La même racine
Morita : L’infixe nasal et ses valeurs aspectuelles en latin (III)
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fournit l’anglais winter « hiver » qui provient du germanique *wintruz « saison mouillée ». L’hiver doit avoir
été misérable, froid, et humide au cours de la plus haute antiquité dans la région où la langue proto-germanique
se parlait. Ainsi, en outre les trois groupes : « contact », « frapper, briser, couper », et « piquer », ce sont les
groupes de : l’idée de « verser » et de l’« eau » et l’idée de « évacuation » qui comptent ici. Il y a donc cinq
groupes principaux. Cela nous apparaît comme s’il y avait eu une sorte de réseau sémantique spécial des racines
et des infixes nasaux en indo-européen.
5.5 Schéma de l’idée de la racine dont la formation du radical présent (le type CV+N+C-)
accompagne l’infixe nasal
Voir l’annexe à la fin.
6. Valeurs aspectuelles de l’infixe nasal
Nous nous efforcerons d’examiner la valeur de l’infixe nasal dans ce chapitre. Comme on l’a déjà vu dans
le chapitre 3, l’infixe nasal se définit comme suit :
On appelle un infixe l’affixe qui s’insère à l’intérieur d’un mot pour modifier le sens ; ainsi, en latin,
l’infixe nasal n s’insère parfois dans la racine du mot pour la constitution du verbe : la racine *fragavec un infixe n devient frang
« je brise », la racine *jug- avec un infixe n devient jung
« je lie ».
(Dictionnaire de la linguistique, Larousse 2001, p. 247)
D’après la définition susdite, la valeur de l’infixe nasal est de modifier le sens en s’insérant la nasale dans la
racine. Voyons comment l’infixation modifie le sens. Par exemple, l’opposition entre accub re « être assis » et
accumbere « s’asseoir » présente une valeur aspectuelle en latin. Ainsi, nous nous proposons d’abord
d’examiner les valeurs aspectuelles en indo-européen, et puis, en latin. Mais avant de s’y prendre, il convient de
vérifier ce que signifie le terme “aspect.”
6.1 Qu’est-ce que l’aspect ?
La notion d’aspect repère un procès non par référence au moment où se situe l’acte de parole, mais par une
sorte de référence interne au procès lui-même. On peut en effet décrire le procès comme étant sur le point de
s’accomplir, à son début, en cours, à terme, achevé, etc. Ces notions sont en français exprimées par des lexèmes
tels que se préparer à, se mettre à, commencer par, être en train de, finir de. À l’origine, l’opposition de la
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東洋大学人間科学総合研究所紀要 第7号
structure verbale entre les procès déterminé et indéterminé est nommée vid en russe, ce que l’on appelle en
français, au terme d’un calque, “aspect”.
6.2 Définition du terme “aspect”
Tout d’abord, il convient de distinguer l’aspect grammatical de l’aspect lexical. L’aspect grammatical
consiste en l’opposition de l’accompli et de l’inaccompli. La terminologie usuelle est flottante. Ce qui s’appelle
aspect accompli est quelquefois l’aspect perfectif en face de l’aspect imperfectif. Autrement, il s’appelle aspect
achevé, ou bien déterminé, en contraste avec l’aspect inachevé ou bien indéterminé. On notera l’opposition
entre le perfectum et l’infectum en latin.
Smith (1991) propose une théorie de l’aspect fondée sur la nature composite de l’interprétation aspectuelle.
Il constate que l’aspect consiste en deux éléments : perspective temporelle et structure temporelle. La première
est la présentation des événements à travers les points de vue perfectif et imperfectif. L’autre se rapporte aux
propriétés temporelles des situations elles-mêmes. L’aspect grammatical se présente comme une variation
signifiante du verbe lié à un choix du locuteur et à ce titre subjectif. Que le verbe soit duratif (par exemple, le
français dormir) ou ponctuel (par exemple, le français éclater), le locuteur a le choix de présenter le procès dans
la perspective résultative dite de l’accompli (par exemple, le passé composé en français) ou du non accompli
(par exemple, le présent ou l’imparfait en français). C’est ainsi que l’aspect grammatical s’appelle également
l’aspect subjectif.
D’autre part, on appelle l’aspect lexical, mode d’action, mode de procès, ou encore Aktionsart en allemand.
Il s’agit de la façon dont le procès se déroule et dont il occupe le temps. On entend par Aktionsart le mode
d’action impliqué dans le lexème verbal indépendamment de ses réalisations grammaticales. Ainsi, le français
dormir exprime un procès impliquant une certaine durée, quel que soit le temps grammatical avec lequel il est
réalisé, et est appelé à ce titre duratif. Cet aspect lexical constitue donc une qualité sémantique invariante du
verbe. Il peut être appelé aspect objectif au sens où le locuteur n’a aucun moyen de le modifier.
Concernant le type du mode de procès, un nombre considérable de modes différents sont répertoriés. Ainsi,
on parle d’itératif lorsque le procès est vu comme une succession d’actions élémentaires identiques (par
exemple, le français sautiller, par opposition á sauter). Le mode est inchoatif, ingressif, ou inceptif si le procès
est donné comme le début d’un procès plus large qui l’englobe (par exemple, le français s’endormir), et
terminatif, si le procès constitue le dernier moment d’une action (par exemple, le français s’arrêter).
Particulièrement important pour ses conséquences syntaxiques est le mode résultatif, où le procès est décrit
comme dirigé vers une fin, et y aboutissant. C’est le cas, en latin, pour conficere « accomplir » en face de facere
« faire ». En allemand, le préfixe er- produit souvent cette nuance : steigen « monter » par opposition à
ersteigen « escalader jusqu’au sommet ». En français, aller à, boire un verre, et traverser une rivière, sont
Morita : L’infixe nasal et ses valeurs aspectuelles en latin (III)
93
résultatifs, et non pas aller vers, boire à un verre, et nager en direction de la rive. Selon que le verbe soit
résultatif ou non, le complément indiquant la durée de l’action est introduit par des prépositions différentes en
français : « Il est allé à Paris en une heure », et « Il est allé vers Paris pendant une heure ».
6.2.1 Analyse de Vendler (1967)
Vendler a proposé une classification générale des verbes, devenue classique, dans laquelle chaque catégorie
correspond à un mode de procès, et posséderait des propriétés syntaxiques et sémantiques particulières. D’après
Vendler (1967), les verbes se rangent en quatre catégories :
(1) Les verbes d’état (désirer, aimer) qui n’admettent pas, en anglais, le progressif.
(2) Les verbes d’activité (courir, nager) qui l’admettent et peuvent de plus, comme ceux de (1), être
accompagnés d’une indication de durée du type pendant une heure ou de tel moment à tel moment : ils
ne sont donc résultatifs.
(3) Les verbes d’achèvement (partir, mourir, trouver) qui désignent un procès instantané et ne sauraient
donc être complétés par une quelconque indication de durée.
(4) Les verbes d’accomplissement (appelés plus haut résultatifs) qui indiquent, comme ceux de (2), un
procès ayant une durée, mais qui, en français, serait introduite par en et non par pendant.
Sémantiquement, (4) s’oppose à (2) par le fait que le procès n’est pas homogène, en ce sens que ses
parties n’ont pas la propriété de désigner le tout : si j’ai mis une heure pour aller à Paris, je ne suis pas,
pendant le premier quart d’heure, allé à Paris (mais seulement vers Paris) ; en revanche, si j’ai couru
pendant une heure, ce que j’ai fait pendant le premier quart d’heure, c’est également courir. Du fait de
cette absence d’homogénéité, les verbes de (4) sont à ceux de (2) ce qu’un nom massif comme beurre
est à un nom comptable comme chien : un morceau de beurre est du beurre, mais une patte de chien
n’est pas un chien.
6.2.2 Analyse de Smith (1991)
Smith analyse la valeur aspectuelle d’une phrase comme résultant de l’interaction de deux facteurs
principaux : le type de situation et le point de vue. Le point de vue concerne l’opposition entre perfectif et
imperfectif : alors que l’imperfectif focalise l’attention sur les étapes internes du procès, le point de vue perfectif
en inclut les bornes.
Concernant les types de situations, Smith (1991) propose un système en trois paramètres, dont l’interaction
des valeurs (positives ou négatives) fournit la description stéréotypique des cinq situations principales :
94
東洋大学人間科学総合研究所紀要 第7号
Statique
Duratif
Télique
État
+
+
-
Activité
-
+
-
Accomplissement
-
+
+
Sémelfactif
-
-
-
Achèvement
-
-
+
État : connaître la réponse, aimer Jean, etc.
[- dynamique, + duratif, - télique]
Activité : rire, marcher dans le parc, etc.
[+ dynamique, + duratif, - télique]
Accomplissement : bâtir une maison, apprendre le français, etc.
[+ dynamique, + duratif, + télique]
Sémelfactif : tousser, cogner, etc.
[+ dynamique, - duratif, - télique]
Achèvement : gagner la course, atteindre le sommet, etc.
[+ dynamique, - duratif, + télique]
Le trait statique, propre aux états, renvoie à une situation sans étapes internes, constituée d’une période qui
comprend des moments indifférenciés. Le trait duratif renvoie aux procès ou aux états comportant une certaine
durée. Les procès duratifs comportent des étapes internes, et s’opposent ainsi aux procès instantanés qui n’en
possèdent pas. Enfin, le trait télique caractérise les procès ayant un point final naturel. Ces procès débouchent
sur un état résultant affectant généralement l’objet du procès. On remarquera que la classification de Smith
s’appuie sur celle de Vendler (1967), à laquelle a été ajoutée la classe des sémelfactifs.
Le mode d’action se réfère à la structure temporelle interne à l’événement que le syntagme verbal dénote.
Le mode d’action du syntagme verbal résulte d’un calcul fait à partir des traits du mode d’action [+/- étendu,
+/- borné] inhérents à ses constituants. Ces traits se combinent pour éviter les différents types d’événements. Par
exemple, l’événement « boire de l’eau » est une « activité » [+ étendu, - borné], tandis que « boire un verre
d’eau » est un « accomplissement » [+ étendu, + borné]. Le complément d’objet, qui est [+ étendu, - borné] dans
le premier cas et [+ étendu, + borné] dans le second cas, contribue à définir le mode d’action du syntagme
verbal dans son ensemble.
Le point de vue (perfectif/imperfectif) présente les événements de façon à donner (i) une vue globale (le
perfectif) ou (ii) une vue partielle (l’imperfectif) de la situation. Les deux composantes aspectuelles sont
interactives : le point de vue focalise une partie de la situation. Le perfectif inclut les deux points qui délimitent
une situation (début et fin). L’imperfectif focalise les étapes (secteurs temporels internes) à l’exclusion du début
et de la fin. En conséquence, l’accomplissement peindre un plafond focalisé par le perfectif ou par l’imperfectif
sera schématiquement illustré comme suit :
Morita : L’infixe nasal et ses valeurs aspectuelles en latin (III)
Type de situation
Schéma temporel
peindre un plafond
I...................F
Perfectif
peignit un plafond
////////////////////////
Imperfectif
peignait un plafond
//////
Accomplissement
95
Point de vue
Dans le schéma ci-dessus, dont la notion est reprise de Smith (1991), « I » représente la borne initiale, « F »
la borne finale, et les points «...........» les étapes de l’événement. Les barres obliques indiquent la partie de
l’événement focalisée par le point de vue aspectuel. Seule la partie focalisée est visible pour l’interprétation. Le
perfectif est fermé, c’est-à-dire qu’il présente la situation comme complète et englobant les deux bornes I et F.
L’imperfectif est ouvert, c’est-à-dire qu’il présente la situation comme incomplète sans inclure ni le point I ni le
point F.
6.3 Système verbal en indo-européen
D’après Monteil (1974 : 266), l’indo-européen n’accordait à l’expression du temps qu’une place très exiguë
et sans doute était-il plus loisible de repérer chronologiquement un procès grâce à des adverbes temporels
signifiant « maintenant », « avant », « après », « hier », « demain », etc. Ainsi, la notion d’aspect jouait un rôle
éminent dans l’organisation structuelle du verbe indo-européen.
En outre, Meillet (1964 :195) constate que, pour se faire une idée du système verbal indo-européen, il faut
oublier la « conjugaison », telle qu’elle apparaît en latin, en grec, etc. Seules les formations homériques et
védiques ou avestiques laissent transparaître les traits essentiels de ce système. Par exemple, une racine donnée
s’avére incompatible avec l’expression d’un même procès sous tous ses aspects. C’est ainsi que la racine *bher« porter », de valeur uniquement durative, est susceptible de produire un présent, mais non un aoriste, ou un
parfait. De cette situation découle la nécessité de recourir, pour présenter un même procès sous ces différents
aspects, à un lot de racines différentes. Ce phénomène est connu sous le nom de “supplétisme” comme tul en
face de fer et fu en face de sum en latin. Donc, nous nous efforcerons d’examiner l’aspect inhérent à la racine
et le système verbal en indo-européen.
6.3.1 Aspect lexical inhérent à une racine
Le mode d’action d’une racine lexicale est inséparable de son contenu descriptif. Le verbe lire, par
exemple, ne peut avoir qu’un mode d’action [+ étendu] puisqu’il inclut dans sa dénotation tous les gestes
96
東洋大学人間科学総合研究所紀要 第7号
physiques séquentiels qu’implique l’acte de la lecture. Ainsi, le mode d’action est basé sur les traits sémantiques
inhérents aux racines lexicales. Donc, le calcul du mode d’action est uniforme d’une langue à l’autre pour des
prédicats équivalents. La phrase française « Jean a lu un livre » décrit le même « accomplissement » [+ étendu,
+ borné] que la phrase anglaise « John read a book ».
Par contre, l’aspect n’est pas un trait inhérent à la racine d’un item lexical, mais un trait grammatical
indépendant de la racine. Le mode d’action caractérise toutes les racines lexicales de la langue, tandis que
l’aspect est porté uniquement par les verbes.
L’aspect, en indo-européen, dépend de la flexion. À tout thème du présent s’oppose un thème d’aoriste
exprimant le même procès sans considération de sa durée. Mais certaines racines fournissent un thème d’aoriste
sans que ne s’oppère d’addition d’affixes, par exemple *steH2- « se tenir debout » devenant l’aoriste *steH2-t
« il se met debout », tandis que d’autres fournissent dans ces mêmes conditions un thème du présent, *es« être » devenant *es-ti « il est ». Haudry (1994 : 75) constate que cette observation conduit à considérer
l’aspect comme une catégorie initialement inhérente à la racine, comme le genre l’est aux substantifs.
Il n’y a distinction morphologique qu’entre l’imparfait à radical présent et l’aoriste sigmatique en indoeuropéen ; la distinction entre le présent et l’aoriste sans sigma dépend donc de la signification inhérente à la
racine verbale. En d’autres termes, l’aspect perfectif, qui présente la situation comme complète en englobant le
début et la fin d’un événement, n’est essentiellement possible qu’au passé ou au futur, tandis que le présent
dénote une action durative ou un état, présentant la situation comme incomplète. Par conséquent, selon le sens
inhérent à la racine verbale, dans les cas où la signification de la racine à l’origine impliquerait l’aspect perfectif
non marqué, seul l’aoriste se présente, tandis que, dans les cas d’aspect imperfectif non marqué, uniquement le
présent se forme. Donc, *st(h) - donne le sanskrit aoriste asth m et le grec aoriste
στην. Pour indiquer le
présent, c’est à redoublement que l’on obtient le sanskrit tísth mi et le grec íστηµι. En grec l’aoriste radical
athématique sans sigma στην est un ’fossile vivant’ de cet élément indo-européen. D’autre part, dans les cas
d’aspect marqué, au lieu de la racine *es- « être », la racine différente donne respectivement le sanskrit aoriste
*bh - > abh t et le grec aoriste γεν- > εγ νετο « il fut » selon le supplétisme.
En latin, le perfectum est st t en face de sist
comme en face de st . L’opposition des deux types n’est
marquée qu’au présent. Il en va de même de s d et -cubu . Le latin sist est à st ce que le sanskrit ásth t « il
s’est mis debout » est à tasthima « je me suis mis debout » indiquant le résultat acquis. Pour indiquer un procès
arrivant à son terme défini, il a été constitué dans diverses langues des formes à nasale, toutes indépendantes les
unes des autres ; en germanique, le gotique standan « se mettre debout » au présent mais le prétérit est st
.
On notera que l’imparfait asi-ñ-cam « je versais » s’oppose à l’aoriste asicam « je versa » en sanskrit et
l’imparfait λα-µ-β-αν-ον « je prenais » à l’aoriste -λαβ-ον « je pris » en grec. Dans ce cas, l’infixe nasal
joue le rôle d’un morphème aspectuel. En indo-européen, la racine *st(h) - « se tenir debout » fournissait plus
essentiellement l’aoriste (non marqué) que le présent (marqué). Elle implique la situation du point initial au
Morita : L’infixe nasal et ses valeurs aspectuelles en latin (III)
point final, et en conséquence, par suite du résultat de l’action sist
« se mettre debout », l’état st
97
« être
debout » se présente. Donc, le parfait st t implique presque le même sens que le présent st en latin. Le latin
sist présente l’aspect lexical comme « accomplissement ». De même, le sanskrit asi-ñ-cam, qui est imparfait,
présente l’aspect lexical comme « accomplissement » sous l’effet de l’infixe nasal. Le sanskrit asi-ñ-cam est
analysé comme suit :
l’aspect grammatical : temps [passé] + aspect [imperfectif] = imparfait
l’aspect lexical : l’infixe nasal servant à former un verbe de « accomplissement » [+ dynamique, + duratif,
+ borne]
De même que le sanskrit asi-ñ-cam, le grec λα-µ-β-αν-ον est analysé ci-dessous :
l’aspect grammatical : temps [passé] + aspect [imperfectif] = imparfait
l’aspect lexical : l’infixe nasal servant à former un verbe de « accomplissement » [+ dynamique, + duratif,
+ borne]
Ainsi, l’infixe nasal joue un rôle aspectuel, mais puisque ce phénomène a rapport à la signification inhérente à la
racine, comme on l’a vu dans le chapitre précédent, l’infixation ne se présente qu’avec des racines données.
De même que le grec
λα -µ-β -αν -ον , la racine indo-européenne *ghed-/*ghend- signifie « saisir,
prendre », comme nous l’avons vue dans le chapitre 1. La racine *ghend- comprend déjà la nasale infixée en
elle-même. C’est que cette racine présente essentiellement l’aspect perfectif non marqué. À la suite de l’action
de « saisir », l’état d’« obtenir » arrive par la force des choses. Donc, pour le latin praehendere, « saisir »
suggère simultanément et spontanément « obtenir ». C’est-à-dire que l’idée de la racine a tendance à nuancer le
verbe d’un aspect perfectif non marqué. C’est l’infixe nasal qui joue le rôle d’un morphème aspectuel.
6.3.2 Thèmes indo-européens : élément aspectuel plutôt que temporel
Meillet (1964 : 195-6) constate qu’en indo-européen, chacun des termes verbaux était indépendant et qu’à
la racine *leikw- « laisser, rester », par exemple, se rattachent les thèmes suivants indiqués par l’accord de deux
langues au moins :
1° un thème paroxyton thématique, à vocalisme *e de la racine, indiquant un procès qui se développe, * leikwe- :
le grec λε πειν, λε πω, « je laisse » et le gotique leihwa « je prête ».
2° un thème oxyton thématique, à vocalisme zéro de la racine, indiquant le procès pur et simple ou parvenant à
son terme, *leikw-é- : le grec λιπε ν, λιπε « il a laissé », le sanskrit aricat « il a laissé » et le vieux haut
allemand liwi « tu as prêté ».
3° un thème à nasale infixée, athématique en indo-iranien : le sanskrit rinákti « il laisse », riñcánti « ils
laissent », devenu thématique dans le latin linqu « je laisse » ; ce thème indique le passage du procès à la
réalisation.
98
東洋大学人間科学総合研究所紀要 第7号
4° un parfait (athématique) indiquant le procès accompli : le grec λ λοιπα, le sanskrit riréca « j’ai laissé ».
5° un thème de causatif à vocalisme radical *o et suffixe *-éye- (thématique) ou *-i- (athématique) *loikw-éye(*loikw-i-) : le sanskrit recáyati « il fait laisser », le vieux islandais leigia « louer » et le lituanien laikyti
« tenir » < « faire rester ».
Les thèmes indo-européens dits « temporels » n’expriment pas le temps : un thème de « présent » grec
indiquant le développement d’un procès ; un thème d’aoriste, le procès pur et simple ; un thème de parfait, le
procès accompli. À cet égard, le grec reflète l’état indo-européen à ceci près que les oppositions, et surtout celle
du présent et de l’aoriste, y sont particulièrement nettes et précises. Les thèmes du présent et de l’aoriste
n’indiquent pas des temps différents : un imparfait λειπον qui appartient au thème du présent n’est pas moins
un passé qu’un aoriste
λιπον . En grec, le thème du présent indique un procès considéré dans son
développement, et dans sa durée, tandis que le thème de l’aoriste indique le procès pur et simple : l’un peut être
symbolisé par une ligne, l’autre par un point.
Le thème, dit thème du « présent », est le même dans le grec λε πω et dans le grec
λειπον. Mais le
premier indique le temps présent tandis que le second le temps passé. Ainsi, la valeur des thèmes « temporels »
indo-européens est semblable à celle des « aspects » slaves, et non à celle des « temps » germaniques ou latins.
La valeur de l’aoriste est le procès aboutissant à un terme défini ou le procès pur et simple. En d’autres
termes, c’est abstraction faite de toute considération de durée. Meillet (1964 : 250) constate que, quoi qu’il en
soit, l’opposition du présent et de l’aoriste est sans doute celle des particularités des verbes indo-européens.
C’est-à-dire qu’il s’agit de variétés d’aspects comportant l’expression de la durée.
6.3.3 Valeurs de l’infixe nasal en d’autres langues indo-européennes
En ce qui concerne la valeur de l’infixe nasal en indo-européen, Meillet et Vendryes (1979 : 184) constate
que le type à nasale infixée paraît avoir eu en indo-européen comme caractère spécial de marquer le début du
procès. D’après Sihler (1995 : 499), l’infixe nasal servait à former des verbes transitifs à partir de verbes
fondamentalement intransitifs. À ce propos, Meillet (1964 : 215-6) constate que, en hittite, le type à nasale
infixée se caractérise par sa valeur causative en citant en exemple har-ni-k-zi « il détruit » et har-ni-k-anzi « ils
détruisent » qui proviennent du radical hark- « être détruit ». En grec, δ µνηµι « dompter » qui dérive de la
racine *dmnéH2- à infixe nasal est de valeur causative, tandis que la racine simple *demH2- sans infixe nasal
possède le sens de « être apprivoisé ». En outre, Chantaine (1961 : 222) constate que la valeur d’un morphème
nasal tel que -νω et - νω est d’exprimer l’aboutissement de l’action : λαγχ νω, et τυγχ νω signifient
« obtenir » ; µανθ νω signifie « apprendre ». Il en est de même pour ο δ νω qui souligne plus nettement
l’aboutissement de l’action que ο δ ω « être gonflé ». En latin, comme nous le verrons plus bas, sa valeur sert
Morita : L’infixe nasal et ses valeurs aspectuelles en latin (III)
99
principalement à former des verbes résultatifs en leur faisant revêtir une nuance de momentanéité et de
transitivité.
Ici, nous nous proposons de faire le bilan des valeurs de l’infixe nasal comme suit :
Il sert à :
1) indiquer le passage du procès à la réalisation (Meillet, 1964, p.196)
2) marquer le début du procès (Meillet et Vendryes, 1979, p.184)
3) former des verbes transitifs à partir de verbes intransitifs (Sihler, 1995, p.499)
4) exprimer l’aboutissement de l’action (Chantaine, 1961, p.222)
5) focaliser la réalisation d’un procès (Meillet, 1964, p.222)
Dès lors, on peut synthétiser la valeur possible de l’infixe nasal en indo-européen : (1) valeur aspectuelle
telle que cells inchoative, résultative, et perfective. (2) valeur de donner la transitivité.
6.4 Aspect en latin
En plus du temps et du mode, le verbe exprime l’aspect. Il indique où l’action et l’état du verbe sont du
point de vue de leur développement et s’ils sont en cours, ou bien à leur début, ou bien réalisés, etc.
L’expression de l’aspect est beaucoup moins poussée en latin que dans certaines langues telles que le grec, le
slave, etc. Néanmoins, la distinction de l’infectum et du perfectum en est une forme. D’autre part, il existe, hors
de la conjugaison, une opposition entre l’aspect indéterminé et l’aspect déterminé. Cette opposition rappelle
celle du présent et de l’aoriste. L’aspect indéterminé présente l’action se poursuivant sans limitation, tandis que
l’aspect déterminé présente l’action ou l’état pris en un point de leur développement tel que le commencement,
l’arrivée au terme, etc. L’opposition aspectuelle n’avait pas d’expression morphologique spéciale, puisque le
latin n’avait pas d’aoriste. Elle n’a pu se traduire qu’en dehors du système verbal au niveau de l’aspect lexical
ou par des moyens disparates. D’après Ernout et Thomas (2002 : 217), voici les moyens d’exprimer une nuance
de l’aspect :
1° des racines différentes pour un même verbe : fer
est d’aspect indéterminé, signifiant « je suis en train de
porter », mais à cause de cette valeur durative, le perfectum tul est emprunté à un verbe de caractère
déterminé : toll « je soulève ».
2° des formes alternantes d’une même racine : le redoublement ; sist
« je m’arrête » présentant l’action
aboutissant à son terme, en face de st « je me tiens debout » dénotant l’état qui dure, de même que sid (<
*sisd ) « je m’assieds » en face de sede « je suis assis ».
3° les présents à infixe nasal : -cumbere signifiant l’acte de « se coucher », en face de -cub re signifiant l’état
de « être couché ».
100
東洋大学人間科学総合研究所紀要 第7号
4° l’emploi des préverbes : servant à une détermination qui limite la notion exprimée par le verbe simple
comme confici « j’achève » en face de faci « je fais ».
5° l’emploi des suffixes : (i) le suffixe -sc : indiquant que l’action ou l’état commence à prendre une certaine
intensité et désignant le début de l’action comme senesc « je deviens vieux », c gn sc « je commence à
connaître », etc. ; (ii) le suffixe -t re, -it re : servant à la formation de fréquentatifs.
6° le morphème suffixal nasal : servant à tirer des présents d’aspect déterminé de thèmes radicaux, notamment
de thèmes d’aoristes en indo-européen d’après Meillet (1964 : 222), en conséquence la valeur de ce suffixe
nasal semble focaliser la réalisation d’un procès de même que l’infixe nasal. Par exemple, cern « je passe
au crible, je décide », stern « j’étends, je couche à terre », etc.
L’expression de l’aspect n’est pas sans effet sur le choix du temps. Ainsi, au passé, sole se rencontre presque
toujours à l’imparfait sol bam à cause du verbe ayant le sens de l’habitude. Cupi
cupi bam, parce que le désir implique la durée. Vol
est fréquent à l’imparfait
est surtout usité au parfait volu , parce que la volonté
suppose une décision d’aspect déterminé, mais le français, moins strict sur ce dernier point, use de l’imparfait
« je voulais ». En face du présent et de l’aoriste, le parfait indiquait le procès achevé, donc la nasale qui
caractérise le présent -cumb pour indiquer l’action aboutissant à son terme, n’a plus de raison d’être au parfait
-cubu , celui-ci spécifiant que l’action est achevée. De même pour les inchoatifs en -sc , ce suffixe ne
convenait plus au perfectum qui implique l’idée de l’état atteint. Ainsi, il y a quelques moyens disparates en
latin qui jouent le rôle d’une sorte de paramètrage aspectuel. On observe une incompatibilité nécessaire entre un
temps d’aspect déterminé/indéterminé et un paramètre aspectuel : un préverbe, un suffixe, un infixe nasal, le
sens inhérent à la racine, etc. Ainsi, les moyens d’exprimer l’aspect sont disparates en latin. Il est très difficile
de schématiser, en latin, les relations entre les deux comme en grec ou en slave.
Monteil (1974 : 268) constate que l’axe du temps et celui de l’aspect se mêlent en latin, et par suite le
système verbal consiste en un syncrétisme des anciens aoriste et parfait indo-européens. Ainsi, le verbe latin
n’oppose plus que deux thèmes, un présent, dit “infectum”, et un “perfectum”, issu du syncrétisme susdit. C’est
une opposition remarquable en latin.
6.5 Analyse de tous les verbes à infixe nasal du point de vue aspectuel
Suivant la définition du type de situation mentionnée plus haut dans le 6.1, nous nous efforcerons ici
d’examiner le mode de procès de tous les verbes latins à infixe nasal. En outre, compte tenu de l’inhérence de
l’idée de chaque verbe, nous nous proposons d’ajouter un paramètre de “instantanéité” afin d’analyer
précisément son inhérence d’“aspectualité” dans chaque verbe. Par exemple, pour le cas de sede /s d :s d , un
tour de l’événement se compose de l’acte momentané de « s’asseoir » et de l’état d’« être assis » et implique le
Morita : L’infixe nasal et ses valeurs aspectuelles en latin (III)
101
point télique nécessaire de l’action et l’entrée dans l’état phasique suivant par suite de cet acte. En d’autres
termes, l’état d’« être assis » suit inévitablement l’accomplissement de « prendre place ». Cet événement n’est
pas homogène du point de vue phasique. Il y a un tournant dans une série d’événements. Il en est de même pour
le cas de st /sist : st t que celui de sede /s d :s d . C’est pourquoi la forme du parfait dans -cumb , s d , et
sist est la même que dans -c b , sede , et st . Il y a plusieurs moyens d’exprimer l’aspect comme on l’a vu
dans le 6.3. Ainsi, le redoublement s’observe dans s d (< *sisd ) et sist , tandis que l’infixation nasale
s’observe dans -cumb .
D’autre part, l’idée de « détruire » est également bipartite du point de vue phasique. Un tour de
l’événement se compose de l’acte momentané de « détruire » et de son résultat de l’état d’« être détruit ». Dès
que la destruction s’accomplit, la situation est d’entrer dans l’état phasique suivant. À cet égard, de même que
dans -cumb , il y a un tournant dans une série d’événements, qui est un équivalent du point télique nécessaire à
cet acte dans l’idée de « détruire ». C’est pourquoi la signification nuancée est différente entre l’actif et le
passif. En d’autres termes, il s’agit de transitivité. Ainsi, il y a essentiellement un équivalent du point télique
inhérent, notamment, au groupe des verbes « briser, fendre » même sans le complément déterminé à cause de la
transitivité. C’est-à-dire que, pour ce type de situation, l’achèvement est, d’ordinaire, non marqué à cause de son
instantanéité.
dynamique
duratif
télique
transitivté
instantanéité
-cumb « se coucher » :
+
-
+
-
+
find « fendre » :
+
-
+
+
+
frang « briser » :
+
-
+
+
+
fund « verser » :
+
+
-
+
±
linqu « laisser » :
+
-
+
+
+
rump « rompre » :
+
-
+
+
+
scind « fendre » :
+
-
+
+
+
tang « toucher » :
+
-
+
+
+
vinc « vaincre » :
+
-
+
+
+
fing « façonner » :
+
+
+
+
+
ming « uriner » :
+
+
+
-
+
pand « déployer » :
+
+
-
+
±
pang « ficher » :
+
-
+
+
+
ping « peindre » :
+
+
+
+
±
pins « piler » :
+
-
+
+
+
102
東洋大学人間科学総合研究所紀要 第7号
pung « piquer » :
+
-
+
+
+
string « serrer » :
+
-
+
+
+
tund « frapper » :
+
-
+
+
+
jung « atteller » :
+
-
+
+
+
lamb « lécher » :
+
-
+
+
+
ling « lécher » :
+
-
+
+
+
+
+
+
±
±
plang « frapper » :
+
-
+
+
+
prehend « prendre » :
+
-
+
+
+
-stingu « piquer » :
+
-
+
+
+
-mung « moucher » :
Pour l’idée de « contact » que l’on retrouve entre autres dans tang , jung , lamb , et ling , l’événement
s’accomplit au moment où l’acte de contact s’effectue. En ce qui concerne les groupes de « briser, frapper,
fendre » et de « piquer », cette idée, par elle-même se rattache à l’idée de contact puisque ces actes momentanés
impliquent une sorte de choc quel qu’il soit.
D’après Ernout et Thomas (2002 : 217), les présents à nasale infixée sont d’aspect déterminé : frang
« briser » dénote l’acte momentané ; de même, jung « unir », linqu « abandonner », pang « ficher, établir
solidement, conclure (un traité) », etc.
Il en résulte que la valeur principale de l’infixe nasal en latin est de rendre le verbe nuancé de
momentanéité. En bref, elle sert principalement à former des verbes d’achèvement.
6.6 Comparaison entre un verbe à infixe nasal et celui sans infixe nasal
Nous nous proposons d’analyser en couple les verbes à infixe nasal et ceux sans infixe nasal du point de
vue aspectuel et de préciser, en conséquence, la valeur de l’infixe nasal. Le latin est une langue classique, c’est
pourquoi il ne se parle pas comme une langue maternelle. Il est donc très difficile de saisir intuitivement le sens
linguistique et les nuances d’un verbe. Ainsi nous nous efforçons de consulter le dictionnaire d’Ernout et
Meillet (2001) et d’examiner la fonction de chaque verbe à infixe nasal.
6.6.1 Thème verbal - - en face de thème verbal -e-
D’après Ernout (1974 : 141), les dérivés en - - (la 1ère conjugaison), en general, ont une valeur durative par
rapport aux verbes en -e- (la 3ème conjugaison).
Morita : L’infixe nasal et ses valeurs aspectuelles en latin (III)
6.6.1.1 -cub
et -cumb
103
:
Le verbe duratif -cub
« être couché, être alité » marque l’état (par opposition à -cumb ), tandis que
-cumb , du type à infixe nasal et à voyelle thématique, indique le fait que l’action s’accomplit, attesté
seulement dans les composés en -cub , pour marquer l’aspect « déterminé », c’est-à-dire le procès arrivant à
son terme. (Ernout et Meillet, pp.153-4)
6.6.1.2 jug
et jung
:
Jug est un présent duratif en -a- par opposition à jung à infixe nasal. (Ernout et Meillet, p.327) Pour
l’opposition entre adjug et adjung , Lewis et Short (1933 : 37) constate qu’il n’y a pas de radical du parfait de
adjug , tandis qu’il y a un radical du parfait de adjung toujours d’après Lewis et Short (1933 : 38). De cette
opposition, on peut déduire l’incompatibilité de -jug re et de l’aspect déterminé. Ernout et Meillet (2001 : 8)
constate que le préverbe ad- marque l’addition, en outre de l’approche, la direction vers, et par suite le
commencement d’une action : d /add ; jung /adjung ; d’où provient sans doute le sens intensif. La valeur
aspectuelle devient plus intensive par la voie du préverbe et de l’infixe nasal et par suite le défaut de thème du
parfait de adjug
s’explique bien. D’après Lewis et Short (1933 : 579), de même, il n’y a pas de thème du
parfait de d jug re (< disjug re) en face de d jungere ou disjungere (Lewis et Short, p.590). Le préverbe disimplique une nuance omni-directionnelle par rapport à com- nuancé de concentration. Donc, de même que dans
le cas de ad-, la valeur aspectuelle devient plus forte. En bref, les préverbes jouent un rôle de ‘catalyseur’
servant à renforcer la valeur aspectuelle de l’infixe nasal.
6.6.1.3 -st g
et -sting
:
À côté de l’intensif-duratif stig re en - -, existe un verbe thématique à nasale infixée stingere. En fait, seul
le composé inst g re « piquer contre » est employé. Il semble qu’il y ait eu le sentiment d’une différence entre
le -
de sting « piquer » et le -u de (ex)-stingu « éteindre ». Stingu « éteindre » se trouve seulement dans
Lucrèce, dans les fragments poétiques de Cicéron et dans la glose stingu . Partout ailleurs, le sens d’aspect
déterminé par nature, appelle les formes à préverbe : ex(s)tingu « éteindre » et restingu « éteindre ». (Ernout
et Meillet, p.649)
D’autre part, la plus part des dénominatifs en - re- servent à former les transitifs et causatifs par opposition
au type -e : albe en face de alb .
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東洋大学人間科学総合研究所紀要 第7号
6.6.1.4 pac , pac scor, p c et pang
:
À la racine *p k- appartiennent les formes anciennes, pacit, pacunt, d’un verbe pacere « faire un pacte ».
La langue classique a gardé l’inchoatif pac scor (doublet pac sc , dans Naevius et Plate), de même sens que
pacere et pacti . D’autre part, le dérivé p c re signifie « pacifier (après avoir vaincu, dompté, et soumis) »
avec le sens particulier d’« apaiser par de l’argent » d’où le français payer. (Ernout et Meillet, p.473) Pour la
différence du type de conjugaison entre -e /- re (2ème conjugaison) et - /- re (1ère conjugaison), la plus part
des dénominatifs en - re servent à former les transitifs et causatifs par rapport au type -e : albe en face de
alb .
6.6.1.5 pugn
et pung
:
La racine *peug- donne pugnus « poing » et pung « piquer ». Le poing est ce qui sert à frapper, d’où le
dénominatif pugn
« frapper, combattre avec le poing ». La racine qui, dans pung , a le sens spécial de
« piquer », exprimerait d’une manière générale l’idée de « choc » inhérente à cette racine. (Ernout et Meillet,
p.543) L’élément radical pug- pourrait appartenir au groupe des mots à (s)p- initial indiquant un choc. (Ernout
et Meillet, p.546)
Fondamentalement, la durativité des dérivatifs fait contraste avec la momentanéité des verbes originels. En
gros, le type dérivatif marque une valeur durative tandis que le type à infixe nasal indique une valeur ponctuelle.
Mais, les dénominatifs ne font pas directement contraste avec les verbes à infixe nasal.
6.6.2 Thème verbal - - en face de -e-
D’après Ernout (1974 : 144), les verbes indiquant l’état sont généralement intransitifs.
6.6.2.1 l quor, lique , et linqu :
Linqu : un présent de ce type indique une action qui parvient à son terme, et l’aspect qui convient bien à
un verbe signifiant « laisser ». Un présent thématique, d’aspect « indéterminé » (par opposition au type linqu ),
se trouve dans le grec λε πω, et notamment, il est sensible dans le medio-passif grec λε ποµαι. (Ernout et
Meillet, p.361)
L quor « couler, s’écouler, fondre », lique « être clair, limpide », et liqu « clarifier, filtrer, liquéfier » :
ces formes verbales sonts dérivées d’une racine *leik w-/ *lik w-. Comme le persan r xtan « verser » est
Morita : L’infixe nasal et ses valeurs aspectuelles en latin (III)
inséparable de l’avestique ra
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ayeiti « il laisse », il en résulte que lique serait un verbe d’état appartenant à la
racine de linqu . (Ernout et Meillet, p.362)
6.6.2.2 pate
et pand
:
Pate « être ouvert » est sans doute apparenté à spatium « espace libre, étendue » et peut-être à pand
« étendre ». (Ernout et Meillet, p.487) Mais il n’y a pas d’étymologie claire, à moins qu’on n’y rapproche pate
et qu’on n’admette, dans la racine, une alternance entre dentale sourde et dentale sonore. (Ernout et Meillet,
p.479)
6.6.2.3 m ce
et mung
:
-mung « moucher » : plus ancien est le composé. (Ernout et Meillet, p.421)
m c re « être moisi » est une autre forme de la racine *meug- « visqueux », tandis que celle avec infixe nasal et
gutturale sonore, apparaît dans mung . (Ernout et Meillet, p.417)
Ainsi, ce type de verbe en - o (la 2ème conjugaison) fait contraste avec le type à nasal (la 3ème conjugaison).
Certes, lique « être claire », pate « être ouvert », et m ce « être moisi » indiquent tous l’état. Mais le sens
du type en -e et celui du type à nasale ne sont pas toujours symétriques par rapport à la racine. En tout cas, de
même que le type dérivatif en - -, le type en -e marque l’état en face du type à infixe nasal indiquant la valeur
pontuelle. (À suivre)
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東洋大学人間科学総合研究所紀要 第7号
The Bulletin of the Institute of Human Sciences, Toyo University, No. 7
ラテン語における鼻音接中辞と
そのアスペクト機能について(III)
森田 信也*
本稿は、ラテン語の鼻音接中辞の意味とそのアスペクト機能について論じたもので
ある。Morita (2006) L'infixe nasal et ses valeurs aspectuelles en latin (II) の続編であ
る。5.3 では、ゲルマン語族の古英語の強変化動詞の第3類の動詞の語幹に鼻音を伴
うものを分析し、ラテン語と比較した。5.4 では、印欧語根のうち、鼻音の挿入を伴
う語根の本質的な意味を考察した。また、5.5 では、ラテン語の語幹形成に鼻音の挿
入を伴うものを語根の「観念」の別に一覧表にまとめた。
第6章では、印欧語根とアスペクトの観念について触れ、Vendler と Smith のアス
ペクトの定義を基に、語根の分析を行った。さらに、鼻音の挿入を伴うものと伴わな
いものがペアで存在する動詞を取り上げ、比較対照することにより、鼻音の機能につ
いて更なる考察を加えた。(続く)
キーワード:古英語、強変化動詞、鼻音、アスペクト、ラテン語、印欧語根、語幹、
ヴェンドラー、スミス
*人間科学総合研究所研究員・東洋大学経済学部
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