Composition des groupements phytosociologiques et exigences

Composition des groupements phytosociologiques
et exigences écologiques
des esces quiles constituent
Freddy Devillez
Depuis les premières conférences internationales surl’environnement (Berne 1979;Rio 1992)et
lagestion durable des forêts(Strasbourg,Helsinki et Montal),lademandeeuropéenne dun
accordentre gestion forestière et biodiversitéaété traduiteen termes juridiques. En témoigne
parexemple l’accélération du processusdedésignation de zones protégées en Europe dans le
cadre deNatura 2000.Cependant,lamise en œuvre decetteintégration se révèle particulière-
ment difficile, tant les contextes dapplication sont divers,les critères utilisés peu précis et les
connaissances scientifiques incomplètes. Certains auteurs ont déjàproposé une méthodede
quantification rapidedela valeucologiquedes milieux pourintégrer laconservation dela
nature dans l’aménagement des forêts;Du BusdeWarnaffe et Devillez (2002)enont fait la
synthèse et présentent leurpropre modèle.
Silerecensement de toutes les espèces dune biocénose forestière et laconnaissancecomplète
du réseau derelations quilastructure sont irréalistes,il importeparcontre d’identifier le plus
exactement possible l’originalitédel’habitat en placeàl’échelle locale. Idéalement,les études
doivent intégrer plusieurs bio-indicateurs mais,poursimplifier l’approche et être plusrapidement
opérationnel,nousadmettrons iciquela végétation peut être unindicateurintéressant dela
qualitédel’habitat (Bersier et Meyer,1995). Parailleurs,il faut aussi pouvoir identifier les inci-
dences delaménagement et delagestion surla végétation forestière et par voie deconsé-
quencesurl’habitat (Deconchat et Ballent, 2001). L’originalitédu présent travail résidesurtout
dans larecherche dune méthodephytosociologiqueassistée parordinateuret destinée àconsti-
tuer des assemblages cohérentsdes groupes socio-écologiques constituant des groupements
phytosociologiques bien précis et en équilibre fonctionnel. Àces derniers,on doit pouvoir
opposerles groupessocio-écologiques traduisant une évolution régressiveàlasuitedune
perturbation ou encore traduisant une très grandehétérogénéitédu milieu.
LA COMPOSITION DES GROUPEMENTS VÉGÉTAUX
La bonne connaissancedes fondementsdelaconstitution des groupements végétaux est un
préalable àl’appréciation deleurqualité. L’étudephytosociologiquedun territoire d’étendue
restreintesappuie depuis toujours surdes relevés dela végétation,chacundeceux-ctant
l’image dune communauté végétale concte. Encomparant et en confrontant ces documents,il
est possible dedégager et dedéfinir des soctés végétales denature plusabstraite:les grou-
pementsphytosociologiques.
Quelles quesoient les méthodes utilisées,depuis laplusancienne et laplusclassique,celle des
tableaux successifs,jusquaux approches statistiques actuelles les plussophistiquées,ladémarche
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BIOLOGIE ET ÉCOLOGIE
intellectuelle quiconduit àlanotion degroupement résultedelacomparaison d’individusdont
on s’attache,pardelàles caractères particuliersfaire ressortir les caractères communs. Le
groupement phytosociologiqueest donc une abstraction et les individusdegroupementsrencon-
trés ne rassemblent quune partie des caractères du groupement auquel ils appartiennent;ils
présentent des variations quifont quaucunindividu ne ressemble exactement à unautre. Rappe-
lons quelassociation représentelegroupement centraldans lahiérarchie phytosociologique.
Braun-Blanquet (1952)et son école se sont essentiellement attachés àlacomposition floristique,
l’association étant définie comme une combinaison originale d’espèces dont certaines luisont
particulièrement attachées. Tout le système est fondésur une échelle defidélitédechaque
espèceparrapport à ungroupement phytosociologiquedonné. Parlasuite,on adonné deplus
en plusd’importanceaux groupes socio-écologiques en raison deleur valeurindicatricedes
caractéristiques du milieu,des actions,anthropiques et deleurhistoire. Ils constituent des
ensembles d’espèces qui végètent souvent ensemble dans des conditions particulières. Enfait,
les deux approches sont complémentaires,les espèces les plusfidèles au groupement apparte-
nant normalement à unmême groupe socio-écologique. Àl’opposé,les espèces ccoommppaaggnneess
appartiennent aux groupes socio-écologiques secondaires. Selon Duvigneaud(1946),«
ungroupe
quiatteint unmaximumdedéveloppement et de vitalitédes espèces quilecomposent pour un
ensemble deconditions écologiques et géographiques bien déterminées forme le noyau caracté-
ristiquedune association,dont,dans laplupart des cas,il fixeaussi laphysionomie
».
Legroupement végétalcorresponddonlaunion duncertain nombre degroupes socio-
écologiques intriqués les uns dans les autres,mais dans des conditions demilieu compatibles
avecles exigences de tousles groupes. Dans lahiérarchie phytosociologiqueclassique,l’ampli-
tudedes exigences des espèces constituant les groupes seradautant pluslarge quel’on
s’adresse àdegrandes associations,alliances,ordres ou classe. Parcontre,lorsquel’on descend
au niveau des sous-associations,des variantes ou des faciès,les groupes socio-écologiques sont
deplusenplusconstitués d’espèces àexigences étroites.
Laire dedistribution decertains groupementsphytosociologiques peut être très vasteet couvrir
divers territoires phytogéographiques. Dans cecas,on observeparexemple queles groupements
s’enrichissent vers le nordd’espèces boréales et vers le sudd’espèces méridionales (Duvi-
gneaud, 1946). Les groupes socio-écologiques n’ont doncpasentièrement lamême composition
en raison d’espèces différentielles géographiques. Les gradientsclimatiques engendrent aussi,
pareffet decompensation,des différences dans les exigences écologiques des espèces et donc
decomposition des groupes socio-écologiques. Ilfaut tenir compteaussi deces variables supplé-
mentaires.
LA COMPOSITION DES GROUPESSOCIO-ÉCOLOGIQUES
Dans les paysdEurope occidentale,on connaît relativement bien les principales exigences écolo-
giques des espèces grâceàdes travaux decompilation importants;parmi ceux quiintéressent
le pluslaWallonie et les régions limitrophes,citons notamment Tanghe (1967),Jermy
et al.
(1968),Noirfalise (1984),Thanghe et Godard(1991). Classiquement les espèces sont assemblées
en groupes socio-écologiques paraffinités d’exigences correspondant àleuroptimumleurplus
grandefréquenceou àleurmeilleurdéveloppement.Mais certains auteurs fournissent en plus
surdes échelles chiffrées le minimumet le maximumadmis parl’espècepourcertaines caracté-
ristiques delastation (Ellenberg
et al.
,1991 ;Rameau
et al.
,1989). Ils peuvent ainsi structurer
la végétation en groupes d’espèces indicatrices dun type demilieu bien précis. Toutecette
évolution vadans le sens dune meilleure compréhension des relations entre le milieu et la végé-
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Biologie et écologie
tation. Depurement descriptiveau départ,laphytosociologie est reconnuedeplusenplus
comme étant une démarche intéressantepourappréhender le fonctionnement des écosystèmes
en prenant en compteles théories des successions et du taclimax (Larson et Oliver,1996).
Iln’en restepasmoins vraique toutes ces informations ne sont pasnécessairement encodées
dans une banquededonnées et restent lourdes àmanipuler si on veut comparer denombreux
relevés de végétation associant des groupes socio-écologiques peu éloignés les uns des autres.
Bartoli et Largier (1992)ont très bien compris cetteproblématiquepuisqu’ils proposent dutiliser
labanquededonnées dela
Flore forestière française
(Rameau
et al.
,1989) poutablir un
diagnosticécologiquedes stations. Plus tard, Bartoli
et al.
(2000)mettent au point le logiciel
ECOFLORE”qui utilise les “écogrammes” informatisés decettemême flore,largement connus:
l’axedes abscisses traçant les exigences trophiques,l’axedes ordonnées correspondant aux
exigences hydriques. Pour une espècedonnée,le logiciel calcule cequeles auteurs appellent un
barycentre moyen ou lieu géométriquedela zone delagrille quicirconscrit ses exigences
hydriques et trophiques. Lemême calculpeut être fait àpartir de toutes les espèces dunrelevé
de végétation ou encore deplusieurs relevés de végétation. Ilest possible defaire intervenir des
pondérations,dites internes,et accordant plusou moins depoidsàchacundes axes ou des
pondérations,dites externes,prenant en compteledegré dabondance-dominancedechaque
espèce. Les testsquiont étéréalisés montrent labonne précision du logiciel pourfournir un
diagnosticécologiquemoyen dune station ou dunensemble destations. Ilpermet aussi de
détecter rapidement les relevés aberrantset se prêteàsimuler rapidement les effetsdepoids
plusou moins importantsaccordés aux espèces indicatrices.
LE MODÈLE EFOR
Au fil du temps,nousavons eu l’occasion de tester surnos relevés l’intérêt et lafiabilitédes
informations contenues dans divers répertoires écologiques. Nousavons étéainsi amenés à
aliser une synthèse des informations fournies parTanghe (1967),Jermy
et al.
(1968),Noirfalise
(1986),Tanghe et Godard(1991),Ellenberg
et al.
(1991),Rameau
et al.
(1989). Cetterecherche
s’est matérialisée parlaconstitution dune banquededonnées adaptée au territoire couvert par
la
Nouvelle flore delaBelgique,du Grand-DucdeLuxembourg,du NorddelaFranceet des
Régions voisines
(Lambinon
et al.
, 2004). Cettebanquefournit les principales exigences écolo-
giques dechaqueptéridophyteou spermatophyteforestier,ainsi quedune série debryophytes.
On y distinguedeux types de variables. Les premières sont dites secondaires carelles contien-
nent peu d’informations liées àlastation ou sont d’expression purement qualitative. Les espèces
sont simplement classées dans des groupes socio-écologiques très classiques quiont trait àla
forme biologique,ladistribution géographiqueet les niveaux photiques. Deux variables suivantes
permettent decalculer les niveaux hydriques et trophiques des stations àl’aidedeclasses numé-
riques définies pourchaque variable ;ilimportedepciser iciquec’est lagamme des classes
colonisées parchaqueespècequiest fournie.
Cettebanquededonnées couvre actuellement 532 espèces :48 bryophytes, 20ptéridophytes et
464spermatophytes (101espèces ligneuses, 272 hémicryptophytes, 73géophytes et 18 théro-
phytes). Les traitsde vie suivantsont étérépertoriés.
La forme biologiqueet ladistribution géographiqueenEurope
Ces informations tout àfait générales résultent delacompilation des données delalittérature
dont les références sont citées et auxquelles on ajouterale concept deforme biologiqueissu de
Raunkiaer (1934). Ces traitsde vie peuvent traduire desubtiles nuances topoclimatiques ou
microclimatiques au sein dune même région.
Les niveaux photiques
Lappartenancedes espèces àl’une ou l’autre des catégories photiques n’est vraiment bien
connuequepourles essences forestières,aussi bien au stadeadultequejuvénile. Cetteconnais-
sanceempiriqueet expérimentale,indispensable àl’aménagement et àlasylviculture,se fonde
surlacquis denombreuses générations deforestiers. Parcontre,pourles espèces herbacées
quelques exceptions près,l’approche aétésimplement empiriqueet procèdedelacomparaison
delabondancedes individusdune espècedonnée dans des habitatsplusou moins clairiérés.
La très grande variation del’éclairement en fonction des heures delajournée,des saisons,de
latéorologie exige en effet uchantillonnage très important pouravoir une bonne estima-
tion del’éclairement relatif. Parailleurs,souslecouvert des arbres,les zones d’ombre et les
tachesdesoleilnesontpasréparties demanière uniforme et leurdistribution varie continuelle-
ment tout au long delajournée.
Selon Noirfalise (1984) et Rameau
et al.
(1989),on se contentededistinguer les héliophiles
(espèces delumière),les sciaphiles (espèces d’ombre) et les intermédiaires quisont les espèces
mi-sciaphiles et mi-héliophiles. Enjouant surles zones de tolérance,on obtient finalement les
cinq catégories suivantes :les sciaphiles,les sciaphiles àintermédiaires,les intermédiaires,les
intermédiaires àhéliophiles et les héliophiles.
Les niveaux trophiques
Beaucoupdauteurs se contentent d’établir une relation entre le pHdu sol et les divers groupes
socio-écologiques en utilisant lagamme des espèces acidophiles àcalcicoles. Toutefois,les
espèces végétales sont surtout sensibles àladisponibilitéelémentsnutritifs. Cettedernière
est principalement fonction delanature delaroche mère et delanature delalitière (DeTillesse
et Devillez,1995). Pratiquement,il n’est cessaire depasser pardes analyses chimiques très
onéreuses quesil’on désire une grande
précision dans laconnaissancedes
ressources minérales. Sinon,le type
d’humusest largement reconnu comme
étant unbon indicateurdesynthèse des
caractéristiques physico-chimiques des sols
caril traduit bien ladisponibilitéen
élémentsnutritifs.
Pour toutes ces raisons,nousavons choisi
d’établir nos groupes socio-écologiques sur
labase du lien entre les espèces et le type
d’humus,cequirevient àadopter une
nomenclature presqueidentiqueàcelle de
la
Flore forestière française
(Rameau
et al.
,
1989). Dans le même temps,nousavons
attribuéàchaquecatégorie une valeur
chiffrée,sur une échelle linéaire,allant de 0
à11 (tableauI, ci-contre) et correspondant à
lanomenclature des humusdeBaizeet
Jabiol (1995). Decepoint de vue,lasimili-
314 Rev.For. Fr. LVII -4-2005
F REDDY D EVILLEZ
TABLEAU ILes cotes attribuées
pour chaquecatégorie trophique
selon lanomenclature
des humus deBaizeet Jabiol (1995)
Catégorie trophiqueCote
mor .............................
dysmoder ........................
moder ...........................
hémimoder .......................
dysmull ..........................
oligomull .........................
somull ........................
somull àeumull.................
eumull ...........................
eumull àeumull calcique...........
eumull calcique...................
eumull carbonaté..................
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
tudeavecles répertoires dEllenberg
et al.
(1991) est plusgrande. Cettefon defaire vafaci-
liter les calculs et comparaisons dont il seraquestion plusloin(1).
Seules quelques espèces très spécialisées ne croissent quesur unseul type d’humus,alors que
denombreuses autres sont largement indifférentes. En toutelogique,il est doncindispensable
defournir les deux extrémités dela zone écologiquement compatible. Cephénomène est accentué
parlefait quenotre gamme des exigences trophiques englobeaussi la zone de tolérancedes
espèces en vuedemieux cerner le concept decompatibilitéentre divers groupes socio-écolo-
giques constituant unrelevéde végétation,comme nousle verrons plusloin. Le tableauII (ci-
dessous) fournit quelques exemples.
Rev.For. Fr. LVII -4-2005315
Biologie et écologie
(1) Ilest difficile d’insérer dans cettchelle les besoins en nitratequicaractérisent certaines espèces. L’information se trouveailleurs
dans labanquededonnées demanière qualitative:espècenitrocline ou nitrophile.
TABLEAU II Les cotes trophiques minimales etmaximales dequelques esces,
suivant ungradient trophiqueascendant
Taxon MinimumMaximumGroupe
Comarumpalustre.................
Carex nigra.......................
Holcus mollis .....................
Ilex aquifolium....................
Calamagrostis canescens ...........
Agrostis canina....................
Fagus sylvatica ....................
Senecio sylvaticus .................
Pulmonarialongifolia..............
Acer pseudoplatanus...............
Agrostis stolonifera................
Hyacinthoides non scripta...........
Festuca gigantea..................
Ranunculus ficaria.................
Thalictrumflavum.................
Geranium robertianum.............
Lamiumpurpureum................
Listeraovata......................
Lactuca perennis ..................
Quercus pubescens ................
0
0
0
0
1
1
1
2
2
2
3
3
4
4
5
5
6
6
8
10
0
2
4
11
2
6
11
5
7
11
6
8
8
11
8
11
8
11
11
11
Mor
Mor àmoder
Mor àmull dystrophe
Mor àmull carbonaté
Dysmoder àmoder
Dysmoder àmull mésotrophe
Dysmoder àmull carbonaté
Moder àmull oligotrophe
Moder àmull méso-eutrophe
Moder àmull carbonaté
Moder mulleux àmull mésotrophe
Moder mulleux àmull eutrophe
Mull dystrophe àeutrophe
Mull dystrophe àcarbonaté
Mull oligotrophe àeutrophe
Mull oligotrophe àcarbonaté
Mull mésotrophe àeutrophe
Mull mésotrophe àcarbonaté
Mull eutrophe àcarbonaté
Mull calciqueàcarbonaté
Les espèces avecdeux optima trophiques bien marqués aux extrémités del’échelle traduisent
vraisemblablement une réponse àdes contraintes bien précises. Citons,parexemple,
Teucrium
scorodonia
quicolonise les forêtsacides en même temps queles pelouses surroches calcaires.
Ilenserait demême pour
Sorbusaria
et
Sorbus torminalis
.Chez dautres espèces,comme
Genistapilosa
et
Frangulaalnus,
cecomportement peut s’expliquer parlaprésencededivers
écotypes.
Jusquàcepoint,on observepeu dedifférences aveclabanquededonnées deRameau
et al.
(1989) utilisées parlelogiciel ECOFLORE (Bartoli
et al.
, 2000),si cenesont les adaptations
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